La langue, porteuse d’inspiration

Publié le 13 juin 2022

Pour célébrer la Journée nationale des peuples autochtones, nous vous présentons Elisapie Isaac, auteure-compositrice-interprète et réalisatrice inuk. Rencontrée lors des Rendez-vous de la Francophonie, en mars dernier, elle nous confie en quoi les différentes langues qu’elle parle l’inspirent et nous présente les auteurs et auteures qui l’ont marquée. Voici un regard sur son univers créatif.

L’apport des langues

Les parents d’Elisapie ont décidé dès son jeune âge qu’elle apprendrait le français. Elle évoque avec tendresse ses enseignantes du primaire, qui lui ont transmis leur passion pour la langue. Elle s’exprime aujourd’hui en français par envie, par amour et par respect pour les gens qu’elle côtoie, puisqu’elle habite maintenant Montréal.

« Je parle français par amour, pour l’ouverture vers l’autre. Pour moi, ça ne s’arrête pas à la langue. La langue amène de l’immensité, de la culture – elle élargit mon univers. J’adore parler français, j’aime les différentes possibilités que cette langue m’offre. Parce que c’est tout ce que je désire faire, m’exprimer. C’est comme si je ne m’exprimerai jamais assez! C’est une envie, un besoin viscéral qui fait partie de ma personnalité. Parler inuktitut, français et anglais me permet de jouer avec les mots. Tout le vocabulaire auquel j’ai accès me permet de mieux m’exprimer. »

Comprendre la philosophie et la culture derrière les langues autochtones

Si vous voulez apprendre une langue autochtone, Elisapie propose de commencer votre parcours en approfondissant vos connaissances des peuples et communautés autochtones du pays. Pour elle, l’acquisition d’une nouvelle langue passe par le contact humain et par l’immersion dans la culture de ses locuteurs et locutrices. Elisapie souligne également l’importance de l’humilité, de la curiosité et de l’envie d’aller à la rencontre de l’autre. Elle explique que les rapports humains réels et la transmission des connaissances sont essentiels à l’apprentissage d’une nouvelle langue.

« Honnêtement, l’apprentissage des langues autochtones est difficile. Plutôt que d’apprendre la langue, il serait tellement plus beau et important de créer un rapport avec les gens […]. Commencer tout simplement par prendre conscience de la culture autochtone et sa philosophie. Par exemple, s’informer sur la nation qui habite où on a grandi. À mes yeux, ce serait un premier pas. »

Langue et inspiration

Sur son dernier album, Elisapie propose majoritairement des chansons en inuktitut, mais aussi en anglais et en français. L’émotion guidant l’inspiration, Elisapie sait instinctivement quelle langue utiliser pour exprimer l’intensité, le trouble ou la tendresse. Elle passe d’une langue à l’autre avec naturel, au gré de sa sensibilité. Chaque langue a son utilité et une énergie qui lui est propre. Bien qu’au début, elle ait trouvé difficile de marier musique pop et inuktitut, avec le temps, elle a acquis une aisance, atteint l’équilibre entre le rythme et la langue. Le français offre selon elle une façon plus structurée et réfléchie de créer.

« Je trouve le français très complexe, je suis instinctive, mais il devient vite très clair pour moi quel est le sujet et qui je veux interpeller. Par exemple, dans ma chanson en français Ton vieux nom, que j’ai coécrite avec Natasha Kanapé Fontaine, j’avais l’impression que ce texte était pour le public québécois et francophone. C’est à eux que j’avais envie de parler et de m’adresser. Pour moi, c’était un espace où j’avais un dialogue avec les gens qui me connaissent et avec qui j’ai des discussions tous les jours. »

L’auteure-compositrice ne passe pas des heures à réfléchir, crayon en main. Elle admet créer instinctivement, se laissant emporter par le sentiment du moment. Ses chansons prennent forme dans la langue qui s’impose.

