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Mots de tête : « vœu pieux »

Un article sur l’expression vœu pieux
Frèdelin Leroux fils (L’Actualité terminologique, volume 15, numéro 8, 1982, page 11) « La justice en français au Manitoba : une loi ou un vœu pieux? »(Michel G. Auger, Le Droit, 18.01.82) À l’instar de l’homme des tavernes qui, devant un verre à moitié vide, déclare qu’il est à moitié plein (pas lui, son verre), je suis naturellement porté à l’optimisme. Et pourtant, il m’arrive de désespérer. Des dictionnaires notamment. Un jour, quelque empêcheur de penser en rond me glissa une pernicieuse puce à l’oreille : « vœu pieux » qu’on lit et qu’on entend partout, serait un anglicisme (ou, à défaut, un québécisme). Incrédule, je me jetai sur le premier dictionnaire à portée de main. Rien. Et sur un deuxième. Toujours rien. Et ainsi de suite, faisant chou blanc à tout coup. Même les dictionnaires anglais ignoraient l’équivalent éventuel « pious wish ». (Une collègue anglophone m’a dit ne l’avoir jamais lu ni entendu.) Vraisemblablement blanchi de l’accusation d’anglicisme, il ne me restait plus qu’à faire un sort au québécisme infamant. C’est maintenant chose faite : « vœu pieux » s’emploie en vieille comme en nouvelle France. Mais comment expliquer le silence des dictionnaires? Parti pris ou ignorance? Quoi qu’il en soit, mon propos n’étant pas de chercher noise aux lexicographes, passons plutôt aux exemples que j’ai relevés à droite et à gauche. Pour parler comme les terminologues, je note deux « occurrences » chez Gérard de Villiers :Les vœux pieux de la Company ne valaient pas de bon « baby-sitters »Note de bas de page 1. Dans Compte à rebours en RhodésieNote de bas de page 2, le même auteur donne « vœux pieux » comme équivalent de « wishful thinking ». C’est une possibilité intéressante, qu’on ne retrouve évidemment dans aucun dictionnaire. (Le premier Québécois venu traduirait spontanément par « rêver en couleurs », mais il risquerait de se faire reprocher d’user d’un québécisme…) L’ExpressNote de bas de page 3 nous fournit un troisième exemple et Le Monde, pour ne pas être en reste, nous en donne trois :Entre les vœux pieux et la réalitéNote de bas de page 4.En effet, la « solution diplomatique » ne saurait être qu’un vœu pieuxNote de bas de page 5…(…) le projet du budget 1981 a prouvé que ce n’était là qu’un vœu pieuxNote de bas de page 6…. Mais il n’y a pas que les journalistes ou les « pondeurs » de romans policiers qui affectionnent cette tournure. Morvan Lebesque l’emploie, dans son très beau livre, Comment peut-on être Breton?(…) il ne se passait guère d’années sans que des notables intervinssent en faveur de la langue : simples vœux pieuxNote de bas de page 7… Ainsi que Michel Crozier, dans le Mal américain :Le sens de ce paragraphe avait échappé aux membres du Congrès qui n’y avaient vu qu’un vœu pieux parmi tant d’autresNote de bas de page 8. Il convient de noter qu’aucun de ces auteurs ne sent le besoin de recourir aux guillemets. Signe que l’expression est courante. Si l’on doutait encore de la correction de cette locution, deux exemples analogues, l’un avec « vœu », l’autre avec « pieux », me semblent dissiper toute équivoque à cet égard.Un des moyens auxquels on aurait pu songer serait de simplifier au maximum les réglementations. Mais n’est-ce pas un vœu candideNote de bas de page 9?Le Président, après quelques phrases pieuses, semble s’être rangé à cet avisNote de bas de page 10. Quant aux occurrences québécoises, elles abondent. Aussi, je vous en fais grâce. Mais il ne me paraît pas inutile de signaler que les dictionnaires de la langue « québécoise » (le monumental Parler populaire du Québec de Gaston Dulong ne fait pas exception), tout comme leurs homologues français, ignorent tous cette tournure. Est-ce parce qu’ils la considèrent comme étant parfaitement française? Jusqu’à nouvel ordre, toutes les hypothèses sont bonnes. En terminant, puis-je exprimer le souhait que les dictionnaires lui ouvrent leurs colonnes? Un vœu pieux de plus ou de moins…RéférencesNote de bas de page 1 Gérard DE VILLIERS, Croisade à Managua, Plon, 1979, p. 170.Retour à la référence de la note de bas de page 1Note de bas de page 2 Compte à rebours en Rhodésie, Plon, 1976, p. 19.Retour à la référence de la note de bas de page 2Note de bas de page 3 Gilles LONGIN, L’Express, 8.09.79, p. 57.Retour à la référence de la note de bas de page 3Note de bas de page 4 Michel BOLE-RICHARD, Le Monde, 24.01.78, p. 14.Retour à la référence de la note de bas de page 4Note de bas de page 5 Philippe ROGER, Sélection hebdomadaire du Monde, 15.10.80, p. 8.Retour à la référence de la note de bas de page 5Note de bas de page 6 Pierre DROUIN, Sélection hebdomadaire du Monde, 15.10.80, p. 8.Retour à la référence de la note de bas de page 6Note de bas de page 7 Morvan LEBESQUE, Comment peut-on être Breton?, Seuil, 1970, p. 181.Retour à la référence de la note de bas de page 7Note de bas de page 8 Michel CROZIER, Le Mal américain, Fayard, 1980, p. 115.Retour à la référence de la note de bas de page 8Note de bas de page 9 Réponses à la violence, rapport du comité d’études sur la violence, tome II, Presses Pocket, 1977, p. 274.Retour à la référence de la note de bas de page 9Note de bas de page 10 Denis DE ROUGEMONT, Lettres sur la bombe atomique, Brentano, New York, 1946, p. 35.Retour à la référence de la note de bas de page 10
Source : Chroniques de langue (la langue française vue par des langagiers)
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Mots de tête : « en plus de » + infinitif

Un article sur l’expression en plus de suivi d’un infinitif
Frèdelin Leroux fils (L’Actualité terminologique, volume 19, numéro 8, 1986, page 9) En plus d’être rustique (…), (notre langue) est meurtrie…(Victor Barbeau, Le Français du Canada, Garneau, 1970.) Par un matin glacial de février, en l’an de grâce mil neuf cent soixante-dix-neuf, 2001 proposait à ses lecteurs endormis, avec leur premier café de la journée, un petit billet sur « en plus de » suivi de l’infinitif. Huit ans se sont écoulés depuis, les mises à jour des petits Larousse et Robert se sont succédé, et on a même eu droit à une nouvelle édition du Grand Larousse encyclopédique et du grand Robert, mais l’expression n’y figure toujours pas. Même Joseph Hanse l’ignore. Il faut se rendre à l’évidence : 2001 ne devait pas avoir ses entrées chez les faiseurs de dictionnaires. Dommage pour eux… C’est un concours de circonstances qui m’amène à reparler de cette question. En 1982, le Comité consultatif de la normalisation et de la qualité du français à l’Université Laval faisait paraître un recueil de ses avis sous le titre Les maux de nos motsNote de bas de page 1. On y lit que « en plus de » peut être suivi d’un nom ou d’un pronom, mais non d’un infinitif. L’année dernière, un professeur de l’Université de Sherbrooke, M. Pierre Collinge, m’écrivait pour me demander mon avis sur cette tournure. (On a pu lire sa lettre dans L’Actualité terminologique, vol. 19, nº 3.) Quelques mois plus tard, le professeur Jean Darbelnet publiait un Dictionnaire des particularités de l’usage dans lequel il signale que « en plus de » « n’offre pas la commodité de se construire avec un infinitif »Note de bas de page 2. Et moi qui croyais –naïvement –que l’affaire était classée! Il ne me paraît donc pas inutile de revenir à la charge. C’est Mme Irène de Buisseret qui, la première, m’a mis en garde contre ce « solécisme »Note de bas de page 3. C’était en 1969, il me semble. En 1973, L’Actualité terminologiqueNote de bas de page 4 nous apprenait que c’était un calque de l’anglais (« in addition to », « besides » ou « beyond » + gérondif). À l’époque où j’écrivis mon billet, je n’avais que trois sources : un article de Robert DubucNote de bas de page 5, une traductionNote de bas de page 6 et un roman françaisNote de bas de page 7. Depuis, la récolte a été assez bonne, mais pas autant que je m’y attendais. Au Québec, inutile de dire que les exemples foisonnent. Aussi, pour ne pas tomber dans le piège de la pétition de principe, je me contenterai de signaler qu’outre Victor BarbeauNote de bas de page 8 et Robert Dubuc –grands défenseurs de la langue –, nos meilleurs écrivains l’emploient : un grand romancier, Jacques FerronNote de bas de page 9, un critique réputé, Gilles MarcotteNote de bas de page 10, et un bon styliste, Jean Éthier-BlaisNote de bas de page 11. Du côté des traductions de l’anglais, j’escomptais une telle moisson, mais je n’en ai trouvé que deux exemples :La question (…), en plus d’être très pertinenteNote de bas de page 12…En plus d’être noirNote de bas de page 13… Le premier est tiré d’un journal de John Steinbeck, et le second, d’un roman de Chester Himes. Malheureusement, je n’ai pu mettre la main sur la version originale ni de l’un ni de l’autre, de sorte qu’il n’y a pas moyen de savoir si les traducteurs ont été influencés par l’anglais. En supposant qu’il s’agit d’un anglicisme, on peut s’étonner de le rencontrer dans des ouvrages traduits de langues telles que l’espagnol ou le portugais. L’ineffable Mafalda, dans le dernier album de Quino, est perplexe :En plus d’être capitaliste, il est radin?Note de bas de page 14 Voilà pour l’espagnol. Au tour du portugais (ou du brésilien, si vous préférez) :(…) en plus de planter de la canne à sucreNote de bas de page 15…Elles devinrent intouchables en plus de rester putains.Note de bas de page 16 Y a-t-il un spécialiste des langues romanes dans la salle? Je serais curieux de savoir ce que dit l’original. Passons à la presse. Le correspondant du Figaro à Montréal écrit :Un tel livre (…), en plus d’être un plaidoyerNote de bas de page 17… Un collaborateur des Temps modernes :Le columbarium (…), en plus d’être réfractaireNote de bas de page 18… Et un chroniqueur du Monde :Mireille Mathieu a montré que, en plus d’apprendre des chansons par cœurNote de bas de page 19… Pour ne pas être en reste, le cinéma apporte sa modeste contribution. Un personnage du film Le Chat et la souris, de Claude Lelouch, s’exprime ainsi :En plus d’avoir ses empreintes sur le revolver… Mes trois dernières sources sont plus sûres :une bonne romancière, Christiane Rochefort :(…) en plus de rabioter sur l’ensembleNote de bas de page 20… un romancier moins connu, Jean Hougron :(…) en plus de s’enrichirNote de bas de page 21… un professeur de l’Université de Genève :(…) en plus de parler françaisNote de bas de page 22…Après tous ces exemples, on pourra toujours m’objecter qu’une faute reste une faute, peu importe qui la commet, ou combien de gens la commettent. C’est un