Dans le cadre du Mois de la poésie (un événement organisé chaque année en mars par le Bureau des affaires poétiques), nous vous invitons à vous plonger dans ce billet poétique afin de découvrir ou de redécouvrir l’infinie beauté de ce genre littéraire.
Liesse ou tristesse, sérénité ou anxiété, espoir ou désespoir, assurance ou impuissance… Sentiments et émotions antonymes se disputent souvent mon esprit. Leur violent pugilat tente de m’entraîner dans le gouffre de la solitude qui, comme une prédatrice, ouvre sa gueule béante, prête à m’avaler. Fort heureusement, dans ces tumultueux moments, de généreux amis s’empressent de me secourir pour m’éviter le précipice. Les mots. Je trouve refuge auprès d’eux, particulièrement dans les livres. Ils m’aident à m’évader, voyager, vivre une vie rêvée…
Allant plus loin dans leur élan salvateur, mes amis s’ingénient à m’égayer pour me consoler d’avoir frôlé l’abîme. En galants cavaliers, les mots me tendent la main et m’invitent à danser. Quand l’air qui se joue m’est inconnu, j’hésite un peu, car je crains de n’être à la hauteur. La peur du syndrome de la page blanche. Mais lorsque les mots insistent, occupent mon esprit et refusent d’en sortir, j’abdique assez vite. À force de lire et réfléchir, j’accueille l’inspiration, qui finit par se montrer.
Lorsque je monte sur la piste, je me montre un peu timide, ne sachant quels pas exécuter, avec quels mots débuter. J’écris pêle-mêle tout ce que j’ai en tête. Il me faut un temps d’adaptation, aussi court soit-il, pour saisir la mesure et adopter la cadence. Laquelle de mes émotions je désire épurer. Lequel de mes sentiments j’entends sublimer. Alors je laisse d’abord les mots mener la danse. Affluant dans mon esprit, ils m’entraînent avec eux sur le rythme de leur choix. Ils défilent devant moi, chacun jouant son numéro, souvent en solo. Les plus entreprenants me saisissent pour me faire virevolter, onduler ou swinguer.
Polysémiques, ces monozygotes se jouent parfois de moi et remettent en question mes compétences de ballerine. Je me trompe d’air et danse le fox-trot au lieu du charleston. Alors je veux faire valoir mon point même si je n’y ai point droit.
Espiègles les homonymes, comme de faux jumeaux, ils m’amènent à douter du pied à avancer en premier, du côté à présenter, de la direction à prendre… S’agit-il d’une balade ou plutôt d’une ballade?
Gentils les synonymes qui m’offrent le choix entre plusieurs pas pour un même air. Avec ceux-là particulièrement je danse, me trémousse et guinche sans me faire de mouron.
Alors je gagne en confiance et prends les choses en main. Là, c’est mon rythme qui est suivi. Ils n’attendaient justement que ça. Que je les fasse tournoyer, valser ou se balancer, les mots obtempèrent. Tantôt une valse, un tango ou un boléro. Tantôt le zouk, tantôt le slow. Tantôt sur du jazz, du blues ou du reggae. Davantage en contrôle, je les décline à mon goût et j’accélère la cadence. Un suffixe par-ci, un préfixe par-là. Une figure de style bien à propos, une syntaxe revisitée. Une métaphore ici, une expression consacrée là. Et hop! C’est parti pour un autre tour. Je change de registre au gré de mes émotions. Salsa, merengue, bachata, rumba. Biguine, bèlè, kompa ou maloya. Coupé-décalé, zouglou, tchinkoumin ou agbadja…
De mon étreinte avec les mots jaillissent de belles chorégraphies. Des pas d’abord timides, transformés en séquences, puis en jolis ballets. Parfois simples et sans prétention, parfois sophistiqués.
Ainsi mes amis les mots deviennent progressivement des phrases, des paragraphes, des textes entiers et même des poèmes. Eux aussi, parfois ordinaires, parfois raffinés. J’assiste, médusée, à cette métamorphose dont je ne suis pas peu fière.
J’aime écrire comme j’aime danser. La musique parle à mon âme tandis que mes mots la dévoilent.