Je suis né en Colombie-Britannique de parents ayant immigré au Canada : ma mère est originaire de l’Australie et mon père de la Turquie. Ainsi, jusqu’à l’époque de mon séjour à Jonquière, dont je vais vous faire le récit, je m’exprimais en anglais et en turc. Même si j’avais grandi à Vancouver, une ville multiculturelle diversifiée, je n’avais appris le français ni à l’école primaire ni à l’école secondaire. Honnêtement, je suis un peu gêné de vous confier que je ne parlais pas français du tout.
Après mes études en droit, j’ai déménagé à Ottawa où j’ai obtenu un poste dans la fonction publique fédérale. Je n’étais pas bilingue au moment d’entrer en fonction, mais je m’engageai à atteindre un niveau de bilinguisme fonctionnel au terme d’une période de deux ans. C’est vers la fin de cette période que je commençai à ressentir de la panique : je devais apprendre le français. Mon anxiété linguistique augmentait. Je devais agir. À ce moment-là, j’ai eu la chance de participer à un programme d’immersion de six semaines à Jonquière, au Saguenay–Lac-Saint-Jean. Il s’agissait là d’un privilège formidable pour apprendre le français.
Perfectionniste de nature, je ressentais une pression énorme. Il fallait absolument que j’apprenne cette langue. Beaucoup de gens croyaient en mes capacités, et je n’allais quand même pas les décevoir. Plus je voulais exceller, plus mon anxiété linguistique augmentait. J’essayais de saisir toutes les occasions de pratiquer en classe, avec mon professeur et dans ma famille d’accueil. J’étudiais sans relâche et je ne voyais pas suffisamment d’amélioration. Mon niveau de frustration rivalisait avec mon niveau d’anxiété. C’était pénible!
Le grand découragement
Un soir, j’ai craqué. Je me souviens très bien de la scène. Dans ma chambre au papier-peint à motifs cachemire, j’ai éclaté en sanglots et je me suis dit que c’était fini. J’étais vraiment incapable d’apprendre quoi que ce soit! Mon découragement était tel que j’étais sur le point de tout abandonner, ma formation et ma carrière. Je m’imaginais en train d’échouer mes tests de langue et de perdre mon travail. Je me voyais même retourner vivre chez mes parents en Colombie-Britannique. Tous ces efforts pour rien! C’était un moment difficile, même si je peux en rire aujourd’hui.
Les leçons apprises
Après cet épisode de grand découragement, j’ai constaté que je venais de me rendre un grand service. J’avais découvert le lâcher-prise. Une énorme pression venait de disparaître, et j’ai décidé de ne plus éprouver de stress à l’idée d’apprendre le français. De toute façon, c’était moi-même qui m’imposais cette pression.
Une des choses que j’ai découvertes, c’est qu’apprendre une langue n’est pas uniquement un processus intellectuel. Nous ne pouvons pas simplement lire des livres et nous attendre à assimiler une nouvelle langue. Il faut sortir de notre cocon et vivre avec cette langue, parce que l’apprentissage est la somme de nos expériences. À partir de cette prise de conscience, j’ai profité pleinement du privilège qui m’avait été offert d’étudier à Jonquière.
Il me fallait accepter de faire des erreurs, de répéter ou de reformuler mon message pour mieux me faire comprendre. La pression que nous nous imposons est notre pire ennemie. Elle engendre de l’anxiété linguistique qui nous empêche de communiquer dans la langue que nous apprenons. Les gens avec qui nous parlons ne retiendront pas les fautes de conjugaison que nous pouvons faire. Ils retiendront l’essentiel du message. Alors, ne cherchons pas la perfection!
Mon expérience personnelle à Jonquière a été enrichissante pour cette prise de conscience non seulement en apprentissage du français, mais aussi dans bien d’autres aspects de ma vie où je cherchais sans cesse à me surpasser. J’ai appris qu’il était important non seulement de me fixer des objectifs réalistes, mais également d’accepter que ça n’aille pas aussi vite que je le voudrais.
Ne soyons pas si durs envers nous-mêmes. Il faut nous réjouir de chacun de nos petits succès, être fiers du chemin parcouru et ne pas laisser l’anxiété prendre le dessus.