« Lorsque j’écris, je me pose la question : "Est-ce que ça sort naturellement en anglais, en français ou en inuktitut?" Mon instinct me dicte la langue à choisir. Dernièrement, j’écris souvent en anglais ou en inuktitut. Ces langues m’offrent un éventail d’émotions plus facile à m’approprier, un univers plus large peut-être. »

La littérature qui inspire

Lorsque nous lui avons demandé quels textes ou personnalités littéraires ont eu une influence dans sa vie, l’auteure-compositrice a marqué un temps de réflexion. « Il y en a eu plein! » Elle nomme en premier lieu l’auteur Frank McCourt, dont les écrits autobiographiques l’ont happée. À la lecture de son œuvre, Elisapie a clairement vu un lien entre la vie décrite par l’auteur et celle des Autochtones.

« J’ai eu l’impression de comprendre qui étaient les Irlandais. C’est un auteur qui parle de la pauvreté, de sa relation dysfonctionnelle avec son père alcoolique, mais qui écrit avec beaucoup d’humour en même temps. Pour moi, c’était comme si je lisais le texte d’un Autochtone qui essaie lui aussi de survivre dans le dysfonctionnel, mais qui a une bonne tête et un esprit assez grand pour se dire : "Je vais m’en sortir, je vais trouver une façon." »

Elisapie nous parle ensuite de la poésie de Joséphine Bacon, qui la touche profondément et la rassure. Elle considère la poétesse originaire de Pessamit comme une sage. Elle affectionne particulièrement les textes qui rendent hommage au territoire innu et adore ceux qui traitent du vieillissement, du passage au statut d’Aîné ou d’Aînée.

« Je crois que tous les gens qui vieillissent devraient lire Joséphine Bacon, parce qu’il y a une peur incroyable de vieillir dans la société. Chez les Autochtones, c’est l’opposé. Il y a quelque chose de beau à s’abandonner au temps, à devenir sage, à conseiller les autres. C’est une place qu’on nous donne qui est magnifique. Je crois que Joséphine Bacon devrait être notre professeure à tous. Elle m’a beaucoup marquée. »

Danny Laferrière a, quant à lui, bouleversé Elisapie avec L’énigme du retour.

« J’ai eu l’impression qu’il racontait ma vie. Il parle des exilés, mais, parfois, nous avons l’impression que nous sommes des exilés, ici, dans notre propre pays. »

Nous vous invitons à lire ou à relire le billet Elisapie : La femme au cœur de la tradition, qui nous présente une autre facette d’Elisapie Isaac, et à vous tenir au fait des projets de l’artiste, dont l’univers créatif touche les gens de différents peuples.

Avertissement

Les opinions exprimées dans les billets et dans les commentaires publiés sur le blogue Nos langues sont celles des personnes qui les ont rédigés. Elles ne reflètent pas nécessairement celles du Portail linguistique du Canada.

En savoir plus sur Joanne Leclair

Joanne Leclair

Joanne Leclair est agente des communications au Portail linguistique du Canada. Autodidacte aguerrie comptant plus de 20 ans d’expérience en gestion d’entreprise, elle ne rate aucune occasion d’apprendre et de laisser libre cours à sa créativité. Membre d’un trio d’enfer au Portail, elle coordonne le blogue Nos langues et participe à différents projets de promotion. Elle se passionne pour la lecture, la nature et le chocolat, pas nécessairement dans cet ordre.
 

Écrire un commentaire

Veuillez lire la section « Commentaires et échanges » dans la page Avis du gouvernement du Canada avant d’ajouter un commentaire. Le Portail linguistique du Canada examinera tous les commentaires avant de les publier. Nous nous réservons le droit de modifier, de refuser ou de supprimer toute question ou tout commentaire qui contreviendrait à ces lignes directrices sur les commentaires.

Lorsque vous soumettez un commentaire, vous renoncez définitivement à vos droits moraux, ce qui signifie que vous donnez au gouvernement du Canada la permission d’utiliser, de reproduire, de modifier et de diffuser votre commentaire gratuitement, en totalité ou en partie, de toute façon qu’il juge utile. Vous confirmez également que votre commentaire n’enfreint les droits d’aucune tierce partie (par exemple, que vous ne reproduisez pas sans autorisation du texte appartenant à un tiers).

Participez à la discussion et faites-nous part de vos commentaires!

Commentaires

Il n’y a aucun commentaire pour l’instant.

Français