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Résultats 1 à 10 de 36 (page 1 de 4)

Organisation ou organisme?

Un article sur la différence entre les termes organisation et organisme
Gérard Asselin (L’Actualité terminologique, volume 16, numéro 5, 1983, page 3) Ces deux termes sont-ils synonymes quand il s’agit de désigner des associations?Organisme Le terme organisme est ainsi défini :Ensemble organisé de la vie sociale ou politiqueNote de bas de page 1.Organe important ou ensemble d’organes. Ex. : organisme de retraites, organisme payeur…Note de bas de page 2 De nos jours, organisme tend à devenir abstrait pour désigner un ensemble, un groupement ou une association. Dans l’administration fédérale, l’usage tend à remplacer agence par organisme pour rendre le terme anglais agency. En voici quelques exemples tirés des lois fédérales :Agency means a water quality management agency.Organisme désigne un organisme de gestion de la qualité des eauxNote de bas de page 3.Approved instalment credit agencyOrganisme agréé de crédit à tempéramentNote de bas de page 4Provincially approved agencyOrganisme approuvé par la provinceNote de bas de page 5Export credit agencyOrganisme de crédit à l’exportationNote de bas de page 6Selling agencyOrganisme de venteNote de bas de page 7Federal agencyOrganisme fédéralNote de bas de page 8 La banque de terminologie du Bureau, pour regulatory body, donne organisme directeur, organisme de régie, organisme réglementaire, organisme investi de pouvoir de réglementation. Le terme organisme a d’autres équivalents en anglais. Il se rend parfois par authority, body, corporation, organization (of a society).Organisation Le Petit Robert définit ainsi le mot organisation : « Association qui se propose des buts déterminés. » En pratique, organisation s’emploie concrètement pour désigner une association importante sur le plan international :Organisation des Nations Unies Organisation des États américains Organisation du Traité de l’Atlantique Nord Organisation européenne de coopération économique Organisation internationale de police criminelle (Interpol) Organisation africaine et malgache de coopération économique Organisation de l’aviation civile internationale Organisation des territoires de l’Asie du Sud-Est Organisation internationale du commerce Organisation internationale du travail Organisation internationale pour les réfugiés Organisation mondiale de la santé Organisation pour l’alimentation et l’agricultureOrganisation désigne aussi une association de très grande envergure sur le plan national. En voici quelques exemples français :Organisation scientifique du travail Organisation scientifique du travail en agricultureDans les lois fédérales canadiennes, organisation rend le terme anglais organization sur le plan international :Organization means (b) any international organization of which Canada is a member.Organisation désigne (b) toute organisation internationale dont le Canada fait partieNote de bas de page 9. Le terme organisation se rend parfois en anglais par : body (organized body of workers), build-up (military build-up – NATO). Bref, de nos jours organisme tend, sur le plan abstrait, à désigner une association; il rend aussi le terme agency. Organisation tend à désigner, sur le plan concret, une association internationale, ainsi qu’une association très importante à l’échelon national.RéférencesNote de bas de page 1 Grand Larousse encyclopédique.Retour à la référence de la note de bas de page 1Note de bas de page 2 CILF, Vocabulaire de l’administration, 1972.Retour à la référence de la note de bas de page 2Note de bas de page 3 Statuts révisés du Canada 1970, 1er suppl., c.5.Retour à la référence de la note de bas de page 3Note de bas de page 4 S.R.C. 1970, N-10.Retour à la référence de la note de bas de page 4Note de bas de page 5 S.R.C. 1970, c.1.Retour à la référence de la note de bas de page 5Note de bas de page 6 S.R.C. 1970, E-18.Retour à la référence de la note de bas de page 6Note de bas de page 7 S.R.C. 1970, A-6, W-9.Retour à la référence de la note de bas de page 7Note de bas de page 8 S.R.C. 1970, 1er suppl., c.5.Retour à la référence de la note de bas de page 8Note de bas de page 9 S.R.C. 1970, P-22.Retour à la référence de la note de bas de page 9
Source : Chroniques de langue (la langue française vue par des langagiers)
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Jurilinguiste, terminologue-juriste et terminologue juridique : un problème terminologique?

Un article sur la distinction entre jurilinguiste, terminologue–juriste et terminologue juridique
Iliana Auverana (L’Actualité terminologique, volume 36, numéro 3, 2003, page 31) La complexité du langage du droit est un phénomène fort connu, et l’étude de ce langage est née de la nécessité d’aplanir les difficultés de communication dans le domaine du droit. Or, cette nécessité se fait plus pressante en contexte de bilinguisme et de bijuridisme, comme c’est le cas au Canada. En système de corédaction, on fait appel à des spécialistes ayant une double compétence juridique et linguistique, qui sont de plus en plus sollicités par suite des décisions de la Cour Suprême en matière de droits linguistiques, plusieurs provinces ayant l’obligation de rendre leurs textes législatifs accessibles dans les deux langues officielles. C’est ainsi que le ProgrammeNote de bas de page 1 national d’administration de la justice dans les deux langues officielles (PAJLO) naît en 1981Note de bas de page 2 et avec lui, la nécessité de recourir à des spécialistes également compétents en terminologie. Suit l’établissement graduel, de 1981 à 1994, de centres de jurilinguistique et d’associations de juristes d’expression française de common law dans six provinces.La jurilinguistique au Canada Pour comprendre le rôle actuel du jurilinguiste, il est important de préciser ce que l’on entend par jurilinguistique. Selon Jean-Claude Gémar, professeur à l’Université de Montréal, « la jurilinguistique a pour objet principal l’étude linguistique du langage du droit sous ses divers aspects et dans ses différentes manifestations, afin de dégager les moyens de définir les techniques propres à en améliorer la qualité, par exemple aux fins de traduction, rédaction, terminologie, lexicographie, etc., selon le type de besoin considéré. C’est dire que le jurilinguiste s’intéresse tout particulièrement aux questions d’ordre sémantique, syntaxique et stylistique de l’écrit juridique »Note de bas de page 3. Au ministère de la Justice du Canada, le jurilinguiste participe à la rédaction en parallèle de projets de lois et de règlements tout en assurant la qualité linguistique et stylistique ainsi que la concordance des deux versions. Il a en outre la responsabilité d’effectuer des recherches, de donner des avis terminologiques et d’élaborer des dossiers de terminologie spécialiséeNote de bas de page 4. Dans les centres de jurilinguistiqueNote de bas de page 5, les jurilinguistes offrent des services de révision, de rédaction, de consultation et de terminologie. En même temps, ces centres mettent à la disposition des juristes d’expression française, travaillant en contexte de common law, un ensemble de ressources leur permettant de mieux exercer leur profession.Juriste linguiste et jurilinguiste : nuances et équivalents Le terme jurilinguistique et la fonction de jurilinguiste sont nés au Canada dans les années 1970Note de bas de page 6. En Europe, on parle plutôt de « linguistique juridique » et de juristes linguistes (avec ou sans trait d’union). Mais selon Gérard Cornu, le champ d’étude de la « linguistique juridique » est plus vaste : « celle-ci englobe non seulement l’étude linguistique du langage du droit, mais celle du droit du langageNote de bas de page 7 »Note de bas de page 8. Au Canada, le jurilinguiste est appelé en anglais jurilinguist. Cet équivalent ne semble poser aucune difficulté au pays. La Cour suprême et la Cour fédérale font appel à ces spécialistes. En Europe, par contre, la traduction anglaise du terme juriste linguiste n’est pas claire. Le Conseil de l’Europe a recours à des jurist-linguists pour la vérification des textes juridiques à travers tout le processus de négociation jusqu’à la signature par le président du Parlement européenNote de bas de page 9. Cependant, EurodicautomNote de bas de page 10, base de données terminologiques de la Commission européenne, donne comme équivalent de juriste linguiste le terme lawyer-linguist. Celui-ci fait de la traduction juridique. Il doit avoir un diplôme en droit; les exigences linguistiques sont élevées, mais une formation formelle n’est pas nécessaire. On trouve les lawyer-linguists à la Cour de Justice des Communautés européennesNote de bas de page 11.Terminologue juridique, juriste terminologue et terminologue-juriste : pas seulement un jeu de mots En termes généraux, les terminologues exécutent les recherches nécessaires pour répertorier les termes propres à un domaine, les définir et en chercher les équivalents dans une autre langue; fournissent des services de recherche ponctuelle pour répondre aux besoins particuliers des traducteurs, des interprètes et des rédacteurs; préparent des glossaires, des lexiques, des dictionnaires, des vocabulaires et des fichiers terminologiques et alimentent les bases de données terminologiques; gèrent et mettent à jour le contenu de la base de données terminologiques dont ils se servent. Pour accéder à la profession de terminologue, l’intéressé doit remplir l’une des conditions suivantes : posséder un baccalauréat en traduction ou en linguistique; posséder un diplôme universitaire dans une discipline connexe; ou avoir suivi des cours de transfert linguistique et acquis deux ans d’expérience à temps plein en traductionNote de bas de page 12. La terminologie juridique constitue un champ de spécialisation pour la personne ayant une formation dans les disciplines mentionnées ci-dessus. L’appellation terminologue juridique est donnée par l’Office national de la classification des professions comme un exemple d’appellation d’emploi dans la catégorie de traducteurs/traductrices, terminologues et interprètesNote de bas de page 13. Le terminologue-juriste ou juriste terminologue doit avoir un diplôme universitaire en droit et une très bonne connaissance du système juridique canadienNote de bas de page 14. En contexte de travail, le terminologue-juriste ou juriste terminologue est appelé à faire une analyse poussée des notions juridiques pour établir la terminologie et la synonymie dans une langue et l’équivalence dans l’autre. De plus, le terminologue- juriste doit faire des recherches terminologiques ponctuelles et proposer des solutions aux problèmes terminologiques présentés par les traducteurs juridiques et, le cas échéant, participer aux travaux de normalisation de la terminologie juridique dans l’administration canadienne. Le terme juriste terminologue est utilisé par le PAJLO sur son site Web pour désigner la personne-ressource au Bureau de la traduction qui fournira des services d’appui terminologique dans le cadre des « travaux de normalisation du vocabulaire français de la common law »Note de bas de page 15. Le Bureau de la traduction utilise plutôt le terme terminologue-juriste, car la fonction première est la terminologie. L’équivalent anglais de terminologue juridique est legal terminologist d’après la Classification nationale des professions (CNP)Note de bas de page 16. Cependant, on a relevé ce terme comme équivalent de terminologue-juriste. Le PAJLO donne comme équivalent de juriste terminologue le terme lawyer-terminologist, qui est plus approprié, car l’équivalence entre « juriste » et « lawyer » est très évidente.Conclusion Les professions de jurilinguiste, de terminologue-juriste et de terminologue juridique se chevauchent par moments, le point commun étant la recherche terminologique. Le type d’analyse terminologique est cependant plus poussé dans les deux premières professions. La différence entre ces trois professions