Croyez-le ou non, l’idée de ce billet a germé il y a plus de cinq ans. Je consultais un site Web populaire quand je suis tombé sur une formulation qui m’a fait réagir. D’emblée, je comprenais ce qu’elle signifiait, mais plus je la regardais, plus je me posais de questions. J’ai écrit aux responsables pour voir s’il n’y avait pas quelque chose à corriger, mais je n’avais ni les mots justes ni l’appui solide d’un ouvrage de grammaire. Juste une intuition…
J’ai amorcé peu après l’écriture d’un texte sur l’emploi de la préposition « pour » dans des contextes où elle me semblait « mal arrimée », là où elle me paraissait créer de l’ambiguïté. On dit souvent que le français est une langue claire, mais en l’occurrence, je trouvais que notre belle langue faisait mentir ce cliché.
Assez de généralités : passons au vif du sujet! J’avais remarqué à l’époque que, sans doute sous l’influence de l’anglais, on voyait très souvent le mot « pour » dans des contextes où l’on ne pouvait pas dire clairement à quoi il se rattachait. Cela me donnait l’impression que ce n’était pas tout à fait français, pas vraiment « idiomatique » comme on dit dans la profession langagière. Voici deux exemples inspirés de ce que l’on voit sur le Web :
- Quel est le rôle des étoiles pour former de nouveaux atomes?
- Des ingénieurs sont divisés pour juger si le système est au point.
Vous voyez ce qui cloche? À quoi se rattachent ces « pour », et que qualifie le complément qu’ils introduisent? Dans le premier cas, cela donne « le rôle pour former des atomes », c’est-à-dire le rôle qu’elles jouent dans la formation des atomes. Dans la deuxième phrase, je crois que « pour » ne se rattache vraiment à rien. Une chose est claire : les ingénieurs ne se sont pas séparés en deux groupes pour juger si le système était au point. Ils ne sont tout simplement pas d’accord sur la question.
L’épiphanie, si je puis dire, m’est arrivée cinq ans après ces interrogations. Que s’est-il passé? Je me suis inscrit à un cours de perfectionnement en traduction portant sur les prépositions en me disant que j’apprendrais certainement des choses utiles. Je ne me doutais pas qu’en fait, il allait porter essentiellement sur la question qui me chicotait depuis toutes ces années!
Ce que j’ai appris, en gros, c’est qu’il s’agit bel et bien d’une influence de l’anglais. Pour l’essentiel, la préposition anglaise est arrimée à un nom, mais la préposition française est beaucoup plus souvent associée à un verbe. En écrivant comme en lisant, on relie donc plus fréquemment la préposition « pour » au verbe qui la précède. Par exemple :
- Je vous invite à lire ce qui suit pour en apprendre davantage.
- C’est ce qu’il faut faire pour aider le secteur à trouver de nouveaux marchés.
Ces énoncés sont plus naturels, plus clairs et plus faciles à lire que les deux exemples du début du billet, n’est-ce pas?
J’ai dit plus haut que la préposition est plus souvent arrimée à un verbe qu’à autre chose, mais il y a des cas où il est tout à fait correct de lier une préposition à un nom, à un adjectif ou à un adverbe. Ne nous privons donc pas de ces possibilités : rien de mal à écrire « un film pour tous » ou « c’est bon pour le moral »!
Cela étant dit, nous devrions chercher la clarté chaque fois que nous écrivons. Si je vous dis que je vous propose des outils pour améliorer vos compétences en gestion, allez-vous comprendre que « je vous propose d’améliorer vos compétences en gestion à l’aide d’outils » ou plutôt qu’« il s’agit d’outils conçus pour améliorer vos compétences en gestion »? S’il y a un doute, je dois modifier la phrase. Par exemple : « Je vous propose des outils qui vous aideront à améliorer vos compétences en gestion. »
Dans l’exemple qui précède, le flottement de sens n’avait rien de bien grave, mais il y a des cas où l’imprécision peut être beaucoup plus importante et amener votre public à comprendre un message tout autre que celui que vous vouliez transmettre, comme dans l’exemple où l’on parle des ingénieurs divisés.
En conclusion, je suis heureux de m’être fié à mon instinct et d’avoir finalement trouvé ce que je cherchais. Mais le chemin entre l’intuition et l’explication a été si long! Et vous, vous est-il déjà arrivé d’avoir le sentiment qu’un mot, une expression ou une structure de phrase était erroné, mais sans arriver à mettre le doigt sur la raison? Racontez-moi ça dans les commentaires!