Question de syntaxe : de l’intuition à l’explication

Publié le 22 janvier 2024

Croyez-le ou non, l’idée de ce billet a germé il y a plus de cinq ans. Je consultais un site Web populaire quand je suis tombé sur une formulation qui m’a fait réagir. D’emblée, je comprenais ce qu’elle signifiait, mais plus je la regardais, plus je me posais de questions. J’ai écrit aux responsables pour voir s’il n’y avait pas quelque chose à corriger, mais je n’avais ni les mots justes ni l’appui solide d’un ouvrage de grammaire. Juste une intuition…

J’ai amorcé peu après l’écriture d’un texte sur l’emploi de la préposition « pour » dans des contextes où elle me semblait « mal arrimée », là où elle me paraissait créer de l’ambiguïté. On dit souvent que le français est une langue claire, mais en l’occurrence, je trouvais que notre belle langue faisait mentir ce cliché.

Assez de généralités : passons au vif du sujet! J’avais remarqué à l’époque que, sans doute sous l’influence de l’anglais, on voyait très souvent le mot « pour » dans des contextes où l’on ne pouvait pas dire clairement à quoi il se rattachait. Cela me donnait l’impression que ce n’était pas tout à fait français, pas vraiment « idiomatique » comme on dit dans la profession langagière. Voici deux exemples inspirés de ce que l’on voit sur le Web :

  • Quel est le rôle des étoiles pour former de nouveaux atomes?
  • Des ingénieurs sont divisés pour juger si le système est au point.

Vous voyez ce qui cloche? À quoi se rattachent ces « pour », et que qualifie le complément qu’ils introduisent? Dans le premier cas, cela donne « le rôle pour former des atomes », c’est-à-dire le rôle qu’elles jouent dans la formation des atomes. Dans la deuxième phrase, je crois que « pour » ne se rattache vraiment à rien. Une chose est claire : les ingénieurs ne se sont pas séparés en deux groupes pour juger si le système était au point. Ils ne sont tout simplement pas d’accord sur la question.

L’épiphanie, si je puis dire, m’est arrivée cinq ans après ces interrogations. Que s’est-il passé? Je me suis inscrit à un cours de perfectionnement en traduction portant sur les prépositions en me disant que j’apprendrais certainement des choses utiles. Je ne me doutais pas qu’en fait, il allait porter essentiellement sur la question qui me chicotait depuis toutes ces années!

Ce que j’ai appris, en gros, c’est qu’il s’agit bel et bien d’une influence de l’anglais. Pour l’essentiel, la préposition anglaise est arrimée à un nom, mais la préposition française est beaucoup plus souvent associée à un verbe. En écrivant comme en lisant, on relie donc plus fréquemment la préposition « pour » au verbe qui la précède. Par exemple :

  • Je vous invite à lire ce qui suit pour en apprendre davantage.
  • C’est ce qu’il faut faire pour aider le secteur à trouver de nouveaux marchés.

Ces énoncés sont plus naturels, plus clairs et plus faciles à lire que les deux exemples du début du billet, n’est-ce pas?

J’ai dit plus haut que la préposition est plus souvent arrimée à un verbe qu’à autre chose, mais il y a des cas où il est tout à fait correct de lier une préposition à un nom, à un adjectif ou à un adverbe. Ne nous privons donc pas de ces possibilités : rien de mal à écrire « un film pour tous » ou « c’est bon pour le moral »!

Cela étant dit, nous devrions chercher la clarté chaque fois que nous écrivons. Si je vous dis que je vous propose des outils pour améliorer vos compétences en gestion, allez-vous comprendre que « je vous propose d’améliorer vos compétences en gestion à l’aide d’outils » ou plutôt qu’« il s’agit d’outils conçus pour améliorer vos compétences en gestion »? S’il y a un doute, je dois modifier la phrase. Par exemple : « Je vous propose des outils qui vous aideront à améliorer vos compétences en gestion. »

Dans l’exemple qui précède, le flottement de sens n’avait rien de bien grave, mais il y a des cas où l’imprécision peut être beaucoup plus importante et amener votre public à comprendre un message tout autre que celui que vous vouliez transmettre, comme dans l’exemple où l’on parle des ingénieurs divisés.

En conclusion, je suis heureux de m’être fié à mon instinct et d’avoir finalement trouvé ce que je cherchais. Mais le chemin entre l’intuition et l’explication a été si long! Et vous, vous est-il déjà arrivé d’avoir le sentiment qu’un mot, une expression ou une structure de phrase était erroné, mais sans arriver à mettre le doigt sur la raison? Racontez-moi ça dans les commentaires!

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Marc-André Descôteaux

Marc-André Descôteaux

Traducteur et réviseur depuis une vingtaine d’années, Marc-André Descôteaux s’intéresse au Web depuis l’époque du modem à 2400 bauds. Grand curieux, il est passionné de culture, de voyage et de langue.

 

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Commentaires

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Soumis par Helene Verronneau le 23 janvier 2024 à 8 h 38

Très intéressant.

Soumis par M.-A. Descôteaux le 26 janvier 2024 à 8 h 45

Merci! J'espère que ce texte vous aura été utile.

Soumis par Isabelle Landry le 23 janvier 2024 à 15 h 16

En effet, Monsieur, j’ai remarqué que des formulations floues ou incorrectes sont souvent dues à des expressions calquées sur l’anglais. Ainsi, lorsqu’un premier ministre québécois nous disait qu’il avait pris connaissance d’un problème, et qu’il l’avait « adressé »...
« To adress » n’a pas le même sens que le verbe français « adresser ».
Je crois que vous avez raison : quand une phrase peut être interprétée de multiples manières, c’est possiblement parce qu’elle n’est pas bien construite.