réside dans la formation universitaire et l’axe principal des responsabilités.Le terminologue-juriste détient nécessairement un diplôme en droit, tandis que le jurilinguiste et le terminologue juridique possèdent un diplôme en traduction ou en linguistique ou dans une discipline connexe, mais un diplôme en droit demeure un atout incontestable pour le jurilinguiste. Le travail du terminologue-juriste est plus axé sur la recherche et l’analyse des notions terminologiques, alors que celui du jurilinguiste porte plus sur la rédaction, la révision et l’établissement de la concordance dans les deux langues des textes juridiques.Iliana AuveranaRéférencesNote de bas de page 1 Le PAJLO est devenu Programme en 1987. Au début, il s’appelait Projet.Retour à la référence de la note de bas de page 1Note de bas de page 2 Internet. www.pajlo.org/fr/qui/origines.htm. « PAJLO : Qui sommes-nous? : Origines ».Retour à la référence de la note de bas de page 2Note de bas de page 3 Internet. www.clf.gouv.qc.ca/Publications/PubF104/F104P1ch3.html. Jean-Claude GÉMAR, « Fonctions de la traduction juridique en milieu bilingue et langage du droit au Canada » dans Langage du droit et traduction : essais en jurilinguistique.Retour à la référence de la note de bas de page 3Note de bas de page 4 Internet. canada.justice.gc.ca/fr/dept/pub/aud/legis/lppg3a.html.Retour à la référence de la note de bas de page 4Note de bas de page 5 Il y en a quatre au Canada : le Centre de traduction et de terminologie juridiques de l’université de Moncton (CTTJ); le Centre de traduction et de documentation juridiques de l’Université d’Ottawa (CTDJ); le Centre de recherche en droit privé et comparé du Québec (CRDPCQ) et l’Institut Joseph-Dubuc de Winnipeg.Retour à la référence de la note de bas de page 5Note de bas de page 6 Internet. www.canada-justice.net/fr/dept/pub/recru/page35.html.Retour à la référence de la note de bas de page 6Note de bas de page 7 Cornu fait une distinction entre l’étude du langage du droit (étymologie, morphologie, grammaire, syntaxe, sémantique, terminologie et stylistique) et l’étude du droit du langage, soit le droit en tant que force créatrice du langage ou de normalisation juridique.Retour à la référence de la note de bas de page 7Note de bas de page 8 CORNU, Gérard. Linguistique juridique, Paris, Montchrestien, 1990, p. 17.Retour à la référence de la note de bas de page 8Note de bas de page 9 Internet. www.europarl.eu.int/code/information/tasks_en.pdf. « Service of the Conciliation Secretariat ».Retour à la référence de la note de bas de page 9Note de bas de page 10 Internet. europa.eu.int/eurodicautom/Controller.Retour à la référence de la note de bas de page 10Note de bas de page 11 Internet. www.curia.eu.int/en/instit/services/traduction/recrutement.htm.Retour à la référence de la note de bas de page 11Note de bas de page 12 Internet. www.23.hrdc-drhc.gc.c/2001/f/groups/5125.shtml. « Classification nationale des professions ».Retour à la référence de la note de bas de page 12Note de bas de page 13 Idem.Retour à la référence de la note de bas de page 13Note de bas de page 14 Bureau de la traduction, Direction de la terminologie et de la normalisation (DTN). Document interne.Retour à la référence de la note de bas de page 14Note de bas de page 15 Internet. www.pajlo.org/français/quisomme/annexeb.html.Retour à la référence de la note de bas de page 15Note de bas de page 16 Op. cit. Note 8.Retour à la référence de la note de bas de page 16
Source : Chroniques de langue (la langue française vue par des langagiers)
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Taxinomie ou taxonomie? Quand l’usage s’emmêle

Un article sur les termes taxinomie et taxonomie
Marie D’Aoûst (L’Actualité langagière, volume 2, numéro 4, 2005, page 12) L’étude théorique des bases, des lois, des règles et des principes d’une classification s’appelle taxinomie. Ou serait-ce plutôt taxonomie? Les deux termes s’équivalent-ils? La question se pose… TraversNote de bas de page 1, Fischer et ReyNote de bas de page 2, ainsi que la plupart des spécialistes de la langue française qui se sont penchés sur le sujet, recommandent d’écrire taxinomie. Toutefois, bon nombre d’ouvrages généraux modernesNote de bas de page 3 ont de leur côté adopté une certaine neutralité, considérant les deux termes comme des variantes orthographiques. Qu’en est-il vraiment?Taxonomie : un anglicisme? Selon plusieurs auteurs, taxonomie est un anglicisme. C’est l’avis du Robert électronique, pour qui ce mot vient de l’anglais taxonomy. On peut donc se surprendre de lire dans le Merriam-Webster que le terme taxonomy, créé en 1828, provient du français taxonomie (créé en 1813). L’Office québécois de la langue française relève également cette curiosité dans Le grand dictionnaire terminologiqueNote de bas de page 4 sous la fiche taxonomie :Certains en déconseillent même l’emploi parce qu’ils le considèrent comme un calque de l’anglais taxonomy. Or, la plupart des dictionnaires anglais indiquent que taxonomy vient du français taxonomie. Toujours du côté de l’anglais, le Oxford English DictionaryNote de bas de page 5 reprend l’étymologie du Webster et attribue l’origine du mot taxonomy à la langue française, plus précisément à de Candolle (1813)Note de bas de page 6. On nous renvoie toutefois aussi à taxinomy, qu’on définit de cette façon : «  A more etymological form of Taxonomy ». Le Online Etymology DictionaryNote de bas de page 7, en plus de faire la même remarque sur l’origine française du terme, prend soin de préciser l’erreur étymologique liée aux racines grecques (taxo- plutôt que taxi-).taxonomy1828, from Fr. taxonomie (1813), introduced by Linnæus and coined irregularly from Gk. taxis "arrangement" (see taxidermy) + -nomia "method," from -nomos "managing," from nemein "manage" (see numismatics). Est-ce à dire qu’en anglais aussi on privilégierait taxinomy? L’usage semble prouver le contraire. Mais peut-on s’y fier? J’y reviendrai plus loin. Enfin, le Trésor de la langue française considère également taxonomie comme un anglicisme, mais souligne son usage répandu en biologie.L’Académie des Sciences déconseille l’anglicisme taxonomie, qui est cependant la forme la plus fréq. utilisée par les biologistes. En ling., seule la forme taxinomie est employée.Taxinomie et taxonomie : de simples variantes? Jusqu’ici il s’avère difficile de qualifier taxonomie d’anglicisme, vu les contradictions ou interprétations différentes constatées dans les sources consultées. D’autant plus que certaines sources francophones sont muettes à ce sujet. Ainsi le Grand dictionnaire encyclopédique Larousse se contente-t-il, sous la vedette taxinomie, de la remarque suivante : « On dit aussi taxonomie ». Et à la rubrique taxonomie, on trouve un renvoi à taxinomie. Une seule entrée à taxinomie dans le Robert Brio, où taxonomie est simplement présenté comme une variante orthographique : « TAXINOMIE ou TAXONOMIE ». Quant au Dictionnaire encyclopédique QuilletNote de bas de page 8, il relève l’erreur étymologique contenue dans taxonomie (quant à la racine), mais ne considère pas le terme comme un anglicisme. Il signale également l’usage répandu de taxonomie et fait une mise en garde : « Ce terme est traditionnel mais de formation irrégulière et l’on devrait écrire taxinomie ». Enfin, certains ouvrages sont catégoriques à un point tel que le terme taxonomie n’apparaît pas dans leur plus récente édition. C’est le cas entre autres du MultidictionnaireNote de bas de page 9.Taxonomie : une anomalie lexicale? Les spécialistes de la langue sont unanimes, taxonomie est incorrect sur le plan étymologique, et la plupart s’entendent sur le fait qu’on ne saurait justifier l’emploi de taxonomie (1813) en se basant sur le mot taxon, puisque ce dernier a été créé après, soit en 1864. Or, l’Office québécois de la langue française (Le grand dictionnaire terminologique) soutient que :En effet ce mot a été créé par un botaniste suisse, A. P. de Candolle, en 1813 (dans le Traité élémentaire de la botanique), à partir de taxon, et par la suite, on a tenté d’en rectifier la forme en le remplaçant par le mot taxinomie. Fait intéressant, TraversNote de bas de page 10 affirme que taxonomie n’a pas sa raison d’être même si on utilise taxonomia en espagnol, tassonomia en italien, Taxonomie en allemand et taksonomiya en russe, invoquant entre autres la recommandation du terme taxinomie par l’Académie des Sciences (source anonyme, 1957). Voilà qui ouvre la porte à bien des discussions.Taxinomie ou taxonomie? Qu’en est-il de l’usage? Une recherche sommaire dans Google permet de constater que taxonomie, avec ses 224 000 occurrences, est d’un usage beaucoup plus fréquent que taxinomie, qui en compte 41 100. Cette recherche démontre clairement une préférence marquée pour taxonomie. Une simple question d’euphonie, de tradition, d’ignorance? Comment savoir? Une chose est certaine cependant : le terme taxonomie et la notion qu’il désigne dans le domaine scientifique semblent être compris autant par les initiés que les non-initiés. En est-il de même pour taxinomie? Peut-on croire qu’à force d’enseignement il soit possible de renverser la vapeur et de faire dérailler la locomotive de l’usage? Le terme taxinomie détrônera-t-il un jour son rival taxonomie? Difficile à croire. Car comme l’écrit TraversNote de bas de page 11 :Dans le langage scientifique même, il n’est pas rare que l’usage l’emporte sur la logique, parfois aussi sur une certaine tradition. Sans perdre de vue, comme le concluent si bien Fischer et ReyNote de bas de page 12, que :[…] ce n’est pas le purisme, mais simplement la rigueur qui conseille de parler de taxinomie. Mais il ne nous appartient évidemment pas de décider de la forme qui sera retenue. Cela est du ressort des spécialistes de la science des classifications. Alors pour l’instant, on peut conclure que l’usage, à l’encontre de la rigueur, consacre actuellement taxonomie, et que plusieurs ouvrages du XXe siècle constatent l’équivalence des termes taxinomie et taxonomie.RéférencesNote de bas de page 1 Marc Travers, La banque de mots, 1981, nº 21, p. 3 à 18, « Sur quelques questions de terminologie scientifique ».Retour à la référence de la note de bas de page 1Note de bas de page 2 J.L. Fischer et R. Rey, Documents pour l’histoire du vocabulaire scientifique, 1983, nº 5, p. 97 à 113, « De l’origine et de l’usage des termes taxinomie – taxonomie ».Retour à la référence de la note de bas de page 2Note de bas de page 3 Par exemple, Le Grand Larousse de la langue française, 1978, t. 7, contient un article taxinomie et signale que l’on trouve aussi taxonomie, sans porter de jugement.Retour à la référence de la note de bas de page 3Note de bas de page 4 www.granddictionnaire.comRetour à la référence de la note de bas de page 4Note de bas de page 5 J.A. Simpson and E.S.C. Weiner, The Oxford English Dictionary, 1989, vol. XVII, p. 682.Retour à la référence de la note de bas de page 5Note de bas de page 6 A. P. de Candolle, Traité élémentaire de la botanique, 1813.Retour à la référence de la note de bas de page 6Note de bas de page 7 www.etymonline.comRetour à la référence de la note de bas de page 7Note de bas de page 8 Dictionnaire encyclopédique Quillet, (1977), p. 6711.Retour à la référence de la note de bas de page 8Note de bas de page 9 Dans sa 4e édition (2003), l’édition la plus récente lors de la rédaction de ce texte.Retour à la référence de la note de bas de page 9Note de bas de page 10 Marc Travers, op. cit., p. 9.Retour à la référence de la note de bas de page 10Note de bas de page 11 ibidem, p. 4.Retour à la référence de la note de bas de page 11Note de bas de page 12 J.L. Fischer et R. Rey, op. cit., p. 113.Retour à la référence de la note de bas de page 12
Source : Chroniques de langue (la langue française vue par des langagiers)
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De la vérification à l’audit

Un article sur le terme audit qui a remplacé le terme vérification dans le domaine comptable.