point de vue que ne partagerait pas Jacques Cellard. « Quand neuf Français sur dix font une ‘faute’, écrit-il, c’est le dixième qui a tort, fût-il académicien »Note de bas de page 23. Il serait intéressant de savoir de quand date cet usage. Chez nous, il remonte au moins au début des années 40. Ma source la plus vieille est un récit de voyage, Blanc et NoirNote de bas de page 24, paru en 1944. En France, l’exemple est presque aussi vieux. Il s’agit de la traduction du roman de Chester Himes, S’il braille, lâche-le, parue en 1948. On le voit, notre tournure n’est plus tout à fait jeune –probablement cinquantenaire. Alors, qu’attend-on pour l’admettre au dictionnaire? Même pour entrer à l’Académie, on n’a plus à attendre aussi longtemps. Jean d’Ormesson y a été élu à 48 ans à peine. Messieurs les lexicographes, à vous de jouer!RéférencesNote de bas de page 1 Comité consultatif de la normalisation. Les maux de nos mots, Presses de l’Université Laval, 1982, p. 90.Retour à la référence de la note de bas de page 1Note de bas de page 2 Jean Darbelnet, Dictionnaire des particularités de l’usage, Presses de l’Université du Québec, 1986, p. 77.Retour à la référence de la note de bas de page 2Note de bas de page 3 Irène de Buisseret, Guide du traducteur, Association des traducteurs et interprètes de l’Ontario, 1972, p. 23-24.Retour à la référence de la note de bas de page 3Note de bas de page 4 Article anonyme, L’Actualité terminologique, vol. 6, nº 5, mai 1973, p. 2.Retour à la référence de la note de bas de page 4Note de bas de page 5 Robert Dubuc, C’est-à-dire, vol. X, nº 4, 1798, p. 4 et 5.Retour à la référence de la note de bas de page 5Note de bas de page 6 Fitzhugh Dodson, Tout se joue avant six ans, Marabout, 1972, p. 168. (Traduit de l’anglais par Yvon Geffray.)Retour à la référence de la note de bas de page 6Note de bas de page 7 Jules Roy, Une femme au nom d’étoile, Livre de poche, 1976, p. 65. (Paru chez Grasset en 1968.)Retour à la référence de la note de bas de page 7Note de bas de page 8 Victor Barbeau, La Tentation du passé, Éditions La Presse, 1977, p. 89 et 138. (Voir aussi le cinquième numéro des Cahiers de l’Académie canadienne-française, Montréal, 1960, p. 41 et 45.)Retour à la référence de la note de bas de page 8Note de bas de page 9 Jacques Ferron, Escarmouches, Leméac, tome I, 1975, p. 145. (Voir aussi Du fond de mon arrière-cuisine, Éditions du Jour, 1973, p. 24.)Retour à la référence de la note de bas de page 9Note de bas de page 10 Gilles Marcotte, dans L’Actualité, juillet 1986, p. 100.Retour à la référence de la note de bas de page 10Note de bas de page 11 Jean Éthier-Blais, dans L’Incunable, vol. 20, nº 1, mars 1986, p. 16.Retour à la référence de la note de bas de page 11Note de bas de page 12 John Steinbeck, Un Américain à New York et à Paris, Julliard, 1956, p. 103. (Traduit par Jean-François Rozan.)Retour à la référence de la note de bas de page 12Note de bas de page 13 Chester Himes, S’il braille, lâche-le, Gallimard, 1972, p. 95. (Traduit par Renée Vavasseur et Marcel Duhamel. Paru chez Albin Michel en 1948.)Retour à la référence de la note de bas de page 13Note de bas de page 14 Quino, Le Club de Mafalda, Éditions Glénat, 1986 p. 47. (Traduction de J. et A.-M. Meunier.)Retour à la référence de la note de bas de page 14Note de bas de page 15 Jorge Amado, Tereza Batista, Livre de poche, 1982, p. 166-167. (Traduit par Alice Raillard. Paru chez Stock en 1974.)Retour à la référence de la note de bas de page 15Note de bas de page 16 Ibid., p. 281.Retour à la référence de la note de bas de page 16Note de bas de page 17 Alex Mauguy, dans La Presse, 24.4.84.Retour à la référence de la note de bas de page 17Note de bas de page 18 Jacky Chatelain, dans Les Temps modernes, juillet 1978, p. 2177.Retour à la référence de la note de bas de page 18Note de bas de page 19 Alain Woodrow, dans Le Monde, 24.1.86.Retour à la référence de la note de bas de page 19Note de bas de page 20 Christiane Rochefort, Les Petits Enfants du silence, Livre de poche, 1975, p. 66. (Paru chez Grasset en 1961.)Retour à la référence de la note de bas de page 20Note de bas de page 21 Jean Hougron, L’anti-jeu, Plon, 1977, p. 171.Retour à la référence de la note de bas de page 21Note de bas de page 22 Jean-Claude Vernex, Les Acadiens, Éditions Entente, Paris, 1979, p. 18.Retour à la référence de la note de bas de page 22Note de bas de page 23 Jacques Cellard, La vie du langage, Le Robert, coll. « L’ordre des mots », 1979, p. 7.Retour à la référence de la note de bas de page 23Note de bas de page 24 Hélène J. Gagnon, Blanc et noir, Éditions de l’Arbre, Montréal, 1944, p. 20.Retour à la référence de la note de bas de page 24
Source : Chroniques de langue (la langue française vue par des langagiers)
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Mots de tête : Un profil à deux faces

Un article sur l’expression profil bas
Frèdelin Leroux fils (L’Actualité terminologique, volume 21, numéro 2, 1988, page 13) Profil bas sur les incidents de police.Note de bas de page 1 En route vers son bureau, confortablement installé dans sa limousine, le ministre ouvre son journal, curieux de savoir ce qu’on dit de son attitude lors de la dernière manifestation des panthères grises. Qu’est-ce qu’il y voit? qu’il a « gardé le profil bas ». Il ne sait trop si c’est du lard ou du cochon. S’agit-il d’une louange ou d’une critique? Seul le journaliste le sait. Cette expression est à l’image même de beaucoup de nos hommes politiques, elle ménage la chèvre et le chou. Mais d’où vient-elle? De l’anglais, semble-t-il. Aussi, pour bien nous situer, examinons quelques définitions de low profile :A deliberately low-keyed or understated attitude or position; a restrained, inconspicuous stance (a.c. low silhouette).(Barnhart Dictionary of New English Since 1963)Inconspicuous, esp. for the purpose of avoiding publicity.(Morrow Book of New Words)An unobtrusive, hardly noticeable presence, or concealed, inconspicuous activity.(Webster’s New World Dictionary, 2nd College Edition) Le mot clé étant inconspicuous, le traducteur y trouvera un début de solution. À moins qu’il ne se contente de ce que donnent les dictionnaires. Laconique, le Harrap nous propose « to keep a low profile – se tenir coi ». C’est un peu court, aurait dit Cyrano. À low, le Robert-Collins écrit :Low-profile = low-key – it was a low-key operation – l’opération a été conduite de façon très discrète; to keep sthg low-key – faire qqch. avec modération, d’une façon modérée. Dans l’édition de 1987, on trouve un ajout, à profile :To keep a low profile, essayer de ne pas (trop) se faire remarquer, adopter une attitude discrète. Certes, low-key et low profile ne sont pas forcément interchangeables, mais c’est assez souvent le cas, comme ici :The private banks have been running a low key but hard-hitting campaign – en sourdine, discrète.Note de bas de page 2 Toujours à l’affût des nouveautés, Irène de BuisseretNote de bas de page 3 nous proposait, dès 1971, quelques équivalents de son cru :On se conduit avec beaucoup de discrétion quand on présente un « bas profil ». On s’efface, on veut se faire oublier, on se tient à carreau, on reste dans l’ombre. Elle signale également qu’elle a relevé profil bas dans un numéro du Monde qui date de janvier 1970. À cet égard, il est intéressant de noter que l’exemple le plus ancien cité par Barnhart date à peine de mars 70. On peut donc se demander si l’expression n’aurait pas fait son apparition dans les deux langues en même temps. Quoi qu’il en soit, le moins qu’on puisse dire c’est que les journalistes en sont friands :(Ronald Reagan) a adopté un profil plutôt bas…Note de bas de page 4La position traditionnelle de Tokyo (…) est le profil bas…Note de bas de page 5(…) les dirigeants soudanais ont adopté un profil bas…Note de bas de page 6Les éditeurs (…) ont adopté un profil basNote de bas de page 7…Un ministre au profil bas.Note de bas de page 8(…) de nombreux États (…) adoptent un profil bas.Note de bas de page 9 Il fallait s’attendre à voir cette formule faire son entrée au dictionnaire. Le Grand Larousse encyclopédique donne « conserver, maintenir un profil bas – présenter un programme, un projet politique sous un aspect atténué écartant toute affirmation agressive ou toute hypothèse aventurée ». Le grand Robert (par manque d’espace?) se fend d’une définition un peu étriquée : « programme d’action minimal, le plus faible ». Le Robert-Collins l’enregistre aussi, mais dans la partie français-anglais seulement : « garder le profil bas, to keep a low profile ». Enfin, le Petit Larousse de 1987, oublieux de ses devoirs filiaux, opte pour la formule du Robert : « adopter un profil bas, choisir un programme d’action minimal ». Si, après tous ces exemples, vous ne pouvez toujours pas vous résigner à employer cette locution, vous n’avez qu’à vous rabattre sur la dizaine d’équivalents donnés auparavant. En voici d’autres, pour ce qu’ils valent :Pourquoi ce pragmatisme prudent et feutré?Note de bas de page 10Feutré : discret, qui ne se remarque pas, nous dit le grand Robert.Comparez aux définitions de low profile.Le voyage de M. Mitterand au Brésil et en Colombie. Un voyage en creux.Note de bas de page 11J’hésiterais peut-être à user de ce néologisme, mais j’écrirais sans hésitation :(…) autant de manifestations politiques en demi-teinte…Note de bas de page 12 J’ai même rencontré « silhouette aplatie »Note de bas de page 13 (low silhouette), que je ne vous conseille pas. Je vous propose par contre se faire tout petit, essayer de passer inaperçu, ou encore, éviter de faire des vagues (qui viendrait aussi de l’anglais?). Adopter, conserver, garder, maintenir un profil bas est une image parlante, qui dit bien ce qu’elle veut dire. Aussi, je ne vois pas pourquoi nous nous ferions scrupule de l’employer, même s’il s’agit d’un calque de l’anglais (ce qui reste à prouver). Une mise en garde s’impose toutefois : contrairement à la forme anglaise, qu’on voit à toutes les sauces, la tournure française ne semble pouvoir s’employer que dans le cas d’une personne, d’un gouvernement, etc. Tout comme le chaud appelle le froid, low profile renvoie à son contraire :High profile – Conspicuous by reason of prominence. (Morrow Book of New Words.)An attitude or position that is direct, open, and emphatic; a conspicuously clear-cut stance. (Barnhart Dictionary of New English Since 1963.) Moins répandu que son jumeau, profil haut se rencontre néanmoins assez souvent dans la presse. Malheureusement, j’ai été trop négligent – ou paresseux – pour le noter. Les rédacteurs du GDEL ont dû faire comme