Elle…

Publié le 21 mars 2022

C’est en toute simplicité que j’ai fait sa connaissance, par des balbutiements monosyllabiques, davantage d’onomatopées à vrai dire. Puis timidement, je me suis hasardée à quelques mots, et progressivement à des phrases très simples et surtout incertaines. Au fur et à mesure du temps et de la confiance qui s’est installée entre nous, j’ai entrepris des propositions de plus en plus longues, assurées et sophistiquées. Et des récits entiers, parfois à n’en plus finir. Des narrations enchanteresses, des envolées lyriques. Je parlais jusqu’à l’ivresse.

Affriolée par sa beauté et l’exquis de sa verve, j’ai manifesté l’ardent désir de la connaître davantage, de l’apprivoiser avec ses fantaisies et ses contradictions. Car espiègle et lunatique à souhait, avec les mêmes mots, elle sait exprimer une chose et son contraire. Ainsi exonère-t-elle quelqu’un en le dispensant d’exécuter une action. Mais à autrui dispense-t-elle quelque chose en le pourvoyant à profusion.

En sacrant, elle couronne, oint, bénit. Ou alors jure, blasphème, déguerpit. Cela me fascine toujours, au point où je rédigerais de bonne grâce un mémoire sur cette polysémie difficile à contenir dans une mémoire infidèle.

Altière cependant magnanime, elle s’offre à moi. Alors je lis avec avidité, presque goulument. J’écris également avec force enthousiasme et énormément de joie. Je me sens privilégiée car elle ne se laisse pas facilement sonder. Mais à moi, comme à ceux qui sincèrement l’affectionnent et désirent l’explorer, telle une grotte face au spéléologue, elle accepte volontiers de révéler ses sinuosités les plus absconses. Ses recoins les moins rassurants, ses fresques les plus sibyllines.

À corps perdu, je plonge dans les exceptions de ses règles, la complexité cependant intéressante de ses subtilités et nuances, la justesse de ses expressions. Elle m’exerce à ajuster mes idées, affûter ma pensée pour ensuite la distiller avec assurance et emphase. À la manier telle Laura Flessel l’épée. À virevolter avec elle comme Surya Bonaly sur la glace.

Véritable lumière diaprant mon sentier, elle me pare pour conquérir le monde. Car en s’offrant totalement, elle m’invite à puiser en elle l’assurance nécessaire pour fricoter avec d’autres. Je bégaye alors avec ses sœurs que je peine à maîtriser et en présence de qui ma volubilité s’écroule drastiquement. Mais je me garde de rougir de ces tâtonnements qui ne me définissent point. C’est avec elle que je suis pleinement moi, quand je la parle, la lis et l’écris. Avec elle, je me sens une femme accomplie.

Je chéris le pouvoir et l’aisance qu’elle m’accorde d’exprimer mes désirs, sentiments et émotions. Elle demeure ma meilleure alliée pour rejoindre autrui dans le tréfonds de son être en m’adaptant à son style pour une communion des cœurs. Elle est résolument ma grande associée quand je désire débattre de sujets sérieux requérant concision et justesse. Logique et sagacité.

Plus qu’un idiome, vecteur de communication, elle véhicule force et assurance. Magnificence et fierté identitaire. Séculaire et contemporaine, elle demeure belle et inaltérable nonobstant les velléités de réformes corruptives. Lumineuse, attrayante et digne, elle subsistera à travers les âges, celle-là au passé glorieux et dont l’avenir regorge de promesses. Elle, c’est la langue de Molière, Condé, Senghor, Khadra et Confiant. Laferrière, Maillet, Maalouf, Dumas et Nelligan.

Avertissement

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Annie-Josiane Sessou

Annie-Josiane Sessou nous a quittés en octobre 2022. Elle se définissait comme une femme de lettres d’origine scientifique. De la diversité et de la richesse du français, elle tirait fierté, force et avenir. Profondément amoureuse de sa langue, elle se servait de l’écriture comme exutoire, mais aussi comme art d’expression de beauté.

 

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Commentaires

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Soumis par Marie-Hélène Larrue le 22 mars 2022 à 11 h 13

Merci de ce texte si beau et si inspirant!

Soumis par Ginette Vienneau le 22 mars 2022 à 15 h 25

Quel bel hommage à notre chère langue française. Les mots sont bien choisis, la syntaxe est juste. Bravo!
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