Aux sources de l’écriture inclusive
En 1635, quand le cardinal de Richelieu fonde l’Académie française, il veut « donner des règles certaines à notre langue » pour la rendre « éloquente et capable de traiter les arts et les sciencesSource 1 ». L’institution est alors exclusivement masculine, et il faudra attendre 1980 avant qu’une femme y soit admiseSource 2.
Aujourd’hui, les francophones veulent s’exprimer dans une langue qui permet de nommer les réalités sociales du monde contemporain – un monde où les femmes peuvent aspirer à devenir aussi bien premières ministres qu’ingénieures et où le genre n’est plus envisagé comme un binôme, mais un continuum.
Pour comprendre comment évolue le français en ce nouveau millénaire, il est bon de regarder les chemins qu’il a empruntés à ce jour. Nous vous proposons donc, en quelques dates, un survol historique pour remonter aux sources de l’écriture inclusive.
1539 – Choix du français comme langue de l’administration
François 1er édicte un texte qui fait du français la langue des documents administratifs au lieu du latin dans le royaume de FranceSource 3. Une des particularités de la jeune langue, c’est qu’elle a seulement deux genres grammaticaux : en devenant français, le latin a perdu le genre neutre.
1606 – Premier dictionnaire de la langue française
Jean Nicot publie le Thresor de la langue francoyse, premier dictionnaire de langue française. La féminisation des appellations de personnes va de soi dans la France féodale et on y relève, entre autres, le terme « orfèvresse » pour désigner « la femme d’un orfèvre, et toute femme œuvrant d’orfèvrerieSource 4 ».
1635 – Création de l’Académie française
Au fil des siècles, l’institution s’oppose fréquemment au féminin de même qu’aux projets de simplification de l’orthographe et de la grammaireSource 4.
1647 – Supériorité du masculin sur le féminin dans la langue
Le grammairien Claude Favre de Vaugelas dit que « le genre masculin étant le plus noble, il doit prédominer toutes les fois que le masculin et le féminin se trouvent ensembleSource 5 ». La langue se masculinise. On bannit d’innombrables fémininsSource 4. On abolit aussi l’accord de proximité : dorénavant, il faut écrire « l’enfant et les femmes pressés » – même en présence de cent femmes et d’un seul enfant. Pour clarifier ce que l’idée de noblesse vient faire dans la grammaire, Nicolas Beauzée précise que « le genre masculin est réputé plus noble que le féminin, à cause de la supériorité du mâle sur la femelleSource 4 ».
1961 – Création de l’Office québécois de la langue française
L’Office québécois de la langue française voit le jour. Il va jouer un rôle important dans la féminisation des titres de fonction, puis la promotion de la rédaction épicène, un style d’écriture axé sur la représentation égale des genres.
1970 – Commission royale d’enquête sur la situation de la femme
La Commission royale d’enquête sur la situation de la femme au Canada (s’ouvre dans un nouvel onglet) dépose son rapport. Elle y souligne « les généralisations simplistes au sujet des femmes, dont la littérature et la pensée, et même le langage des pays occidentaux sont pleinsSource 6 ».
1978 – Travaux sur la féminisation des titres
Emploi et Immigration Canada réalise les premiers travaux importants de féminisation des appellations d’emploiSource 7 au gouvernement fédéral.
1981 – Féminisation de la Classification canadienne descriptive des professions
Après les États-Unis, où les stewardesses (hôtesses de l’air) sont devenues des flight attendants (agentes ou agents de bord), c’est au tour du Canada de « désexiser » les appellations d’emploi – dans les deux langues officiellesSource 7.
1983 – Avis du Bureau de la traduction sur la féminisation
Le gouvernement fédéral publie ses lignes directrices sur la féminisationSource 7.
1991 – Publication d’Au féminin : guide de féminisation des titres de fonction et des textes
L’Office québécois de la langue française publie un premier guide sur la féminisation des titres et des textes. Il y inclut une liste d’appellations de personnes avec leur équivalent fémininSource 8.
2011 – Engagement de Condition féminine Canada à utiliser la rédaction épicène
Le Comité exécutif de Condition féminine Canada (ancêtre du ministère des Femmes et de l’Égalité des genres) rend officielle une pratique déjà utilisée de longue date dans ses communications en français et s’engage à rédiger tous ses documents internes et externes « de manière à représenter équitablement les femmes et les hommes, en donnant la préséance aux premièresSource 9 ».
2012 – Examen comparatif entre les sexes de la GRC
La Gendarmerie royale du Canada constate que « l’utilisation exclusive du genre neutre masculin pour des termes comme ʺpostulantʺ, ʺcadetʺ et ʺexpertʺ dans la version française occulte l’équivalent féminin » et « peut donner l’impression que le sexe féminin est une considération secondaireSource 10 ».
2014 – Apparition du pronom « iel »
L’écrivaine française Carina Rozenfeld utilise le pronom neutre « iel », combinaison de « il » et « elle », dans La Symphonie des abysses, un roman dystopique. C’est l’une des premières occurrences attestéesSource 11 du nouveau pronom, qui figure maintenant dans Le RobertSource 12.
2017 – L’identité de genre devient un motif de distinction illicite
Le gouvernement du Canada modifie la Loi canadienne sur les droits de la personne pour ajouter l’identité de genre et son expression à la liste des motifs de distinction illicite au CanadaSource 13.
2019 – Ouverture de l’Académie française à la féminisation et ajout d’un troisième identifiant de genre sur les passeports canadiens
L’Académie française se prononce officiellement en faveur d’une ouverture à la féminisation des noms de métiers, de fonctions, de titres et de gradesSource 14.
Le gouvernement du Canada adopte un troisième identificateur de genre pour les programmes et services fédéraux, y compris les passeports : « XSource 15 ».
2022 – Féminisation des grades et publication de lignes directrices sur l’écriture inclusive
La Défense nationale publie une liste de grades inclusifsSource 16.
Le Portail linguistique du Canada publie une série d’articles présentant des lignes directrices sur l’écriture inclusive (s’ouvre dans un nouvel onglet) en français et en anglais.
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