L’histoire folle de l’orthographe du français (partie 2)

Publié le 31 mai 2021

Ce billet fait suite au billet intitulé L’histoire folle de l’orthographe du français (partie 1) (s’ouvre dans un nouvel onglet), dans lequel j’esquissais l’histoire de l’orthographe du français. L’étymologie a marqué notre langue de son sceau, tandis que certains dictionnaires cherchaient à normaliser l’écriture des mots. La question de la normalisation de l’orthographe était posée.

Dans cette deuxième partie, nous verrons comment le français a continué d’évoluer lentement, jusqu’au moment charnière du XIXe siècle où l’évolution de l’orthographe a été stoppée brutalement.

L’édition de 1835 du dictionnaire de l’Académie française marque une série de reculsNote de bas de page 1. Si le dictionnaire de 1798 admettait alaiter (aussi bien qu’allaiter) ainsi qu’alègre, il n’en est plus rien en 1835. Allaiter seul est retenu de même qu’allègre, alors que la graphie originale était alègre. La linguiste Nina Catach : « Il est impossible de parler ici de la seule tradition, il s’agit d’un choixNote de bas de page 2. »

La maîtrise de l’orthographe et de la grammaire devient un signe d’érudition et favorise l’avancement social. L’idée de simplifier l’orthographe devient une hérésie, un nivellement par le bas. « Et ce qui n’était qu’un outil deviendra l’objet d’un culte… qui fige les irrégularités et interdit toute évolutionNote de bas de page 3. »

Pourtant, les projets de réforme ne manqueront pas au cours des décennies suivantes, mais les rectifications demeureront timides. Par exemple, grand’mère et entre’voir perdront leur apostrophe : grand-mère, entrevoir.

À la fin du XIXe siècle, la Société de réforme ortografique (sic) propose une réforme en profondeur dans le but de réduire considérablement le nombre de graphies pour un seul phonème, ce qui donne ce qui suit :

La Société de réforme ortografique fait appel à toutes les persones qui favorizent un chanjement quelconque de l’ortografe Fransaize. Fondée en déçambre 1886, èle conte actuèlement 190 mambres, parmi lesquels 4 mambres de l’Institut, 9 professeurs de Faculté, 2 députésNote de bas de page 4.

Le nouveau siècle est marqué par une volonté d’aller de l’avant et de simplifier un tant soit peu l’orthographe du français. L’Académie française en prend acte et demande à Émile Faguet de présenter un projet pour répondre aux demandes du gouvernement. Dans son rapport, Faguet dénonce grammairiens, savants et pédants qui ont singulièrement compliqué l’orthographe, notamment en introduisant des graphies inutilement compliquées issues du latin et du grec.

L’auteur s’en prend aussi aux doubles consonnes. Il mentionne des mots comme atteindre et difficile qui, jadis, s’écrivaient avec une seule consonne au lieu de deux. En fait, il préconise notamment l’abolition des doubles consonnes et des homophones comme doit et doigt, faisant valoir que le contexte est suffisamment éclairant. Il veut également corriger les orthographes aberrantes dans lesquelles l’accent aigu a été erronément substitué à l’accent grave.

L’Académie française accueille froidement ses propositions; elle est réticente à changer la « physionomie des mots ». Elle ne veut pas non plus rapprocher l’écrit de l’oral. Le ton est donné pour le reste du siècle, ou presque.

Viendront les rectifications de 1990 qui susciteront un tollé. Une tempête dans un verre d’eau, en fait. Elles ne touchent pourtant qu’environ 1400 mots. Ce qui signifie qu’un seul mot par deux pages changera très légèrement de physionomie, généralement parce qu’il perd un accent circonflexe inutile. Les maisons d’édition, les médias, les grands auteurs les ignorent complètement, de sorte que les changements modestes proposés sont davantage des curiosités qu’autre chose.

Ce qui est en train de faire évoluer l’orthographe, de nos jours, c'est la volonté de modifier et la grammaire et le vocabulaire pour qu’ils donnent leur juste place aux femmes. Selon moi, la féminisation entraîne d’importantes modifications aux règles orthographiques en place, puisque la mise entre parenthèses de suffixes ou l’introduction de ceux-ci par des traits d’union ou des points médians viennent perturber les conventions établies depuis des siècles.

Ces graphies novatrices se répandent dans les écrits officiels et les journaux bien davantage que les rectifications orthographiques de 1990. Une nouvelle réflexion est lancée.

Autres sources consultées
  • Yvonne Cazal et Gabriella Parussa, Introduction à l'histoire de l'orthographe, Paris, Armand Colin, 2015.
  • Camille Martinez, L’orthographe des dictionnaires français, Paris Honoré Campion, 2012.

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André Racicot

André Racicot est un ancien réviseur et formateur du Bureau de la traduction. Depuis 2013, il publie un blogue sur la langue française comportant 500 articles. Il est l’auteur de Plaidoyer pour une réforme du français, paru en août 2020.

 

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Soumis par Annie-Josiane Sessou le 31 mai 2021 à 13 h 56

Bel article très instructif. Merci !

Soumis par Julie Hamel le 31 mai 2021 à 14 h 10

Si je ne me trompe pas, la raison pour laquelle on retrouve de la dyslexie et chez les apprenants francophones et les apprenants anglophones est bel et bien la graphie des deux langues dont l'image des mots ne correspond pas toujours à la sonorité qui en découle.
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