De la France au Québec : mon intégration linguistique

Publié le 13 novembre 2018

Fraîchement débarquée au Québec depuis mon Paris natal, me voilà confrontée aux défis de l’immigration. Traductrice de formation et de métier, je parle le français (ma langue maternelle), l’anglais et l’italien.

À première vue, sur le plan linguistique, l’intégration ne devrait pas poser de problèmes. Or, la réalité est bien plus subtile pour qui s’intéresse à la communication interculturelle.

Prenons le seul cas des différences d’expressions entre le français québécois et le français de France (FF). Transposons ces expressions à une journée de travail type.

Tout d’abord, avant de décrocher un emploi, on passe des entrevues (entretiens en FF) dans une compagnie (entreprise). On me laisse savoir (on me tient informée) pour la suite…

Bonne nouvelle! Je suis embauchée. Je commence donc ma journée par un déjeuner (petit-déjeuner), je pars à la job (au travail), j’arrive, je dis « Bon matin! » (Bonjour!) à mes collègues. J’allume mon ordinateur et consulte mes courriels (e-mails) et j’y réponds en concluant non pas par un froid « Cordialement » mais par « Au plaisir », ce qui est, soit dit en passant, bien plus chaleureux. Le midi, je dîne (déjeune) avec mes collègues québécois, on niaise (on plaisante). Une heure pendant laquelle je me retrouve aussi en immersion totale dans le langage québécois avec lequel je me familiarise. Quand vient vendredi, nous nous souhaitons une bonne fin de semaine (un bon week-end). D’ailleurs, je n’aurais pas une fête (un anniversaire) à célébrer samedi?

Dans le fond, « c’est pas si pire », on s’adapte! On dit, à ce propos, que la culture française est une culture d’adaptation. C’est pourquoi on fait aussi attention à ses tics de langage dans sa langue d’origine. Le plus emblématique serait peut-être le « du coup » qui, dès qu’il est prononcé, nous ramène automatiquement à notre condition de Français. Ce « du coup » est si profondément ancré dans mon langage qu’il m’est encore impossible de le remplacer par « dans le fond » ou « fait que », mais je ne désespère pas! Et puis, une langue, avec ses tics, ne serait pas aussi un marqueur d’identité? Nous y reviendrons…

Ce qui me frappe surtout dans le français québécois, c’est le paradoxe entre un attachement quasi viscéral à la langue française et l’usage d’expressions littéralement traduites de l’anglais. J’en ai cité quelques-unes comme « bon matin » (good morning), « laisse-moi savoir » (let me know) et « fin de semaine » (weekend), mais il y aussi « bienvenue » (you’re welcome) en réponse à « merci » quand le Français de France répondra d’instinct « de rien ».

Cette dichotomie rend le français québécois fascinant du point de vue sociolinguistique. Dans un pays à forte présence anglophone, collé aux États-Unis, le français du Québec fait figure de farouche résistant à l’omniprésence de la langue de Shakespeare.

Dans un monde où les frontières s’effacent, où l’humanité semble s’uniformiser, la langue est l’un des derniers remparts contre la normalisation, qui se dresse à la défense d’une histoire et d’une identité propres.

Ce désir de préserver la francophonie au Canada a des avantages majeurs. Outre son rayonnement international, notre langue commune est un formidable outil d’intégration. Elle permet de limiter le déracinement et de faire nôtre un pays dont nous ne sommes pas originaires, mais qui nous accueille à bras ouverts.

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Julie Labille

Julie Labille vient de Paris et a immigré au Québec en juillet 2018. Traductrice de formation et de métier, elle est passionnée des langues. Elle nourrit aussi une passion pour les cétacés et consacre une grande partie de son temps libre à leur défense à travers l’association C’est assez. Elle a découvert le Portail linguistique grâce à TERMIUM Plus®, qui lui sert quotidiennement dans son travail. C’est donc naturellement qu’elle a décidé d’intégrer le blogue pour transmettre sa passion des langues et apporter, à son échelle, sa contribution à son nouveau pays, le Canada.

 
 

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Soumis par François Tardif le 23 novembre 2018 à 17 h 40

Bienvenue au Québec Julie ! Ce paradoxe sociolinguistique dont tu parles — excuse-moi si je te tutoie, mais on a le tutoiement plus facile ici que dans l’Hexagone —, l’attachement quasi viscéral à la langue française et l’usage d’expressions calquées sur l’anglais, n’est pas un phénomène propre au Québec. Nous nous sommes battus pour notre langue, certes, mais la démographie, le contexte politique environnant et la force d’une langue telle que le français au niveau international ont sûrement contribué à la préservation du français québécois.
Ce qui le rend si particulier c’est qu’il a pu non seulement se maintenir, mais aussi prospérer tout en étant imbriqué dans un monde anglo-saxon. Il est dès lors inévitable que notre langue soit teintée d’anglicismes.
Partout où une langue côtoie étroitement une autre langue aussi prévalente et omniprésente, elle aura tendance à en « absorber » les mots, les expressions et aussi la syntaxe (d’où les calques que tu rapportes), surtout après des siècles de contact. Avec le temps, de nombreux calques tels que « fin de semaine » se sont bien implantés et ne sont plus considérés fautifs. Après tout, « weekend » résonne-t-il plus « français »? L’usage et la pérennité décident finalement de l’acceptabilité des calques. « Bon matin » ne jouit certainement pas encore de cette autorité; trop jeune et pas assez répandu!
Et n’oublions pas que des siècles de proximité avec l’anglais ont instillé et larvé de nombreux calques dans notre parler au point où même les gens éduqués ont du mal à les reconnaître!

Soumis par Charles Campeau le 14 novembre 2020 à 15 h 45

Il n’y a pas que le français ou l’anglais qui ont eu une influence sur le parler québécois. Je fais de la généalogie et une dame nommée Fabas m’a contacté pour des renseignements sur l’ancêtre qui lui a légué son nom de famille. Elle a même fait des recherches sur place à Castelmayran en Tarn-et-Garonne, anciennement la Gascogne. Quand elle a prononcé son nom, Fabasse, l’archiviste toute étonnée lui a répondu qu’elle l’avait prononcé en occitan et non en français. En français, le « s » final n’est pas prononcé. Quand d’autres visiteurs arrivaient, l’archiviste s’empressait de leur raconter l’incroyable nouvelle, qu’après 340 ans de vie au Canada, nous prononçons notre nom de famille en occitan.
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