Les langues recèlent des trésors en lien avec le passé qui nous incitent à en suivre les traces afin d’aboutir à une meilleure compréhension de cet héritage. À cet égard, le français ne fait pas exception. Il arrive parfois que ces joyaux, une fois mis au jour, s’offrent aux lecteurs curieux sous la forme d’énigmes. Certains toponymes rescapés de la poussière des années qui a failli les ensevelir à jamais ne peuvent manquer de susciter la curiosité, voire l’étonnement. Au fil de mes lectures, je suis tombé sur l’histoire curieuse du nom d’une rivière de Québec, racontée par Janouk Murdock dans la revue d’histoire Québecensianote 1. Je vous la résume ici.
On comprendra d’emblée le scepticisme de ceux et celles qui, lisant que Jacques Cartier a passé l’hiver 1535-1536 aux abords de la rivière Lairet, à Québec, découvrent qu’il ne s’agit pas de la rivière Saint-Charles. La question surgit, inévitable : où se trouve cette rivière Lairet?
La Commission de toponymie du Québec nous apprend que ce toponyme apparait en 1626. S’il y a un groupe de mots dans une langue dont la prononciation et l’orthographe sont fluctuantes, quand ce n’est pas la dénomination tout entière, c’est bien celui des noms propres. À plus forte raison lorsqu’il s’agit de noms de lieux.
D’après la Commission, outre « Rivière Lairet », on trouve, écrit en 1637, « Rivière de Lairet » et, plus tard sur un plan de Jean-Baptiste Larue datant de 1821, « rivière à la Rez ». Ce cours d’eau, que certains ont désigné sous le nom de « rivière de Jacques-Cartier » – en témoigne le Journal des Jésuites pour l’année 1651 – se verra rétrogradé par la suite au rang de ruisseau. La rivière Lairet a-t-elle vu son débit diminuer au cours des siècles? Toujours est-il que selon la version de 1914 du Dictionnaire des rivières et lacs de la province de Québec, cet élément hydrographique devrait plutôt être considéré comme un ruisseau compte tenu de son débit.
Reste que, de nos jours, le paysage topographique de la ville de Québec ne laisse pas entrevoir de traces attestant d’un ruissellement passé aux abords de la vieille capitale. S’est-il agi d’une erreur de localisation ou d’une volonté ancienne de désorienter tout ennemi potentiel? Il s’avère que la rivière Lairet a bel et bien existé. Son parcours l’amenait à serpenter de la limite sud de Charlesbourg jusqu’aux eaux de la Saint-Charles. De dimension trop réduite pour jouer un rôle dans la navigation, son lit a été comblé en grande partie en 1957 pour se retrouver complètement et définitivement sous terre à partir de 1969.
Comme bien des toponymes, son origine reste inconnue. Certains ont avancé que la rivière tire son nom de celui des filets autrefois tendus dans ses eaux pour capturer les poissons et qui portaient le nom de « rets ». Cet usage du mot « rets » est attesté également dans le Dictionnaire nord-américain de la langue française de Louis-Alexandre Bélisle. Le Grand Robert en fait mention comme d’un « ouvrage en réseau pour capturer du gibier, des poissons ». Comme tant d’autres, le mot aurait été orthographié de nombreuses façons. On en trouve la trace dans le Dictionnaire historique de la langue française, qui précise que l’orthographe « rez » se rencontrait au début du 13e siècle. De façon générale, l’expression « les rets » aurait désigné une rivière où se pratiquait la pêche au filet.
Et vous, connaissez-vous des histoires comme celle-là? Y a-t-il des mystères semblables que vous aimeriez voir éclaircis?