Les différences entre les variétés du français canadien

Publié le 17 février 2025

Vous connaissez, j’imagine, le français québécois, le français ontarien et le français acadien – les variétés de français les plus parlées au Canada. Mais connaissez-vous les différences entre celles-ci? Savez-vous qu’il y a plusieurs autres variétés?

Je vais vous présenter cinq variétés de français comportant des différences notables : le français québécois, le mitchif-français, le français acadien, le français de la Baie-Sainte-Marie et le français terre-neuvien.

Parlons brièvement du français québécois, dans lequel on trouve le français québécois standard, celui qu’on apprend à l’école et qu’on entend aux nouvelles télévisées ou parfois au travail, et le français populaire ou de registre familier, celui qu’on entend dans la rue. Dans ce dernier, on utilise des contractions (je suis = chus; à cette heure = asteure), on supprime certains mots (je ne sais pas = je sais pas) et on utilise des anglicismes (p. ex. La strappe de fan de mon truck est slaque. = La courroie du ventilateur de mon camion est lâche.). Comme dans presque toutes les autres variétés du français canadien, on omet aussi parfois la finale des mots à l’oral (ensemble = ensemb’; joindre = joind’), et on préfère « on » à « nous ».

C’est assez simple. Asteure, examinons le mitchif.

Mélange du cri et du français, également influencé par l’anglais et d’autres langues autochtones (comme l’ojibwé), le mitchif est une langue parlée par le peuple métisNote de bas de page 1. Cette langue est menacée puisque, bien qu’il s’agisse de la langue métisse la plus parlée, elle ne comptait que 1845 locuteurs et locutrices en 2021Note de bas de page 1. Les autres langues métisses incluent le cri français, le bungi, le brayet et le mitchif-français.

Le mitchif-français (mitchif-fransay) est considéré comme un dialecte du mitchif. Issu de la tradition orale, il se distingue par son orthographe phonétique et son absence d’accents. Il vient du français des voyageurs canadiens-français qui pratiquaient le commerce de la fourrureNote de bas de page 2 et a été fortement influencé par les langues algonquiennes. Historiquement considéré comme du mauvais français, le mitchif-français était stigmatisé et suscitait de la honte chez ses locuteurs et locutrices. On enseignait un « meilleur » français dans les écoles, et peu de parents ont transmis leur dialecte à leurs enfantsNote de bas de page 3.

Quelques exemples de mitchif-français :

Ma mayr i fayr kwir la galet.
Ma mère va faire cuire la galette.

Va tan a la minzon.
Va-t’en à la maison.

Depuis 2016, il existe un dictionnaire en mitchif-français intitulé Michif French: as spoken by most Michif people of St. LaurentNote de bas de page 4 [Le mitchif-français comme il est parlé par la plupart des locuteurs et locutrices de Saint-Laurent].

Explorons maintenant le français acadien. Les locuteurs et locutrices du français acadien se trouvent surtout dans les quatre provinces de l’Atlantique, mais aussi un peu partout au Canada. Le français acadien a plusieurs variantes, chacune ayant ses particularités. Il s’est éloigné du français de France au début du 18e siècle, c’est pourquoi il a conservé plusieurs caractéristiques typiques du français parlé aux 16e et 17e sièclesNote de bas de page 5.

On ne peut pas parler du peuple acadien sans parler du Grand dérangement. À partir de 1755, la plupart des terres de l’Acadie ont progressivement été concédées aux colons britanniques et aux loyalistes américains. Par conséquent, une grande partie de la population acadienne a été déplacée et, aujourd’hui, la plupart des communautés acadiennes se trouvent hors des frontières historiques de l’AcadieNote de bas de page 5. La population acadienne du Canada descend des habitantes et habitants de l’Acadie qui sont revenus d’exil après le Grand dérangement. Le français cajun vient aussi de l’Acadie. Le mot « cajun » est une altération du mot « acadien ».

Penchons-nous maintenant sur le chiac, une particularité du français acadien. Le chiac est une alternance discursive entre le français et l’anglais chez les personnes ayant appris le français acadien et l’anglais canadien dès leur plus jeune âgeNote de bas de page 6. Le chiac n’est pas considéré comme un dialecte, mais plutôt comme un patois. Il se caractérise non seulement par le passage d’une langue à l’autre, mais aussi par l’adoption et la francisation de mots anglais (p. ex., j’ai crossé la street).