moi, puisqu’on ne l’y trouve pas. Heureusement, le grand Robert veillait :Profil haut, programme d’action maximal. Vous conviendrez avec moi qu’on reste sur sa faim. Quant au Robert-Collins, est-ce pour se démarquer de son grand frère? Même dans sa dernière édition, il ignore profil haut; high profile est traduit par garder la vedette, être très en vue, en évidence. La regrettée Revue du traducteur nous a laissé quelques traductions intelligentes :(…) the marines could not hide behind earthern walls or antitank trenches, because their "presence" required a high profile – leur imposait de se montrer.Note de bas de page 14The crises has shown the administration something about the risks of high-profile diplomacy – sans nuances, très directe, toute en noir et blanc.Note de bas de page 15(…) his high profile was diverting attention from their top priority – son personnage haut en couleurs, ses manières fracassantes.Note de bas de page 16 Je ne vous donne ces exemples que pour vous rappeler – s’il en était besoin – que la traduction est toujours fonction du contexte. « Diplomatie de haut profil » eût été une traduction bébête. En terminant, je vous signale l’existence d’un aide-mémoire établi par un collègue et ami, Jacques Dubé de l’ACDI. Si vous avez l’occasion de l’emprunter (volez-le, s’il le faut), vous y trouverez une quarantaine de propositions pour traduire high profile, et presque autant pour low profile. Si cela ne vous satisfait pas, il ne vous restera qu’une alternative : opter pour profil ou trouver votre propre traduction. Ce sera sûrement la meilleure! P.S. : Pour vous donner une idée de la vogue de nos profils jumeaux, en janvier 1986, le Nouvel Observateur ajoutait deux sous-rubriques à son « Téléphone rouge » : la première est consacrée aux personnalités en perte de vitesse (« profil bas ») et l’autre, aux étoiles montantes (« profil haut »). On retrouve les mêmes rubriques dans le Point, mais baptisées autrement : en forme, en panne.RéférencesNote de bas de page 1 Edwy Plenel, Le Monde, 28.2.87.Retour à la référence de la note de bas de page 1Note de bas de page 2 Claude Cornillaud, « Mise à jour du Harrap », Revue du traducteur nº 3, juillet 1981, p. 18.Retour à la référence de la note de bas de page 2Note de bas de page 3 Irène de Buisseret, Guide du traducteur, A.T.I.O., Ottawa, 1972, p. 23-24.Retour à la référence de la note de bas de page 3Note de bas de page 4 Robert Solé, Le Monde hebdomadaire, 8.12.82.Retour à la référence de la note de bas de page 4Note de bas de page 5 R.-P. Paringaux, Le Monde, 28.5.83.Retour à la référence de la note de bas de page 5Note de bas de page 6 Jean Gueyras, ibid., 6.10.83.Retour à la référence de la note de bas de page 6Note de bas de page 7 Bruno Frappat, ibid., 27.1.86.Retour à la référence de la note de bas de page 7Note de bas de page 8 A.J. (?), ibid., 2.6.87.Retour à la référence de la note de bas de page 8Note de bas de page 9 Olivier Chevrillon, Le Point, 21.4.80.Retour à la référence de la note de bas de page 9Note de bas de page 10 Bernard Ullmann, L’Express, 5.5.79.Retour à la référence de la note de bas de page 10Note de bas de page 11 Anonyme, Le Monde, 22.10.85.Retour à la référence de la note de bas de page 11Note de bas de page 12 Marcel Niedergang, ibid., 24.11.85.Retour à la référence de la note de bas de page 12Note de bas de page 13 Anonyme, Le Monde hebdomadaire, 14.8.74.Retour à la référence de la note de bas de page 13Note de bas de page 14 Claude Cornillaud, op. cit., nº 28, janvier 1984, p. 24.Retour à la référence de la note de bas de page 14Note de bas de page 15 ibid., nº 18, février 1983, p. 18.Retour à la référence de la note de bas de page 15Note de bas de page 16 ibid., nº 11, mars 1982, p. 14.Retour à la référence de la note de bas de page 16
Source : Chroniques de langue (la langue française vue par des langagiers)
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Mots de tête : « tournant du siècle »

Un article sur l’expression tournant du siècle
Frèdelin Leroux fils (L’Actualité terminologique, volume 32, numéro 1, 1999, page 25) Écrit à l’époque où la bogue faisait encore bon ménage avec la châtaigne, ce « Mots de tête » fut le premier à paraître dans L’Actualité terminologique (vol. 14, nº 7, août-septembre 1981). Aujourd’hui que le bogue sème la pagaille chez les puces et que celui de l’an 2000 a mis tout le monde sur les dents, nous avons cru approprié de reproduire l’article pour amorcer à notre façon le tournant du millénaire. J’attendais avec impatience la parution du nouveau Harrap’s anglais-françaisAller à la remarque a pour écrire ce billet. Mon petit doigt me disait que j’y trouverais à glaner. Il ne s’est pas trompé, l’expression que je traque depuis plusieurs années y est. À ma connaissance, c’est le seul dictionnnaire qui la donne. Mais les Québécois n’ont pas attendu le feu vert du Harrap’s pour l’employer. Bien au contraire, ils en usent et en abusent. Pour ne donner qu’un exemple, un professeur d’histoire trouve le moyen de la glisser pas moins de quatre fois dans un article de neuf pagesNote de bas de page 1. Les anglophones ont une tournure identique, et qu’ils affectionnent tout autant. On nous a d’ailleurs souvent dit que la nôtre était un calque de la leur. Et pourtant, il est assez curieux que nos dépisteurs d’anglicismes (Pierre Beaudry, Louis-Paul Béguin, Gilles Colpron, Gérard Dagenais) n’en fassent aucune mention. Vous devez commencer à vous demander où je veux en venir. Et bien, je ne vous ferai pas languir plus longtemps. Je veux parler de l’expression tournant du siècle (qui viendrait de turn of the century). C’est aux environs de la crise d’OctobreAller à la remarque b que j’ai trouvé cette locution chez un auteur français pour la première fois. Dans son introduction au théâtre de Shakespeare, qui date de 1961, J.B. Fort écrit :On rencontre de même, après le tournant du siècle, diverses allusions à Shakespeare l’acteur, le poète […]Note de bas de page 2. Quelques années plus tard, je la relevais dans l’ouvrage d’un historien économiste, professeur à l’Université de Paris I  :Le « tournant » des prix, à peu près au tournant des deux siècles – XVe et XVIe – semble donc nettement amorcéNote de bas de page 3. Inutile de dire que je commençais à me poser de sérieuses questions sur cet anglicisme pour le moins douteux. Au début de l’année dernière, nouvelle rencontre dans un ouvrage sur le Québec d’un journaliste de L’Express :La question du tournant du siècle sera sans doute de savoir […]Note de bas de page 4. Et dans une étude sur l’immigration aux États-Unis, parue la même année, l’auteur, agrégée d’histoire et chargée de recherche au C.N.R.S., l’emploie deux foisNote de bas de page 5. On la trouve également en page couverture du dernier roman de Maurice Denuzière, BagatelleNote de bas de page 6. Ainsi que sous la plume du traducteur du Journal d’un provocateur d’Andrei AmalrikNote de bas de page 7 (s’agirait-il plutôt d’un slavisme?). Enfin, il existe une série d’études, publiées conjointement par des universités de France et du Canada, qui s’intitulent Les littératures des langues européennes au tournant du siècle. Dorénavant le traducteur qui tient à cette expression comme à sa machine à écrireAller à la remarque c sera en assez bonne compagnie. Mais celui qui, par scrupule, préfère l’éviter, trouvera dans le Robert-Collins deux autres solutions : « en début (en fin) de siècle » ou, si l’on est d’humeur chèvre-chou, « fin dix-neuvième et début vingtième ». Ou encore, pour varier, on peut suivre l’exemple de Pierre Vilar :[…] à la charnière du XVe et du XVIe siècleNote de bas de page 8.[…] aux confins du XVe et du XVIe siècleNote de bas de page 9. Ainsi, le pauvre traducteur-talonné-par-son-réviseur-harcelé-par-le-chef-bousculé-par-le-client n’aura plus à se torturer les méninges. Et son collègue, moins pressé ou plus soucieux de correction, aura l’embarras du choix.RemarquesRemarque a Paru en 1980.Retour à la remarque aRemarque b De 1970.Retour à la remarque bRemarque c Où l’on voit que l’article date. Aujourd’hui, on parlerait peut-être de PC.Retour à la remarque cP.S.  – J’imagine qu’au cours des quelque dix-huit ans qui se sont écoulés depuis la parution de ce billet, vous avez dû avoir plus d’une fois l’occasion de maudire le silence obstiné des dictionnaires. Les unilingues, surtout, qui semblent ignorer l’existence même de cette tournure. Et pourtant, elle est bien vivante. Je l’ai rencontrée dans une traduction de l’allemand qui remonte à 1955! (Germanisme, alors?) Le regretté Romain Gary l’emploie dans Les oiseaux vont mourir au Pérou, recueil de nouvelles paru en 1962. Elle se trouve dans L’Encyclopaedia Universalis, à l’article « Slovaquie » (vol. 14), sous la plume d’un professeur de l’Institut national des langues et civilisations orientales. Le volume date de 1972. Je l’ai relevée dans Parler croquant (1973), l’ouvrage bien connu d’un franc-tireur de la langue française (qui n’a rien du loose cannon), Claude Duneton. Henri Godard, professeur à l’Université de Paris VIII, qu’on peut difficilement soupçonner d’anglophilie (voir L’Aliénation linguistique), l’écrit dans sa préface à L’Album Giono (1980). Henri Van Hoof, professeur honoraire à l’Institut supérieur de traduction de Bruxelles, auteur de Traduire l’anglais, l’emploie dans un article paru dans Le Langage et l’homme (janv. 1982). L’expression figure pas moins de quatre fois dans un article des Temps modernes (nov.-déc. 1987). Et les présentateurs du numéro n’hésitent pas à écrire « le tournant des années 75 »… Et je vous fais grâce de la douzaine d’exemples que j’ai trouvés dans Le Monde depuis 1981, sauf pour dire que deux d’entre eux proviennent de la chronique d’un académicien, Bertrand Poirot-Delpech. Mais la cerise sur le gâteau, c’est que loin d’être un anglicisme, il s’agirait d’un « vrai ami ». C’est ce que nous apprend Jean-Pierre Causse dans son Dictionnaire des vrais amis, paru en 1978. (À l’époque où j’ai écrit mon article, j’en ignorais malheureusement l’existence.) Après tout ça, on se demande ce que diable peuvent bien attendre les dictionnaires! Heureusement que les bilingues sont là pour sauver un peu la face. Après le Harrap’s, le Grand dictionnaire bilingue Larousse est le seul à traduire turn of the century par tournant du siècle. Mais ni l’un ni l’autre ne donnent l’expression à tournant. Quant au Hachette-Oxford (1994) et au tout dernier Robert-Collins (1998), ils font le contraire… C’est d’une incohérence surréaliste.RéférencesNote de bas de page 1 Richard Desrosiers, « La question de la non-participation des Canadiens français au développement industriel au début du XXe siècle », in Économie québécoise, Québec, Presses de l’Université du Québec, 1969, p. 301, 304, 305 et 306.Retour à la référence de la note de bas de page 1Note de bas de page 2 Introduction au Théâtre complet de Shakespeare, Lausanne, Éditions Rencontre, vol. 1, 1961, p. 51.Retour à la référence de la note de bas de page 2Note de bas de page 3 Pierre Vilar, Or et monnaie dans l’histoire, Paris, Flammarion, coll. Science, 1974, p. 81.Retour à la référence de la note de bas de page 3Note de bas de page 4 Philippe Meyer, Québec, Paris, Seuil, coll. Petite Planète, 1980, p. 119.Retour à la référence de la note de bas de page 4Note de bas de page 5 Janine Brun, America! America!, Paris, Gallimard-Julliard, coll. Archives, 1980, p. 57 et 241.Retour à la référence de la note de bas de page 5Note de bas de page 6 Paris, Éditions Jean-Claude Lattès, 1981, p. 4 de couverture.Retour à la référence de la note de bas de page 6Note de bas de page 7 Paris, Seuil, 1980, p. 27. (Traduit du russe par Antoine Pingaud.)Retour à la référence de la note de bas de page 7Note de bas de page 8 P. Vilar, op. cit., p. 69.Retour à la référence de la note de bas de page 8Note de bas de page 9 Ibid., p. 78.Retour à la référence de la note de bas de page 9
