L’année 2019 a été décrétée par l’Assemblée générale des Nations Unies « Année internationale des langues autochtones ». L’UNESCO désirait ainsi attirer l’attention sur le statut précaire de la moitié des quelque 6 000 langues connues de la planète pouvant disparaître d’ici la fin de ce siècle si rien n’est fait pour leur préservation. Au Canada, plus de 70 langues autochtones sont parlées, selon le recensement de 2016 de Statistique CanadaNote de bas de page 1.
Plusieurs langues autochtones au Canada sont en dangerNote de bas de page 2; d’autres, comme le wendat, sont déjà éteintes depuis le 19e siècle. Des efforts de reconstitution et de réappropriation de cette langue ont toutefois été entrepris il y a une quinzaine d’années. On doit à Megan Lukaniec ce patient travail de reconstitution de la langue de ses ancêtres commencé en 2006. Le plus grand défi est de retrouver la sonorité des mots, qui n’est pas toujours bien transcrite dans les écrits anciens en wendat. La chercheuse a pu entre autres bénéficier d’enregistrements de chants traditionnels réalisés au début du 20e siècle sur des rouleaux de cire par le père de l’anthropologie canadienne, Marius Barbeau. Près de 900 mots ont pu être patiemment reconstitués ces 12 dernières annéesNote de bas de page 3. Grâce à ce travail, la chanteuse Andrée Levesque-Sioui, qui initie les jeunes enfants hurons à la langue de leurs ancêtres à l’école primaire de Wendake, peut maintenant expliquer tous les mots des chansons qu’elle enseigneNote de bas de page 4.
Les efforts de préservation des documents anciens écrits dans les langues autochtones prennent ainsi une nouvelle dimension. Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ) a terminé la numérisation de 146 livres anciens rédigés en langues autochtones inscrits depuis 2018 au Registre de la Mémoire du monde du Canada par la Commission canadienne de l’UNESCO. Les ouvrages numérisés concernent trois grandes familles linguistiques : celles des langues iroquoiennes (iroquois, huron-wendat, mohawk, onontagué), des langues algonquiennes (algonquin, abénaquis, cri, innu-montagnais, micmac, nipissing, ojibwé) et des langues inuites (inuktitut). Des abécédaires, des syllabaires, des grammaires, des dictionnaires, des lexiques, des livres de lecture et d’autres manuels composent cette collectionNote de bas de page 5. Divers défis ont dû être surmontés pour mener à bien ce travail de numérisation, du fait de l’ancienneté des documentsNote de bas de page 6.
Dans un article de Québec Science publié en janvier 2020, Richard Compton, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en connaissance et transmission de la langue inuite à l’Université du Québec à Montréal et coauteur d’un dictionnaire sur l’inuinnaqtun, un dialecte inuktitut, indique que « [c]e ne sont pas les linguistes qui peuvent sauver la langue. Il faut aussi qu’il y ait une volonté de la communauté et d’une génération de la parler, de la transmettre ». Selon M. Compton, une partie de la solution passe par une restructuration des institutions, afin que les Autochtones puissent étudier et travailler dans leur langue. À noter que l’une des recommandations de la Commission de vérité et réconciliation du Canada est d’ailleurs de créer des cours et des programmes en langues autochtones à tous les niveaux d’enseignementNote de bas de page 7.
Parmi les langues autochtones parlées au Canada, l’ojibwé bénéficie de ces efforts de revitalisation. Le projet Waking Up Ojibwe – Anishinaabemodaa, officiellement lancé en avril 2019, se donne pour mandat de former de futurs enseignants dans le district de Rainy River, à l’ouest de Thunder Bay, et de favoriser l’apprentissage de cette langue. Issue de la collaboration du Seven Generations Education Institute, du conseil scolaire du district de Rainy River et de l’organisme Say It First, incluant les 10 Premières Nations de la région, cette stratégie sera mise en œuvre pendant les 7 prochaines années. Le programme prend en compte les garderies et les écoles, mais aussi les lieux d’habitation des famillesNote de bas de page 8. Par ailleurs, une vidéo scientifique portant sur les travaux de recherche de l’Institut international du développement durable de la région des lacs expérimentaux sur les effets de la contamination au mercure sur les écosystèmes d’eau douce, réalisée en français et en anglais en 2017, a été traduite plus récemment en ojibwé grâce à la participation de membres de la Première Nation NigigoonsiminikaaningNote de bas de page 9.
En 2013 a débuté un projet à l’école secondaire Otapi dans la communauté de Manawan. Les élèves participants rédigeaient des articles en atikamekw sur leur culture et leur histoire en vue de les publier sur Wikipédia. À cette occasion, ils ont créé de nouveaux mots, enrichissant par là même cette langue. Quelque temps après, les communautés de Wemotaci et d’Obedjiwan se sont jointes à celle de Manawan pour ce projet. En 2019, cette version de Wikipédia en atikamekw comptait plus de 1 000 articlesNote de bas de page 10. Avec l’admission de l’atikamekw dans cette encyclopédie, c’est également en images, désormais numériques, que cette culture se trouvait être documentée. La version atikamekw a été lancée officiellement le 21 juin 2017, à l’occasion de la Journée nationale des AutochtonesNote de bas de page 11. Au moins deux autres langues autochtones parlées au Canada ont fait leur entrée sur Wikipédia : le cri et l’inuktitut. D’autres, telles que le micmac, le montagnais, le mohawk et l’ojibwé, sont en phase d’incubation, étape préparatoire avant leur admission dans cette encyclopédie.
Le gouvernement fédéral s’inscrit également dans cette logique d’épanouissement pour les langues autochtones. En décembre 2018, Radio-Canada a annoncé que « [l]es partis politiques ont approuvé [...] la mise en place d’un service d’interprètes pour tout député qui souhaiterait s’exprimer, aux Communes ou en comité parlementaire, dans l’une des quelque 60 langues autochtones parlées au pays. » En janvier 2019, le député de Winnipeg-Centre, Robert-Falcon Ouellette, s’est exprimé en langue crie dans un discours qu’il a prononcé lors des travaux parlementaires : c’était la toute première fois qu’un député fédéral parlait une langue autochtone aux Communes avec une traduction simultanée en anglais et en françaisNote de bas de page 12.
Beaucoup reste à faire pour sauvegarder, dans toute sa richesse, ce patrimoine linguistique tant oral qu’écrit. L’avenir nous dira si ces efforts de revitalisation auront véritablement porté fruit.
Versions de Wikipédia en langues autochtones :
Mes sincères remerciements à Mme Ha-Loan Phan, de Wikimédia Canada, pour sa collaboration.