C’est bien connu, le Canada est un pays officiellement bilingue. Mais avec le français et l’anglais coexistent bien d’autres langues. Cette coexistence est possible en partie grâce aux personnes qui font office d’intermédiaires, j’ai nommé : les traducteurs et traductrices multilingues.
Étant moi-même traductrice bilingue, j’étais curieuse d’en apprendre plus sur la traduction multilingue. J’ai donc demandé à trois personnes qui la pratiquent de me parler de leur travail.
Laissez-moi d’abord vous les présenter :
- Frances Urdininea traduit de l’anglais, du français, de l’italien et du portugais vers l’espagnol.
- Kelly Akerman traduit du français, de l’espagnol, de l’italien, du portugais, de l’allemand et du créole haïtien vers l’anglais.
- Efraim Klamph traduit du français et du chinois vers l’anglais.
E. L. Marchand : Quels types de textes traduisez-vous? À quoi servent-ils?
Frances Urdininea : Les textes que je traduis servent à communiquer les annonces et les politiques importantes du gouvernement à la communauté espagnole du Canada, qui est composée de résidents et résidentes, de personnes réfugiées et immigrantes, de travailleurs étrangers et travailleuses étrangères et de touristes. Ils permettent aussi au gouvernement du Canada de communiquer avec des pays étrangers et des organisations internationales. C’est un travail très gratifiant!
Kelly Akerman : Je traduis beaucoup de certificats de naissance, de décès, de mariage pour des personnes qui demandent des prestations ou attestations au gouvernement canadien. Comme ces documents sont très personnels, mon travail sert directement ces personnes. J’ai le sentiment de leur offrir une aide concrète.
Efraim Klamph : Je traduis beaucoup de certificats, et aussi des documents fiscaux. De ce que je comprends, les personnes demandent des prestations et doivent produire ces documents, qui existent seulement dans leur langue maternelle. C’est bien d’offrir ce service, pour que la population canadienne ait accès à tout ce dont elle a besoin.
E. L. Marchand : À quoi ressemble une journée de travail en traduction multilingue?
Frances Urdininea : Mon travail au quotidien diffère de celui d’une personne qui traduit dans les deux langues officielles du Canada, l’anglais et le français. Je n’ai pas la possibilité de me spécialiser dans un domaine ou pour un client en particulier. Je n’ai pas non plus accès à une base de données terminologiques ni à une banque de textes en espagnol alimentées par des centaines de collègues du gouvernement fédéral. À la traduction espagnole, nous sommes une toute petite équipe. Nous faisons notre propre correction d’épreuves, éditique, etc. Par contre, la variété est aussi ce qui pimente le travail de traduction!
Kelly Akerman : Je dirais qu’effectivement, il peut m’arriver de traduire le matin du français à l’anglais et l’après-midi, de l’italien, de l’espagnol ou de l’allemand à l’anglais. J’aime vraiment beaucoup la variété. Je pense que ce type de travail convient très bien aux différentes facettes de mon identité linguistique.
Efraim Klamph : J’ai l’impression que mon travail ressemble à celui de l’ensemble des traducteurs et traductrices, en fait. Là où c’est peut-être différent, c’est dans la variété des textes. En gros, je traduis tout ce qui est en chinois, que ce soit des textes médicaux, juridiques, scientifiques ou autres. On dirait parfois que je dois être expert en tout!
E. L. Marchand : Est-ce que certaines langues conviennent mieux à certains types de textes? Certaines posent-elles des difficultés particulières?
Frances Urdininea : Rédiger avec clarté et précision demande des efforts peu importe la langue. Cela dit, je trouve que l’anglais est excellent pour les sujets techniques; l’allemand est taillé pour les textes philosophiques; le français est très élégant pour la littérature, la diplomatie et les arts; l’espagnol, ma langue maternelle, est parfait pour la poésie, la chanson et l’expression des sentiments.
Kelly Akerman : Je vois un lien évident entre toutes les langues romanes, puisque c’est avec ces langues que je travaille principalement. Je ne dirais pas qu’une langue convient plus qu’une autre à certains types de traductions. Ce que je sais par contre, c’est qu’une langue comme le français ou l’espagnol a probablement une plus grande portée internationale que, par exemple, le roumain ou le catalan.
Efraim Klamph : J’ai eu à traduire des textes de la Chine continentale, et aussi de Hong Kong et Taïwan, par exemple. Le chinois y est très différent. Les caractères sont différents, et le style aussi. Les documents juridiques taïwanais sont rédigés dans un style classique, extrêmement précis, mais en même temps très nuancé. C’est un style d’écriture qui est très différent de celui des textes juridiques de la Chine continentale.
E. L. Marchand : Selon vous, quel est le rôle de la traduction multilingue ou du multilinguisme dans le multiculturalisme?
Frances Urdininea : Étant donné l’essor des nouvelles technologies et le développement de l’intelligence artificielle (IA), la traduction automatique va être de plus en plus perfectionnée. Ce que j’espère, c’est que lever les obstacles de la langue nous aidera à comprendre que, malgré les sonorités et les préférences culturelles différentes, nous sommes, tout le monde, des êtres humains, et que nous avons plus de points en commun que nous le pensons.
Kelly Akerman : Je crois que le fait d’être multilingue me permet, et permet peut-être aussi aux personnes autour de moi, de changer fondamentalement la façon dont on communique en société, voire la façon dont on perçoit la structure de la société, parce que le multilinguisme modifie nos schèmes de pensée. Toutefois, je vois un lien entre le multilinguisme et le transculturalisme ou l’interculturalisme, qui sont pour moi des notions beaucoup plus dynamiques.
Efraim Klamph : Le Canada est un pays multiculturel. De notre perspective, il est donc naturel d’accepter et de reconnaître les langues comme faisant partie de la culture canadienne. En tant que traducteur, je dirais que je suis un des éléments du système qui aide les personnes qui ne parlent pas la même langue à communiquer entre elles. Donc, je dirais que je contribue à faciliter la communication et à faire le pont entre les cultures.
E. L. Marchand : Merci Frances, Kelly et Efraim! C’était vraiment intéressant d’en apprendre davantage au sujet des aspects gratifiants et aussi des défis de la traduction multilingue. Contribuer à faciliter la communication et à faire le pont entre les cultures – quel travail inspirant! Aux gens qui nous lisent, avez-vous d’autres questions sur la traduction multilingue? Elles pourraient être le sujet d’une future entrevue!