Cathryn Arnold et Vincent Halde (L’Actualité langagière, volume 9, numéro 1, 2012, page 10) En mai 1983, le Comité de terminologie française de l’Ordre des comptables agréés du Québec (OCAQ) a publié un bulletin terminologique sur le terme auditAller à la remarque a, dont l’usage en français était déjà courant en raison de l’influence d’entreprises multinationales américaines. Voici la position de l’OCAQ par rapport à cet emprunt :Au niveau canadien, ces mots [vérification et vérificateur] n’ont aucun concurrent sérieux, et nous ne sentons pas la nécessité de les abandonner au profit du mot « audit », un emprunt dont l’avenir est loin d’être assuré malgré sa vogue actuelleNote de bas de page 1. Vous aurez deviné que ce qui était vrai à l’époque ne l’est plus aujourd’hui. Les variantes entre la terminologie comptable de la France et celle du Canada s’expliquaient autrefois par les différences entre les systèmes juridiques, les principes comptables généralement reconnus et les normes de vérification généralement reconnuesAller à la remarque b des deux pays. Ce n’est que dans la foulée de la mondialisation économique que la situation a changé avec l’établissement des Normes internationales d’audit (ISA, pour International Standards on Auditing) et des Normes internationales d’information financière (IFRS, pour International Financial Reporting Standards). L’adoption de principes comptables universels répondait au besoin de plus en plus pressant d’améliorer la compréhension mutuelle et la transparence à l’échelle mondiale. Au Canada, le Conseil des normes d’audit et de certification a désigné les ISA à titre de Normes canadiennes d’audit (NCA) pour les audits d’états financiers des périodes closes à partir du 14 décembre 2010. Le passage aux IFRS s’effectue quant à lui en fonction des directives du Conseil sur la comptabilité dans le secteur public et du Conseil des normes comptables. À l’heure actuelle, les entreprises publiques, les entreprises à capital fermé, les entités ayant des activités à tarifs réglementés ainsi que les organismes sans but lucratif doivent les respecter, alors que les sociétés de placement et les fonds distincts des entreprises d’assurance-vie en feront autant à compter du 1er janvier 2013. Les divers intervenants francophones touchés par la traduction de ces deux groupes de normes ont décidé de s’aligner sur des versions communes. Les Services linguistiques de l’Institut Canadien des Comptables Agréés se sont chargés de traduire les IFRS, tandis que le texte français des ISA est le fruit d’une collaboration entre la France, la Belgique, la Suisse et le Canada. Dans les deux cas, l’harmonisation de la terminologie a eu raison des termes vérification et vérificateur. Le Canada est donc actuellement dans une période de transition terminologique. L’OCAQ a d’ailleurs établi un glossaire sur la nouvelle terminologie des NCA, dans lequel l’ensemble des entrées qui comprennent les termes vérification et vérificateur se trouve dans la colonne des anciens termesAller à la remarque c. Il est également pertinent de noter que ces deux canadianismes comportent maintenant la mention « vieilli » dans la troisième édition du Dictionnaire de la comptabilité et de la gestion financière, publiée en 2011. Au Québec, l’adoption du projet de loi 46 sur la comptabilité publique favorise aussi l’implantation du terme auditeur en rendant obligatoire l’emploi du titre « comptable agréé auditeur » ou « CA auditeur » pour les comptables agréés qui exercent la comptabilité publique. Si l’avenir du terme audit au Canada était loin d’être assuré il y a trente ans, la normalisation des normes de comptabilité et d’audit a certainement changé la donne. Pour reprendre une formule bien connue de Grevisse, « l’usage a toujours raison, même quand il a tort ».Résumé chronologiqueAnnéeSourceContenu1980Office de la langue française (Québec)Le terme vérification est retenu pour rendre l’anglais audit.1983Comité de terminologie française de l’Ordre des comptables agréés du QuébecIl n’est pas nécessaire d’abandonner le mot vérification au profit du mot audit.2008Ordre des comptables agréés du QuébecTout rapport de certification ou rapport spécial daté du 15 décembre 2008, ou d’une date ultérieure, devra être signé « CA auditeur » ou « comptable agréé auditeur » par le comptable agréé responsable de la mission.2010Conseil des normes d’audit et de certificationLe Conseil a adopté les Normes internationales d’audit à titre de Normes canadiennes d’audit pour les audits des états financiers des périodes closes à compter du 14 décembre 2010.2011Conseil sur la comptabilité dans le secteur publicLes entreprises publiques doivent adopter les IFRS pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2011.2011Conseil des normes comptablesLes entreprises à capital fermé ont la possibilité d’adopter, pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2011, soit les IFRS, soit les nouvelles Normes comptables pour les entreprises à capital fermé.2012Conseil des normes comptablesLes entités ayant des activités à tarifs réglementés doivent adopter les IFRS depuis le 1er janvier 2012.Les organismes sans but lucratif ont la possibilité d’adopter, pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2012, soit les IFRS, soit les Normes comptables pour les organismes sans but lucratif.2013Conseil des normes comptablesLes sociétés de placement et des fonds distincts des entreprises d’assurance-vie devront adopter les IFRS à compter du 1er janvier 2013.RemarquesRemarque a Le mot audit, qui est un nom masculin, rime avec vite.Retour à la remarque aRemarque b En France, il s’agit des « normes d’audit généralement admises ».Retour à la remarque bRemarque c Fait intéressant, le verbe auditer y est proposé pour rendre l’anglais to audit.Retour à la remarque cRéférencesNote de bas de page 1 « Audit, révision, vérification », Terminologie comptable, vol. 1, no 27, mai 1983, http://ocaq.qc.ca/terminologie/bulletin/volume_1/versionpdf/1-27.pdf. (120 Ko – Aide avec les médias substituts)Retour à la référence de la note de bas de page 1SourcesComité de terminologie française de l’Ordre des comptables agréés du Québec. Terminologie comptable. Le Bordereau. http://ocaq.qc.ca/terminologie/default.asp. Gouvernement du Québec. Règlement sur les conditions d’utilisation des titres d’auditeur et d’auditrice des comptables agréés du Québec, c. C-48, r. 7.1, Éditeur officiel du Québec, à jour au 1er novembre 2011. http://www.canlii.org/fr/qc/legis/regl/rrq-c-c-48-r-7.1/derniere/rrq-c-c.... Institut Canadien des Comptables Agréés. « Les IFRS au Canada ». http://www.icca.ca/ifrs/. Ménard, Louis. Dictionnaire de la comptabilité et de la gestion financière (en ligne), 3e éd., ICCA, 2011. Ordre des comptables agréés du Québec. http://ocaq.qc.ca.
Source : Chroniques de langue (la langue française vue par des langagiers)
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Traduire should

Un article sur la traduction de should
Jacques Desrosiers (L’Actualité langagière, volume 8, numéro 1, 2011, page 21) Pour écrire cet article, j’ai profité des lumières de Sybil Brake, de Kim Lacroix et de Maurice Rouleau, qui ne partagent pas nécessairement mon point de vue sur la question. La question suivante m’a été transmise par une collègue anglophone à qui elle avait été adressée, parce qu’il s’agit en grande partie d’un problème de traduction de l’anglais vers le français. Q. Here are some examples of the use of "should" that we find in the documents coming from the Health Products and Food Branch, Health Canada, an important client of our unit (Médecine). These documents are "Notices of decision" regarding drugs that have recently been approved by the Department. In our mind, "should" and "should not" have a rather prescriptive sense in that context and should (or must!) be translated by "doit" and "ne doit pas," instead of "devrait" and "ne devrait pas." The client insists that we use "devrait."Recothrom should be administered under the conditions stated in the Product Monograph taking into consideration the potential risks associated with the administration of this drug product. [In the following sentence, the author switches to "must".] Recothrom must not be injected directly into the bloodstream.Recothrom devrait être administré selon les conditions décrites dans la monographie de produit, en tenant compte des risques potentiels associés à l’administration de ce produit pharmaceutique. Recothrom ne doit pas être injecté directement dans la circulation sanguine.Prevnar® 13 should be given intramuscularly using the pre-filled syringe (0.5 mL).PrevnarMD 13 devrait être administré par voie intramusculaire au moyen d’une seringue préremplie (0,5 mL).What advice would you have for medical translators? Many do not agree with their client on the appropriate translation of "should" in these examples. R. N’étant pas spécialiste de la langue médicale, je ne peux que dégager quelques constatations générales de l’usage, mais plusieurs raisons m’incitent à me rallier à votre point de vue. À l’évidence, qu’ils s’adressent au personnel médical ou aux usagers, les conseils touchant les médicaments ne sont pas de simples suggestions : ce sont à tout le moins de très fortes recommandations, voire des instructions à suivre. La question est donc de savoir si should et le conditionnel devrait expriment bien cette valeur. Il me semble que la réponse est oui dans le cas de should, alors que le conditionnel français dilue beaucoup trop l’idée d’obligation que ces conseils renferment. Le Grevisse fait remarquer que les verbes qui expriment la nécessité passent au conditionnel « quand on considère comme douteuse la réalisation du fait jugé nécessaire, possible, souhaitable, etc.Note de bas de page 1 ». L’usage montre d’ailleurs que si should sert souvent à formuler une obligation de façon très nette, le conditionnel français ne le fait à peu près jamais. Lorsqu’il est demandé à un patient d’être à jeun avant une prise de sang ou un examen quelconque, comme une échographie, presque toujours quand l’anglais emploie should, le français choisit l’indicatif présent :You should not eat for four hours before the scan.Vous ne devez rien manger dans les quatre heures précédant l’examenNote de bas de page 2. Si vous avouez que vous n’êtes pas à jeun, l’examen sera annulé. Les rédacteurs anglophones sentent should comme suffisamment contraignant dans ce genre de contexte, tandis que du côté français rédacteurs et traducteurs évitent le conditionnel, sans doute parce qu’il donnerait l’impression erronée que le patient a une marge de manœuvre. Le Practical English Usage de Michael Swan consigne cette valeur particulière de should, parmi d’autres emplois : « we often use should to talk about obligation, duty and similar ideasNote de bas de page 3 ». Tout en faisant remarquer qu’il est moins fort que must, Swan précise : « should can be used instead of must to make instructions sound more politeNote de bas de page 4 ». On met des gants blancs pour formuler l’instruction, qui reste une instruction. Il ne faut donc pas là-dessus se fier aveuglément aux dictionnaires bilingues, comme le Robert-Collins qui rend mécaniquement should par le conditionnel dans ses pages de grammaire. On entend un autre son de cloche dans les unilingues. Le Canadian Oxford Dictionary définit l’un des premiers sens de should par l’idée même d’obligation : « to express a duty, obligation ». Selon le Collins-Cobuild, « You use should to give someone an order to do something », exemple : All visitors should register with the British EmbassyNote de bas de page 5. Dans le domaine médical, les exemples ne manquent pas où le caractère impératif de should ne fait aucun doute :Can PICO-SALAX be mixed ahead of time?No, each sachet of PICO-SALAX should only be mixed just before use. Il n’est pas étonnant qu’on le traduise alors par le présent :Peut-on mélanger PICO-SALAX à l’avance?Non. On ne doit mélanger chaque sachet de PICO-SALAX qu’avant son utilisationNote de bas de page 6. Il en va ainsi dans les notices d’emploi d’une foule de médicaments courants. Je donne quelques exemples, suivis du nom de la pharmaceutique qui les produit :DUOFILM should be kept away from fire or flame.Le DUOFILM doit être tenu loin du feu.Stiefel CanadaThis medicine is for your use only and you should not give it to others.Ce médicament est uniquement pour votre usage personnel et vous ne devez en donner à personne d’autre. Ferring[Elidel] should be applied twice a day.