Mes années de formation linguistique en Asie
Je sais aujourd’hui que les langues me passionnent! Toutefois, je ne m’en étais jamais vraiment rendu compte avant d’arriver au Canada, en 1980, en même temps que des milliers d’autres personnes réfugiées des pays de l’Asie du Sud-Est, notamment le Cambodge, le Laos et le Vietnam. Pendant mon enfance, quand je vivais et jouais chaque jour dans un milieu multiculturel au Laos, je n’étais pas conscient de la chance inouïe que j’avais de parler trois langues et de pouvoir passer de l’une à l’autre sans difficulté. Je parlais le hakka (la langue maternelle de mes parents) quand j’étais à la maison, le mandarin lorsque je fréquentais l’école (la seule école privée de langue chinoise en ville), et le laotien quand je jouais avec les enfants du quartier. Donc, vous voyez, ces langues me venaient naturellement, pas vraiment parce que je les apprenais comme tel, mais plutôt parce que je les acquérais sans effort, sans même y penser, grâce à l’immersion. D’une certaine façon, on peut dire que, même si je l’ignorais à ce moment-là, j’étais prédisposé et préparé à apprendre de nouvelles langues dans l’avenir.
Lorsque le Laos est passé sous le régime communiste, nous avons dû fuir le pays et vivre dans un camp de réfugiés en Thaïlande, qui en comptait quelques dizaines à cette époque. Nous y avons vécu pendant deux ans et demi avant d’avoir l’autorisation d’immigrer au Canada. Le temps que nous avons passé dans ce camp vers la fin de mon adolescence a été, pour moi, à la fois un terrain d’expérimentation et une rare occasion d’apprendre à parler et à comprendre le thaï. Même si je n’ai pas appris à écrire la langue, je peux encore la lire aujourd’hui. Le thaï est la quatrième langue que j’ai apprise.
Mes dix premières années au Canada
Comme bien des gens qui ont immigré au Canada avant moi, je parlais très peu anglais, mes connaissances se limitant à ce que j’avais appris dans les quelques cours d’anglais que j’avais suivis au camp de réfugiés. À mon arrivée au Canada, j’ai passé environ un an à apprendre cette langue dans un cours d’anglais langue seconde. Toutefois, je me suis vite impatienté devant la lenteur de mes progrès, car je trouvais qu’apprendre l’anglais avec des étudiants et étudiantes qui avaient de la difficulté comme moi rendait le processus lent et pénible. J’ai décidé de m’inscrire à une école secondaire locale, où je n’ai fait qu’un seul semestre dans un programme d’anglais langue seconde. Je suis ensuite passé directement à des cours d’anglais réguliers, et j’ai commencé à apprendre l’anglais avec des étudiantes et étudiants nés au Canada. Le défi était de taille, c’est le moins que l’on puisse dire; l’expérience s’apparentait presque à se jeter à l’eau sans savoir nager. Sans trop savoir comment, j’ai surmonté cette épreuve et, quand je suis arrivé en 10e année, je me sentais plus à l’aise en anglais. J’ai alors décidé d’ajouter des cours de français élémentaire à mon programme scolaire. L’anglais et le français sont respectivement les cinquième et sixième langues que j’ai apprises. Après avoir terminé ma 13e année et, trois ans plus tard, obtenu mon diplôme du Collège algonquin, j’ai commencé à travailler comme programmeur informatique et je me suis inscrit à un cours d’espagnol élémentaire à l’Université Carleton.
Imbattable… la vie dans les Forces armées canadiennes
Je n’ai pas été programmeur longtemps; en effet, j’ai occupé cet emploi pendant environ trois mois et j’ai ensuite pris la décision la plus importante de ma vie : rejoindre les rangs de l’armée!
L’idée de donner libre cours à ma passion pour les études linguistiques ne m’avait jamais effleuré l’esprit jusqu’à ce qu’un jour, un ami me suggère de m’y consacrer de façon plus officielle en faisant une majeure en linguistique. Ainsi, tout en travaillant à temps plein dans les Forces armées canadiennes, j’ai commencé à suivre des cours du soir. J’ai suivi des cours de latin et d’American Sign Language et, en même temps, je m’exerçais à parler cantonais chaque fois que j’en avais l’occasion. J’ai donc pu finalement assouvir cette passion que je cultivais déjà sans trop m’en rendre compte, et collectionner les langues comme d’autres collectionnent les timbres ou les pièces de monnaie (bien que je le fasse aussi).
Lors de ma mission de maintien de la paix en Bosnie en 2006, j’ai eu la possibilité exceptionnelle de vivre et de travailler dans le milieu le plus propice à l’apprentissage d’une langue, c’est-à-dire avec la population locale. Pendant mon séjour, j’ai passé tout mon temps libre à essayer d’apprendre le serbo-croate, et sept ans plus tard, en 2013, j’ai appris par moi-même le swahili pendant mon deuxième déploiement à l’étranger, en République démocratique du Congo.
Les diverses langues que j’apprends me permettent de voir le monde de différentes façons grâce à toutes les nuances qui distinguent chacune d’elles, les perspectives variées qu’elles amènent et les influences qui les caractérisent. J’aime les langues à un point tel que je me suis fixé comme objectif de continuer à en apprendre toute ma vie. J’espère atteindre au moins un niveau de conversation, d’écriture et de lecture me permettant de fonctionner au quotidien dans dix langues, dont les six langues officielles de l’Organisation des Nations Unies (l’anglais, l’arabe, le chinois, l’espagnol, le français et le russe). Y arriverai-je un jour? Peut-être que oui, peut-être que non. Il n’en demeure pas moins que, pour moi, l’apprentissage des langues n’est pas un voyage vers une destination finale; il s’agit plutôt du cheminement d’une vie, et donc d’un effort continu que je fais tout en profitant de la beauté du paysage que je peux apprécier à travers la fenêtre sur le monde que m’offre chaque langue!
Alors, ma question est la suivante : est-ce qu’on apprend ou on acquiert une nouvelle langue?