Le français parlé en Nouvelle-France

Publié le 27 avril 2020

Mes lectures m'incitent à vous parler de l'implantation du français au Canada durant la période où ce vaste territoire était connu sous le nom de Nouvelle-France. Que sait-on de la langue des nouveaux arrivants qui ont constitué la première colonie française des Amériques? Rappelons tout d'abord que la période de la Nouvelle-France s'étend de 1534 à 1760-1763, soit de l'arrivée de Jacques Cartier à la fin du Régime français.

L'un des travaux bien documentés sur le sujet s’intitule « Histoire du français au Québec » ouvre dans une nouvelle fenêtrenote 1. Il est l’œuvre du chercheur Jacques Leclerc, un collaborateur à la Chaire pour le développement de la recherche sur la culture d'expression française en Amérique du Nord (CEFAN) de l'Université Laval. Je vais vous en présenter les éléments qui m’ont interpelé.

Quel était le français que parlaient ceux et celles qui ont quitté la France pour venir s'établir sur ces nouvelles terres? Mis à part nobles, officiers militaires, membres du clergé et certains grands commerçants, cette étude nous apprend qu'une partie des émigrants parlaient un français populaire qu'on pouvait entendre, à cette époque, en Île-de-France. Provincialismes et expressions argotiques y étaient d'usage. On estime que cette cohorte représentait 38 % des locuteurs. Les quelque 60 % restants s'exprimaient dans leur parler régional, soit le normand, le poitevin, le bourguignon ou le lorrain. De ce nombre, seule la moitié pouvait comprendre l'une ou l'autre des variantes du français de l'époque.

Au cours du 17e siècle, deux foyers linguistiques se sont développés en Nouvelle-France. Québec était le principal, s'étendant à l'époque sur une zone de 120 km, devant Montréal dont l'agglomération couvrait un territoire qui s'étalait sur 80 km. Précédemment, l'Acadie avait constitué un autre foyer. Les recherches ont mis en lumière le fait que les locuteurs issus du centre de la France et de la région parisienne sont venus davantage s'établir dans la région de Québec, à la différence de celle de Montréal où l'apport des parlers ruraux de l'ouest de la France a été plus important.

Parmi les contingents qui peuplèrent cette nouvelle contrée, le rôle qu'a pu jouer sur le plan linguistique l'arrivée massive de quelque 800 filles du roi fut non négligeable. Le français était la langue maternelle d'environ 80 % de ce groupe constitué pour moitié de Parisiennes. À ce groupe se sont joints 1 200 soldats et près de 80 officiers à l'arrivée du régiment de Carignan-Salières à l'été de 1665. Ils furent suivis par quelque 10 000 soldats et officiers de la Marine, entre 1683 et 1760, dont près de la moitié se sont établis au Canada. Il en est résulté qu'en Nouvelle-France, le français qu'on parlait était celui de l'aristocratie, celui de la cour et des salons, qui sera conservé par les habitants d'ici alors qu'il sera abandonné peu à peu de l'autre côté de l'Atlantique à la Révolution française.

Dès le milieu du 18e siècle, le père Louis-Philippe Potier (1708-1781) inventorie près de 2 000 expressions en usage dans cette colonie française et inconnues des habitants de la France. Son recueil intitulé Façons de parler proverbiales, triviales, figurées, etc., des Canadiens au XVIIIe siècle constitue le premier et l'unique lexique du français parlé en Nouvelle-France.

Mentionnons également que ce français parlé par les premiers Canadiens s'est enrichi par des emprunts aux langues amérindiennes dont la présence est notée dès le 17e siècle. Le domaine de la toponymie en fut le plus grand bénéficiaire et ce sont les langues algonquiennes qui en furent les sources les plus usitées.

Dans son étude, Jacques Leclerc précise aussi que « ...le trait le plus marquant semble être le fait qu'en Nouvelle-France les Canadiens parlaient une langue commune autant chez l'élite que chez le peuple, sans distinction de classes. »

Bref, la colonie parlait un français très semblable à celui de la France, mais qui présentait déjà plusieurs caractéristiques qui lui étaient propres, comme l’influence des parlers régionaux et celle des langues amérindiennes.

