Mythes sur l’écriture inclusive

Publié le 23 janvier 2023

Le français, cette « langue belle avec des mots superbesNote de bas de page 1 », a bien changé depuis l’époque où Jean Nicot a publié Le Thresor de la langue francoyseNote de bas de page 2. Ses transformations ont parfois suscité des polémiques. Dans le cas de l’écriture inclusive, on peut même dire que le débat perdure depuis quatre siècles! Car déjà en 1634, année de fondation de l’Académie française, la femme de lettres Marie de Gournay revendiquait pour elle-même le féminin « autriceNote de bas de page 3 ».

Une bonne partie de la résistance actuelle à l’écriture inclusive tient aux mythes qui l’entourent. Examinons-en quelques-uns ensemble, en établissant un parallèle avec les Lignes directrices sur l’écriture inclusive publiées sur le Portail linguistique du Canada.

Mythe 1

L’écriture inclusive n’est pas compatible avec la rédaction en langage clair et simple. Elle allonge et alourdit le texte.

Veiller à la clarté de l’informationNote de bas de page 4 est l’un des six principes de l’approche d’écriture inclusive présentée dans le Portail linguistique. Il est vrai qu’écrire dans une optique d’inclusion et de simplicité pose des défis – mais les défis sont un bon remède à l’ennui! Pour arriver à un résultat clair, simple et inclusif, il faut souvent considérer le texte dans son ensemble plutôt qu’une phrase à la fois. Puisqu’il y a généralement plus d’une façon d’exprimer la même idée, la solution pourrait bien résider dans une reformulationNote de bas de page 5.

Dans l’exemple suivant, un nom inanimé (dossier) est utilisé à la place du nom animé (client).

Phrase originale Réécriture inclusive
Êtes-vous déjà client de la clinique? Avez-vous déjà un dossier à la clinique?

Il arrive que la solution soit encore plus simple : laisser tomber les éléments superflus, comme dans l’exemple suivant.

Phrase originale Réécriture inclusive
Les mémoires que les citoyens ont présentés au Comité n’ont pas permis de faire le tour de la question. Les mémoires présentés au Comité n’ont pas permis de faire le tour de la question.

Certains procédés permettent même de rendre les phrases encore plus courtes et plus dynamiques. Dans l’exemple suivant, la voix active est utilisée avantageusement comme procédé de reformulation.

Phrase originale Réécriture inclusive
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Mythe 2

Tout le monde comprend que le masculin générique peut désigner autant un homme qu’une femme ou qu’une personne non binaire, alors pas besoin de changer notre façon d’écrire.

Au cours des quarante dernières années, plusieurs recherches ont démontré que la masculinisation de la langue influe sur la perception de soi et du monde. Par exemple, les femmes tendent à ne pas se sentir concernées quand on ne fait pas état de leur présence dans un texteNote de bas de page 6. Des études indiquent même que l’utilisation de termes uniquement au masculin dans les offres d’emploi peut décourager des femmes de postuler.

L’utilisation du masculin générique dénote une « pensée linguistique patriarcaleNote de bas de page 7 » selon Florence Ashley, juriste non binaire qui a écrit sur l’écriture inclusive. Le masculin générique renforce et perpétue la hiérarchie des genres, ce qui va à l’encontre de la poursuite de l’égalité. Les langues ne traitent pas toutes le genre de la même manière. En anglais, le genre est plus discret – il est cantonné aux pronoms, et les noms eux-mêmes sont neutres. En français, il existe des noms épicènesNote de bas de page 8, mais pas de genre grammatical neutre à proprement parler. Il faut donc des procédés d’inclusion différents, respectueux de la langue et des gens qui la parlent. On observe que les féministes et les personnes non binaires d’expression française ont une nette tendance à privilégier les formes distinctes du masculin lorsqu’elles se désignent elles-mêmes ou décrivent la réalité de leurs semblables.

Mythe 3

L’écriture inclusive est trop controversée pour qu’on l’utilise dans les textes gouvernementaux.

Il n’y a pas un français, mais des français. Outre les régionalismes et les différences de registre entre l’oral et l’écrit, il y a aussi des variations selon le type de texte : le ton n’est pas le même dans un dépliant promotionnel, une lettre ou une politique interne. Vous pouvez aussi moduler votre application des procédés d’écriture inclusiveNote de bas de page 9 selon le texte et son auditoire – par exemple, vous permettre d’utiliser des néopronoms dans la notice biographique d’une personne non binaireNote de bas de page 10, mais privilégier des formulations neutres dans un document budgétaire.

Mythe 4

L’écriture inclusive ne fait que distraire des vrais problèmes.

L’écriture inclusive n’élimine pas le besoin de prendre des actions concrètes pour remédier aux problèmes comme la violence à caractère sexuel et les écarts salariaux entre les femmes et les hommes. Cependant, elle rend visibles les 51,17 % de la population qui ne sont pas de sexe masculinNote de bas de page 11, ce qui est utile en soi. Le langage influence la pensée et la cognitionNote de bas de page 12 : la fillette qui aime bricoler aura de la difficulté à envisager une carrière en menuiserie si elle n’a jamais entendu parler de la profession de « menuisière ». On a même observé que les États aux langues plus égalitaires tendent à mieux se classer dans l’indice d’égalité des sexes (Global Gender Gap) du Forum économique mondialNote de bas de page 12.

Conclusion

Ce billet a été rédigé suivant des principes d’écriture inclusive, et peut-être ne l’avez-vous même pas remarqué! Bon nombre des procédés mis de l’avant font l’objet de recommandations officielles et sont déjà couramment utilisés par de grandes institutions. Les Lignes directrices sur l’écriture inclusive publiées sur le Portail linguistique présentent ces procédés reconnus et bien d’autres, et indiquent clairement dans quelles circonstances ils peuvent ou devraient être utilisés. Vous avez encore des réticences? Comme l’a dit Henriette Zoughebi, la vieille règle selon laquelle le masculin l’emporte sur le féminin est « un élément symbolique lourd. La langue est vivante, on peut la faire bougerNote de bas de page 13. »

Avertissement

Les opinions exprimées dans les billets et dans les commentaires publiés sur le blogue Nos langues sont celles des personnes qui les ont rédigés. Elles ne reflètent pas nécessairement celles du Portail linguistique du Canada.

En savoir plus sur Marie-Josée Martin et Chantal Turcotte

Marie-Josée Martin et Chantal Turcotte

Marie-Josée Martin est traductrice et romancière. Elle compte plus de 30 ans de métier et a travaillé pendant une décennie à Condition féminine Canada. En 2018, elle a fondé L’expressive, une entreprise langagière qui se spécialise dans les pratiques d’écriture inclusive.

Chantal Turcotte est directrice des Services linguistiques à Femmes et Égalité des genres Canada depuis 2018. Elle compte plus de 30 ans d’expérience en communications, notamment à titre de rédactrice et de gestionnaire de services de rédaction. Elle est également journaliste communautaire et rédactrice en chef de L’Écho de Cantley.

 

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