Variante du français acadien, le français de la Baie-Sainte-Marie, en Nouvelle-Écosse, a plusieurs caractéristiques uniques, notamment l’emploi de « ne… point » au lieu de « ne… pas » dans les négations, la terminaison en « -ont » au lieu d’en « -ent » dans les verbes à la troisième personne du pluriel et l’adoption du « je » au lieu du « nous »Note de bas de page 7.

Les locuteurs et locutrices de cette variété du français qualifient leur langue de « franglais » ou de « moitié moitié » et, parfois, de « point as bounne » (pas aussi bonne), ce qui démontre leur insécurité linguistique, un phénomène courant dans la communauté acadienneNote de bas de page 7.

Dans cette variété de français, les conjugaisons sont différentes de celles du français standard. Quelques verbes irréguliers (tels que « faire », « avoir » et « aller ») sont parfois conjugués comme un verbe régulier à la troisième personne du pluriel : ils faisont, elles avont, ils allont. Le pronom « je » remplace « nous » à la première personne du pluriel : j’allions, j’venons, j’avions. On voyait cet emploi en français aux 16e et 17e sièclesNote de bas de page 7.

Le pronom « je » devient parfois « ej » et contient une aspiration :

ej h’inviterons tcheq’ chum…

moi h’aimais point ça quand c’qu’i avont brulé not’ flag acadjonne cause que c’est rinque point fairNote de bas de page 7.

À certains endroits, on peut entendre « septante », « octante » et « nonante » au lieu de « soixante-dix », « quatre-vingts » et « quatre-vingt-dix »Note de bas de page 8.

C’est right intéressant, n’est-ce pas?

Finalement, examinons le français terre-neuvien. Les locuteurs et locutrices de cette variété de français doivent composer avec les influences provenant de l’anglais et du français acadien, mais leur langue demeure assez distincte, même si le nombre de personnes pouvant la parler diminue au fil du tempsNote de bas de page 9.

Comme c’est le cas en français de la Baie-Sainte-Marie, il existe en français terre-neuvien une préférence pour l’emploi du « je » inclusif au détriment du « nous ». On reconnaît aussi une orthographe unique :

Nous autres je sons [sommes] des Français de France. Je tions [j’étions] nés à La Grande-Terre […]Note de bas de page 10.

Les pronoms « il » et « ils » deviennent « i », et on observe encore que la terminaison « -ont » est privilégiée à la troisième personne du pluriel : « i parliont français »Note de bas de page 11. Parfois, « ieusses » est utilisé au lieu d’« ils » :

Et j’avons iu [eu] ène [une] misère du diable à savoir quoi que ieusses [ils] disaientNote de bas de page 12.

La prononciation du français terre-neuvien n’est pas normalisée. L’énoncé « qu’il soit » peut se prononcer « qu’il swé » (prononciation archaïque de la France), « qu’il seit » (prononciation dialectale de l’Ouest de la France) et « qu’il seise »Note de bas de page 13. Comme en français de la Baie-Sainte-Marie, on entend parfois « septante », « octante » et « nonante ».

Et voilà! Cinq variétés de français qu’on peut trouver au Canada (et il y en a plusieurs autres). Laquelle parlez-vous?

Avertissement

Les opinions exprimées dans les billets et dans les commentaires publiés sur le blogue Nos langues sont celles des personnes qui les ont rédigés. Elles ne reflètent pas nécessairement celles du Portail linguistique du Canada.

En savoir plus sur Ashley Barnes

Ashley Barnes

Ashley, une passionnée des langues, est réviseure anglophone à la Défense nationale. Titulaire d’un baccalauréat en traduction de l’Université d’Ottawa, elle a un intérêt marqué pour les langues, la comédie musicale et l’aïkido. À ses heures, elle prend aussi plaisir à traduire Les Misérables, de Victor Hugo. Elle parle couramment le français et l’anglais, et peut tenir une conversation en japonais et en allemand.
 