[Elidel] doit être appliqué deux fois par jour. NovartisFor best results, you should avoid milk.Pour obtenir les meilleurs résultats, vous devez éviter le lait.Merck FrosstDiabetics should not use this product.Les personnes diabétiques ne doivent pas utiliser ce produit.Johnson & Johnson Plus frappant encore est le fait que should n’est pas si fréquent dans ces notices. Les rédacteurs anglophones préfèrent recourir à l’impératif (Discard after one use), souvent adouci par une formule de politesse (Please discuss this with your doctor), et parfois au présent intemporel (No solid food is allowed). En français, c’est l’infinitif injonctif (Prendre un comprimé deux fois par jour) qui sert le plus souvent à rendre l’omniprésent impératif de l’anglais :Do not take Advil if you are pregnant, unless directed by a physician.Consulter un médecin avant de prendre Advil si vous êtes enceinte. Si bien que lorsque should apparaît en anglais, il semble avoir été mis là simplement par souci de variété et est traduit, outre le présent doit, par diverses expressions, toutes plus fortes et plus claires que le conditionnel, toujours susceptible de laisser l’usager perplexe. Un exemple :Patients with diabetes should not use DUOFILM.L’utilisation du produit est contre-indiquée dans le cas de diabète. En français aussi, quand le conditionnel apparaît, son rôle semble être non pas de formuler un conseil moins important que les autres, mais simplement de rompre la monotonie. Et alors tout le contexte déteint sur lui :Elidel ne doit (should) être utilisé que si les autres thérapies se sont avérées inefficaces… Vous devriez (should) utiliser Elidel tel qu’il vous a été prescrit par votre médecin… On doit (should) mettre fin au traitement par Elidel lorsque les signes… Cette règle de traduction n’est pas exclusive au domaine médical. Quand les instructions à la fin d’un formulaire de demande de bourse ou d’emploi indiquent la date d’échéance à laquelle envoyer la demande, l’anglais recourt aussi bien à should qu’à must. Encore une fois, le premier est moins brutal que le second; mais les deux disent la même chose : un jour de retard, et vous êtes éliminé du processus. Voilà pourquoi l’un et l’autre sont traduits presque systématiquement par doit :Application should be made by 1 November 2010.Les documents … doivent nous parvenir au plus tard le 1er novembre 2010Note de bas de page 7. Le conditionnel est rare. Les documents devraient nous parvenir au plus tard le 1er novembre ne serait guère convaincant, enlevant trompeusement un peu de sa contrainte à l’obligation. Ce genre de consignes indique la marche à suivre. On ne dit pas : vous devriez peut-être envoyer le formulaire à cette date plutôt qu’à une autre. Ce n’est pas un ordre formel, mais pas un simple tuyau non plus. En fouillant dans Google, j’ai remarqué que l’usage anglais emploie applications should be sent (before ou no later than…) cinq fois plus souvent que applications must be sent. En revanche, on dit applications must be received dix fois plus souvent que applications should be received. C’est facile à comprendre. Avec must be received, les auteurs du formulaire s’adressent à eux-mêmes : ils peuvent être fermes. Should be sent s’adresse aux candidats qui envoient la demande : on est poli. Mais l’échéance ne devient pas élastique pour autant. La langue technique ne fonctionne pas différemment, si du moins je me fie aux exemples tirés du site English for Techies, dont je cite un long extrait parce qu’il résume bien la problématique :Le modal should à la forme affirmative sert à exprimer :soit une suggestion, un conseil : If the tool does not function properly, the following troubleshooting chart should be used to locate and correct the trouble : Si l’outil ne fonctionne pas correctement, on utilisera le tableau de recherche de pannes ci-dessous pour localiser et rectifier le défaut The NavTrac receiver should be mounted in a location where the display is easily visible and the keyboard is readily accessible : Il est conseillé d’installer le récepteur NavTrac à un emplacement où l’écran sera bien visible et le clavier facilement accessible (autre trad. : Il convient d’installer…) soit une forte recommandation :Nickel-cadmium cells should be discharged completely before recharging : Les piles au nickel-cadmium doivent être totalement déchargées avant toute rechargeAinsi qu’on peut le constater, le modal should est traduit, dans la langue technique, non pas par devrait, etc., mais, selon l’insistance du rédacteur, par doit , par une périphrase du genre il est conseillé de / il convient de / il y a lieu de, ou par le futur simpleNote de bas de page 8. [c’est moi qui souligne] Apprécions la riche palette d’expressions utilisées pour traduire should. Dans les documents où il est question de la grippe H1N1, l’Agence de la santé publique du Canada elle-même se passe volontiers du conditionnel :If you get flu-like symptoms and are otherwise healthy, you should stay home to recover. Si vous êtes habituellement en bonne santé et que vous présentez des symptômes pseudogrippaux, récupérez à la maisonNote de bas de page 9. Tout comme dans les conseils de santé qu’elle donne aux voyageurs :If you are ill with the flu before you leave Canada or while abroad you should delay your travel. Si vous tombez malade avant votre départ du Canada ou pendant un séjour à l’étranger, reportez vos déplacementsNote de bas de page 10. Comme on le voit sur la même page du site, le conditionnel reprend sa place en français lorsque le conseil ressemble davantage à une suggestion qu’à une prescription :You should consult the Department of Foreign Affairs and International Trade (DFAIT) for further information on whether the country you are travelling to/from has established screening measures. Vous devriez vous informer auprès du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international (MAECI) pour savoir si votre pays de destination ou celui d’où vous partez a prévu des mesures de dépistage. Un document de Santé Canada publié en 2004 au moment de la crise du SRAS traduisait systématiquement should par doit :All "SRI Alerts" should be reported to Health Canada. Toutes les « Alertes de MRS » doivent être signalées à Santé CanadaNote de bas de page 11.A person should be excluded if an alternate diagnosis can fully explain their illness. Une personne doit être exclue si un autre diagnostic peut expliquer entièrement sa maladie. Chacun a toutes les raisons du monde de voir dans tous ces conseils de très fortes recommandations ou des consignes à observer. Advenant des complications, les médecins et le personnel infirmier pourraient se retrouver dans l’embarras s’ils les prennent à la légère. Pour le public, il est plus prudent de considérer les avis donnés par une autorité médicale comme impératifs, peu importe qu’on les suive ou les ignore : il faut comprendre qu’ils ont été écrits avec l’intention qu’ils soient suivis à la lettre. C’est cette idée que should garde intacte. La formulation peut varier, le message est le même : voici ce qu’il faut faire. Le conditionnel devrait sera toujours risqué, parce qu’en atténuant cette valeur d’obligation, il sous-entend : faites comme vous voulez. Voilà sans doute la raison principale pour laquelle de nombreux traducteurs ne traduisent pas should par le conditionnel.RéférencesNote de bas de page 1 Le bon usage, 14e éd., De Boeck-Duculot, 2008, § 889, b, 1º.Retour à la référence de la note de bas de page 1Note de bas de page 2 TEP.Retour à la référence de la note de bas de page 2Note de bas de page 3 3e éd., Oxford University Press, 2005, § 519, 1.Retour à la référence de la note de bas de page 3Note de bas de page 4 § 520, 2.Retour à la référence de la note de bas de page 4Note de bas de page 5 3e éd., 2001.Retour à la référence de la note de bas de page 5Note de bas de page 6 PICO-SALAX.Retour à la référence de la note de bas de page 6Note de bas de page 7 Comment faire la demande [ce lien ne fonctionne plus].Retour à la référence de la note de bas de page 7Note de bas de page 8 Le modal should : emplois et traductions.Retour à la référence de la note de bas de page 8Note de bas de page 9 Principaux faits sur le virus de la grippe H1N1.Retour à la référence de la note de bas de page 9Note de bas de page 10 L’influenza.Retour à la référence de la note de bas de page 10Note de bas de page 11 Détection précoce des infections respiratoires sévères ou émergentes grâce à la surveillance des MRS [ce lien ne fonctionne plus].Retour à la référence de la note de bas de page 11
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Lumières sur un laissé-pour-compte : le terme hakapik

Un article sur le mot hakapik
Gabriel Martin (L’Actualité langagière, volume 10, numéro 1, 2013, page 26) Le terme hakapik n’apparaît pratiquement pas dans les dictionnaires de langue françaiseNote de bas de page 1. Pourtant, il est possible de relever des centaines d’attestations de ce vocable dans un corpus francophone composé de textes journalistiques. Ce laissé-pour-compte dictionnairique serait-il victime de l’ostracisme des mal-aimés? En tout état de cause, il convient d’apporter un nouvel éclairage sur l’emploi de ce terme en français, pour aider les traducteurs qui auront à le côtoyer.La définition En s’inspirant de l’article 28 du règlement canadien sur les mammifères marinsNote de bas de page 2, on peut définir l’hakapik comme un instrument d’assommement utilisé pour la chasse au phoque, constitué d’une hampe au bout de laquelle est fixée une virole pourvue d’une pointe métallique fléchie et d’une projection mornée. Précisons que le terme virole désigne un petit cylindre de métal qui fait office d’embout de fixation, dans notre définition, alors que le terme projection mornée y désigne une projection émoussée, épointée, destinée à contondre, c’est-à-dire à blesser par le choc, sans déchirer ni transpercer la peauNote de bas de page 3. Puisqu’une image vaut mille mots, une illustration accompagne cet article en vue de faciliter l’interprétation de la définition.Hakapik moderne Les analogies Les traducteurs pourront, pour une raison ou une autre, vouloir remplacer le terme hakapik par un quasi-synonyme. Quels choix de termes analogues le lexique français offre-t-il? Le film Les Grands Phoques de la banquiseNote de bas de page 4 (1964) de Serge Deyglun, qui a exalté avec éclat la controverse de la chasse aux blanchons, à l’épicentre de laquelle se trouvait l’hakapik, emploie le terme gourdin, soit un « [b]âton gros et lourd servant à frapper » (Petit Robert). L’emploi de cet hyperonyme sera adéquat dans la plupart des contextes. Bien sûr, il revient toujours au traducteur d’évaluer si la généricité du terme, dans un texte donné, est avantageuse ou si, au contraire, elle porte atteinte à la source originale. De même, comme remplaçant de hakapik, le traducteur pourra employer le substantif féminin gaffe, soit une « [p]erche munie d’un croc et d’une pointe […] servant à […] accrocher le poisson, etc. » (Petit Robert). Cet emploi par extension, on le voit, met l’accent sur le fait que l’hakapik peut aussi servir de perche, pour agripper ou charroyer la peau d’un animal abattu. Enfin, de nombreux autres termes analogues viennent en tête : trique, massue, assommoir, bâton, etc. Dans un but stylistique ou rhétorique particulier, on pourrait, à la rigueur, inventer un néologisme – prenons pour exemple le fantaisiste tue-phoque, formé à l’instar de tue-mouche, « objet employé pour tuer des mouches », et de l’archaïsme littréen tue-chien, « personne qui a pour travail de tuer des chiens ». Un tel emploi néologique doit bien sûr être justifié, sans quoi le lecteur risque d’y voir une bourde de traduction ou une maladresse pure et simple.L’origine et la datation L’étymologie d’un mot permet souvent de mieux le circonscrire. Selon le Random House Webster’s Unabridged Dictionary, hakapik provient du norvégienNote de bas de page 5 :1975–[19]80; Norw[egian] hakepigg,  equiv[alent] to hake hook […] + pigg spike […] Puisque le terme hakapik est attesté dans la francophonie dès le début des années 1970, autant en Amérique du Nord qu’en Europe, on peut supposer, sous toute réserve, qu’il ne s’agit pas d’un emprunt fait par l’intermédiaire de l’anglais, mais bien d’un emprunt direct au norvégien. La première occurrence relevée dans notre corpus se trouve dans un numéro de 1971 de la Revue générale de droit international public, qui rapporte indirectement les propos de la Tribune de Genève du 22 avril de la même année : « les Norvégiens utilisent le hakapik, sorte de crochet monté sur un épieu et dont ils enfoncent la pointe dans le cerveau du jeune phoque après avoir […] assommé l’animalNote de bas de page 6 ».La graphie, la prononciation et l’élision Dans l’usage écrit, on observe l’emploi fréquent de la graphie hakapik, au côté de la plus rare graphie akapik, sans h initial. On relève aussi la variante agapik alors que la graphie hagapik, qui lui fait pendant, est rarissimeNote de bas de page 7. En français, hakapik se prononce [akapik] au Québec et en France. En principe, les origines scandinaves de hakapik commandent