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Mots de tête : « faire (du) sens »

Un article sur l’expression faire (du) sens
Frèdelin Leroux fils (L’Actualité langagière, volume 4, numéro 1, 2007, page 20) Les mots diversement rangés font divers sens.(Pascal, Pensées, 23, 79.) Il y a une trentaine d’années, Irène de Buisseret mettait les traducteurs en garde contre leur tendance à traduire « this idea makes sense » par « cette idée a du sens »Note de bas de page 1. Elle qualifiait cette traduction de « fausse Française ». Il fallait plutôt dire « c’est une idée sensée, pleine de bon sens, raisonnable ». Et ce ne sont pas les dictionnaires de l’époque qui lui auraient donné tort, puisqu’ils ignoraient la tournure « avoir du sens ». Aujourd’hui, « avoir du sens » figure dans la plupart des dictionnaires, et depuis pas mal de temps. Le Grand dictionnaire encyclopédique Larousse (1984) la donne, et le Trésor de la langue française (1988) aussi, mais il faut chercher à « signifier ». Le Robert-Collins rend « to make sense » par « avoir du sens », et le Larousse et le Harrap’s, par « avoir un sens ». On trouve aussi, bien sûr, « ça n’a pas de sens ». Mais, sauf pour la forme négative, les exemples ne permettent pas de dire s’il s’agit du sens figuré. Quant aux ouvrages normatifs, comme les Faux AmisNote de bas de page 2, ils se méfient encore de « cela a du sens » et proposent plutôt « cela se tient ». Et pourtant, les cas d’emploi au figuré ne sont pas rares. Je me contenterai de deux exemples, du site du Sénat français : « nous savons parfois être conservateurs, quand cela a du sens » (séance du 24.01.97); « dire qu’un pays doit compter au maximum 60 000 habitants, cela a du sens dans certaines zones, mais strictement aucun dans d’autres » (séance du 23.03.99). Nous employons d’autres tournures avec « sens » qui ne seraient pas linguistiquement correctes. Il y a quelques années, la ministre québécoise de la Francophonie se faisait gourmander pour avoir osé dire que l’apologie de l’ex-maire de Montréal en faveur de l’anglais ne faisait aucun sens. Mais que lui reprochait-on, au juste? vous demandez-vous. De s’être opposée à ce qu’on déroule le tapis rouge pour l’anglais? Non. Tout simplement d’avoir employé un anglicisme. Heureusement qu’il s’est trouvé quelqu’un pour se porter à la défense de la Ministre. Claude Poirier, responsable du futur Trésor de la langue française au Québec, rappelle que si les ouvrages correctifs québécois condamnent « ne pas faire de sens » (et son pendant « faire du sens »), ils ne disent rien de « ne faire aucun sens » : « ce qui est tout de même différent »Note de bas de page 3, ajoute-t-il. J’avoue que je ne suis pas sûr de voir la nuance. La voyez-vous? Quoi qu’il en soit, dans sa défense, il se contente de deux exemples avec « aucun », dont celui-ci du linguiste André Martinet : « La notion de message intermédiaire ne faisait aucun sens ». Les exemples avec « aucun » ne manquent pas. Le linguiste Claude Hagège l’emploie : « baby-foot, inventé en France à partir de mots anglais, et ne faisant aucun sens pour un anglophone »Note de bas de page 4. Un professeur de la Sorbonne : « Les éditions de 1728 portent il en avait oublié, qui ne fait aucun sens »Note de bas de page 5. Ainsi qu’un romancier : « ce résumé ne faisait aucun sens »Note de bas de page 6. Enfin, je l’ai entendu dans le film Le profit et rien d’autre, du cinéaste haïtien Raoul Peck : « ça ne fait plus aucun sens ». Claude Hagège emploie aussi une variante : « la notion de faute d’orthographe ne faisait pas grand sens »Note de bas de page 7. À la lumière de ces exemples, on peut se demander si le simple ajout d’un qualificatif (« aucun », « grand ») suffit pour rendre correcte la tournure avec « faire » Et faute d’un qualificatif, l’usage québécois « ne pas faire de sens » serait fautif? C’est ce que semble croire Claude Poirier, puisqu’il ne tente pas de défendre cet usage. Ce qui me laisse perplexe, et vous aussi peut-être. Pour tenter d’y voir un peu plus