Vous connaissez, j’imagine, le français québécois, le français ontarien et le français acadien – les variétés de français les plus parlées au Canada. Mais connaissez-vous les différences entre celles-ci? Savez-vous qu’il y a plusieurs autres variétés?
Je vais vous présenter cinq variétés de français comportant des différences notables : le français québécois, le mitchif-français, le français acadien, le français de la Baie-Sainte-Marie et le français terre-neuvien.
Parlons brièvement du français québécois, dans lequel on trouve le français québécois standard, celui qu’on apprend à l’école et qu’on entend aux nouvelles télévisées ou parfois au travail, et le français populaire ou de registre familier, celui qu’on entend dans la rue. Dans ce dernier, on utilise des contractions (je suis = chus; à cette heure = asteure), on supprime certains mots (je ne sais pas = je sais pas) et on utilise des anglicismes (p. ex. La strappe de fan de mon truck est slaque. = La courroie du ventilateur de mon camion est lâche.). Comme dans presque toutes les autres variétés du français canadien, on omet aussi parfois la finale des mots à l’oral (ensemble = ensemb’; joindre = joind’), et on préfère « on » à « nous ».
C’est assez simple. Asteure, examinons le mitchif.
Mélange du cri et du français, également influencé par l’anglais et d’autres langues autochtones (comme l’ojibwé), le mitchif est une langue parlée par le peuple métisNote de bas de page 1. Cette langue est menacée puisque, bien qu’il s’agisse de la langue métisse la plus parlée, elle ne comptait que 1845 locuteurs et locutrices en 2021Note de bas de page 1. Les autres langues métisses incluent le cri français, le bungi, le brayet et le mitchif-français.
Le mitchif-français (mitchif-fransay) est considéré comme un dialecte du mitchif. Issu de la tradition orale, il se distingue par son orthographe phonétique et son absence d’accents. Il vient du français des voyageurs canadiens-français qui pratiquaient le commerce de la fourrureNote de bas de page 2 et a été fortement influencé par les langues algonquiennes. Historiquement considéré comme du mauvais français, le mitchif-français était stigmatisé et suscitait de la honte chez ses locuteurs et locutrices. On enseignait un « meilleur » français dans les écoles, et peu de parents ont transmis leur dialecte à leurs enfantsNote de bas de page 3.
Quelques exemples de mitchif-français :
Ma mayr i fayr kwir la galet.
Ma mère va faire cuire la galette.
Va tan a la minzon.
Va-t’en à la maison.
Depuis 2016, il existe un dictionnaire en mitchif-français intitulé Michif French: as spoken by most Michif people of St. LaurentNote de bas de page 4 [Le mitchif-français comme il est parlé par la plupart des locuteurs et locutrices de Saint-Laurent].
Explorons maintenant le français acadien. Les locuteurs et locutrices du français acadien se trouvent surtout dans les quatre provinces de l’Atlantique, mais aussi un peu partout au Canada. Le français acadien a plusieurs variantes, chacune ayant ses particularités. Il s’est éloigné du français de France au début du 18e siècle, c’est pourquoi il a conservé plusieurs caractéristiques typiques du français parlé aux 16e et 17e sièclesNote de bas de page 5.
On ne peut pas parler du peuple acadien sans parler du Grand dérangement. À partir de 1755, la plupart des terres de l’Acadie ont progressivement été concédées aux colons britanniques et aux loyalistes américains. Par conséquent, une grande partie de la population acadienne a été déplacée et, aujourd’hui, la plupart des communautés acadiennes se trouvent hors des frontières historiques de l’AcadieNote de bas de page 5. La population acadienne du Canada descend des habitantes et habitants de l’Acadie qui sont revenus d’exil après le Grand dérangement. Le français cajun vient aussi de l’Acadie. Le mot « cajun » est une altération du mot « acadien ».
Penchons-nous maintenant sur le chiac, une particularité du français acadien. Le chiac est une alternance discursive entre le français et l’anglais chez les personnes ayant appris le français acadien et l’anglais canadien dès leur plus jeune âgeNote de bas de page 6. Le chiac n’est pas considéré comme un dialecte, mais plutôt comme un patois. Il se caractérise non seulement par le passage d’une langue à l’autre, mais aussi par l’adoption et la francisation de mots anglais (p. ex., j’ai crossé la street).
Variante du français acadien, le français de la Baie-Sainte-Marie, en Nouvelle-Écosse, a plusieurs caractéristiques uniques, notamment l’emploi de « ne… point » au lieu de « ne… pas » dans les négations, la terminaison en « -ont » au lieu d’en « -ent » dans les verbes à la troisième personne du pluriel et l’adoption du « je » au lieu du « nous »Note de bas de page 7.
Les locuteurs et locutrices de cette variété du français qualifient leur langue de « franglais » ou de « moitié moitié » et, parfois, de « point as bounne » (pas aussi bonne), ce qui démontre leur insécurité linguistique, un phénomène courant dans la communauté acadienneNote de bas de page 7.
Dans cette variété de français, les conjugaisons sont différentes de celles du français standard. Quelques verbes irréguliers (tels que « faire », « avoir » et « aller ») sont parfois conjugués comme un verbe régulier à la troisième personne du pluriel : ils faisont, elles avont, ils allont. Le pronom « je » remplace « nous » à la première personne du pluriel : j’allions, j’venons, j’avions. On voyait cet emploi en français aux 16e et 17e sièclesNote de bas de page 7.
Le pronom « je » devient parfois « ej » et contient une aspiration :
ej h’inviterons tcheq’ chum…
moi h’aimais point ça quand c’qu’i avont brulé not’ flag acadjonne cause que c’est rinque point fairNote de bas de page 7.
À certains endroits, on peut entendre « septante », « octante » et « nonante » au lieu de « soixante-dix », « quatre-vingts » et « quatre-vingt-dix »Note de bas de page 8.
C’est right intéressant, n’est-ce pas?
Finalement, examinons le français terre-neuvien. Les locuteurs et locutrices de cette variété de français doivent composer avec les influences provenant de l’anglais et du français acadien, mais leur langue demeure assez distincte, même si le nombre de personnes pouvant la parler diminue au fil du tempsNote de bas de page 9.
Comme c’est le cas en français de la Baie-Sainte-Marie, il existe en français terre-neuvien une préférence pour l’emploi du « je » inclusif au détriment du « nous ». On reconnaît aussi une orthographe unique :
Nous autres je sons [sommes] des Français de France. Je tions [j’étions] nés à La Grande-Terre […]Note de bas de page 10.
Les pronoms « il » et « ils » deviennent « i », et on observe encore que la terminaison « -ont » est privilégiée à la troisième personne du pluriel : « i parliont français »Note de bas de page 11. Parfois, « ieusses » est utilisé au lieu d’« ils » :
Et j’avons iu [eu] ène [une] misère du diable à savoir quoi que ieusses [ils] disaientNote de bas de page 12.
La prononciation du français terre-neuvien n’est pas normalisée. L’énoncé « qu’il soit » peut se prononcer « qu’il swé » (prononciation archaïque de la France), « qu’il seit » (prononciation dialectale de l’Ouest de la France) et « qu’il seise »Note de bas de page 13. Comme en français de la Baie-Sainte-Marie, on entend parfois « septante », « octante » et « nonante ».
Et voilà! Cinq variétés de français qu’on peut trouver au Canada (et il y en a plusieurs autres). Laquelle parlez-vous?