la disjonction (l’« aspiration » du h initial), à l’instar de la plupart des germanismesNote de bas de page 8. Le Petit Robert indiquerait donc qu’il faut le prononcer [‘akapik] (remarquez l’apostrophe). La « psilose » (perte de l’« aspiration » à l’initiale) est toutefois fréquente dans l’usage, sûrement en raison de la relative rareté du mot dans la vie de tous les jours et en raison de son absence des dictionnaires généraux. Peut-être que l’aspiration a elle aussi été abandonnée sous l’influence de la forme concurrente agapik. Le Petit Robert indiquerait donc probablement aussi la prononciation [akapik]. En vue de contribuer à l’intégration du mot au français, on privilégiera cette dernière prononciation naturalisée (avec un h muet), tout en admettant bien sûr la prononciation concurrente, que certains pourront juger plus orthoépique et respectueuse de l’origine du mot. À tout prendre, il faut retenir que l’élision des articles et des prépositions placés devant le substantif hakapik est facultative. On notera que, même lorsque l’on opte pour la prononciation sans hiatus, on s’abstient généralement d’élider les formes devant les autonymes. Ainsi, on dit « l’emploi de hakapik par les francophones » alors qu’on peut dire « l’emploi de l’hakapik par les chasseurs » aussi bien que « l’emploi du hakapik par les chasseurs ». Enfin, on notera qu’au regard des rectifications orthographiques de 1990, la graphie akapik doit être privilégiée pour la réalisation en [akapik] alors que la graphie hakapik doit être privilégiée pour rendre [‘akapik]. L’orthographe rectifiée se distingue ainsi de l’orthographe traditionnelle, en excluant l’emploi de la graphie hakapik pour [akapik]. Maintenant que hakapik est bien documenté, il semble prêt à faire son entrée dans les dictionnaires de langue générale. Certains espéreront peut-être tout de même que le mot disparaisse… avec l’objet impopulaire qu’il nomme. L’avenir le dira!L’auteur remercie chaleureusement Chantal Contant pour les précisions apportées au sujet des rectifications orthographiques.Médiagraphie La description de l’usage se base essentiellement sur l’observation des contextes d’emploi dans les journaux Le Devoir, La Presse, Le Soleil, Le Monde, Le Figaro et Libération pour les numéros publiés durant les trente dernières années, soit de 1982 à 2013.Notes et référencesNote de bas de page 1 Il n’apparaît dans aucun des dictionnaires de la langue française consultés, notamment le dictionnaire en ligne Usito, le Grand Larousse encyclopédique, le Grand Robert de la langue française, le Multidictionnaire des difficultés de la langue française, le Petit Larousse illustré, le Petit Robert de la langue française et le Trésor de la langue française. En outre, le terme n’apparaît pas non plus dans le Grand dictionnaire terminologique. À notre connaissance, seul TERMIUM Plus® consigne le terme hakapik et son équivalent anglais homographe; mis à part deux citations dans la fiche anglaise, aucune information supplémentaire n’y est présentée, pour le moment.Retour à la référence de la note de bas de page 1Note de bas de page 2 Un extrait du texte de règlement est cité dans la fiche anglaise de TERMIUM Plus®. On retrouve le texte complet, dans les deux langues officielles, sur le site Web de la législation du ministère de la Justice du Canada, à http://lois-laws.justice.gc.ca/PDF/SOR-93-56.pdf.Retour à la référence de la note de bas de page 2Note de bas de page 3 Permettons-nous, au passage, de rassurer le lecteur accablé devant la sauvagerie de l’arme, qui surgit à la lecture de notre définition, en rappelant le propos d’un article crédible : « Un coup de hakapik sur le crâne d’un phoque semble brutal, mais [selon un groupe de vétérinaires indépendants] sans cruauté s’il est porté rapidement et si l’animal demeure inconscient jusqu’à sa mort » (Michel Bélanger, « Le phoque du Groenland n’est pas menacé », Montréal, Le Devoir, 12 mars 2009, p. A9).Retour à la référence de la note de bas de page 3Note de bas de page 4 Les Grands Phoques de la banquise, Montréal, Artek  Films, 1964, 19 min 7 s. [En ligne : http://archives.radio-canada.ca/environnement/ecologie/dossiers/1023/] (consulté le 30 mars 2013).Retour à la référence de la note de bas de page 4Note de bas de page 5 Random House Webster’s Unabridged Dictionary, 2e édition, Random House, 2001, p. 860.Retour à la référence de la note de bas de page 5Note de bas de page 6 Charles Rousseau, « Chronique des faits internationaux », Revue générale de droit international public, tome LXXV, 1971, Paris, p. 465-554.Retour à la référence de la note de bas de page 6Note de bas de page 7 Nous n’avons relevé que l’apax journalistique hagapik dans Le Devoir du 23 mars 2006 (Louis-Gilles Francœur, « De l’animalisme primaire : Brigitte Bardot déshonore la pensée animaliste », Montréal, Le Devoir, 23 mars 2006, p. A1 et A8).Retour à la référence de la note de bas de page 7Note de bas de page 8 Quelques exemples puisés dans le Petit Robert permettent de confirmer cette règle : pour s’en convaincre, il suffit d’y regarder les transcriptions phonétiques et les rubriques étymologie de hauban, haveneau et hanter ainsi que celles de hagard, harpe et happer.Retour à la référence de la note de bas de page 8
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Réhabilitons nos chevreuils

Un article sur les termes chevreuil et cerf
Philippe Blain et Michel Gosselin (L’Actualité terminologique, volume 18, numéro 10, 1985, page 3) Les traducteurs canadiens formés à l’école de Gérard Dagenais ont appris depuis longtemps à réfréner en eux le réflexe qui leur faisait désigner sous le nom de « chevreuil » le cervidé du Nouveau Monde répondant à l’appellation scientifique d’Odocoileus virginianus. Puisque le véritable chevreuil (Capreolus capreolus) est une espèce confinée à l’Eurasie, on commet un crime de lèse-vertébré en appliquant son nom à une autre espèce, de la même famille il est vrai, mais appartenant à un genre différent. On aurait affaire ici à un péché lexicographique originel : il semble bien en effet que ledit Odocoileus virginianus n’ait jamais porté d’autre nom français que « chevreuil » en Amérique du Nord et ce, depuis le début de la colonisation. Sous le Régime français, ce cervidé ne se rencontrait pas dans les limites du Québec actuel, mais seulement aux confins du Canada d’alors : Grands Lacs, pays des Illinois, vallée de l’Ohio. Ainsi, au milieu du XVIIIe siècle, Bougainville le signale sous le nom de « chevreuil » au lac Champlain, dans une région qui devait représenter à l’époque la limite nord de sa distribution. Notre chevreuil est un animal de forêts broussailleuses et de clairières. L’avancement de la colonisation et le défrichement lui ouvrent bientôt le territoire du Québec, qu’il ne tarde pas à envahir, au XIXe siècle. Le chevreuil s’installe alors chez nous et son nom se généralise, comme en atteste aujourd’hui notre toponymie. Qu’en est-il maintenant du générique cerf, que les traducteurs et les locuteurs bien élevés utilisent aujourd’hui en lieu et place de « chevreuil »? Le nom de « cerf » a été employé dès le XIe siècle pour désigner en propre le cerf d’Europe ou grand cerf, Cervus elaphus. Durant les siècles qui suivirent, on a découvert de par le monde d’autres cervidés, appartenant à d’autres genres que Cervus, et auxquels on a tout bonnement donné le nom de « cerf ». Cette extension de sens du générique français nous a ainsi donné par exemple, le « cerf du père David », Elapharus davidianus, espèce rarissime découverte en Chine par un missionnaire français, et le « cerf axis », Axis axis (à retenir pour le Scrabble), également asiatique. Or, il existe en Amérique du Nord un vrai cerf, tellement semblable à celui de l’Europe que les systématiciens sont généralement d’avis qu’il s’agit de la même espèce. Tout comme le cerf d’Europe, c’est un animal assez grégaire qui évite les régions broussailleuses, préférant les forêts climaciquesNote de bas de page 1 au parterre dégagé. Au XVIIe siècle, ce cerf habitait la vallée du Saint-Laurent. Les chroniqueurs de l’époque faisaient grand état des chasses qu’on lui livrait et le désignaient à juste titre sous le vocable de « cerf », ayant remarqué sa ressemblance avec l’espèce européenne. Avec le déboisement des rives du fleuve, le cerf est disparu rapidement de l’est du Canada, emportant avec lui jusqu’à son nom. Il ne subsiste plus maintenant que dans l’Ouest. Il est donc non seulement approprié, mais souhaitable d’utiliser le mot « cerf » pour désigner correctement cet animal. Le nom de « wapiti », emprunté à une langue amérindienne par le truchement de l’anglais à la fin du XIXe siècle, désigne le même animal mais ne devrait être utilisé que dans le contexte, aujourd’hui minoritaire, où l’on voudrait considérer comme spécifiquement distincts le cerf de l’Ancien Monde et celui d’Amérique (qui deviendrait alors Cervus canadensis). Quand à l’appellation « cerf de Virginie » utilisée pour désigner Odocoileus virginianus, elle est d’origine savante et n’a jamais réussi à supplanter « chevreuil » dans l’usage. En outre, elle ne fait même pas l’unanimité dans la francophonie, puisque beaucoup de français équatoriaux ou hexagonaux lui préfèrent « cariacou » et « cerf cariacou », nom que les Guyanais ont emprunté au tupi il y a plus de deux cents ans. Or voici que la systématique et la paléontologie, dont elle procède, viennent au secours de l’usage canadien. En effet, le chevreuil d’Europe présente de grandes affinités morphologiques avec le nôtre. Ces cervidés qui appartiennent tous deux au groupe des télémétacarpaliensNote de bas de page 2 ont une origine commune, à situer soit en Asie, soit en Amérique. Le Nouveau Monde est d’ailleurs habité exclusivement par des cervidés télémétacarpaliens à l’exception du grand cerf. Ce dernier a, de toute évidence, franchi l’isthme de Béring, de l’Asie à l’Amérique à une époque relativement récente, puisqu’il n’est pas tellement différencié de son homologue européen. On peut donc conclure que le nom de chevreuil est plus approprié que celui de cerf pour désigner les petits cervidés américains et qu’il a sur ce dernier l’avantage de l’usage. Il conviendrait donc à notre avis d’étendre le sens du générique français « chevreuil » au genre latin Odocoileus, ce qui donnerait « chevreuil de Virginie » pour l’espèce de l’est et « chevreuil à queue noire » ou « chevreuil mulet » pour l’espèce de l’ouest (Odocoileus hemonius).RéférencesNote de bas de page 1 C’est-à-dire parvenues au climax, stade final de la succession végétale caractérisé par la maturité et l’équilibre. Il s’agissait en l’occurrence d’érablières à caryers et d’érablières à ormes, dans la classification de Grandtner.Retour à la référence de la note de bas de page 1Note de bas de page 2 Chez les télémétacarpaliens, les métacarpiens latéraux conservent leurs parties distales auxquelles se rattachent les phalanges des doigts II et V, alors que les parties proximales sont atrophiées.Retour à la référence de la note de bas de page 2
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Gens d’ici et gens d’ailleurs : comment les nommer

Un article sur les façons de désigner les personnes nées dans le pays où elles habitent ou non
