Y a-t-il des mots ou des expressions qui vous égratignent les oreilles chaque fois que vous les entendez? Récemment, j’ai sondé à ce sujet les membres d’un groupe dont je fais partie sur les réseaux sociaux. Je n’aurais jamais cru recevoir autant de réponses! En fait, la source s’est avérée presque intarissable, à tel point que j’aurais assez de matière pour plusieurs billets sur ce thème. Mais dans la vie, il faut faire des choix : j’ai donc sélectionné parmi les centaines de propositions reçues des mots et expressions très fréquents dans la langue administrative.
Employons-nous toujours le mot juste au bureau? C’est ce que nous allons voir! Examinons ensemble quelques phrases fictives, mais fort réalistes.
1. « C’est là un enjeu significatif. »
Commençons par le mot « enjeu ». Les dictionnaires s’accordent pour dire que c’est ce qu’on peut gagner ou ce qu’on risque de perdre dans une entreprise. Autrement dit, c’est ce qui est en jeu dans une situation donnée. En voulant éviter de parler de « problème », on pourrait dire qu’on en crée un! En fait, on emploie « enjeu » de façon abusive, car il existe plusieurs mots, plus précis, pour le remplacer. L’article issue ouvre dans une nouvelle fenêtre du Lexique analogique nous propose une bonne trentaine de solutions de rechange, à choisir selon le contexte. Quelques exemples : question, dossier, problème, préoccupation, différend.
Mais ce n’est pas tout : « significatif » est la forme adjectivale du nom « signification ». Ce mot veut dire « qui exprime clairement quelque chose » (des chiffres significatifs), « qui est révélateur de quelque chose » (une réaction significative). L’emploi du mot « significatif » est critiqué lorsqu’on veut parler de quelque chose d’important, de considérable, d’envergure. Ce mot est alors employé sous l’influence de l’anglais significant. On trouvera une foule de synonymes pour éviter l’anglicisme dans l’article major ouvre dans une nouvelle fenêtre du Lexique analogique.
2. « Ce programme a rencontré son principal objectif : adresser le problème de logistique. »
« Rencontrer un objectif » est un calque de l’expression anglaise to meet one’s objective. Mais alors, que fait-on de ses objectifs? L’article objectif ouvre dans une nouvelle fenêtre du Dictionnaire des cooccurrences propose toute une série de verbes qui peuvent accompagner ce mot : atteindre, concrétiser, réaliser, remplir, tenir et ainsi de suite.
Peut-on adresser un problème? Malheureusement, non! Cette expression est calquée sur l’anglais to address a problem. On peut adresser un sourire à un ami, adresser une lettre à un correspondant, adresser un patient à une spécialiste. Mais quand il s’agit de questions à régler, il faut les aborder, les étudier, les résoudre. L’article adresser une question / un problème ouvre dans une nouvelle fenêtre des Clés de la rédaction propose de nombreuses solutions pour éviter cette expression.
3. « Et si on en profitait pour cesser de travailler en silo? »
L’idée du silo nous vient aussi de nos collègues anglophones. En effet, nous leur avons emprunté l’expression « travailler en silo », calquée sur working in silo, pour désigner un groupe qui fonctionne isolément des autres.
Bien qu’elle soit encore critiquée en français, cette expression est de plus en plus courante dans l’usage. Pourtant, le français ne manque pas de façons d’exprimer cette notion : on peut vouloir éviter de travailler en vase clos, déplorer le cloisonnement administratif, souhaiter la fin des compartiments étanches, vouloir cesser de fonctionner isolément ou séparément, selon le contexte. L’article Silo ouvre dans une nouvelle fenêtre de la Banque de dépannage linguistique de l’Office québécois de la langue française vous renseignera davantage sur cet emprunt à l’anglais.
4. « Puisque vous êtes sur le comité, vous connaissez notre plan d’affaires. »
On peut siéger à un comité, être membre d’un comité ou faire partie d’un comité, mais on ne peut pas « être sur un comité », comme nos collègues anglophones qui disent to be ou to sit on a committee.
Business, ça veut dire beaucoup de choses, n’est-ce pas? Ce mot est si polyvalent! Il est utilisé pour parler de commerce, d’argent, d’industries, mais aussi d’activités professionnelles diverses qui n’ont rien à voir avec les affaires. Doit-on s’étonner que le français n’ait pas un mot unique capable de remplacer l’adjectif business dans toutes les circonstances? Là où il n’est pas question d’activités financières et commerciales, oublions « d’affaires » et choisissons par exemple heures d’ouverture (plutôt qu’heures d’affaires), siège social (plutôt que place d’affaires), procédures administratives (plutôt que procédures d’affaires). Pour traduire business plan ouvre dans une nouvelle fenêtre dans un contexte non commercial, TERMIUM Plus® recommande plan d’activités et plan opérationnel.
5. « Ces mesures vont accroître l’engagement de notre clientèle. »
Le verbe anglais to engage et sa forme nominale engagement ont plusieurs sens que n’ont pas les mots français « engager » et « engagement », déjà fort polysémiques.
Expression anglaise populaire ces dernières années, to engage with est un des cas où le mot « engagement » ne peut être employé comme équivalent français. On ne peut pas engager sa clientèle ou son personnel (sauf si on l’embauche!). En revanche, on peut mobiliser un auditoire, s’investir dans un partenariat, faire participer ses lecteurs à des discussions, favoriser l’implicationnote 1 du public dans ses activités. Parfois, to engage with, ça peut aussi vouloir dire échanger, tout simplement!
Si vous travaillez dans un bureau, je suis persuadé que vous avez déjà lu ou entendu bon nombre de ces mots et expressions. Y en a-t-il d’autres qui vous viennent à l’esprit? Proposez-les-moi dans un commentaire.