clair, passons en revue quelques exemples où « sens » est employé presque à toutes les sauces. Comme si on se prenait pour Dieu, on n’hésite pas à créer du sens : « comme dans M. le Maudit, la traque crée du sens »Note de bas de page 8. Ou à en produire : « les quotas ne produisent de sens qu’au regard des programmes dits de stock »Note de bas de page 9. Voire à refaire du sens : « l’individu n’a plus alors qu’un recours : refaire du sens à partir de ses blessures qu’il amplifie »Note de bas de page 10. L’emballement pour « sens » est tel qu’on en arrive à oublier l’article : « les franchissements répétés des limites entre centre et périphérie d’une ville donnent sens à nos vies »Note de bas de page 11; « les personnages de Remise de peine donnent sens à cette remarque de Patoche »Note de bas de page 12; « cette musique prendra sens, elle deviendra lentement paroles »Note de bas de page 13. Et avec le tour faire sens, l’article semblerait presque de trop : « l’intonation est quelque chose qui fait sens »Note de bas de page 14; « les bruits, les phénomènes les plus grotesques faisaient sens »Note de bas de page 15; « l’apparence des êtres et des choses, seule susceptible de faire sens »Note de bas de page 16; « nous l’avons appelé culturel pour que cela fasse immédiatement sens pour le plus grand nombre »Note de bas de page 17; « puisque rien ne fait sens a priori… »Note de bas de page 18. Devant un tel engouement, il est curieux que si peu de dictionnaires enregistrent cette locution. Le Petit Robert, depuis 1993, la définit ainsi : « avoir un sens, être intelligible ». Et le Robert-Collins Super Senior de 2000 la traduit par « to make sense ». Le Grand Robert quant à lui continue de l’ignorer… Sauf exception, faire sens est rare au Québec. Nous préférons « faire du sens ». Tournure qui, vous le savez déjà, est condamnée, par le ColpronNote de bas de page 19, Marie-Éva de VillersNote de bas de page 20, Guy BertrandNote de bas de page 21 et Paul RouxNote de bas de page 22. Alors qu’on pourrait croire que c’est un usage populaire, l’auteur du Québécois instantané y voit un « anglicisme d’universitaire »Note de bas de page 23! À mon sens, c’est bien davantage « faire sens » qui serait un tic d’universitaire. On trouve d’autres condamnations ou mises en garde sur Internet. Mais plusieurs milliers d’exemples aussi, dont une bonne proportion sur des sites autres que québécois ou canadiens. D’un quotidien suisse : « cette résistance qui fait du sens » ; d’un blogueur français : « c’est malheureux, mais ça fait du sens » ; du Centre de media indépendant de Marseille : « ça fait du sens docteur » ; etc. Les occurrences de la forme négative sont nettement moins nombreuses, mais il y en a, dont celle-ci : « Certaines dispositions ont été supprimées, alors qu’elles ne font pas de sens », tirée d’un projet de loi du gouvernement du Luxembourg. On le voit, la tournure « québécoise » se répand. On peut se demander pourquoi, d’ailleurs, puisqu’il est quand même plus simple de dire que telle chose a du sens (ou n’a pas de sens). Il faut croire que « faire » ajoute un petit quelque chose de sérieux, de réfléchi, peut-être. Bien sûr, on peut y voir l’influence de l’anglais. À ce moment-là, pourquoi cette influence n’est-elle jamais évoquée dans le cas de « faire sens »? C’est pourtant encore plus près de « to make sense »… Parlant de « faire sens », en combinant divers temps du verbe, on obtient presque un quart de million d’occurrences sur Internet, alors que les mêmes combinaisons avec « du » n’en récoltent que 30 000 (condamnations et mises en garde comprises). Certes, je n’aime pas le tour québécois, mais si on m’obligeait à choisir entre les deux (j’allais dire entre ces deux maux), je crois que j’opterais pour le tour québécois. Le côté jargonneux de l’autre me déplaît. Aussi, je préfère le laisser aux philosophes et aux linguistes, aux universitaires, quoi. D’ailleurs, je ne me souviens pas avoir vu de cas où « faire sens » était employé au figuré. C’est probablement