Les jambes complètement détendues, les bras dégagés, l’échine confortablement appuyée contre le rembourrage de mon Louis XVI, j’ai le cœur tout allègre. Je souris en pensant aux délices que je m’apprête à offrir à mes sens.
Manger et lire s’apparentent grandement. La lecture représente pour l’esprit ce qu’est la nourriture pour l’organisme. Indispensable, capitale, vitale. La satiété et la plénitude sont cousines. Le corps crie famine, l’esprit carence. La faim se comble, la curiosité se satisfait.
Les fins gourmets abhorrent gober et préfèrent déguster. Les grands lecteurs bouquinent plutôt que d’ânonner. Tous décrètent le privilège du moment, le plaisir des sens, un véritable régal plutôt qu’un instant frugal.
Selon l’esculence du repas, on pourrait succomber à la tentation de l’avaler goulument. Mais on se ravise très vite car agir ainsi équivaudrait à commettre un sacrilège, un crime de lèse-majesté. On prend donc le temps de mâcher, bouchée par bouchée pour prolonger le plaisir. On savoure la résultante du délicieux mélange qui nous est servi. On se délecte de ces ingrédients de choix savamment apprêtés avec d’exquis aromates et épices. Leur sapidité abolit la frontière olfacto-gustative. Salé, sucré, acide, aigre-doux ou umami, il y en a pour tous les gastrolâtres.
Puis vient la digestion, ce moment où la nourriture absorbée continue son cheminement dans le corps, lui fournissant nutriments en tous genres. De là tire-t-on force, énergie et vitalité.
Du côté du lecteur, la richesse des personnages, la précision dans la description des lieux, l’habile transmission des émotions et sentiments des protagonistes, et de l’atmosphère ambiante poussent à se sentir concerné, voire investi d’une mission. On se constitue partie prenante. Le choix des mots, la justesse des expressions, la pertinence des figures de style, la poésie des phrases et l’élégance des paragraphes subjuguent. Puis la trame, les intrigues, suspenses, rebondissements, surprises et découvertes, tous ces exhausteurs de plaisir achèvent de transporter au cœur de l’action. Désireux d’y jouer sa partition, le lecteur réfléchit à la fin d’un paragraphe ou d’un chapitre, d’une trivialité ou d’un retournement de situation. Il imagine plusieurs suites, s’interroge sur la perspicacité d’un personnage. Il lit sans se presser, mais plutôt patiemment, avec engouement, délectation. Un peu comme pour laisser son âme s’imprégner de la profondeur des écrits au service de récits envoûtants et d’aventures exaltantes. Peu importe le genre, roman, essai, nouvelle, tout se prête au ravissement de l’érudit.
À une bonne lecture succède un moment de réflexion, voire de méditation. On s’élève davantage sur l’échelle de conscience. L’esprit s’en trouve grandi, mature, éveillé. La plénitude ressentie enrichit et galvanise.
Mets gastronomiques et chefs-d’œuvre littéraires alimentent le corps et l’esprit tout en les exaltant. Ces derniers en extase transcendent le rationnel pour s’élever vers l’âme et ne faire qu’un à trois. L’être humain ainsi comblé vit une expérience peu commune qui inexorablement, le conduit à la félicité.