Bonjour! Je m’appelle Caroline et je suis une hypocrite linguistique.
Un peu de contexte vous aidera sans doute à comprendre cet aveu!
J’enseigne l’anglais comme langue seconde depuis plus de 17 ans. Chaque jour, je travaille avec des fonctionnaires de la région de la capitale nationale. Je les aide à atteindre leurs objectifs linguistiques et à obtenir la cote de compétence linguistique qu’ils convoitent.
Je donne à mes élèves quatre règles très simples qui s’appliquent à quiconque apprend une langue : faites de votre mieux, soyez courageux, n’ayez pas peur de rire de vous-même, et appliquez ces règles chaque fois que vous en avez l’occasion. Ça paraît relativement facile, n’est-ce pas? Du moins, c’est l’impression que j’en avais… jusqu’à ce que ce soit mon tour de parler ma langue seconde, le français.
En plus d’enseigner, je travaille comme actrice. Au cours des 20 dernières années, j’ai aussi eu plusieurs contrats comme guide touristique et journaliste pour la télévision. On peut donc dire sans exagérer que je manie bien la langue anglaise. Mais le français? C’est une autre paire de manches.
Je joue actuellement dans une troupe de théâtre d’Ottawa qui fait du théâtre de type « in situ ». Cela signifie que nous présentons des pièces dans des maisons historiques, des musées et d’autres sites semblables, et que nous interprétons le rôle de personnes qui ont réellement existé et qui ont contribué à l’histoire de ces lieux. La pièce comprend toujours une intrigue qu’on ne pourra dénouer qu’avec l’aide du public. Celui-ci se déplace avec les acteurs à l’intérieur du lieu où se déroule la pièce. Nous avons bien sûr un texte de base, mais nous comptons aussi beaucoup sur le dialogue improvisé entre les acteurs, de même qu’entre les acteurs et le public.
Je trouve ce type de théâtre très stimulant, du moins en anglais. L’idée de faire une pièce de ce genre en français me donnait vraiment la frousse. J’étais terrifiée, figée par la peur. Et si j’oubliais mon texte et que je n’arrivais pas à improviser quelque chose? Et si un spectateur me disait quelque chose qui me laisse sans voix ou que je ne comprenne pas? Et si…, et si…! Ces pensées tourbillonnaient sans cesse dans mon esprit.
Dans mon for intérieur, je savais que c’était ce que vivaient toutes les personnes qui apprenaient une deuxième langue. Dieu sait combien de fois j’ai connu ce genre de situation quand je vivais à Montréal! Et puis… m'être fait dire par une bonne amie que j’étais la seule personne qu’elle connaisse dont le français se soit dégradé pendant son séjour dans la Belle Province n’avait pas été la chose la plus géniale pour la confiance en soi.
Je me suis donc attelée à la tâche comme un général qui planifie une campagne. J’ai mémorisé mon texte français avec application, allant jusqu’à l’enregistrer pour le faire jouer en boucle pendant mon sommeil (je vous le jure… ça marche!). J’ai aussi demandé à un ami bilingue de parler français avec moi et de me suggérer des répliques « improvisées » qui conviendraient à mon personnage (une vieille médium colérique).
La veille de la première, j’ai appris que 12 billets avaient été vendus pour la représentation de 16 heures. Le sort en était jeté.
Réunie en début d’après-midi, toute la distribution a répété la pièce une dernière fois en français. J’avais déjà prié les deux acteurs chevronnés de la troupe de s’en tenir au texte et de limiter au minimum l’improvisation avec moi, car je craignais de perdre mes moyens.
La répétition s’est bien passée. L’acteur le plus expérimenté nous a fait son petit mot d’encouragement… puis ce fut l’heure d’aller enfiler nos costumes.
En coulisses, avant de monter sur les planches, j’ai écouté ma partenaire de scène interagir avec les spectateurs et leur demander d’où ils venaient.
Montréal, Québec, France.
J’ai pris une grande respiration et je me suis lancée.
Après avoir prononcé ma première réplique, j’ai soudainement oublié tout ce que je devais dire ensuite. J’ai regardé ma partenaire de scène d’un air suppliant, en ouvrant des yeux qui devaient être grands comme des soucoupes. Celle-ci (que sa bienveillance soit louée!) a déclamé la phrase suivante et m’a mise sur la piste pour que je me rappelle la suite. À partir de là, plus rien ne pouvait m’arrêter.
Les spectateurs étaient prêts à se divertir et, surtout, à participer au récit. Ils sont entrés dans le jeu, ont été indulgents pour les erreurs que j’ai pu faire, se sont montrés enthousiastes et généreux.
Les mots me manquent pour décrire le soulagement et la fierté que j’ai ressentis quand nous avons fait le dernier salut. C’était la première des trois représentations prévues ce jeudi-là; l’adrénaline m’a soutenue jusqu’à la fin de la soirée.
La confiance qui m’habitait après ce spectacle ne m’a plus quittée. Quelques semaines plus tard, je me suis retrouvée à la gare d’Édimbourg, en Écosse, à bavarder de manière décontractée avec une famille de quatre personnes originaire de Lyon. J’avoue que notre échange a un peu tourné au franglais, mais nous avions tant de plaisir à échanger sur nos vacances et nos découvertes que ça importait bien peu.
Quel est donc le message que je cherche à vous transmettre ici? Eh bien, pour paraphraser la fameuse « pièce écossaise » de Shakespeare (que ma superstition d’actrice m’empêche de nommer), quand vient le temps de parler sa langue seconde en public, il faut prendre son courage à deux mains! Oui, vous allez sans doute faire des erreurs, mais vous serez fier d’avoir au moins essayé.
Avez-vous déjà eu le courage d’employer une langue que vous ne parlez pas tout à fait couramment? Comment cela s’est-il passé? Racontez-moi votre expérience!
Traduit par Marc-André Descôteaux, Portail linguistique du Canada