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Mots de tête : Un visa pour « émettre »

Un article sur le verbe emmètre
Frèdelin Leroux fils (L’Actualité terminologique, volume 33, numéro 4, 2001, page 16) Je demande au Collège des médecins d’émettre des directives claires.(Lettre au Devoir, 20.07.00) Si vous êtes traducteur, ou rédacteur, je ne serais pas étonné d’apprendre que vous avez déjà souhaité être muté au ministère des Finances, ou même aux Postes. Vous rêviez d’avoir enfin l’occasion d’« émettre » – des chèques, des obligations, des timbres. Car à peu près partout ailleurs, et notamment au Bureau de la traduction, « émettre » a toujours été plus ou moins condamné au chômage chronique. Aujourd’hui encore, aussi bien dans les dictionnaires français que bilingues, il est réduit à la portion congrue. Et même les dictionnaires canadiens, ou québécois (selon l’époque de leur parution) – que ce soit le Glossaire du parler français au Canada (1932), le Dictionnaire général de la langue française au Canada (1957), le Dictionnaire du français Plus (1988), ou le Dictionnaire québécois d’aujourd’hui (1993) –, s’en tiennent à peu près au quatuor classique : chèques, billets, timbres et emprunts. Pourtant, « émettre » s’emploie à toutes les sauces chez nous, et ce, depuis fort longtemps – un des pères de la Confédération, Thomas Chapais, l’emploie à propos de licences en 1896. Cent ans plus tard, c’est devenu un tel réflexe que même en l’absence d’équivalent anglais le traducteur le met :A press release from the Office of the Prime Minister… / Le cabinet du premier ministre a émis un communiqué de presse… (Débats du Sénat, 5.11.97) Malgré cette tradition séculaire d’égarement linguistique, cela fait à peine trente ans que les défenseurs de la langue nous mettent en garde contre la contamination d’« émettre » par l’anglais to issue. Le premier à monter au front est probablement Gérard Dagenais. Dans son Dictionnaire des difficultésNote de bas de page 1, paru en 1967, il relève toute une série d’impropriétés, avec ordre, passeport, mandat, arrêt, brevet, certificat, permis, et j’en passe. Deux ans plus tard, les auteurs du Français, langue des affairesNote de bas de page 2 dressent une longue liste d’anglicismes, où figurent deux exemples d’« émettre ». Le Comité linguistique de Radio-Canada publiera deux fiches (nos 45 et 109) pour nous rappeler d’éviter l’emploi d’« émettre » avec permis, communiqué, mandat d’arrêt. Marie-Éva de VillersNote de bas de page 3 (1988) relève à peu près les mêmes fautes. L’Actualité terminologiqueNote de bas de page 4 a aussi traité de ce problème. Après l’habituelle litanie de fautes, emporté par son élan sans doute, l’auteur va jusqu’à affirmer qu’on ne saurait « émettre » un avis. Et pourtant, la tournure est tout ce qu’il y a de plus courant, comme on peut le constater en consultant le premier dictionnaire venu. Même avec un avis écrit, « émettre » se dit; à preuve, cet exemple du Code administratif :Le conseil de discipline émet un avis motivé sur la sanction applicable et le transmet à l’autorité compétenteNote de bas de page 5. Dans la première édition de la bible de nos anglicismes, Les anglicismes au Québec (1970), on ne parle que des emplois avec « permis » et « décret », mais dans le ColpronNote de bas de page 6 de 1994, les interdits se sont multipliés. Et à la liste bien connue, les auteurs ont ajouté « directive ». C’est cette goutte qui a fait déborder mon vase. J’ai l’impression que les auteurs du Colpron n’ont pas lu Dagenais attentivement. Car si celui-ci condamne allègrement, il dit bien pourtant que dans le vocabulaire de l’administration – c’est le nôtre –, « émettre » s’emploie en parlant de publications officielles. La première fiche de Radio-Canada (nº 45) abondait dans ce sens : « ÉMETTRE s’applique particulièrement aux publications faites par l’autorité compétente », et donnait deux exemples : le gouvernement émet une circulaire; le directeur a émis une nouvelle directive. Mais la seconde fiche (nº 109) est venue mettre un bémol à cette affirmation. Après avoir rappelé que traduire to issue invariablement par « émettre » est la cause de bien des impropriétés, l’auteur précise qu’il faut écrire « publier une circulaire ». S’il s’agit d’une circulaire commerciale, peut-être, autrement, je dois dire que l’auteur s’est gouré. Malgré le silence littéralement sépulcral des dictionnaires, tant français que bilingues, l’usage autorise l’emploi d’« émettre » avec circulaire, directive, etc. J’en ai trouvé la preuve chez deux linguistes. André ThériveNote de bas de page 7 écrit, en 1956 : On nous a envoyé une circulaire émise par un ministère… Et Marina YaguelloNote de bas de page 8, en 1998 : La directive du Premier ministre, émise en 1986… Si on le dit pour une circulaire et une directive, pourquoi pas pour une note? Le Monde semble bien de cet avis : Dans une note émise par le ministère des Affaires étrangères…Note de bas de page 9 Ou pour une déclaration? Dans le Grand Dictionnaire encyclopédique Larousse (1982), on apprend que la déclaration Balfour a été « émise par le gouvernement britannique ». Dans le texte anglais qui m’a incité à consulter le GDEL, vous devinez qu’il y avait to issue. On rencontre aussi « émettre » avec règlement : Certaines unités avaient […] émis des règlements interdisant à leurs employées le port de cheveux longsNote de bas de page 10. Ce qui rejoint l’exemple donné par Gérard Dagenais : le ministère a émis le texte des nouveaux règlements. Et que vient corroborer un curé, rapportant les propos de son évêque : […] l’administration qui justement vient d’émettre un nouveau règlement précisant notre fonctionNote de bas de page 11. Et s’il fallait une véritable consécration, on pourrait difficilement demander mieux qu’un Dictionnaire de droitNote de bas de page 12 :Le règlement administratif […] produit les mêmes effets […] dès lors qu’il est émis par une autorité administrative. L’auteur parle aussi d’« émission » de règles générales; je n’aurais pas osé. Enfin, j’ai trouvé un exemple avec ordre : le haut commandement américain a émis en mai 1999 un ordre exécutif secret interdisant…Note de bas de page 13 Peut-être s’agit-il d’un cas limite, mais on sent que le verbe rue dans les brancards, qu’il est impatient de faire éclater ce corset que les dictionnaires lui imposent depuis trop longtemps. Je n’irais sans doute pas jusqu’à parler, comme le fait une journaliste – pourtant soucieuse de correction –, de documents « émis » par une organisation politiqueNote de bas de page 14, mais dans le cas de documents officiels, je ne vois pas pourquoi on hésiterait. Il y a au moins un dictionnaire qui nous donne le feu vert, le Hachette-Oxford : « émettre – Admin. to issue (document, etc.) ». Vous conviendrez que « document », c’est plutôt large. Si vous êtes comme moi, vous devez vous réjouir de voir « émettre » élargir son champ d’action. Car vous avez dû vous aussi hésiter devant le verbe à employer avec directive, circulaire, etc. Certes, on peut l’adopter, la donner, l’établir, la formuler, mais après? On hésite à écrire qu’on la rend publique, puisqu’elle s’adresse le plus souvent à des fonctionnaires. Et comme on a devant les yeux « to issue », on aimerait bien un terme qui rende quand même un peu l’idée de… publier. Après tout, cela fait partie de la définition même qu’en donne le Littré : « émettre – exprimer, produire, publier ». Mais je peux comprendre que vous hésitiez encore. Si c’est le cas – outre les solutions proposées par les ouvrages correctifs –, il y a une façon simple de tourner la difficulté : mettez « émaner ». Ça vous tirera d’affaire à tout coup. Une directive, une circulaire, un règlement, etc., émanant du ministère… C’est passe-partout, et c’est un tour qu’on voit souvent. Même si les dictionnaires ont encore un métro de retard à cet égard. Avec cette polyvalence grandissante d’« émettre », je me demande si on ne finira pas par « émettre » des communiqués? Une rapide recherche sur Internet m’a permis de relever onze cas de « communiqué émis ». Tous tirés du Journal des débats de la Chambre des communes. Et dire qu’à l’époque nous faisions des gorges chaudes de voir les rédacteurs de nos clients « émettre » des communiqués à qui mieux mieux. Comme quoi il ne faut jurer de rien.RéférencesNote de bas de page 1 Gérard Dagenais, Dictionnaire des difficultés de la langue française au Canada, Montréal, Éditions Pedadogia, 1967.Retour à la référence de la note de bas de page 1Note de bas de page 2 André Clas et Paul Horguelin, Le français, langue des affaires, Montréal, McGraw-Hill, 1969, p. 210.Retour à la référence de la note de bas de page 2Note de bas de page 3 Marie-Éva de Villers, Multidictionnaire des difficultés du français, Montréal, Éditions Québec/Amérique, 1988.Retour à la référence de la note de bas de page 3Note de bas de page 4 Jacques Picotte, « Aux verbes-signaux, arrêtez-vous! », L’Actualité terminologique, vol. 22, nº 6, 1989, p. 5.Retour à la référence de la note de bas de page 4Note de bas de page 5 Code administratif, Paris, Dalloz, 1969, p. 548.Retour à la référence de la note de bas de page 5Note de bas de page 6 Constance Forest et Louis Forest, Le Colpron, Montréal, Beauchemin, 1994.Retour à la référence de la note de bas de page 6Note de bas de page 7 André Thérive, Clinique du langage, Paris, Grasset, 1956, p. 140.Retour à la référence de la note de bas de page 7Note de bas de page 8 Marina Yaguello, Petits faits de langue, Paris, Seuil, 1998, p. 119.Retour à la référence de la note de bas de page 8Note de bas de page 9 Le Monde, billet anonyme, 26.10.84.Retour à la référence de la note de bas de page 9Note de bas de page 10 Manuel Lucbert, Le Monde, 27.9.84.Retour à la référence de la note de bas de page 10Note de bas de page 11 Bernard Alexandre, Le horsain, Paris, Plon, 1988, p. 241.Retour à la référence de la note de bas de page 11Note de bas de page 12 S. Corniot, Dictionnaire de Droit, tome II, Paris, Dalloz, 1966, p. 497.Retour à la référence de la note de bas de page 12Note de bas de page 13 Serge Halimi et Dominique Vidal, L’opinion, ça se travaille, Marseille, Agone Éditeur, 2000, p. 84.Retour à la référence de la note de bas de page 13Note de bas de page 14 Lysiane Gagnon, La Presse, 11.11.00.Retour à la référence de la note de bas de page 14
