Dans le billet Vous faites bonne figure avec style, je présentais certaines figures de style que nous utilisons tous : la comparaison, la métaphore, la métonymie, etc.
Par contre, il y en a d’autres auxquelles il faut faire attention, parce qu’elles sont considérées comme des erreurs de style. Aujourd’hui, je vous parle de l’anacoluthe.
Non, l’anacoluthe n’est pas une sorte de luth
L’anacoluthe est une rupture dans la construction d’une phrase. C’est partir dans une direction et changer d’idée à mi-chemin. En d’autres mots, l’anacoluthe est un manque de suite dans les idées. Certains auteurs l’utilisent dans le but de surprendre ou de désorienter leurs lecteurs. Par exemple :
Le nez de Cléopâtre, s’il eût été plus court, toute la face de la terre aurait changé.
Dans cette citation de Blaise Pascal, la surprise vient du fait que le lecteur se serait plutôt attendu à ce que le verbe « aurait changé » ait pour sujet « il », mis pour « le nez de Cléopâtre » :
Le nez de Cléopâtre, s’il eût été plus court, aurait changé toute la face de la terre. (le nez aurait changé…)
C’est ainsi que la syntaxe fonctionne en français : le verbe de la proposition en tête de phrase (« eût été ») et le verbe de la proposition principale (« aurait changé ») doivent avoir le même sujet. Jouer avec cette syntaxe entraine une rupture de construction.
Si Pascal le fait, pourquoi est-ce une erreur?
L’anacoluthe est considérée comme une erreur, car elle ne respecte pas la logique du français. Certes, elle peut servir à créer un effet de style voulu. Toutefois, elle pose un problème quand elle crée un effet qui n’était pas souhaité. L’ennui, donc, avec l’anacoluthe, c’est qu’elle peut avoir des effets secondaires…
Des effets secondaires? Mais quel rapport avec la grammaire?
Par « effets secondaires », je veux dire des effets qui n’étaient pas prévus et qui nuisent à la compréhension du message.
Voici quelques exemples d’effets secondaires de l’anacoluthe :
Effet | Exemple | Explication |
---|---|---|
Ambiguïté | En me levant, Pierre m’a serré la main. | On ne sait pas qui fait l’action de « lever ». (Est-ce que je me lève moi-même ou est-ce Pierre qui me lève?) |
Contresens | Les parents ont puni les enfants après avoir chahuté toute la journée. | Cette phrase laisse croire que ce sont les parents qui ont chahuté, alors que ce sont les enfants. |
Illogisme | Invendue, elle a appelé un agent immobilier. | Ce n’est pas la propriétaire (« elle ») qui est invendue, mais la propriété. |
Comment être plus malin que Pascal
Voici donc la règle :
La proposition en tête de phrase et la proposition principale doivent avoir le même sujet.
Pour ce faire, il existe plusieurs stratégies.
Changer le sujet (et le verbe) de la proposition principale
Exemple fautif :
Pour faire suite à notre discussion, vous trouverez le rapport ci-joint.
Correction :
Pour faire suite à notre discussion, je vous transmets le rapport ci-joint.
(La proposition placée en tête de phrase et la proposition principale ont maintenant le même sujet : je fais suite à notre discussion et je vous transmets…)
Déplacer des éléments
Exemple fautif :
Rédigé par le comité, je vous présente le rapport.
Correction :
Je vous présente le rapport rédigé par le comité.
Remplacer le verbe à l’infinitif par un nom
Exemple fautif :
Le rapport sera transmis à la direction pour approuver des changements.
Correction :
Le rapport sera transmis à la direction pour approbation des changements.
Grâce à ces trois stratégies, vous pourrez éviter les erreurs de construction.
D’ailleurs, si vous cherchez un exercice, je vous recommande ce jeu du Portail linguistique du Canada : Lutte contre l’anacoluthe.
Vous pouvez aussi consulter l’article « anacoluthe » des Clés de la rédaction (Bureau de la traduction de Services publics et Approvisionnement Canada) et l’article sur l’anacoluthe de la Banque de dépannage linguistique (Office québécois de la langue française).