La plupart des personnes ayant l’anglais comme langue maternelle ne sont simplement pas conscientes du genre en grammaire, du moins jusqu’à leur premier cours de français (ou d’une autre langue). À ce moment-là, elles découvrent que tous les noms français sont précédés d’un déterminant masculin ou féminin (« le » ou « la »).
En langue crie, comme en français, les mots ont un genre grammatical, mais celui-ci suit un axe différent, comme le montreront les exemples plus bas. (Ces exemples sont en cri des plaines, surtout parlé dans le Sud de la Saskatchewan et en Alberta; les observations grammaticales s’appliquent cependant à toutes les langues de la famille crie.)
Genre animé et genre inanimé
Alors qu’en français, on classe les noms selon qu’ils sont masculins et féminins, dans la vision du monde crie, les noms se répartissent en deux catégories : les choses vivantes (animées) et les choses non vivantes (inanimées). Comme le cri n’a pas d’articles définis, on utilise à la place des suffixes pluriels, soit –ak (animé) et –a (inanimé), pour faire la différence.
Le genre grammatical est facile à maîtriser quand les noms correspondent à des catégories naturelles et réelles. C’est le cas pour de nombreux noms en français et en cri :
Noms féminins | Noms masculins |
---|---|
la fille | le garçon |
la grand-mère | le grand-père |
Genre | Forme au singulier | Forme au pluriel |
---|---|---|
animé | iyiniw (une personne) | iyiniwak (des personnes) |
animé | pisiskiw (un animal) | pisiskiwak (des animaux) |
inanimé | askiy (une terre) | askiya (des terres) |
inanimé | oskihtêpak (une plante) | oskihtêpakwa (des plantes) |
Le genre grammatical d’objets tels que « le citron » et « la framboise » n’est pas évident. Ni l’un ni l’autre n’est en soi masculin ni féminin. Une difficulté comparable se présente en cri, où ayôskan (framboise) est animé, tandis que mitêhimin (fraise) est inanimé. Dans la nature, la framboise n’est pas plus animée que la fraise. En français, en cri et dans toutes les autres langues qui utilisent un genre grammatical, on rencontre des centaines d’exemples où le genre est déterminé de façon arbitraire.
Naturellement, le cri fait la distinction biologique entre les êtres féminins et les êtres masculins aussi bien que l’anglais (le genre grammatical étant par ailleurs totalement absent de la langue anglaise). Toutefois, en cri comme en français, le genre grammatical se soucie peu de la biologie.
L’accord en genre en cri
L’accord est la pierre angulaire du genre grammatical. Il se produit quand un mot change de forme une fois en relation avec d’autres mots. En anglais, on écrira one eats food, peu importe de quelle nourriture il s’agit. En français, on utilisera le verbe « manger » avec un complément tant masculin que féminin.
Dans la langue crie, par contre, le genre s’étend aux verbes. Le genre du nom complément détermine le verbe à employer. (Laissons de côté pour l’instant le fait que l’accord du verbe doit aussi tenir compte du nombre et de la personne.)
Poursuivons avec l’exemple du verbe « manger » utilisé avec des aliments de différents genres. En cri, on emploie le verbe -môw- avec les noms animés et le verbe -mîc- avec des noms inanimés. Pour savoir quel verbe utiliser, il faut connaître le genre de l’aliment mangé. Le tableau qui suit montre des exemples d’accord avec des compléments des deux genres.
Accord du verbe | Genre du complément | Signification |
---|---|---|
nimôwâw ayôskan | animé | Je mange une framboise. |
nimôwâw pahkwêsikan | animé | Je mange du pain. |
nimîcin mitêhimin | inanimé | Je mange une fraise. |
nimîcin mîcimâpoy | inanimé | Je mange de la soupe. |
L’accord en genre est si fondamental en langue crie que presque tous les verbes ont deux formes parallèles, qu’on utilisera selon que l’objet est animé ou inanimé. Même les mots considérés comme des adjectifs en anglais ou en français se présentent en cri comme des paires de verbes soumises aux règles du genre grammatical.
Les réviseurs qui rencontrent des mots cris dans des textes en anglais ou en français doivent donc être conscients du vaste effet du genre grammatical sur la phrase puisque, en plus d’influer sur le nom, le genre détermine même le verbe à employer.