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Mots de tête : « à travers le monde » et « dans tout le pays »

Un article sur l’expression à travers, lorsqu’il n’est pas question de mouvement
Frèdelin Leroux fils (L’Actualité terminologique, volume 33, numéro 4, 2000, page 12) Les Jeux, c’est fait pour que toutes sortes de gens, à travers le monde, se pètent les bretelles.(Pierre Bourgault, Le Journal de Montréal, 25.9.00) Il y a quelques mois, une collègue me faisait part de la demande d’une cliente, qui voulait savoir si l’on pouvait écrire « à travers le Canada ». Cela me rappela la mise en garde d’un de mes premiers réviseurs – c’était en 1970, je crois –, qu’il fallait éviter de traduire throughout ou across the country par « à travers le pays ». On devait dire « dans tout le pays », « partout au pays », etc. Je m’étais résigné à l’époque, bien qu’un peu à regret, tellement l’expression me paraissait naturelle, et répandue. Mais au fil des années et de mes lectures, comme j’avais pu constater que cette « règle » était aussi souvent malmenée que respectée, j’avais fini par me dire que la locution devait être entrée dans l’usage. Malheureusement, c’est un usage que les dictionnaires tardent à consacrer. Les plus courants, comme le Petit Robert ou le Petit Larousse, l’ignorent. Et les autres se font drôlement tirer l’oreille. Même un ouvrage aussi récent que celui de René  MeertensNote de bas de page 1, qui donne trois équivalents à throughout, ne connaît pas « à travers ». « À travers le monde » figure pourtant dans le Harrap’s depuis 1972. Mais curieusement, toutes les éditions, y compris celle de 2000, s’entêtent à ne pas employer « à travers » avec « pays » : toujours, throughout the country est rendu par « d’un bout à l’autre du pays » ou une tournure semblable. On en voit mal la raison, mais le Hachette-Oxford, paru en 1994, fait encore de même : « à travers le monde », mais « dans tout le pays » (à across et throughout). Grâce au Lexis, en tout cas, vous pouvez voyager « à travers l’Europe », et ce depuis 1975. Le Larousse bilingue de 1993 enregistre aussi cette tournure, à throughout, mais à travers, il propose une autre forme de voyage : « ils ont prêché à travers tout le pays ». Quant au Robert-Collins (1998), ce n’est qu’après un chassé-croisé épuisant que j’ai trouvé, sous travel, « pendant qu’il voyageait à travers la France ». Et à l’article travers, si l’on ne parle plus de voyage, il est par ailleurs question d’un « mouvement [qui] s’étend à travers le pays ». Le Grand Robert ignore totalement cet usage, mais il y a de quoi se consoler avec les exemples qu’on trouve dans le Trésor de la langue française (1994). Aussi bien à travers qu’à voyage ou voyager : « voyager à travers la France, l’Europe, le monde », « voyage à travers la France ». Ce dernier exemple est tiré de Silbermann, roman de Jacques de Lacretelle, paru en… 1922. J’ose espérer que ces exemples suffiront pour convaincre la cliente de ma collègue qu’elle pourra désormais voyager « à travers le Canada » sans craindre de se voir accuser de voyager à l’anglaise. Et ce, en dépit de ce qu’en dit le ColpronNote de bas de page 2 – mais seulement depuis l’édition de 1994 –, qui condamne même « voyager à travers le monde »! Huit ans plus tôt, Jean DarbelnetNote de bas de page 3 reconnaissait qu’on « pouvait faire un voyage à travers le Canada en allant de Terre-Neuve à Victoria », mais voyait un « anglicisme de faible écart » dans l’emploi d’« à travers » quand il s’agit d’un « phénomène de dispersion, par exemple les succursales d’une grande entreprise ». Vous l’aurez deviné, c’est là le vrai propos de cet article. Peut-on employer « à travers », comme le fait Pierre Bourgault, en l’absence de toute idée de mouvement? Là-dessus, les dictionnaires ne nous sont pas d’une grande utilité. Seul le Hachette-Oxford (à travers) nous propose quelque chose : « la maladie affecte des milliers de gens à travers le monde ». Encore qu’on pourrait y voir un certain mouvement – la maladie qui se répand –, mais on n’est pas loin de l’exemple de Bourgault. Il faudra donc se contenter pour l’essentiel d’exemples glanés dans les journaux. Dans cette première série, on devine parfois un semblant de mouvement :Trois mille panneaux d’affichage […] pour révéler au grand public, à travers toute la France, sept artistesNote de bas de page 4. En dépit des apparences, il s’agit d’une exposition non pas itinérante, mais qui se tient dans quatre-vingt-dix villes en même temps.La Citibank a récolté 13 % du bénéfice net de toutes ses transactions à travers le monde dans un seul pays du tiers-mondeNote de bas de page 5.L’INSERM mène une grande enquête à travers le paysNote de bas de page 6.Le sigle s’est répandu comme une traînée de poudre à travers tout le paysNote de bas de page 7. Dans les exemples qui suivent, on verra une belle illustration du phénomène de dispersion dont parle Darbelnet :À partir de 95 F dans les magasins du groupe à travers la FranceNote de bas de page 8.50 000 inscrits […] répartis dans 1 200 centres à travers plus de cent paysNote de bas de page 9.Tati-Barbès, le fleuron du groupe qui compte désormais sept grands magasins à travers la FranceNote de bas de page 10.Une chaîne de magasins de vêtements à travers les États-Unis et l’AsieNote de bas de page 11.[…] la Communion anglicane – 70 millions de fidèles à travers le mondeNote de bas de page 12. J’ai aussi trouvé des cas de cet usage chez de bons auteurs, soit un préfacier et deux romanciers :Combien d’affaires Dreyfus, à travers le monde, qui resteront à jamais inconnuesNote de bas de page 13?Il eût fallu expérimenter avec lui tous les métros de toutes les capitales à travers le mondeNote de bas de page 14.Tu fais un boulot honnête comme tout vrai flic à travers le monde […]Note de bas de page 15. J’écrivais plus haut que les dictionnaires ne nous sont pas d’une grande utilité pour cet emploi d’« à travers », mais les encyclopédies, elles, le sont un peu plus. Pas à travers, évidemment, mais à l’article état, par exemple, dans le Grand Larousse encyclopédique de 1961 :[…] l’émancipation des trois ordres [clergé, noblesse, tiers état] à travers tout le royaume. Et au même article, aussi bien dans la Grande Encyclopédie Larousse de 1973, que dans le Grand Dictionnaire encyclopédique Larousse de 1983, ou encore dans le Grand Larousse universel de 1986, on retrouve la même phrase :Aucune de ces assemblées ne peut être considérée comme représentant l’ensemble des trois ordres à travers tout le royaume. Voilà un beau cas où l’on aurait très bien pu écrire « dans tout le royaume ». Pourquoi « à travers »? Peut-être parce que cela fait image. C’est peut-être aussi ce qui explique notre penchant pour cette tournure, plutôt que l’influence de l’anglais, comme l’écrivait récemment Lionel MeneyNote de bas de page 16 :[…] se dit en français standard, mais emploi plus fréq. en québécois, p.-ê. sous l’infl. de l’angl. « across ». Les exemples que nous avons vus indiquent effectivement que cela se dit en français « standard », et au rythme où la tournure se répand – « à travers l’Hexagone », si je puis dire –, j’ai l’impression qu’elle sera bientôt aussi fréquente que chez nous. Mais je gagerais que ce n’est pas demain que les dictionnaires s’en rendront compte.RéférencesNote de bas de page 1 René Meertens, Guide anglais français de la traduction, Paris, TOP éditions, 1999.Retour à la référence de la note de bas de page 1Note de bas de page 2 Constance Forest et Louis Forest, Le Colpron, Montréal, Beauchemin, 1994.Retour à la référence de la note de bas de page 2Note de bas de page 3 Jean Darbelnet, Dictionnaire des particularités de l’usage, Québec, Presses de l’Université du Québec, 1986, p. 25.Retour à la référence de la note de bas de page 3Note de bas de page 4 Article anonyme, Le Monde, 6.8.83.Retour à la référence de la note de bas de page 4Note de bas de page 5 Olga Balogun, Le Monde, 4.5.90.Retour à la référence de la note de bas de page 5Note de bas de page 6 Claude Sarraute, Le Monde, 21.3.92.Retour à la référence de la note de bas de page 6Note de bas de page 7 Christophe Châtelot, Le Monde, 15.6.00.Retour à la référence de la note de bas de page 7Note de bas de page 8 Article anonyme, Le Monde, 10.5.78.Retour à la référence de la note de bas de page 8Note de bas de page 9 J.-P. Péroncel-Hugoz, Le Monde, 25.13.83.Retour à la référence de la note de bas de page 9Note de bas de page 10 Jean-Claude Charles, Le Monde, 21.3.92.Retour à la référence de la note de bas de page 10Note de bas de page 11 Loïc Prégent, Libération, 22.6.95.Retour à la référence de la note de bas de page 11Note de bas de page 12 Henri Tincq, Le Monde, 14.7.00.Retour à la référence de la note de bas de page 12Note de bas de page 13 Pascal Ory, préface (écrite en 1981) aux Souvenirs sur l’Affaire de Léon Blum, Gallimard, Folio Histoire, 1993, p. 27.Retour à la référence de la note de bas de page 13Note de bas de page 14 Georges-Emmanuel Clancier, Un jeune homme au secret, Albin Michel, 1989, p. 68.Retour à la référence de la note de bas de page 14Note de bas de page 15 Mongo Beti, Trop de soleil tue l’amour, Julliard, 1999, p. 81 (voir aussi p. 192).Retour à la référence de la note de bas de page 15Note de bas de page 16 Lionel Meney, Dictionnaire québécois français, Montréal, Guérin, 1999.Retour à la référence de la note de bas de page 16
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calendrier des événements

Article sur l’expression calendrier des événements.
