Apprendre le français, sans lâcher la patate

Publié le 10 janvier 2022

En 1975, après avoir quitté Belfast, en Irlande du Nord, j’ai travaillé quelques années en Ontario avant de tenter ma chance à Montréal où, puisque l’encre de la Charte de la langue française était encore humide, apprendre le français était une très grande priorité.

Cependant, non admissible au programme de francisation du Ministère et pleinement occupé par mon poste dans une manufacture de tabac, j’ai dû me contenter de quarante-cinq heures de formation dans mon lieu de travail avant de plonger tête première dans la vie en français.

Je louais un logement près de l’usine où je travaillais, coin Ontario et d’Iberville, consommais télévision et films, chansons et romans, et j’allais même à la messe du dimanche pour forcer mon cerveau à transposer en français les prières que je connaissais par cœur dans leur version anglaise.

Enfin, après un souper à la chandelle – sans doute couronné de succès parce que je ne pouvais qu’écouter –, je me suis fait une blonde. Grâce à elle et à ses proches, j’acquérais petit à petit des compétences raisonnables en compréhension et en expression orale.

Pendant trois décennies, je me suis débrouillé, mais toujours avec la crainte de passer pour un idiot dans un cadre professionnel ou social; embarrassé chaque fois que je découvrais une de mes bévues langagières.

Même si le sentiment d’incertitude s’ajoutait à mon intégration déjà très anxiogène, il ne m’était jamais venu à l’esprit d’étudier le français. Après tout, je me débrouillais et j’avais d’autres priorités, plus pressantes, à gérer. En fait, ce n’est qu’à la retraite que j’ai pu songer à remédier à mes nombreuses lacunes.

Pour enrichir mon vocabulaire, je notais les mots nouveaux que j’entendais en écoutant le téléjournal, des films et des téléséries et en lisant des romans, et ensuite, je cherchais leur définition, et parfois leur prononciation, dans un dictionnaire.

Mon projet donnait des résultats positifs. Près de chez moi, j’ai compris tout de suite le jeu de mots « Bio de la tête aux pis », vu sur un panneau publicitaire. À la télévision, quand la comédienne française Cécile Bois a dit « nuit et jour », je l’ai entendue prononcer la consonne « t ».

Découvrir des expressions et des mots (congère, pantois, fanes de carottes, il fait nuit noire) familiers en anglais, mais nouveaux en français, était chaque fois comme de joyeuses retrouvailles.

La grammaire, je l’ai attaquée par le biais des romans, où elle prend vie et se saisit plus facilement. Quand ma lecture me dévoilait des règles qui m’étaient inconnues, je me tournais vers le manuel de grammaire.

Vous savez sans doute qu’un manuel de grammaire ne se lit pas comme un roman, surtout que le langage déployé pour expliquer la règle est souvent plus opaque que la règle.

De surcroit, mon manuel n’était pas très encourageant, avec des affirmations comme « […] le genre est rarement prévisible, mais il ne pose pas de problèmes à ceux dont le français est la langue maternelle » et « certains verbes se conjuguent avec être ou avoir selon la nuance de l’emploi […] » (soulignement par nos soins).

Malgré tout, je refusais d’abandonner, et peu à peu la grammaire perdait son mystère. Cependant, il me reste beaucoup de chemin à faire pour l’apprivoiser.

Aurais-je été mieux servi par un programme de francisation avec curriculum, prof, leçons et évaluations? Logiquement, oui, mais j’aurais peut-être trouvé le contact avec la grammaire trop rébarbatif – possiblement au point d’abandonner le programme.

Au lieu d’un programme bien structuré, j’ai glissé dans une francisation « organique et osmotique » (voyez-vous, je suis diplômé en chimie).

Mon approche, malgré ses imperfections, s’est avérée efficace : après tant d’années, je continue d’apprendre, tous les jours et avec plaisir, ma bien-aimée langue d’adoption.

Et maintenant, plus que jamais, il est hors de question que je « lâche la patate ».

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En savoir plus sur Patrick McKenna

Patrick McKenna

Patrick McKenna, d'origine nord-irlandaise, vit à Montréal depuis 1978. Partant d'une très faible base, il a réussi, en trois ans, à apprendre suffisamment le français pour faire carrière et vivre pleinement dans cette langue. Il aime la langue française, car elle le met en contact avec une partie de son identité – sa passion pour les langues – dont il ignorait l'existence avant d'émigrer au Canada.

 

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Commentaires

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Soumis par Maria Alexandre le 10 janvier 2022 à 15 h 30

J'ai adoré lire ce charmant billet! Très bien écrit, amusant et, surtout, il nous encourage à continuer d'apprendre tout au long de notre vie!

Soumis par Laetitia Walbert le 11 janvier 2022 à 10 h 59

Quel billet tendre, drôle et émouvant! Quel beau témoignage de votre curiosité et de votre persévérance! Merci, Patrick!

Soumis par Luc Paré le 11 janvier 2022 à 12 h 14

Bravo M. McKenna!
Pas de cours de francisation et continuer à apprendre le français jusqu'à la retraite!
J'ai vécu un peu la même situation quand je suis allé travailler dans un laboratoire de recherches en Ontario au début de ma carrière. Pas de cours d'anglais disponible pour m'aider. Je me suis débrouillé pour écrire les "monthly reports". Grammaire et dictionnaire à l'appui. Je ne me considère pas bilingue.
Je peux comprendre le mérite des gens qui doivent travailler dans une langue autre que leur langue maternelle. La chimie, je la lis et l'enseigne maintenant en espagnol lors de séjours dans une école du Guatemala. Trilingue? Surement pas mais fier d'avoir appris à me débrouiller un peu dans une troisième langue à la retraite. Merci encore M. McKenna!
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