Louise-Laurence Larivière (L’Actualité langagière, volume 8, numéro 1, 2011, page 36)Ce texte est l’adaptation d’une communication prononcée lors du Congrès de l’Acfas, le 13 mai 2010, dans le cadre de la section Langues et langages. Pour des raisons de clarté, ont été omises les références aux dictionnaires généraux, imprimés et électroniques, aux bases de données terminologiques, aux vocabulaires et aux lexiques spécialisés de même qu’à certains textes de lois.Dans son livre Les pathologies de la démocratie, la philosophe Cynthia Fleury affirme : « Si la démocratie est malade […] c’est aussi parce qu’elle fait preuve du manque de cohérence du langageNote de bas de page 1. » Or, au Canada, cette incohérence se manifeste, notamment, dans la façon de nommer les gens qui y sont nés et ceux qui y sont venus par immigration, soit par des dénominations ambiguës (p. ex. le terme autochtone), soit par des euphémismes (p. ex. l’expression personne issue de l’immigration). Il existe toutefois des termes appropriés, en français, pour nommer les Canadiens et les Canadiennes d’origine ou d’adoption, termes qui respectent, à la fois, les règles grammaticales de la formation des mots et les règles terminologiques de la créativité lexicale.Les gens nés au pays Les gens nés dans un pays s’appellent des autochtones, des natifs/natives ou des naturels/naturelles. Le terme autochtone, qui vient du grec, signifie « né de la terre même » et désigne une personne qui est originaire du pays où elle habite, qui n’est donc pas venue par immigration ni qui n’est de passage. Ce terme polysémique désigne aussi une personne dont les ancêtres ont vécu dans le pays. Le terme natif/native répond à la première définition, mais relève de la langue générale (non des domaines spécialisés de l’immigration et de la citoyenneté), et le terme naturel/naturelle est considéré comme vieilli.Les descendants des premiers occupantsLes descendants des premiers occupants se nomment aborigènes, indigènes et, aussi, autochtones. Tout en ayant le même sens, ces termes n’ont toutefois pas les mêmes emplois. Chez les Grecs, autochtone servait à distinguer les Athéniens, « issus du sol même », des peuples venus d’ailleurs s’établir en Grèce. Il est synonyme d’aborigène. Dans ce sens, l’adjectif autochtone a été enchâssé dans la Loi constitutionnelle de 1982 (Partie II, art. 35, par. 2) : « Dans la présente loi, “peuples autochtones du Canada” s’entend notamment des Indiens, des Inuit [sic] et des Métis du Canada. » C’est également ce terme qui est utilisé, notamment, par l’Organisation des Nations unies, par l’Organisation des États américains et dans le Lexique de la ZLEAAller à la remarque a, où le nom français autochtone est rendu par native people et aboriginal people en anglais, par indígenas en espagnol et par povos indígenas en portugais. Au Canada, les autochtones sont également dénommés membres des Premières Nations. Le terme aborigène, quant à lui, vient du latin ab (« de ») et de origo, -inis (« origine », « naissance »), et signifie « qui est présent dans le pays depuis son origine ». Il désigne un ou une autochtone dont les ancêtres sont considérés comme étant à l’origine du peuplement. Il s’utilise en particulier pour parler des premiers habitants d’Australie, bien qu’il puisse s’appliquer à d’autres premiers occupants. D’ailleurs, c’est ce même terme que l’on retrouve en anglais pour désigner ceux-ci. Il est synonyme d’autochtone, dont il ne diffère que par l’étymologie. Quant au terme indigène, il est également polysémique. Synonyme d’autochtone, il désigne à la fois 1) une personne qui est originaire du pays où elle habite, par opposition aux étrangers, aux immigrants et aux conquérants, 2) une personne qui appartient à un groupe ethnique existant dans un pays avant sa colonisation, par opposition aux colons, et 3) une personne qui est établie depuis toujours sur le territoire qu’elle occupe. Ce terme a toutefois, en français, une connotation colonialiste bien qu’il s’utilise en espagnol et en portugais (indígenas) sans aucune connotation péjorative.Les autres descendantsLes gens nés au pays, autres que ceux des Premières Nations, depuis l’époque de la Nouvelle-France jusqu’à aujourd’hui, s’appellent également des autochtones. L’écueil de cette dénomination tient à sa double acception. Il y a, bien sûr, des termes polysémiques qui sont viables; mais ayant été codifié dans les lois pour désigner, au Canada, les « Premières Nations », ce terme peut être difficilement utilisé par les Canadiens et les Canadiennes nés au pays mais qui ne sont pas d’origine amérindienne ni inuite. Ce terme, devenu trop spécialisé, empêche donc les gens nés au pays d’avoir une désignation qui leur soit propre. De plus, il peut être ambigu, comme dans la phrase suivante : « Peut voter aux élections toute personne ayant la citoyenneté canadienne, qu’elle soit autochtone ou immigrée. » En outre, parmi les termes dénommant les descendants des colonisateurs, il y a, au Québec, celui de Québécois/Québécoises de souche et celui de Québécois/Québécoises pure laine. Ces deux termes désignent les francophones du Québec qui ont pour ancêtres les colons français qui s’étaient établis sur le territoire de l’actuelle province de Québec à l’époque de la Nouvelle-France. Le terme pure laine constitue une métaphore; d’usage familier, il ne cause pas vraiment de problèmes. On ne peut en dire autant du terme de souche. De quelle « souche » parle-t-on en fait? Comme ces descendants ont aussi été appelés Canadiens/Canadiennes au temps de la Nouvelle-France, puis Canadiens français/Canadiennes françaises sous le régime anglais, puis Québécois/Québécoises depuis la Révolution tranquille (années 1960), devrait-on dire de souche française, de souche canadienne, de souche canadienne-française ou de souche québécoise? Cette dernière appellation porte à confusion puisque toute personne née au Québec est de souche québécoise, quelle que soit l’origine de ses ancêtres. Aussi est-elle à rejeter. On pourrait exclure de souche française puisque, déjà en Nouvelle-France, les personnes qui y étaient nées étaient appelées canadiennes pour les distinguer des habitants nés en France. De souche canadienne laisserait croire qu’il s’agit uniquement de toute personne née au Canada. De souche canadienne-française pourrait être le terme le plus approprié bien que French Canadian puisse avoir une connotation péjorative, notamment dans l’expression French Canadian patois, et rappeler une époque où ces « de souche » n’avaient pas un statut très valorisé. Quoi qu’il en soit, ces choix relèvent davantage de considérations politiques que terminologiques. En résumé, pour désigner les gens nés dans un pays (quelle que soit leur ascendance), il y a plusieurs termes pour une même notion, termes qui n’ont toutefois pas le même statut : le terme autochtone relève de la langue spécialisée, le terme natif/native, de la langue générale, le terme naturel/naturelle est vieilli, de même qu’indigène. Pour nommer les gens aussi nés au pays, mais dont les ancêtres étaient les premiers occupants, il y a également plusieurs termes pour cette même notion qui ont une utilisation différente : le terme indigène a une connotation colonialiste, le terme aborigène est surtout employé, en français, pour désigner les premiers habitants d’Australie et le terme autochtone est codifié dans des textes de lois.Les gens venus d’ailleursLes « fleurs » de styleDepuis le dix-huitième siècle, on utilise les termes émigrant et émigré pour désigner des personnes du point de vue du pays qu’elles quittent pour aller s’installer dans un autre pays et immigrant et immigré pour désigner ces mêmes personnes du point de vue du pays qui les accueille. Les termes émigrant, émigré et immigré semblent disparus de la langue courante. C’est peut-être sous l’influence de l’anglais qu’on n’a conservé que celui d’immigrant/immigrante. Aujourd’hui, cependant, on fuit ce terme comme la peste. Dans notre société politiquement correcte, avide d’euphémismes, on lui substitue d’autres termes, soit : ethnique (comme nom); membre d’une communauté culturelle, membre d’une communauté ethnique ou membre d’une communauté ethnoculturelle; membre d’un groupe culturel, membre d’un groupe ethnique ou membre d’un groupe ethnoculturel; membre d’une minorité culturelle, membre d’une minorité ethnique ou membre d’une minorité ethnoculturelle; membre d’une minorité visible et membre d’une population issue de l’immigration ou personne issue de l’immigration. D’abord, le terme ethnique, comme nom, ne peut être utilisé pour désigner un individu. Il s’utilise pour dénommer un peuple d’un certain pays au même titre qu’un gentilé : p. ex. L’ethnique de France est « Français ». Il n’est donc pas valide pour rendre la notion d’immigrant/immigrante. Par ailleurs, la référence à des membres de communautés ou groupes culturels, ethniques ou ethnoculturels, met l’accent sur des caractéristiques qui ne sont pas propres au statut d’immigrant ou d’immigrante des personnes appartenant à ces entités. On laisse supposer, par ces appellations, qu’il n’y a que les immigrants et les immigrantes qui puissent avoir une ethnie et une culture. De plus, membre d’un groupe… est une périphrase longue, lourde, qui ne satisfait pas aux critères de brièveté et de maniabilité propres à la création de nouveaux termes. Quant à l’expression personnes ou populations issues de l’immigration, bien qu’elle fasse référence au statut d’immigrant ou d’immigrante de ces personnes, elle n’en demeure pas moins une circonlocution qui n’exprime pas une réalité d’une manière simple et directe. Elle contrevient donc, également, aux critères de brièveté et de maniabilité de la création lexicale. Une personne appartenant à une minorité visible est une personne qui n’est ni de race blanche, ni Autochtone (du Canada) au sens de la Loi sur l’équité en matière d’emploi (1998). Ce terme ne s’applique pas uniquement aux personnes immigrantes bien que de nombreuses personnes immigrantes venant d’Afrique, d’Asie, d’Amérique latine répondent à cette définition. Quoi qu’il en soit, ce terme met l’accent sur une caractéristique raciale, religieuse, ethnique ou linguistique de ces personnes, mais non sur leur statut d’immigrant ou d’immigrante. De plus, le terme minorité renvoie à un groupe et non à un individu. Ainsi, on ne peut pas dire d’une personne qu’elle est une minorité visible; il faut dire qu’elle est membre d’une minorité visible. Donc, autre périphrase.Les termes propresIl existe pourtant deux termes appropriés pour désigner les personnes nées en dehors du pays où elles habitent. Ces termes sont allochtone et allogène. Le terme allochtone signifie littéralement « terre d’ailleurs », du grec allos, « étranger », et chtonos, « terre ». Il s’oppose à autochtone, qui signifie littéralement « terre d’ici ». Il désigne une personne qui n’est pas née dans le pays où elle habite. Il s’utilise, parfois, depuis les années 1990, en sociologie et en politique, pour remplacer des expressions du type issu de l’immigration ou d’origine étrangère. Il a cours également aux Pays-Bas (allochtoon) et en Belgique (au départ en néerlandais, mais de plus en plus également en français) pour désigner des personnes ou des groupes de personnes d’origine étrangère et peut recouvrir différentes définitions, y compris légales. Le terme allogène, quant à lui, relève du domaine de l’anthropologie et désigne un ou une membre d’un groupe ethnique installé depuis relativement peu de temps sur un territoire et présentant encore des caractères raciaux ou ethniques qui le distinguent de la population autochtone. Il s’oppose à autochtone ou indigène au sens de « personne née dans un pays », mais est tombé en désuétude pour désigner des personnes. En résumé, tous les euphémismes utilisés pour désigner les immigrants et les immigrantes pèchent contre la clarté de l’expression et n’ajoutent rien à la définition de ce qu’est une personne immigrante. De plus, une minorité implique qu’il existe une majorité correspondante. Or, les termes majorité culturelle, majorité ethnique, majorité ethnoculturelle et majorité visible existent-ils? Dans le même ordre d’idées, une minorité ou une majorité visible suppose qu’il y ait une minorité ou une majorité invisible. Tous ces termes n’apportent donc rien sur le plan terminologique. Aussi, il conviendrait d’utiliser le terme allochtone, de préférence à allogène, puisque ce terme bien formé est attesté dans des sources diverses : dictionnaires généraux, lexiques spécialisés, textes de lois dans les Pays-Bas et en Belgique et presse française.Trois catégories Somme toute, les dénominations utilisées pour rendre compte, du point de vue de leur origine, des personnes vivant dans un pays posent bien des problèmes. D’abord, pour les personnes nées au pays, le terme indigène, rare dans ce sens, peut être écarté mais celui d’autochtone, à cause de son caractère légal pour dénommer les descendants des premiers occupants d’un pays, entre en conflit avec le sens de « toute personne née dans un pays ». Aussi le terme autochtone pourrait quand même désigner les deux groupes de natifs en lui ajoutant le terme aborigène pour les natifs d’origine indienne, inuite ou métisse, ce qui permet d’éviter toute confusion. Quant aux termes qui désignent les personnes nées ailleurs que dans le pays où elles habitent, nous écartons tous les euphémismes formés à l’aide de périphrases ou de circonlocutions pour ne retenir que le terme traditionnel immigrant/immigrante et le terme allochtone remis à la mode. Ce dernier a l’avantage de former une paire de mots dérivés, allophone/allochtone, et de pouvoir s’unir à autochtone pour former l’opposition autochtone/allochtone, qui constituera les dénominations des gens d’ici et des gens d’ailleurs. Ainsi, pour relever le défi de Cynthia Fleury, citée au début de ce texte, soit celui d’associer cohérence du langage et régime politique, on aurait, au Canada, trois catégories de citoyens et de citoyennes : des autochtones aborigènes, des autochtones et des allochtones.RemarqueRemarque a Zone de libre-échange des AmériquesRetour à la remarque aRéférencesNote de bas de page 1 Fayard, 2005, p. 213.Retour à la référence de la note de bas de page 1
Source : Chroniques de langue (la langue française vue par des langagiers)
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Fédéral-provincial ou fédéro-provincial?