Pour traduire Calendar of Events, il est préférable d’employer les termes suivants plutôt que le calque calendrier des événements : programme programmation calendrier des activités Exemple Pour connaître le programme du festival de jazz, lisez nos reportages quotidiens. De plus, Calendar of Upcoming Events se rend par Dates à retenir plutôt que calendrier des événements à venir. Renseignements complémentaires Voir événement/évènement.
Source : Clés de la rédaction (difficultés et règles de la langue française)
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Mots de tête : « en rapport avec »

Un article sur l’expression en rapport avec
Frèdelin Leroux fils (L’Actualité terminologique, volume 14, numéro 10, 1981, page 2) Si vous écoutez les nouvelles locales à la radio, surtout le lundi matin semble-t-il, je parierais mon exemplaire du Guide du traducteur que l’annonceur vous dira, à un moment ou l’autre, que tel ou tel individu a été arrêté « en rapport avec » un accident, un vol, un viol. Pour vous, puriste par déformation professionnelle, c’est un cheveu blanc de plus, une nouvelle ride au front, que sais-je? Vous l’aurez deviné, il s’agit d’un anglicisme. Qui ne date pas d’hier d’ailleurs. Si vous avez la mémoire longue, vous vous souviendrez que, dès 1888, Arthur BuiesNote de bas de page 1 le condamnait. Depuis, la plupart des redresseurs de nos torts langagiers lui ont emboîté le pas : Barbeau, Clas et Horguelin, Colpron, Dagenais, Dubuc, Dulong, Fortin, LorrainNote de bas de page 2 – un peu plus et l’alphabet y passerait –, tous nous disent que c’est un calque de l’anglais "in relation to" ou "in connection with". Ils ont en quelque sorte l’aval des dictionnaires bilingues, qui rendent la tournure anglaise par « relativement à », « par rapport à », « quant à », « concernant », etc., et notre expression par "in keeping/in harmony/in line with sthg". Et des dictionnaires unilingues aussi, qui ne reconnaissent à cette locution que le sens de « proportionné à » ou « qui correspond/convient à ». Contrairement à ce qu’on pourrait croire, ce n’est pas un péché dont le Québec aurait de monopole. Les Français ont l’air d’y prendre goût : Un traducteur de l’anglais :« Il nota tout ce qui pouvait être en rapport avec l’imbroglio Gunn (…)Note de bas de page 3. » Deux traducteurs du russe :« Mais la bévue la plus cruelle a été commise en rapport avec l’incompréhension de la guerre du VietnamNote de bas de page 4. »« J’aurais trois questions à vous poser en rapport avec les plaintes que j’ai déposées (…)Note de bas de page 5. » Un « doubleur » de film :« En rapport avec l’enquête…. » (Au nom du peuple italien de Dino Risi.) Un journaliste français :« Que savons-nous de lui en rapport avec le meurtreNote de bas de page 6? » Un universitaire, spécialiste de Descartes :« En rapport avec cette problématique réaliste (…)Note de bas de page 7. » Et même un rédacteur de la maison Larousse :« Mouche volante, apparition, dans le champ visuel, de points brillants ou de taches noires, en rapport avec des corps flottants de l’humeur vitrée (…)Note de bas de page 8. » On m’objectera sans doute que ce dernier exemple ne correspond pas à l’acception douteuse dont il est question. Je veux bien, mais je vois mal comment on pourrait prétendre qu’il s’agit du sens des dictionnaires. C’est une sorte de sens intermédiaire, l’idée d’avoir pour cause : « taches noires dues à des corps flottants ». Et pour embrouiller les choses encore plus, on rencontre une troisième acception chez nul autre que feu Maurice Grevisse. Dans son Évolution du langage agricole franco-canadienNote de bas de page 9, David Fortin, après avoir signalé qu’il a relevé cet usage dans un périodique européen, ajoute que Grevisse emploie cette tournure dans un sens légèrement différent de celui des dictionnaires. Effectivement, dans l’index du Bon Usage, on peut lire ceci : « De, préposition, en rapport avec ou ». On voit nettement l’idée de lien ici. Et on retrouve un exemple identique dans la 5e série des Problèmes de langage : « accord de l’adjectif en rapport avec ou »Note de bas de page 10. ColpronNote de bas de page 11 a beau soutenir que la locution, employée par Grevisse, a une valeur adjective (« qui se rapporte à ») et non une valeur prépositive comme dans l’emploi dénoncé, je n’en suis pas pleinement convaincu. Que peut-on conclure de tout cela? Qu’il faut lever l’interdit? Se contenter d’une mise en garde? Ou attendre que les dictionnaires sanctionnent cet usage? Je me garderai bien de trancher, mais je tenais à apporter ces quelques précisions, afin qu’on sache tout au moins qu’il ne s’agit pas d’un anglicisme québécois « pure laine ».RéférencesNote de bas de page 1 ARTHUR BUIES, Anglicismes et canadianismes, coll. « Introuvables québécois », Montréal, Leméac, 1979, p. 22-23.Retour à la référence de la note de bas de page 1Note de bas de page 2 LÉON LORRAIN, Les Étrangers dans la cité, Montréal, Presses du Mercure, 1936, p. 43.Retour à la référence de la note de bas de page 2Note de bas de page 3 LEE DUNNE, I.R.A.-cible, Paris, Gallimard, coll. « Série noire », 1981, p. 151. (Traduction par Michel Deutsch)Retour à la référence de la note de bas de page 3Note de bas de page 4 ALEXANDRE SOLJÉNITSYNE, « Le déclin du courage », L’Express, 78.06.25, p. 74. (Traduction par Geneviève et José Johannet)Retour à la référence de la note de bas de page 4Note de bas de page 5 ANDREI AMALRIK, Journal d’un provocateur, Paris, Seuil, 1980, p. 85. (Traduction par Antoine Pingaud)Retour à la référence de la note de bas de page 5Note de bas de page 6 GUY SITBON, « Celui par qui le scandale a failli arriver  », Le Nouvel Observateur, 24.07.72, p. 26.Retour à la référence de la note de bas de page 6Note de bas de page 7 FRANÇOIS MIZRACHI, Présentation du Discours de la méthode, Paris, 10/18, 1965, p. 17.Retour à la référence de la note de bas de page 7Note de bas de page 8 LEXIS, Larousse, 1975.Retour à la référence de la note de bas de page 8Note de bas de page 9 DAVID FORTIN, Évolution du langage agricole franco-canadien, Québec, Presses de l’Université Laval, 1968, p. 37.Retour à la référence de la note de bas de page 9Note de bas de page 10 MAURICE GREVISSE, Problèmes de langage, 5e série, Duculot, 1970, p. 353 (index).Retour à la référence de la note de bas de page 10Note de bas de page 11 GILLES COLPRON, Les Anglicismes au Québec, Montréal, Beauchemin, 1979, p. 196.Retour à la référence de la note de bas de page 11
Source : Chroniques de langue (la langue française vue par des langagiers)
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Mots de tête : « non seulement ou de l’inversion du sujet »

Un article sur l’expression non seulement suivi d’un sujet inversé
Frèdelin Leroux fils (L’Actualité terminologique, volume 35, numéro 1, 2002, page 13) « Ici, non seulement faut-il voter avec son parti… »(Henri Bourassa, Le Nationaliste, 26 mars 1904) Je me doute bien que vous ne devez pas vous réveiller la nuit pour vérifier si la locution non seulement permet l’inversion du sujet. Moi non plus, d’ailleurs. Mais le jour par contre, une fois bien éveillé, il m’arrive de me demander pourquoi j’évite systématiquement de faire l’inversion alors que (presque) tout le monde la pratique. La faute en est peut-être à Paul Dupré, qui affirme que « le nombre des adverbes qui entraînent une inversion est classiquement limité : du moins, peut-être, aussi, sans doute (facultatif) »Note de bas de page 1. Ou encore à Jean Darbelnet, le seul à ma connaissance à signaler qu’on « ne fait pas l’inversion après non seulement »Note de bas de page 2. Effectivement, on ne trouve aucun exemple d’inversion dans les dictionnaires, pas même dans la dernière édition du grand Robert, où il y a pourtant plusieurs citations avec notre locution. Quant aux dictionnaires de difficultés, ils se contentent de rappeler que non seulement et mais encore doivent précéder des membres de phrase de même nature. À part Darbelnet, l’inversion après non seulement ne semble pas préoccuper grand monde. Et pourtant, un chroniqueur philosophico-sportif sent le besoin de s’expliquer : « Car non seulement sont-ce les plus beaux – N.D.L.R. : l’auteur sait parce qu’on le lui a déjà dit que « non seulement » ne commande pas l’inversion verbe/sujet, mais il avait la féroce envie d’écrire sont-ce »Note de bas de page 3. Serait-ce un ancien élève de Jean Darbelnet? Il y a au moins une autre personne que la question préoccupe. Dans un article paru dans Le Devoir (23.6.92), un ancien président du Conseil de la langue française, Pierre Martel, reproche « aimablement » à Diane LamondeNote de bas de page 4 d’écrire « non seulement fournit-il », car c’est un calque. Il est vrai que l’anglais fait l’inversion (« not only does he »), mais est-ce bien de là que vient notre usage? On peut se demander s’il ne s’agirait pas plutôt d’une évolution normale. Au tournant du 20e siècle, le grand linguiste Charles BrunotNote de bas de page 5 notait déjà que l’inversion était de plus en plus fréquente dans la langue littéraire. L’inversion a d’ailleurs retenu l’attention