J’ai bien failli ne plus jamais écrire… Et pourtant… Toute jeune, j’aimais composer des phrases, de petites histoires, et même des poèmes. Mais un jour, je reçus ce qu’on pourrait appeler une douche froide. Permettez que je vous raconte.
J’avais alors 9 ou 10 ans, je crois, et j’aimais lire les quelques écrits destinés aux enfants. Je connaissais certaines fables de La Fontaine dont je ne saisissais sans doute pas le sens, mais qui m’attiraient. Ce jour-là en classe, la maîtresse, c’est ainsi qu’on l’appelait à l’époque, nous demanda de faire une composition dont le sujet serait « une visite au cimetière ». J’imagine que c’était au mois de novembre, mais le sujet était loin de m’intéresser, et je n’étais sans doute pas la seule de la classe à penser ainsi. Je n’étais jamais allée au cimetière, mais je savais reconnaître la peine, les larmes, la tristesse infinie que j’avais vues dans les yeux de ma mère lors de la perte d’un membre de sa famille. Je connaissais les jours de l’An tristes, si tristes que j’en suis restée marquée à jamais. Chaque année, on pleurait celui ou celle qui n’était plus là.
Devant mon cahier ligné, je cherchais l’inspiration avec l’obligation d’accomplir mon devoir de bonne écolière. Et j’écrivis… un poème sur le fameux sujet imposé. Je me souviens de cette première ligne, naïve, mais issue de ce bagage de tristesse découlant de la mort que j’avais vue si souvent rôder chez ma grand-mère : « Toute la nuit les nuages avaient pleuré… »
Je remis mon devoir, satisfaite d’avoir réussi à écrire quelques lignes. Quelle ne fut pas ma surprise, le lendemain, de constater que la maîtresse me demandait de venir devant la classe! D’un air grave, elle me fit monter sur la tribune. Je compris aussitôt qu’elle n’avait pas aimé mon devoir. Elle prit mon cahier et le jeta sur son bureau en me disant qu’elle ne pourrait pas donner plus de la moitié des points pour cette composition qu’elle ne corrigerait même pas. Un poème, imaginez vous donc, alors que je ne savais pas ce que c’était, moi qui n’avais jamais étudié la poésie. Je revins à ma place en pleurs, et j’eus de la difficulté à en parler à mes parents. À ce moment, je compris que je ne savais pas écrire. Que je ne le saurais jamais.
Une suite surprenante…
Des années plus tard, je repris goût à l’écriture et je poursuivis mes études afin de devenir enseignante de français. J’ai tenté, avec succès je crois, d’inculquer ce goût de la lecture et de l’écriture à mes élèves du secondaire. Je me suis heurtée à certains écueils, ayant dû modifier un sujet de composition brillamment suggéré par une collègue : décrivez votre chambre! Je savais que certaines de mes élèves vivaient dans des conditions difficiles et n’avaient pas de chambre, même pas un bout de couloir comme espace personnel. Comment les intéresser sans les décourager ou les humilier à leur tour? Le sujet transformé devint : décrivez un lieu que vous aimez.
Parallèlement à mes activités d’enseignement, j’entrepris une carrière en communication qui devint mon activité principale, mon gagne-pain, pendant une vingtaine d’années. J’ai écrit, écrit encore, écrit sans relâche.
Je suis heureuse de mon parcours, mais surtout heureuse d’avoir un jour repris goût à l’écriture dont je ne cesse de découvrir les vertus. Écrire fait du bien. Écrire permet de ne jamais être seul, même en confinement. Il m’arrive de repenser à cette maîtresse… J’ose croire que j’aurai été la seule à perdre de nombreuses années à ne pas jouir de ce pouvoir, de ce bonheur qui nous vient des mots qu’on aligne. J’en parle aujourd’hui pour rappeler l’importance de l’encouragement dans le cheminement d’un enfant, d’un jeune adolescent. Les enseignants ne sont plus comme la maîtresse de ma jeunesse, je le sais. Leur rôle n’est-il pas d’accompagner? De soutenir les efforts? De susciter le goût de la découverte, l’envie de créer, le besoin de s’exprimer?
L’écriture nourrit l’âme. Je suis plus que jamais persuadée que l’écriture, par la richesse de la langue, par la créativité qu’elle suscite, ouvre l’esprit. Ne pas éteindre la flamme, encourager la passion pour l’écriture chez les jeunes, n’est-ce pas un beau défi à relever? Puisse-t-il être compris par les adultes que nous sommes. Ne soyons pas des éteignoirs!