Merci! Le français est comme un coffre au trésor. De temps en temps, c’est peut-être bon de l’ouvrir pour en contempler la richesse... Et peut-être la conserver!

😃 Isabelle

Soumis par M.-A. Descôteaux le 26 janvier 2024 à 8 h 47

En effet, nous n'y échapperons pas! Quand on vit et travaille dans un milieu anglophone, notre français s'en ressent. Soyons vigilants et profitons des trésors qui s'offrent à nous.

Soumis par Stéphanie Symank Boileau le 23 janvier 2024 à 16 h 02

Bien contente de mieux comprendre pourquoi la préposition "pour" cloche dans certains contextes. Merci pour ces éclaircissements!

Soumis par M.-A. Descôteaux le 26 janvier 2024 à 8 h 49

Je vous en prie! J'ai mis longtemps à bien le comprendre, alors si je peux vous offrir un raccourci...

J'espère que d'autres lecteurs nous parleront eux aussi de leurs intuitions qui se confirment!

Soumis par Katleen Leclair-Doucet le 23 janvier 2024 à 17 h 06

La stylistique en communication professionnelle nous apprend à éliminer la subordonnée "qui et le verbe"( « Je vous propose des outils qui vous aideront à améliorer vos compétences en gestion. »). Je ne reste pas convaincue de l'importance de remplacer la préposition " pour " par une subordonnée.

Soumis par M.-A. Descôteaux le 26 janvier 2024 à 8 h 54

Quand on recherche la concision, les subordonnées ne sont effectivement pas la solution idéale. Mais il y a d'autres moyens de s'exprimer : un adjectif, un adverbe, une reformulation.

Il faut se méfier des dogmes qui nous privent de locutions parfaitement valables. Le cours dont je parlais ne prône pas le remplacement à tout prix des "pour", mais invite à la vigilance dans les cas où il est mal employé. L'important, c'est que notre français soit clair et bien compris!

Auriez-vous sous la main le titre de l'ouvrage qui déconseille les subordonnées? J'aimerais voir les solutions qu'il recommande!

Merci et bonne journée!

Soumis par Sophie Campbell le 24 janvier 2024 à 9 h 13

Je trouve passionnant de partir d'une intuition et de chercher une explication. Quelle satisfaction lorsque l'on trouve! Il y a quelque temps, je constatais une omniprésence de gérondifs dans les textes français (traduits ou non), et leur présence me gênait. Comme dans l'exemple du "pour" de ce billet, ces gérondifs causaient un flou, un problème de clarté, pour tout dire un problème de sens. Mes recherches m'ont menée à ce billet rédigé en 2001 par Jacques Desrosiers : https://www.noslangues-ourlanguages.gc.ca/fr/chroniques-de-langue/grandeur-et-misere-du-participe-present.html. J'y ai appris que, en français, le gérondif s’emploie pour exprimer la simultanéité (je cuisine en écoutant la radio), la cause (il s’est coupé en tranchant des tomates), la condition (en réfléchissant bien, tu finiras par trouver) ou la manière (il est arrivé en courant). Autrement, on dit en quelque sorte autre chose que ce qu'on veut dire, puisqu'un locuteur du français aura tendance à "sentir" un de ces sens à la lecture du gérondif (quand il n'y a pas carrément un cas évident d'anacoluthe).

Soumis par M.-A. Descôteaux le 26 janvier 2024 à 8 h 58

Je vois ce que vous voulez dire au sujet du gérondif! Exemple : "Les taux d'intérêt sont à la hausse, causant des difficultés budgétaires pour les ménages." Il me semble aussi qu'on voyait beaucoup moins ce tour de phrase auparavant.

Souhaitons que nos intuitions continuent d'être un rempart contre l'influence de l'anglais dans nos écrits!

Soumis par Valérie le 24 janvier 2024 à 12 h 34

Intéressant, votre article! Je viens justement de tomber sur un de ces fameux «pour» dans un texte que je révise: «Le manque de transport a d’ailleurs été identifié comme le principal obstacle pour participer à des activités spécialement conçues pour les personnes aînées.» Je serais plutôt portée à dire : «le principal obstacle qui les empêche de participer».

J'adore les questions de syntaxe, même si (ou parce que!?) elles me donnent souvent du fil à retordre :-)

Soumis par M.-A. Descôteaux le 26 janvier 2024 à 9 h 01

C'est fait : maintenant, vous ne pourrez plus ne pas les voir! :-)

J'avais pensé à parler d'autre chose dans mon billet, mais il risquait de devenir tentaculaire. Votre exemple me permet de l'évoquer : quand on voit deux "pour" successifs dans une phrase, on a une belle possibilité de reformulation! Merci pour votre contribution!

Soumis par Isabelle Landry le 3 février 2024 à 14 h 55

J’ai bien hâte de lire votre prochain article!

C’est très stimulant; je me sens comme dans une classe où tous les apprenants sont passionnés de français. Chacun peut apporter une contribution intéressante, du fait que nos expériences sont variées.
Merci 😊

Soumis par M.-A. Descôteaux le 8 février 2024 à 8 h 11

Merci pour votre commentaire! J'espère que l'inspiration reviendra me rendre visite sous peu.

En effet, la discussion est intéressante! J'espère qu'elle se poursuivra et que d'autres nous donneront des exemples de ce qu'ils ont lu et entendu.

Soumis par Isabelle Landry le 3 février 2024 à 14 h 46

Votre formulation me semble en effet plus claire et plus fluide.
La simplicité est souvent un bon guide, lorsqu’on veut exprimer une idée!
Bravo!
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