Un article sur la non-implantation de l’expression fédéro-provinciale
Jacques Desrosiers (L’Actualité langagière, volume 2, numéro 1, 2005, page 18) La très grande majorité des traducteurs à qui l’on montre l’expression fédéro-provincial, où fédéro est écrit à la manière de boléro, écarquillent d’abord les yeux, parce qu’ils ne l’ont jamais vue, puis font la grimace. Pourtant l’expression existe depuis vingt-cinq ans. Elle a été créée par les jurilinguistes du ministère de la Justice au moment de la révision des loisNote de bas de page 1. Le moins qu’on puisse dire est qu’elle n’a pas « pris ». Mais comme la Justice l’utilise, elle a fait son chemin dans certains textes de loi. Ainsi, à l’article 21 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, il est énoncé : Sous réserve d’un accord fédéro-provincial visé au paragraphe 9(1), devient résident permanent la personne à laquelle la qualité de réfugié… La Partie I de la Loi sur les ressources en eau parle de programmes fédéro-provinciaux. La Loi canadienne sur la protection de l’environnement mentionne un comité consultatif fédéro-provincial. L’article 10 de la Loi sur les langues officielles stipule que les textes fédéro-provinciaux doivent être établis dans les deux langues officielles. On trouve encore fédéral-provincial, par exemple dans la Loi sur la Société d’assurance-dépôts du Canada, à l’article 39.38, qui porte sur des accords fédéraux-provinciaux, et souvent dans les Règlements, comme à l’article 2 du Règlement sur les oiseaux migrateurs. Un Accord fédéral-provincial sur le poulet a été signé en 2001. Le cœur des autres grandes institutions juridiques du Canada balance entre fédéral et fédéro. Si je me fie au moteur de recherche de l’Institut canadien d’information juridique (IIJCan), à la Cour suprême fédéral-provincial domine. Il apparaît dans une décision de 2002Note de bas de page 2 (la mise en branle du processus fédéral-provincial). Un autre document de la même Cour parle d’un comité consultatif fédéro-provincialNote de bas de page 3. À la Cour fédérale du Canada, dans les motifs de l’ordonnance, on emploie fédéral-provincial, mais le moteur donne quelques occurrences de fédéro. Il n’y a pas vraiment hésitation : s’il n’en tenait qu’aux jurilinguistes de la Justice, tous ces fédéral-provincial, fédéraux-provinciaux, etc., disparaîtraient. Les traducteurs ne sont pas les seuls à ignorer le mot. La presse l’ignore. L’ancien premier ministre du Québec Robert Bourassa a quelquefois été décrit comme un fédéro-nationaliste, mais c’était un raccourci fantaisiste pour fédéralisteNote de bas de page 4. Dans les Lois consolidées du Québec, le moteur IIJCan révèle une conférence ministérielle fédérale-provinciale, une entente fédérale-provinciale, et ainsi de suite, mais nulle trace de fédéro. Inexistant aussi en Europe, semble-t-il. Le lexique de la Maison de la francité consigne les entrées fédéral-provincial et fédéral-régional, données comme étant d’origine canadienne, mais pas l’ombre d’un fédéro dans le reste de la francophonieNote de bas de page 5. Il ne manque pourtant pas de relations entre fédération, régions, cantons et communes dans des pays comme la Belgique et la Suisse. Il est vrai qu’on n’y voit pas non plus de relations fédérales-régionales ou fédérales-cantonales. Seule exception mais qui en cache peut-être d’autres, Bernard Dafflon, professeur de finances à l’Université de Fribourg, a fait un exposé sur la Péréquation fédérale-cantonale en Suisse : évolutions possibles et souhaitables?, à un forum sur le déséquilibre fiscal tenu à Québec en 2001Note de bas de page 6. En France, je suis tombé sur un Conseil fédéral régional, sans trait d’union, qui réunit des Jeunes chambres économiques formées de fédérations localesNote de bas de page 7. Avec fédéro-provincial, nous sommes donc en territoire canadien, secteur juridique. C’est dire que les lois, au grand dam de nos jurilinguistes, n’ont pas contribué à répandre le terme. Après vingt-cinq ans d’existence, soyons francs, l’implantation n’a pas été une réussite. Pourquoi? On peut tenter quelques explications. Mais il faut d’abord reconnaître que ses auteurs avaient leurs raisons de créer le terme. Fédéral-provincial était senti par certains comme un calque de l’anglais. L’expression créée est commode, allège les textes et simplifie les accords. Elle est idiomatique, puisque non seulement ce genre de construction n’existe pas en anglais, mais des termes semblables pullulent en français. D’ailleurs, justification suprême, combiner des adjectifs en abrégeant le premier avec la voyelle o est un procédé de la langue très ancien. Dans le Dictionnaire des structures du vocabulaire savant, Henri Cottez le fait remonter au latin savant, où il a trouvé des exemples comme les Opera medico-chimico-chirurgica de ParacelseNote de bas de page 8 – XVIe siècle! Mais voilà peut-être la première chose qui rebute traducteurs, rédacteurs, universitaires, politicologues, journalistes et simples mortels : la forme savante de ces mots. Je ne parle pas ici des mots auxquels est soudé un simple préfixe d’origine grecque, comme aéro, hypo, néo, etc. Le procédé consiste plutôt à coordonner deux adjectifs (ou deux noms), à modifier le suffixe du premier et à former ainsi un adjectif (ou un nom) composé. Or c’est dans le domaine scientifique, notamment en chimie et en médecine, que ces formations sont le plus répandues. Pensons à ferronickel, gastroentérite, cardiovasculaire, physicomathématique, thermonucléaire, cirrocumulus, psychomoteur, sociolinguistique, etc. Ce genre de composés continuent d’apparaître dans tous les domaines de la science par dizaines et par centaines. La langue courante absorbe toutes ces constructions venues de vocabulaires spécialisés, et certains termes, comme audiovisuel, se sont même fait une place dans la langue de tous les jours. Mais elle est plus ou moins friande du procédé quand vient le temps de créer un mot ordinaire. Elle coordonne spontanément les adjectifs sans modifier leur morphologie et sans abrègement, comme dans sourd-muet, aigre-doux, tout comme elle le fait avec les numéraux (trente-deux) et avec les noms : bar-restaurant, chanteur-compositeur, président-directeur général. De plus – et c’est un trait fondamental de ces constructions que ne possède pas fédéro-provincial – les deux éléments en fusionnant forment une nouvelle entité. Le ferronickel n’est ni du fer ni du nickel, mais un alliage des deux métaux qui a des propriétés particulières. La psychoéducation mélange la psychologie et l’éducation. Dans l’astrophysique ou la physicochimie, deux sciences s’interpénètrent. On peut dire la même chose de termes comme socialo-communiste, qualifiant la personne qui est à la fois socialiste et communiste, ou politico-social, qui touche aux deux domaines. Il ne s’agit pas simplement de mettre deux choses l’une à côté de l’autre, ou en rapport l’une avec l’autre : la somme dépasse les partiesNote de bas de page 9. L’expression fédéro-provincial, au contraire, décrit une relation entre deux entités qui demeurent autonomes. Elle semblerait plutôt appartenir à une autre famille de composés en o : les adjectifs formés à partir de noms de pays, de peuples ou d’ethnies, comme israélo-arabe, italo-français, franco-allemand, germano-suisse, etc. On remarque que ces composés conservent le caractère savant des mots formés avec la voyelle o : le premier élément correspond presque toujours à une forme savante ou étymologique de l’adjectif, parfois peu évidente. Une troupe de théâtre présentait à Montréal en janvier une production helvético-québécoise, et non suisso-québécoise, qui serait un barbarisme. La frontière luso-espagnole sépare le Portugal de l’Espagne. On a déjà employé tudesco, d’origine latine, au lieu de germano, pour désigner l’Allemagne. Ce procédé courant permet de créer des mots à volonté. Depuis le démantèlement de l’URSS, il est question en France des relations bilatérales kazakhstano-françaisesNote de bas de page 10. Il arrive que ces mots désignent une entité plutôt qu’une relation, comme dans Empire austro-hongrois ou Union belgo-luxembourgeoise. Ils servent aussi à nommer des langues : l’indo-européen, le serbo-croate, l’anglo-canadien. Ils servent même à former des triplets, comme russo-sino-indienNote de bas de page 11 ou, à l’envers, indo-sino-russeNote de bas de page 12, et, pourquoi pas, des quadruplets, comme cette occurrence, très peu délicate, qui remonte à 1895 et que cite la Base historique du vocabulaire français de Bernard Quemada : Devant la coalition russo-tudesco-hispano-française, le Japon cédera-t-il?Note de bas de page 13. Mais le plus souvent ils désignent un rapport entre deux groupes. De plus, les noms auxquels ils se rapportent sont assez circonscrits : conflit (israélo-arabe), pacte (germano-soviétique), relations (sino-américaines), rivalité (franco-britannique), frontière, commerce, amitié, conférence, guerre, coalition, etc. Le point important à noter est que les éléments de ces adjectifs continuent à désigner des entités parfaitement distinctes, qui ne sacrifient en rien leur autonomie en se combinant. Ce caractère distinctif est d’ailleurs si important qu’il a été pris en compte dans la réforme de l’orthographe. Alors que la réforme remplace le trait d’union par la soudure dans les composés formés d’éléments savants – de microanalyse à otorhinolaryngologiste en passant par spatiotemporel, – il est recommandé de conserver le trait d’union lorsqu’il sert à marquer « une relation de coordination entre deux termes formés à partir de noms propres ou géographiques »Note de bas de page 14. Fédéro-provincial semble ainsi remplir toutes les conditions pour entrer dans cette catégorie. Sauf que ce genre de construction, où la coordination marque simplement un rapport, est cantonné aux adjectifs qui renvoient à des noms de peuples, d’ethnies, de pays – c’est-à-dire en dernière analyse à des noms propres. C’est peut-être là le talon d’Achille de fédéro-provincial. Car c’est sur ce modèle qu’il est construit. Et il n’y correspond pas pour une double raison : les adjectifs de ces composés, étant formés à partir de noms propres, renvoient à un référent unique. Ce n’est pas le cas de provincial, par exemple dans conférence fédéro-provinciale. Le mot ne semble donc pas être à sa place dans cette famille non plus. Le fait que l’une des deux entités juridiques (provincial) est imbriquée dans l’autre (fédéral), soit dit en passant, n’entre pas en ligne de compte. L’usage a déjà consacré l’emploi de canado-québécois, p. ex. : Depuis deux ou trois ans, le paysage politique canado-québécois est en pleine mutationNote de bas de page 15. En décembre dernier, devant le Comité permanent du patrimoine canadien, on a discuté d’un fonds canado-ontarien pour les infrastructures des municipalités ruralesNote de bas de page 16. Voilà donc des explications possibles de l’impopularité de fédéro-provincial. L’expression a aussi un adversaire de taille : fédéral-provincial. Même si l’on pouvait démontrer de façon convaincante que c’est un calque, voire dater son apparition, il n’est pas vraiment choquant. Il est vrai, comme on me l’a signalé, que l’existence en français de termes comme social-démocrate ou national-socialiste ne prouve rien : ce sont des germanismes. Mais l’usage canadien coordonne depuis longtemps les adjectifs sans modifier leur morphologie : pensons à progressiste-conservateur, au parti social chrétien d’Adrien Arcand. Les Français ont eu des partis démocrates-chrétiens et démocrates-populaires. Mais, on l’a vu, tous ces termes additionnent leurs traits sémantiques; ils ne marquent pas un rapport entre deux groupes. N’empêche qu’il nous est habituel de coordonner deux adjectifs sans les modifier. Qui sait s’il n’y a pas en plus derrière tout ça des susceptibilités d’ordre politique, cachées ou inconscientes? Il est possible que l’on perçoive une trop grande prédominance du terme plein (provincial) par rapport au terme abrégé (fédéro). Fédéro-provincial efface un peu fédéral. Dans certains mots composés en français, l’un des deux termes – la tête ou la base de l’expression – domine : un safari-photo n’est pas une photo; la thermoélectricité est une sorte d’électricité. Peut-être préfère-t-on que l’expression reste bicéphale. On pourrait bien sûr promouvoir en même temps provincialo-fédéral. Car si certaines expressions de ce type se sont figées, franco-britannique ou gréco-romain par exemple, dans la plupart les deux éléments sont interchangeables : sino-américain et américano-chinois, russo-japonais et nippo-russe sont aussi équivalents que le sont bracelet-montre et montre-bracelet. Mais il ne faut pas trop en demander à l’usage. Certains locuteurs m’ont signalé que l’expression leur semblait aussi en porte-à-faux par rapport à l’usage phonétique. On peut être choqué d’entendre conférence fédéro-provinciale à cause de l’habitude solidement ancrée d’entendre à travers fédéro le masculin pluriel fédéraux. Mais bien sûr les habitudes se changent. En un sens, les jurilinguistes ont le gros bout du bâton. Dura lex… La présence de fédéro dans