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Steeves Gourgues

Steeves Gourgues est titulaire d’un baccalauréat en linguistique et littérature et membre depuis une trentaine d'années de la Société historique de Québec. Sa passion pour la lecture s’est accompagnée depuis quelques années d'une passion pour l’écriture qu’il peut assouvir dans le domaine encyclopédique. Depuis plus de quatre ans, Steeves contribue à enrichir la plus lue des encyclopédies qu’est Wikipédia, rédigée dans quelque 300 langues. C’est notamment et surtout par le biais de la création d’articles, autant par la traduction qu'à travers la rédaction sur des sujets n’ayant pas encore été abordés dans les diverses autres versions linguistiques, qu’il œuvre, à titre de bénévole, à la réalisation de ce patrimoine culturel de l’humanité.
 

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Commentaires

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Soumis par Clémence Massicotte le 19 septembre 2020 à 9 h 36

J’ai beaucoup apprécié ce texte. Je corresponds régulièrement avec des gens de l’Ouest de la France et je peux vous assurer que certaines de nos expressions comme « achale-moé pas », « astheure » pour « à cette heure » et plusieurs autres nous viennent de cette région de la France.

Soumis par Steeves Gourgues le 22 septembre 2020 à 11 h 05

Merci pour votre témoignage Mme Massicotte. De mon côté, avec des membres de ma famille, nous avions fait une recherche qui nous a permis de découvrir que l'ancêtre des Gourgues, au Québec, est originaire des Landes, une région du Sud-Ouest de la France.
Sans doute, de nombreuses familles québécoises pourraient retrouver le lieu d'origine de leurs ancêtres dans l'une des régions de l'Ouest de la France. Géographiquement, cela peut se comprendre, étant donné que les habitants de ces régions vivaient plus près des ports d'embarquement pour la Nouvelle-France que les gens vivant beaucoup plus loin à l'intérieur des terres. D'autant plus que les modes de transport terrestres de l'époque n'étaient pas ce qu'ils sont de nos jours. Les déplacements exigeant beaucoup plus de temps, il était plus difficile de rejoindre ces personnes de l'arrière-pays.

Soumis par Louis Aubry le 23 septembre 2020 à 13 h 15

Étant donné que le Québec n'existait pas au début de la colonie, l'œuvre de Jacques Leclerc aurait dû être intitulée Histoire du Canada français.

Soumis par Steeves Gourgues le 11 octobre 2020 à 12 h 38

J’ai communiqué avec Jacques Leclerc, auteur de l'étude Histoire du français au Québec, et il s'en est suivi un bref échange au cours duquel il m’a suggéré d'apporter certaines corrections à mon texte en citant certains propos qu'il m'a communiqués.
Ainsi, commentant la dernière phrase de mon billet, voici ce qu'il m'écrit : « Étant donné que le français en France était diversifié, il faudrait préciser de quel français il s’agit. À mon avis, c’est celui des classes populaires de la région parisienne avec la prononciation de l’ancienne aristocratie ainsi que par l’apport dans le vocabulaire des parlers régionaux du nord et de l’ouest de la France, là d’où viennent, après Paris, la majorité des colons de la Nouvelle-France. ».
Au sujet des emprunts aux langues amérindiennes, j'ai eu droit à ce long commentaire de sa part : « Pour les langues amérindiennes, il faut faire attention. Telles que vous le dites, les langues amérindiennes seraient sur le même pied que les parlers régionaux français et auraient influencé le français. C’est beaucoup! Les termes régionaux employés en Nouvelle-France ne sont pas à proprement parler des emprunts, ils sont issus des patois apportés par les colons eux-mêmes. Pour les langues amérindiennes, il faut préciser que ce sont de véritables emprunts avec une seule langue en particulier, l’algonquin (30 mots maximum), dont au moins la moitié est arrivée par l’anglais après la Conquête (sachem, toboggan, wigwam, tomahawk, etc.). En fait, les emprunts faits par les colons français atteignent tout au plus une dizaine de mots : manitou, mocassin, maskinongé, ouananiche, achigan, carcajou et quelques autres, dont deux du mohawk et deux du huron. On va dire que, comme "influence", c’est plutôt limité. Je n’oserais employer le mot "influence", un terme trop fort dans ce cas-ci. Par contre, vous seriez surpris de la quantité de mots français dans certaines langues amérindiennes de l’Ontario et du Québec et de l’est du Canada.»
Je lui adresse ici mes remerciements pour cet échange des plus éclairants.
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