de plusieurs spécialistes. Le grammairien Robert Le BidoisNote de bas de page 6, par exemple, publiait en 1952 une longue étude sur l’inversion. Et vingt ans plus tard, une étudiante d’une université suédoise y consacrait sa thèse de doctoratNote de bas de page 7. Hélas, malgré les innombrables exemples recensés, on n’en trouve aucun avec non seulement. Le Bidois signale pourtant un cas (« exceptionnel », précise-t-il) après seulement : « Seulement peut-on dire qu’il… (J. Lescure, Lettres françaises, 1945) »Note de bas de page 8. Dans sa thèse, Birgitta Jonare relève une variante, avec alors seulement : « Alors seulement commence-t-on à avoir… (Elle, 8.5.72) ». Cette inversion, qualifiée d’« aberrante », peut s’expliquer selon elle par la présence de seulement après alors. « Car après cet adverbe, à valeur modale, l’inversion du pronom personnel peut se réaliser, bien que rarementNote de bas de page 9. » Pourquoi n’en serait-il pas de même pour non seulement? Mais l’absence d’exemples avec non seulement m’étonne un peu, car déjà à l’époque où Le Bidois menait son étude, ses compatriotes commençaient à succomber à cette « inversion envahissante » (comme l’appelle un détracteur). Dès 1950, François Nourissier, futur membre de l’Académie Goncourt, y allait d’une double inversion :Non seulement l’idée de nationalité conduisit-elle à l’exaspération […], mais encore devint-elle […]Note de bas de page 10 En 1961, le chef de cabinet du général de Gaulle, lors de la visite à Paris du premier ministre québécois Jean Lesage, aurait commis cette inversion :Non seulement le président recevra-t-il monsieur Lesage […]Note de bas de page 11 Je dis « aurait », car l’auteur lui attribue ces paroles sans donner sa source. Mais il y met des guillemets, et quand on sait avec quel soin il rapporte les propos de ceux qu’il cite, il n’y a pas lieu de croire qu’il les met à la sauce québécoise. Quelques années plus tard, Michel Crozier, sociologue, dans sa traduction d’un article d’une revue anglaise, fait aussi l’inversion :Non seulement leur absence était-elle fort préjudiciable […]Note de bas de page 12 Un collaborateur de la revue Vie et Langage relève quelques cas d’inversions, qu’il juge abusives, dont un avec non seulement :Non seulement celui-ci était-il le plus gai des convives, mais encore se montre-t-il […]Note de bas de page 13 Il indique que la citation vient d’un ouvrage sur la princesse Mathilde, mais il néglige de donner le nom de l’auteur. Il pourrait s’agir de La Princesse Mathilde de M. Querlin, paru en 1966. C’est là tout le fruit de mes pêches sur les rives de l’Hexagone. Chez nous, il va sans dire que la récolte est incommensurablement plus riche. Pléthorique, pour tout dire. Au point où on se prend parfois à souhaiter de rencontrer plus souvent des cas de non-inversion. C’est presque devenu la règle, pour ne pas dire une manie. Chez des professeurs (Julien Bauer, Dorval Brunelle, Marcel Rioux), un économiste (Georges Mathews), un politicien-poète (Gérald Godin), une biographe (Hélène Pelletier-Baillargeon), un philosophe (Georges Leroux), un comédien ex-sénateur (Jean-Louis Roux), un traducteur (André D’Allemagne), qui était à l’époque président de la Corporation des traducteurs professionnels du Québec. Quant aux journalistes, dont la très grande majorité raffole de l’inversion, je me contenterai de mentionner Michel Vastel (Le Droit), Lysiane Gagnon (La Presse), Gil Courtemanche (Le Soleil), Robert Lévesque (Le Devoir), Pierre Bourgault (Journal de Montréal), etc. On ne peut pourtant pas dire qu’ils se fichent de la qualité de la langue. Tous ils se sont, à un moment ou l’autre, portés à la défense du français. Pierre Bourgault, par exemple, a déjà tenu une chronique de langue dans L’Actualité. Si je prends son cas, c’est qu’il est intéressant à un double titre. Dans une chronique récente, il écrit :Non seulement leur liberté d’expression est-elle remise en question […]Note de bas de page 14 Et quatre lignes plus bas :Non seulement ils ne peuvent plus être certains […] Doublement intéressant, dis-je, parce qu’il fait la preuve que les deux façons de dire nous sont familières, mais aussi parce qu’il ébranle quelque peu le semblant de règle que je commençais à échafauder. J’en étais venu à me dire que l’inversion était justifiée pour des raisons d’euphonie, puisqu’elle permettait d’éviter le hiatus créé par la rencontre de la nasale de la locution avec la voyelle du pronom sujet : « non seulement ils ne peuvent » se disant moins bien que « non seulement peuvent-ils ». Les neuf dixièmes de mes exemples confirmaient d’ailleurs mon intuition. Mais voilà que Bourgault ne fait pas l’inversion où il pourrait, la fait où il ne devrait pas, et que dans les quatre exemples français ci-dessus, les auteurs la font sans qu’on puisse invoquer quelque « règle » d’euphonie. Pour terminer, je reprendrais volontiers la conclusion de Birgitta Jonare, qui constate après Brunot et Le Bidois que « l’inversion est un phénomène vivant dans la langue d’aujourd’hui » (p. 173). Dix ans auparavant, un autre grand linguiste reconnaissait – un peu à contrecœur – que « la tendance dans les écrits du 20e siècle est à multiplier les inversions »Note de bas de page 15. Pour sa part, Dupré note que les « progrès de l’inversion sont remarquables »Note de bas de page 16. Après un tel consensus, il me paraît difficile de condamner l’inversion après la locution non seulement. C’est une évolution normale, et chez nous, un usage presque centenaire. Tout au plus pourrait-on exhorter les « écrivants » à ne pas en abuser. La prochaine fois que vous serez tenté(e) de faire l’inversion, demandez-vous si cela ajoute quelque chose à votre phrase, si elle se lit mieux, ou si au contraire elle n’en est pas plus lourde. Je laisse le dernier mot à un journaliste, dont l’observation n’a rien à voir avec notre sujet :Non seulement faut-il combattre la censure, mais aussi se méfier des loisNote de bas de page 17. Ou des règles, si vous préférez.RéférencesNote de bas de page 1 Encyclopédie du bon français, tome 2, Éditions de Trévise, 1972, p. 1370.Retour à la référence de la note de bas de page 1Note de bas de page 2 Dictionnaire des particularités de l’usage, Québec, Presses de l’Université Laval, 1988, p. 119.Retour à la référence de la note de bas de page 2Note de bas de page 3 Jean Dion, Le Devoir, 20.12.01.Retour à la référence de la note de bas de page 3Note de bas de page 4 Réviseur linguistique, auteur de Le maquignon et son joual (1998), où j’ai relevé trois exemples de non seulement… sans inversion.Retour à la référence de la note de bas de page 4Note de bas de page 5 Histoire de la langue française, tome XIII, 1re partie, Armand Colin, 1968, p. 194. (Parue en 1905.)Retour à la référence de la note de bas de page 5Note de bas de page 6 L’inversion du sujet dans la prose contemporaine, Éditions d’Artrey, 1952, 447 p.Retour à la référence de la note de bas de page 6Note de bas de page 7 Birgitta Jonare, L’inversion dans la principale non interrogative en français contemporain, Université d’Uppsala, Suède, 1976, 177 p.Retour à la référence de la note de bas de page 7Note de bas de page 8 Le Bidois, op. cit., p. 126.Retour à la référence de la note de bas de page 8Note de bas de page 9 Jonare, op. cit., p. 77.Retour à la référence de la note de bas de page 9Note de bas de page 10 L’Homme humilié – Sort des réfugiés et « personnes déplacées », Éditions Spes, 1950, p. 30.Retour à la référence de la note de bas de page 10Note de bas de page 11 Pierre Godin, La poudrière linguistique, Montréal, Boréal, 1990, p. 187.Retour à la référence de la note de bas de page 11Note de bas de page 12 Le phénomène bureaucratique, Seuil, 1963, p. 320.Retour à la référence de la note de bas de page 12Note de bas de page 13 M. Cassagnau, « D’une inversion envahissante », Vie et Langage, mai 1967, p. 290.Retour à la référence de la note de bas de page 13Note de bas de page 14 Le Journal de Montréal, 17.12.01.Retour à la référence de la note de bas de page 14Note de bas de page 15 Marcel Cohen, Encore des regards sur la langue française, Paris, Éditions sociales,1966, p. 250.Retour à la référence de la note de bas de page 15Note de bas de page 16 Dupré, op. cit., p. 1370.Retour à la référence de la note de bas de page 16Note de bas de page 17 Roch Côté, Manifeste d’un salaud, Terrebonne (Québec), Éditions du Portique, 1990, p. 69.Retour à la référence de la note de bas de page 17
Source : Chroniques de langue (la langue française vue par des langagiers)
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Mots de tête : « élaboré »

Un article sur le mot élaboré