les textes de loi crée en effet une servitude, puisque le terme apparaît obligatoirement dès qu’on les cite. Dans la Liste des rapports et états à présenter à la Chambre des communes publiée au début de la session en février 2004, on trouve les deux tours à quelques lignes d’intervalle, sous Agriculture et Agroalimentaire Canada : des accords fédéro-provinciaux sont exigés en vertu de la Loi sur le protection du revenu agricole, articles 4 à 6, où figure explicitement la mention d’« accords fédéro-provinciaux »; – puis, au paragraphe suivant, un décret du gouverneur en conseil portant sur des « accords fédéraux-provinciaux sur l’assurance-récolte » est exigé en vertu de la même loi, article 12, où l’expression ne figure pas telle quelle, et où on lit simplement : « Le gouverneur en conseil peut, par décret, autoriser le ministre à conclure des accords avec une ou plusieurs provinces… » À la limite, la question est de savoir si on veut utiliser cette expression. À mon avis, ses bases linguistiques sont faibles. Elle ne ressemble qu’en apparence aux composés formés avec la voyelle o qui servent à marquer un rapport entre deux groupes, et elle ne ressemble pas aux nombreux composés qui en fusionnant leurs éléments désignent une nouvelle entité. Sauf que si quelque autorité influente décide de s’en mêler… Mais quelle autorité y a-t-il au-dessus des lois?RéférencesNote de bas de page 1 J’ai obtenu ces renseignements, par l’intermédiaire de Suzanne de Repentigny, auprès d’André Labelle, du ministère de la Justice, et d’Alexandre Covacs, à qui revient la paternité de l’expression. J’ai largement discuté de l’expression avec l’un et l’autre, mais il va sans dire que ni l’un ni l’autre ne se ralliera à mes conclusions, qui n’engagent que moi.Retour à la référence de la note de bas de page 1Note de bas de page 2 Bande indienne Wewaykum c. Canada, 4 R.C.S. 245, 2002 C.S.C. 79, 2002-12-06.Retour à la référence de la note de bas de page 2Note de bas de page 3 R. c. Hydro-Québec, 3 R.C.S. 213, 1997 IIJCan 318 (C.S.C.), 1997-09-18.Retour à la référence de la note de bas de page 3Note de bas de page 4 p. ex. Le Devoir, 3 octobre 1996.Retour à la référence de la note de bas de page 4Note de bas de page 5 www.maisondelafrancite.be/francite.Retour à la référence de la note de bas de page 5Note de bas de page 6 www.desequilibrefiscal.gouv.qc.ca.Retour à la référence de la note de bas de page 6Note de bas de page 7 home.tiscalinet.be/jcelux/document/regional240203.doc.Retour à la référence de la note de bas de page 7Note de bas de page 8 Paris, 1980, Les usuels du Robert, p. 276.Retour à la référence de la note de bas de page 8Note de bas de page 9 La formation des mots composés est expliquée par Louis Guilbert dans « Fondements lexicologiques du dictionnaire : de la formation des unités lexicales », qui sert d’introduction au Grand Larousse de la langue française, 1971, t. 1, p. LVI-LXXXI.Retour à la référence de la note de bas de page 9Note de bas de page 10 Voir p. ex. sur www.colisee.org à l’entrée Kazakhstan.Retour à la référence de la note de bas de page 10Note de bas de page 11 Dans humanite.presse.fr, 30 mars 1999 : « Ne se profile-t-il pas une éventualité de système eurasiatique russo-sino-indien, inquiétant pour la domination américaine? ».Retour à la référence de la note de bas de page 11Note de bas de page 12 Viatcheslav Aviouski, auteur du Que sais-je? sur la Tchétchénie, sur le site de l’Institut international d’études stratégiques : « Le rapprochement indo-sino-russe ne peut se faire que dans le cadre de la résolution du problème afghan. »Retour à la référence de la note de bas de page 12Note de bas de page 13 Version électronique des 48 volumes de Datations et Documents lexicographiques.Retour à la référence de la note de bas de page 13Note de bas de page 14 Je cite la recommandation telle qu’elle apparaît dans le Rapport du Conseil supérieur de la langue française sur les rectifications de l’orthographe, paru en 1990 : « Remarque : le trait d’union est justifié quand la composition est libre, et sert précisément à marquer une relation de coordination entre deux termes (noms propres ou géographiques) : les relations italo-françaises (ou franco-italiennes), les contentieux anglo-danois, les mythes gréco-romains, la culture finno-ougrienne, etc. » (cité dans André Goosse, La « nouvelle » orthographe, Duculot, 1991, p. 130). Cette recommandation correspond à la règle A3 dans Le millepatte sur un nénufar : vadémécum de l’orthographe recommandée, publié en 2004 par le Réseau pour la nouvelle orthographe du français.Retour à la référence de la note de bas de page 14Note de bas de page 15 Le Devoir, 25 janvier 2005.Retour à la référence de la note de bas de page 15Note de bas de page 16 13 décembre 2004.Retour à la référence de la note de bas de page 16
Source : Chroniques de langue (la langue française vue par des langagiers)
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Lié/relié et la cohérence dans les énumérations

Un article sur les verbes lier et relier et sur l’usage de l’infinitif dans l’énumération
Jacques Desrosiers (L’Actualité langagière, volume 8, numéro 3, 2011, page 22) Q. Selon vous, pourquoi ne peut-on pas employer relié dans une tournure comme : frais reliés au transport? R. Il faut dire en effet frais liés au transport ou, pour régler vite la chose, comme me l’a suggéré une collègue : frais de transport. Mais puisque relié est très souvent employé de cette façon, rappelons la différence de sens entre les deux mots. Selon le Petit Robert, lier consiste à « unir par un rapport logique, fonctionnel, structural », tandis que relier, c’est simplement « mettre en rapport ». Le vieux BénacNote de bas de page 1 soulignait que si lier « dit moins qu’unir, mais plus que joindre », relier ne consiste qu’à « joindre ». L’exemple classique donné par beaucoup d’ouvrages pour relier est la voie de communication – par exemple le pont ou l’autoroute qui relie deux villes. C’est un exemple trompeur, parce qu’il suggère que relier ne se dit que de choses concrètes. Or, si des questions sont liées entre elles parce qu’on y voit un lien de dépendance logique et nécessaire plus profond qu’un simple rapport, rien n’empêche de relier aussi des idées. Proust écrit dans Du côté de chez Swann : « … comme si Combray n’avait consisté qu’en deux étages reliés par un mince escalier », et plus loin : « il ne vit pas de raisons pour relier cette infamie plutôt à la nature de l’un que de l’autreNote de bas de page 2 ». Il y a d’ailleurs bien des cas où les deux mots sont interchangeables : on peut lier ou relier deux phrases avec « et », sans différence de sens. Mais, en général, ce qui est relié n’est pas uni de façon aussi forte ou aussi immédiate que ce qui est lié. Proust écrit encore : « Son sort était lié à l’avenirNote de bas de page 3 », phrase où relié aurait été impossible. Bénac ajoute que relier « marque la communication la plus lointaine … entre choses qui demeurent séparéesNote de bas de page 4 ». Le sens de relier est donc trop faible pour l’appliquer à des frais directement entraînés par une activité quelconque. Il est bien possible que les traducteurs et rédacteurs qui emploient relié à quand il faut lié à ne fassent que calquer l’anglais related to, que les dictionnaires bilingues ne rendent pourtant jamais par relié. Mais peut-être la confusion vient-elle simplement de la mauvaise habitude de préfixer re- à des verbes à tout propos. Le français au bureauNote de bas de page 5 rappelle cette manie répandue chez nous de dire, par exemple, rentrer au lieu d’entrer (Ne rentre pas trop tard est correct, mais pas rentrer une aiguille dans la peau), retrouver au lieu de trouver, se réchauffer (et faire des exercices de réchauffement) au lieu de s’échauffer (et faire des exercices d’échauffement), – sans parler des choses qui rempirent (barbarisme? régionalisme? archaïsme?) au lieu d’empirer, ce qui est pourtant déjà assez fâcheux. Guy Bertrand signalait dans Le français au micro de Radio-Canada (dans la semaine du 6 au 12 juin 2011) qu’on ne devrait pas dire : Il a pris un café noir auquel il a rajouté un peu de crème, mais bien : auquel il a ajouté un peu de crème. Parce que s’il n’y avait pas déjà de crème dans le café, on ne peut en rajouterNote de bas de page 6. Lionel Meney a résumé la situation en un mot : le préfixe re- « est "très productif" en québécois », dit-il ironiquement dans son Dictionnaire québécois-françaisNote de bas de page 7. Remarquons que le problème existe aussi, bien qu’à une moindre échelle, en français européen, puisque le Bon usage prend la peine de rappeler que le « langage soigné » devrait éviter de substituer rentrer dans à entrer dans quand le sens est simplement « pénétrer dansNote de bas de page 8 ». Comme ici nous soudons le préfixe à beaucoup de mots, il s’ensuit un lot d’impropriétés. Par exemple, on n’est pas censé rejoindre quelqu’un au téléphone, parce que rejoindre veut dire « aller retrouver » et non « entrer en communication », qui se dit par joindre. Mais bien souvent ces re-, qui semblent donner plus de force expressive au mot et peuvent même avoir une valeur euphonique, sont tout à fait inoffensifs, comme toutes les fois où l’on va reconduire une personne quelque part plutôt que d’aller la conduire. Mais dans un cas comme relier, le sens ne suit pas.De la cohérence dans les énumérations Q. J’aimerais avoir votre avis sur l’emploi de l’infinitif dans l’énumération suivante :Si vous souhaitez faire bénéficier le journal d’un don, voici la marche à suivre :libeller votre versement à Presse et pluralisme; remplir le coupon ci-dessous (ou une photocopie); l’envoyer à Presse et pluralisme; ne pas écrire directement au Monde diplomatique; votre reçu fiscal vous sera envoyé au moment de la déclaration d’impôt sur les revenus.R. Comme l’énumération est introduite par voici la marche à suivre, je crois qu’il est tout à fait normal de se servir de l’infinitif. Il n’est certainement pas obligatoire : on aurait pu employer l’impératif; mais l’infinitif me semble approprié et plus élégant. On aime bien mieux lire : remplir le coupon, l’envoyer, etc., que remplissez le coupon, envoyez-le, etc. Dans un récent article consacré à la traduction de should, j’ai parlé de l’infinitif injonctif servant à formuler une consigne (prendre un comprimé deux fois par jourNote de bas de page 9). Le dernier Grevisse décrit ainsi cet emploi général (§ 901, d) :Il s’agit ordinairement d’un ordre général et impersonnel, notamment dans les proverbes, les avis adressés au public, les recettes, les notices. L’infinitif se prête en fait à tout mode d’emploi et à diverses formes d’indications, comme les itinéraires, et on ne voit pas pourquoi cet usage ne pourrait s’étendre à des conseils et autres marches à suivre. L’important est d’être cohérent : soit l’infinitif partout, soit l’impératif partout, ou des phrases déclaratives partout. Dans l’énumération que vous citez, le manque d’uniformité est criant : non seulement le dernier élément (votre reçu fiscal…) jure avec le reste, mais il ne fait même pas partie de la marche à suivre; il aurait dû en être séparé. Une autre chose cloche. De manière générale dans les listes à puces, autant les éléments doivent être parallèles et avoir la même structure, comme le rappelait Frances Peck dans sa chronique du précédent numéroNote de bas de page 10, autant chaque élément doit lui-même être cohérent. En écrivant libeller votre versement, l’auteur de l’énumération a mêlé les deux modes à l’intérieur de la même phrase : libeller le (ou son) versement et libellez votre versement. Avec l’infinitif, pronoms et possessifs ne peuvent être à la deuxième personne.RéférencesNote de bas de page 1 Dictionnaire des synonymes, Hachette, 1981, s.v. joindre. Ouvrage qui, dans une de ses dernières réincarnations (même texte), s’appelle Dictionnaire Hachette synonymes.Retour à la référence de la note de bas de page 1Note de bas de page 2 Du côté de chez Swann (À la recherche du temps perdu, I), Gallimard, 1992, « Collection blanche », p. 48 et 336.Retour à la référence de la note de bas de page 2Note de bas de page 3 Ibid., p.331.Retour à la référence de la note de bas de page 3Note de bas de page 4 Ouvr. cité, s.v. unir.Retour à la référence de la note de bas de page 4Note de bas de page 5 6e éd., Les Publications du Québec, 2005, p. 365-366.Retour à la référence de la note de bas de page 5Note de bas de page 6 Le français au micro.Retour à la référence de la note de bas de page 6Note de bas de page 7 2e éd, Guérin, 2003, sous [re-], [r-].Retour à la référence de la note de bas de page 7Note de bas de page 8 14e éd., De Boeck-Duculot, 2008, § 173, 8, c.Retour à la référence de la note de bas de page 8Note de bas de page 9 « Traduire should », L’Actualité langagière, vol. 8, nº 1 (printemps 2011), p. 22.Retour à la référence de la note de bas de page 9Note de bas de page 10 « Getting to the point with bullets », L’Actualité langagière, vol. 8, nº 2 (été 2011), p. 27.Retour à la référence de la note de bas de page 10
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