Dans mon blogue Au cœur du français (s’ouvre dans un nouvel onglet), qui contient plus de 500 articles, j’ai traité de divers aspects de la langue française. L’un des plus déroutants est son orthographe, inspirée du grec et du latin, mais parfois tellement diversifiée qu’on en perd… son latin.
Petit voyage dans l’histoire de notre langue.
L’acte de naissance du français est le traité signé en 843 à la suite des Serments de Strasbourg, qui divise l’Empire carolingien en trois régions, l’une d’entre elles devenant plus tard la France et une autre l’Allemagne. Ce traité est rédigé en langue populaire, donc en français.
À cette époque, l’écrit a moins d’importance. La transmission des connaissances se fait en bonne partie oralement et les administrations sont bien moins développées que de nos jours.
Au milieu du XIe siècle, l’orthographe de l’ancien français commence à se fixer, mais les variations orthographiques sont nombreuses. Souvent, l’écriture est phonétique.
Mais que s’est-il donc passé pour qu’elle devienne si complexe?
Le français est largement influencé par l’étymologie. Cela signifie que son orthographe s’inspire en bonne partie du grec et du latin. Nous écrivons théâtre avec un h parce que le mot vient du latin theatrum. De même, nous écrivons philosophe parce que le mot vient du grec philosophos. En espagnol, ces deux mots sont écrits phonétiquement : teatro, filósofo.
Les formes étymologiques ne sont pas dénuées d’utilité. Elles permettent de distinguer des homonymes comme saint, sain, sein, ceint, cinq.
À partir du XIIIe siècle, l’administration et la justice prennent de l’importance et la transmission des textes cesse d’être exclusivement orale. Par conséquent, il devient important de bien définir le sens des termes employés et de les écrire de façon uniforme.
Entre le XIVe et le XVIe siècle, on cherche donc à éliminer certaines ambigüités en ajoutant des lettres étymologiques ou non. Dans certains cas, celles-ci vont finir par brouiller les cartes. Par exemple, le u et le v se confondent et c’est pourquoi on décide de glisser un b étymologique dans fèvre pour éviter qu’on lise feure. Ce qui donne febvre. Ce b surprenant persiste dans le nom propre Lefebvre, qui s’écrit Lefèvre en Europe. Après l’invention de l’imprimerie, au XVIe siècle, le j et le v apparaissent à leur tour pour épauler le i et le u. Le pronom ie devient je.
Depuis le XVIe siècle, plus d’un mot sur deux a changé d’orthographe. Il suffit de lire Rabelais dans le texte (1534) pour le constater :
Sus la fin de la quinte année, Grandgousier, retournant de la défaicte des Canarriens, visita son filz Gargantua. Là fut resjouy comme un tel pere povoit estre voyant un sien tel enfant, et le baisant et accolant, l’interrogeoyt de petitz propos pueriles en diverses sortes.
Tout au long de son histoire, le français pose un dilemme : écrire en respectant à tout prix l’étymologie ou bien écrire les mots comme on les prononce. Ce nœud gordien n’a jamais été tranché.
Si certains choix étymologiques ont une utilité réelle, il en est un grand nombre qui semblent n’avoir été ajoutés que pour le plaisir des savants, et non pour rapprocher le mot français de son étymon latin réel ou supposéNote de bas de page 1.
C’est au XVIIe siècle que ais, ait, aient remplacent enfin ois, oit, oient dans les formes de l’imparfait, confirmant la prononciation en vigueur depuis un siècle. L’Académie ne finira par admettre les nouvelles graphies, réclamées par Voltaire quelque 70 ans plus tôt, que dans l’édition de 1835 de son dictionnaire…
L’arrivée de l’imprimerie vient donner une impulsion nouvelle. Les majuscules et les signes de ponctuation se multiplient. Certains e se voient coiffés d’un accent… mais pas toujours le bon. Des graphies absurdes sont malheureusement introduites. À l’époque, les caractères d’imprimerie comme les accents et les lettres sont en plomb. Le manque d’accent grave chez certains imprimeurs les amène à utiliser l’accent aigu, ce qui explique que le règlement côtoie la réglementation qui engendre le verbe régler qui, à son tour, se conjugue je règle, mais nous réglons, etc. Les absurdités du genre abondent, dont l’énigmatique événement, corruption d’évènement (prononciation réelle), à cause encore une fois d’une pénurie d’accent graveNote de bas de page 2…
Les lexicographes tentent d’y mettre de l’ordre et publient des tentatives de réforme orthographique. Ainsi disparaissent un grand nombre de graphies comportant des consonnes ajoutées à la fin ou au milieu des mots. Tirent leur révérence ung, bled, nuict, apvril, adiouter (un, blé, nuit, avril, ajouter). Des voyelles qui ne se prononcent pas tombent aussi : rheume, aage deviennent rhume, âge.
La volonté de rationaliser l’orthographe du français, intensifiée par la Révolution française, voit son élan interrompu par la restauration de la monarchie, en 1815.
Dans mon prochain billet, nous verrons que l’édition de 1835 du dictionnaire de l’Académie est un point de bascule qui figera l’orthographe du français pour les siècles à venir.
Autres sources consultées
- Nina Catach, Histoire de l'orthographe française, Paris, Honoré Campion, 2001.
- Yvonne Cazal et Gabriella Parussa, Introduction à l'histoire de l'orthographe, Paris, Armand Colin, 2015.
- Camille Martinez, L'orthographe des dictionnaires français, Paris, Honoré Campion, 2012.