Transcender le paysage pour entrer dans la langue

Publié le 29 avril 2024

En juin dernier, alors que je participais au séminaire « Écriture et territoires d’écriture » à l’Université du Québec à Rimouski, j’ai eu le bonheur de découvrir quelques endroits que je ne connaissais pas, notamment Rimouski, le parc du Bic, Sainte-Luce, les Îles-de-la-Madeleine et l’Île-du-Prince-Édouard. Le contact avec ces lieux allait me permettre de prendre une pause, de me reconnecter avec mon moi intérieur tout en enrichissant mon vocabulaire de locutions locales.

Respirer à fond et s’inventer par le langage

Plusieurs ateliers d’écriture déambulatoires étaient prévus. Dans un atelier en particulier, in situ avec Charles Sagalane à l’Anse-aux-Baleiniers, nous devions trouver un mot qui exprime notre état d’âme. Le verbe « respirer » m’est venu. Par respirer, je voulais dire : prendre une pause, me débarrasser d’un nœud qui semblait m’oppresser, revivre, renaître. « Être » tout simplement. Or, pour « être », il fallait que je me dépossède de ce que je pense avoir pour me rapprocher de moi-même. Je me suis donc livrée au lieu et au moment présent.

Partir à la rencontre de l’écriture
Saisir à bras le corps les mots qui se manifestent
Sans présentation
Ni agencement
Je me crée
Me recrée
Par coups de ratures et de biffures
Je deviens matière
Une histoire qui s’apprend
Et se raconte en même temps

Entrer en résonance avec le lieu

Je respirais également les effluves du fleuve, il n'y a aucun doute, et plus tard, celles de la mer des îles. Cependant, le « respirer » dont je parle venait d’un endroit plus profond : du cœur et de l’âme. Je suis venue de New York pour poursuivre des études supérieures en lettres au Québec parce que j’ai jugé qu’il serait plus enrichissant d’intégrer un environnement francophone. Toutefois, l'installation au Québec s'accompagne de soucis, de frustrations quelquefois, de doutes aussi. En faisant l’expérience du territoire québécois lors de ce séminaire, je laissais les longs mois de recherche et les soucis de l’adaptation derrière moi. Je « respirais » donc à Rimouski et aux Îles-de-la-Madeleine. C’était comme si tout ce qui n’avait pas pu être résolu ces deux dernières années en matière d’intégration se résorbait tranquillement et en peu de temps en une sorte de nouveau bien-être. La nature et sa magie fonctionnaient à merveille.

Mon regard s’attarde sur le ciel
Tacheté d’oiseaux piailleurs
Au nord
Une montagne aux falaises effritées
Trempe son pied dans la mer
Je dépose ma mélancolie sur la surface bleutée
À l’instar des outardes
Ballotées au gré des vagues
La ligne est mince
Entre le besoin d’évasion
Et la transcendance

Enrichir son vocabulaire

Dans ma démarche géopoétique, j’ouvrais mes sens à mon environnement et aux découvertes tandis que je gabotais aux Îles. Si vous vous demandez ce que « gaboter » signifie, il s’agit d’une des expressions que j’ai apprises là-bas et qui signifie « marcher au hasard, sans but; vagabonder ». Vous voyez donc qu’on ne finit jamais d’apprendre le français, car ses variantes sont nombreuses dépendamment de l’endroit où l’on se trouve. À ce propos, il est important ici de faire le rapprochement entre langue et intelligence d’esprit chez nous humains, en revisitant les propos de Joachim du Bellay dans sa Défense et illustration de la langue françaiseNote de bas de page 1.

Donc les langues ne sont nées d'elles-mêmes en façon d'herbes, racines et arbres, […] toute leur vertu est née au monde du vouloir et arbitre des mortels. […] on ne doit ainsi louer une langue et blâmer l'autre : vu qu'elles viennent toutes d'une même source et origine, c'est la fantaisie des hommes, et ont été formées d'un même jugement, à une même fin : c'est pour signifier entre nous les conceptions et intelligences de l'esprit.

Alors, la prochaine fois que vous visitez les Îles-de-la-Madeleine, soyez cœureux, n’hésitez pas à utiliser les expressions locales pour enrichir votre vocabulaire et à vous émoyer sur leur histoire. Et si vous vous demandez encore une fois de quoi je parle, c’est parce que vous n’avez pas compris que « cœureux » s’emploie à la place de « courageux » et que « émoyer » signifie « informer ».

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En savoir plus sur Jeanie Bogart

Jeanie Bogart

Née en Haïti, Jeanie Bogart y a étudié le journalisme et travaillé comme reporter, présentatrice et rédactrice de nouvelles avant de mener une carrière d’interprète et d’écrivain aux États-Unis. Installée au Canada depuis 2020, elle poursuit ses études supérieures en lettres à l’Université du Québec à Trois-Rivières. Chroniqueuse au Cochaux Show, Jeanie fait partie de l’administration de la revue L’Alinéa, produite par l’Association des auteures et auteurs de l’Estrie.

 

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