La méthode grammaire-traduction est vraisemblablement celle qui a la plus longue tradition dans l’enseignement des langues étrangères (L2) en Occident; elle a aussi été connue sous le nom de méthode classique, car ses origines remontent à l’enseignement des langues classiques. Malgré un déclin subi en raison d’une forte opposition de la part d’un mouvement dit « de réforme », cette méthode est encore en vogue au 21e siècle, notamment sous la forme de manuels qui adoptent un modèle du type « version-grammaire » (par « version », on entend la traduction de la langue étrangère à celle de l’apprenant [L1]). Pensons, par exemple, à la méthode Mentor ou à la collection « Sans peine » de la maison Assimil.
Quelle a été l’évolution de la méthode grammaire-traduction, notamment sous la forme version-thème, au fil des siècles, et quels sont les principes qui la sous-tendent? (Le « thème » est la traduction vers la L2.) Voici les questions auxquelles nous voudrions donner quelques pistes de réponse dans ce billet.
La méthode grammaire-traduction au 18e siècle
Selon Claude Germain, professeur émérite à l’Université du Québec à Montréal, le point de départ de l’étude d’une L2, à partir du 18e siècle, était un texte en langue étrangère découpé en parties, traduit mot à mot dans la langue de l’apprenant (L1) et accompagné de remarques grammaticales, tout comme nous le trouvons dans les manuels d’Assimil. Cette présentation didactique du contenu (version-grammaire) dénote le remplacement de l’approche grammaticale déductive (les règles avant les exemples) par une grammaire inductive. En effet, l’apprentissage inductif nécessite que l’on étudie des cas d’application (les textes en L2) pour ensuite en dégager des règles. C’est en ce sens que l’on pourrait parler, métaphoriquement, d’enseignement implicite, car, dans la version-grammaire, on ne formule pas explicitement les règles avant de montrer des exemples à analyser. Cependant, il serait peut-être abusif de parler véritablement d’approche implicite ou intuitive, car l’intuition présuppose une connaissance obtenue sans avoir parcouru « les étapes de l’analyse, du raisonnement ou de la réflexion ».
La traduction pédagogique
Selon Jean-Pierre Cuq, la traduction pédagogique, dont les techniques classiques sont le thème et la version, peut avoir, selon le moment didactique où on l’emploie, une valeur d’apprentissage ou une valeur d’évaluation. La version (traduction de la L2 en L1) permet, avant tout, de contrôler la compréhension, alors que le thème (traduction de la L1 en L2) permet de mettre en pratique les connaissances grammaticales de l’apprenant.
Origine et évolution des manuels bilingues
La tradition qui inspire les manuels du type version-thème remonte jusqu’à Rome, où apparaissent, au 3e siècle, les Hermeneumata, manuels bilingues qui contiennent, entre autres, des dialogues simples présentés en deux colonnes, à savoir, la traduction latine et le texte grec en regard. Ce recours aux dialogues s’inspire peut-être de la tradition grecque; pensons, en effet, aux dialogues de Platon.
Au Moyen Âge, les maîtres de langue enseignent le latin en s’inspirant des Hermeneumata et créent les « colloques », c’est-à-dire, des manuels de conversation. Vers le 16e siècle, apparaissent en Angleterre les « manuels doubles » visant l’enseignement du français comme langue de prestige chez les jeunes aristocrates anglais. Un exemple de ces manuels est le « manuel de Caxton » : ouvrage contenant des dialogues et des portraits qui illustrent des situations quotidiennes. Les textes étaient présentés en français et en anglais, parfois en deux colonnes séparées, parfois de manière alternée, ligne après ligne, dans les deux langues. Blanchet ajoute que les dialogues des manuels doubles (ou livres de manière) étaient souvent rimés et commentés en latin.
Aux 16e et 17e siècles, certains auteurs, dont Giles du Guez ou John Locke, critiquent fortement l’apprentissage d’une langue étrangère par l’étude de règles de grammaire et recommandent un enseignement (plutôt déductif) par la lecture de traductions interlinéaires de dialogues ou de textes adaptés au niveau des apprenants. L’ordre de présentation des langues varie d’un auteur à l’autre : tantôt les lignes écrites en L2 précèdent celles en L1, tantôt l’ordre est l’inverse. Cette technique de traduction interlinéaire se poursuit jusqu’au 20e siècle. Un exemple bien connu de cette technique se retrouve justement dans les manuels Mentor, où la traduction interlinéaire (d’abord en L2 puis en L1) est accompagnée d’une prononciation restituée et de notes en bas de page.
L’histoire de l’évolution des méthodologies d’enseignement et d’apprentissage de langues étrangères est passionnante et permet d’éclairer le fonctionnement des manuels et des méthodes que nous utilisons quotidiennement. La méthode grammaire-traduction est-elle souvent présente dans vos pratiques d’enseignement ou d’apprentissage? Quelles en ont été vos expériences? Vos commentaires seront très appréciés.
Sources
Voir les sources consultées
- BESSE, Henri. « Des techniques d’enseignement / apprentissage des langues étrangères, et de l’exemple de la traduction interlinéaire » (PDF), Synergies Chine, vol. 6, no 1 (septembre 2011), p. 13-23.
- GERMAIN, Claude. Évolution de l’enseignement des langues : 5000 ans d’histoire. Paris, Clé International, 1993, 350 p.
- « Intuition », Trésor de la langue française informatisé, ATILF – CNRS et Université de Lorraine.
- LARSEN-FREEMAN, Diane. Techniques and Principles in Language Teaching. Hong Kong, Oxford University Press, 1986, 142 p.
- Panorama des méthodologies (enregistrement vidéo), réalisé par Philippe Blanchet, Université Rennes 2/CNED–Pôle EAD, 53 min, 2001.