Écrire un commentaire

Veuillez lire la section « Commentaires et échanges » dans la page Avis du gouvernement du Canada avant d’ajouter un commentaire. Le Portail linguistique du Canada examinera tous les commentaires avant de les publier. Nous nous réservons le droit de modifier, de refuser ou de supprimer toute question ou tout commentaire qui contreviendrait à ces lignes directrices sur les commentaires.

Lorsque vous soumettez un commentaire, vous renoncez définitivement à vos droits moraux, ce qui signifie que vous donnez au gouvernement du Canada la permission d’utiliser, de reproduire, de modifier et de diffuser votre commentaire gratuitement, en totalité ou en partie, de toute façon qu’il juge utile. Vous confirmez également que votre commentaire n’enfreint les droits d’aucune tierce partie (par exemple, que vous ne reproduisez pas sans autorisation du texte appartenant à un tiers).

Participez à la discussion et faites-nous part de vos commentaires!

Commentaires

Les commentaires sont affichés dans leur langue d’origine.

Lire les commentaires

Soumis par Martine Grenier le 17 février 2025 à 16 h 12

Merci Ashley. C'est très intéressant de voir toutes ces nuances linguistiques. Mon chum est d'origine acadienne. Je comprends maintenant mieux d'où viennent les "j'avions" et autres parlures entendues lors de nos visites au Nouveau-Brunswick.

Soumis par Laurent Desbois le 18 février 2025 à 14 h 45

Je n'ai jamais réussi à voir la différence culturelle entre mon père Québécois de la Gaspésie et ma mère de Caraquet, NB sur la péninsule acadienne! Mes ancêtres ont pêché la morue des deux côtés de la baie des chaleurs.

Soumis par Phyllis Dalley le 9 mars 2025 à 14 h 35

Bonjour Laurent,
Il est vrai que la culture gaspésienne et acadienne, de la péninsule en particulier, ont beaucoup de ressemblances. Cela est dû, comme tu le soulignes, d'une part à l'environnement maritime et à la culture de la pêche. Il faut également savoir qu'un grand nombre de personnes acadiennes se sont réfugiées en Gaspésie au cours de la période de la déportation. Dans sa chanson "Ma Gaspésie", Kevin Parent ne dit-il pas que la Gaspésie est "mon Acadie à moi" ?

Soumis par Francine Michaud Bérubé le 19 février 2025 à 19 h 00

Du vrai ''bonbon'' cet article! Descendante d'une famille du Nouveau-Brunswick, j'ai reconnu plusieurs expressions de ma grand-mère et de ma mère.

Soumis par stef turgeon le 24 février 2025 à 3 h 43

ça me rappelle La Sagouine écrite par Antonine Maillet et jouée par Viola Léger.

Soumis par Phyllis Dalley le 9 mars 2025 à 14 h 53

Bonjour,
Bien qu'il soit vrai que les personnes de la Baie Sainte-Marie en Nouvelle-Écosse ont tendance à dénigrer leur français parlé, ce français n'est pas qu'un mélange du français et de l'anglais. Comme le chiac, que l'on réduit au mélange entre ces deux langues, l'acadjonne est une variété du français dans lequel nous trouvons des mots que l'Académie française considère vieux, mais selon qui, quelle norme ? Le problème n'est pas le chiac (qui inclus des mots "français" du 16e siècle, mais également des mots propres au territoire qui à vu cette pratique langagière naitre) ou l'acadjonne sont des variétés vieillies ou ayant subi l'influence de l'anglais, mais bien que les personnes chiacs et acadjonne sont marginalisées par l'Académie et l'Office, ces deux institutions qui ont le pouvoir de décider ce qu'est un mot ou une structure vielli et quel mot de la langue anglaise il est permis d'utiliser en français. Je ne vais jamais faire du shopping ou chercher un parking, pourtant, ces emprunts de l'anglais ont trouvé leur place dans les dictionnaires de la France.

On ne peut pas parler des variétés du français parlées au Canada ou ailleurs sans reconnaitre que la valeur accordée aux différentes variétés dépend du positionnement social des locuteurices de ces variétés. Le français standard français ou québécois ne sont que des variétés du français parlées par l'élite littéraire et intellectuelle de leurs pays. Ces élite ont, avec le concours des grammairiens, le pouvoir d'imposer leurs pratiques, surtout écrites, comme norme.
Français