Frèdelin Leroux fils (L’Actualité terminologique, volume 16, numéro 5, 1983, page 7) J’ai l’intention de répondre à cette question par écrit, et de façon élaboréeNote de bas de page 1.(Frédéric Dard, alias San Antonio) Les rédacteurs anglophones aiment bien « elaborate ». Tout est « elaborate », depuis le budget du grand argentier jusqu’aux œuvres de Joyce, en passant par les toilettes de Diane Dufresne. Spontanément, le traducteur novice traduit par « élaboré ». Son réviseur le lui fait sauter, et lui met dans la marge : anglicisme. De fait, la plupart des défenseurs de la langue (BarbeauNote de bas de page 2, DagenaisNote de bas de page 3, DulongNote de bas de page 4) condamnent cet emploi. Et tout récemment, une fiche Repères-T/R, établie par le collège des réviseurs-moniteurs du Bureau, nous rappelait que « … le participe passé [du verbe élaborer] ne s’emploie pas adjectivement, sauf en botanique… » Effectivement, « sève élaborée » est le seul exemple que donnent les dictionnaires courants. Et les dictionnaires bilingues, qui regorgent d’équivalents (neuf pour le Harrap, huit pour le Robert-Collins), ignorent tous « élaboré ». Pour sa part, M. Koessler, dans son livre sur les faux amisNote de bas de page 5, nous propose pas moins de douze traductions. Si l’on excepte les répétitions, cela fait vingt façons de rendre « elaborate »! Chose assez étonnante, Colpron n’en parle pas dans les deux premières éditions de son ouvrage. Il ne mentionne que le verbe élaborer. Mais la dernière, rebaptisée Dictionnaire des anglicismes, remédie à cette lacune :[…] élaboré comme adjectif n’existe pas en françaisNote de bas de page 6. C’est une affirmation un peu hâtive. Élaboré, adjectif, existe bel et bien. Depuis au moins trente-cinq ans. J’en ai donné un exemple en épigraphe. En voici d’autres… Dans une revue sérieuse, Études :Les idéologies ne sont que des expressions, plus ou moins élaborées […] de ce vouloir-vivre communNote de bas de page 7. Dans les Lettres de BretagneNote de bas de page 8 de Pierre-Jakez Hélias : « ballets élaborés », « langue élaborée ». Chez un grand journaliste, Lucien Barnier :[…] l’effort personnel qu’exigerait un raisonnement élaboréNote de bas de page 9. Sous la plume d’une assistante à l’Université de Nanterre :Les gens ont d’autant plus la capacité d’acquérir des techniques élaboréesNote de bas de page 10. Chez un professeur à l’Université des sciences sociales de Toulouse, auteur du Que sais-je? sur les droits de l’hommeNote de bas de page 11 :[…] jusqu’au totalitarisme le plus savamment élaboré. Quatre exemples dans l’ouvrage d’un psychopédagogue, Les Gros Mots des enfantsNote de bas de page 12. Dans un essai sur le Japon, d’un ancien conseiller culturel à l’ambassade de France au Japon :[…] la codification politico-religieuse la plus élaboréeNote de bas de page 13 […] Chez le sociologue Michel Crozier :[…] tout passage à un niveau d’explication plus élaboréNote de bas de page 14 […] Dans l’admirable Art de trahir de Casamayor :Certains de ces procédés […] sont plus élaborésNote de bas de page 15 […] Trois exemples dans le très beau livre de Jacques Rigaud, La Culture pour vivreNote de bas de page 16. (Je ne vous donne pas les citations dans l’espoir que votre curiosité vous poussera à le lire.) Dans un ouvrage de nul autre que l’auteur du Style administratif, Robert Catherine :[…] la doctrine apparaît […] insuffisamment élaboréeNote de bas de page 17. Cinq occurrences chez un des quarante immortels, Louis Leprince-Ringuet. Un exemple suffira :Il représente bien le fruit le plus élaboré de l’UniversitéNote de bas de page 18. J’en arrive à mes dernières sources. Voici ce que dit le Trésor de la langue françaiseNote de bas de page 19 :Élaboré – qui résulte d’un long travail : art élaboré, problématique élaborée. Synon. perfectionné, raffiné. Le Trésor donne un exemple d’un bon auteur, Maurice Druon (entré à l’Académie en 1966) :Après des mets fins, élaborés et peu copieux … (Les Grandes Familles, tome I, 1948.) Pierre Gilbert, dans son Dictionnaire des mots nouveaux, à l’article « sophistiqué », cite la revue Entreprise (20.9.69) :Les catalogues américains […] apparaissent comme les plus sophistiqués et les plus élaborésNote de bas de page 20. Deux défenseurs de la langue confirment cet usage –indirectement. Roland Godiveau, dans ses 1 000 difficultés courantes du français parléNote de bas de page 21, signale que « sophistiqué » est un anglicisme au sens de « perfectionné, élaboré ». S’attaquant au même anglicisme, le rédacteur en chef de la Revue du traducteur, Claude Cornillaud (pas laxiste pour deux sous), écrit dans le numéro d’octobre 1981 :Bien qu’à l’origine il ait surtout remplacé élaboréNote de bas de page 22 […] Enfin le tome 4 du Grand Dictionnaire encyclopédique LarousseNote de bas de page 23, qui vient tout juste de paraître, enregistre ce sens :Être élaboré – être perfectionné, être raffiné dans ses moindres détails; […] c’est un système très élaboré. Au grand total, j’ai relevé vingt-quatre exemples, vingt-neuf avec les répétitions. Pour un adjectif qui n’existe pas, cela fait une postérité remarquable. Ceci dit, si élaboré, au sens de perfectionné, raffiné a désormais droit de cité, il reste que, dans bien des cas, on aura intérêt à trouver un équivalent plus juste, plus imagé. Je n’en veux pour preuve que ce dernier exemple, tiré des Faux AmisNote de bas de page 24 :Owing to the elaborate precautions with which the traffickers surround themselves –En raison du luxe de précautions […] C’est infiniment mieux, à mon sens, que « précautions élaborées ».RéférencesNote de bas de page 1 Entrevue avec Frédéric Dard, Nouvel Observateur, 25.2.80.Retour à la référence de la note de bas de page 1Note de bas de page 2 Victor Barbeau, Le Français du Canada, Garneau, Québec, 1970, p. 125.Retour à la référence de la note de bas de page 2Note de bas de page 3 Gérard Dagenais, Dictionnaire des difficultés de la langue française au Canada, Éditions Pedagogia, Montréal, 1967, p. 268-269.Retour à la référence de la note de bas de page 3Note de bas de page 4 Gaston Dulong, Dictionnaire correctif du français, Presses de l’Université Laval, 1968, p. 118.Retour à la référence de la note de bas de page 4Note de bas de page 5 M. Koessler, Les Faux Amis, Vuibert, Paris, 1975, p. 226.Retour à la référence de la note de bas de page 5Note de bas de page 6 Gilles Colpron, Dictionnaire des anglicismes, Beauchemin, Montréal, 1982, p. 39.Retour à la référence de la note de bas de page 6Note de bas de page 7 Pierre Sempé, Études, décembre 1981, p. 680.Retour à la référence de la note de bas de page 7Note de bas de page 8 Pierre-Jakez Hélias, Lettres de Bretagne, Galilée, Paris, 1978, p. 154 et 165.Retour à la référence de la note de bas de page 8Note de bas de page 9 Lucien Barnier, Les Années terribles de l’espérance, Laffont, Paris, 1978, p. 166.Retour à la référence de la note de bas de page 9Note de bas de page 10 Nelcya Delanoë, La Faute à Voltaire, Seuil, coll. Politique, 1972, p. 174.Retour à la référence de la note de bas de page 10Note de bas de page 11 Jacques Mourgeon, Les Droits de l’homme, P.U.F., « Que sais-je », 1978, p. 18 (autre exemple, p. 17.)Retour à la référence de la note de bas de page 11Note de bas de page 12 Patrick Boumard, Les Gros Mots des enfants, Stock 2, coll. « Dire », 1979, p. 125, 148, 221 et 241.Retour à la référence de la note de bas de page 12Note de bas de page 13 Thierry de Beaucé, L’Île absolue, Olivier Orban, 1979, p. 19.Retour à la référence de la note de bas de page 13Note de bas de page 14 Michel Crozier, La Société bloquée, Seuil, coll. Politique, 1970, p. 13.Retour à la référence de la note de bas de page 14Note de bas de page 15 Casamayor, L’Art de trahir, Gallimard, coll. « Idées », 1978, p. 78.Retour à la référence de la note de bas de page 15Note de bas de page 16 Jacques Rigaud, La Culture pour vivre, Gallimard, coll. « Idées », 1975, p. 145, 201 et 361.Retour à la référence de la note de bas de page 16Note de bas de page 17 Robert Catherine et Guy Thuillier, Conscience et pouvoir, Éditions Montchrestien, 1974, p. 54.Retour à la référence de la note de bas de page 17Note de bas de page 18 Louis Leprince-Ringuet, Science et bonheur des hommes, Flammarion, coll. « Champs », 1973, p. 110. (autres exemples, p. 104 et 126.) Voir aussi, du même auteur, Le Grand Merdier, Flammarion, 1978, p. 85 et 236.Retour à la référence de la note de bas de page 18Note de bas de page 19 Paul Imbs, Trésor de la langue française, Centre national de la recherche scientifique, tome 7, 1979.Retour à la référence de la note de bas de page 19Note de bas de page 20 Pierre Gilbert, Dictionnaire des mots nouveaux, Hachette/Tchou, 1971, p. 500.Retour à la référence de la note de bas de page 20Note de bas de page 21 Roland Godiveau, 1 000 difficultés courantes du français parlé, Duculot, coll. « Boîte à outils de la langue française », Gembloux, 1978, p. 113.Retour à la référence de la note de bas de page 21Note de bas de page 22 Claude Cornillaud, « Pour une politique langagière », Revue du traducteur, oct. 81, p. 5. (Voir aussi le numéro de mars 82, p. 4.)Retour à la référence de la note de bas de page 22Note de bas de page 23 Grand dictionnaire encyclopédique Larousse, tome 4, 1983, p. 3616.Retour à la référence de la note de bas de page 23Note de bas de page 24 M. Koessler, op. cit.Retour à la référence de la note de bas de page 24
Source : Chroniques de langue (la langue française vue par des langagiers)
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