par les sens propre et figuré que les deux usages continueront de se démarquer.RéférencesNote de bas de page 1 Guide du traducteur, Ottawa, ATIO, 1971, p. 35 (Deux langues, six idiomes, p. 24).Retour à la référence de la note de bas de page 1Note de bas de page 2 Jacques Van Roey et coll., Dictionnaire des faux amis français-anglais, 2eéd., Duculot, 1991.Retour à la référence de la note de bas de page 2Note de bas de page 3 Le Devoir, 21.02.03.Retour à la référence de la note de bas de page 3Note de bas de page 4 Le français et les siècles, Seuil, coll. Points, 1989, p. 127 (v. aussi p. 76).Retour à la référence de la note de bas de page 4Note de bas de page 5 Frédéric Deloffre, in Marivaux, Journaux et œuvres diverses, Garnier, 1969, p. 575.Retour à la référence de la note de bas de page 5Note de bas de page 6 Pascal Lainé, Monsieur, vous oubliez votre cadavre, Éditions Ramsay, 1986, p. 145 (exemple qui m’a été signalé par un collègue, Philippe Blain).Retour à la référence de la note de bas de page 6Note de bas de page 7 op. cit., p. 274.Retour à la référence de la note de bas de page 7Note de bas de page 8 Edwy Plenel, Le Figaro littéraire, 12.12.02.Retour à la référence de la note de bas de page 8Note de bas de page 9 Serge Regourd, L’Exception culturelle, Que sais-je?, 2002, p. 45.Retour à la référence de la note de bas de page 9Note de bas de page 10 Pascal Bruckner, La Tentation de l’innocence, Poche, 1996, p. 139.Retour à la référence de la note de bas de page 10Note de bas de page 11 Jean Viard, Penser les vacances, Actes Sud, 1984, p. 10.Retour à la référence de la note de bas de page 11Note de bas de page 12 Bertrand Poirot-Delpech, Le Monde, 15.01.88.Retour à la référence de la note de bas de page 12Note de bas de page 13 Claude Duneton, La mort du français, Plon, 1999, p. 17.Retour à la référence de la note de bas de page 13Note de bas de page 14 Claude Hagège, « La traduction, le linguiste et la rencontre des cultures », Diogène, janv.-mars, 1987, p. 25.Retour à la référence de la note de bas de page 14Note de bas de page 15 Émile Ollivier, Mère-Solitude, Albin Michel, 1983, p. 174.Retour à la référence de la note de bas de page 15Note de bas de page 16 Marc Augé, Un ethnologue dans le métro, Hachette, 1986, p. 110.Retour à la référence de la note de bas de page 16Note de bas de page 17 Alain Rey, Le Figaro littéraire, 13.10.05.Retour à la référence de la note de bas de page 17Note de bas de page 18 Pascal Bruckner, op. cit., p. 163.Retour à la référence de la note de bas de page 18Note de bas de page 19 Constance Forest et Louis Forest, Le Colpron, Beauchemin, 1994.Retour à la référence de la note de bas de page 19Note de bas de page 20 Multidictionnaire des difficultés de la langue française, Québec/Amérique, 2e éd., 1992.Retour à la référence de la note de bas de page 20Note de bas de page 21 400 capsules linguistiques, Lanctôt, 1999.Retour à la référence de la note de bas de page 21Note de bas de page 22 Lexique des difficultés du français dans les médias, Éditions La Presse, 2004.Retour à la référence de la note de bas de page 22Note de bas de page 23 Benoît Melançon, Dictionnaire québécois instantané, Fides, 2004, p. 203.Retour à la référence de la note de bas de page 23
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Mots de tête : « impliqué »

Un article sur l’expression impliqué
Frèdelin Leroux fils (L’Actualité terminologique, volume 18, numéro 5, 1985, page 9) Car l’on s’attend du pape qu’il s’implique dans le monde.(Jean Basile, La Presse, 10.5.84) Hier encore, implications au sens de « répercussions », « effets », « conséquences », dégageait une odeur de soufreAller à la remarque a. Aujourd’hui, la plupart des dictionnaires se montrent indulgents pour cet hérétique (Curieusement, pas le Robert. Est-ce un oubli? Le Robert-Collins l’accepte pourtant.). Cet emploi remonterait au milieu des années soixante. Dans son Dictionnaire des mots nouveaux, Pierre Gilbert en donne trois exemples, dont un qui date de 1966. D’ailleurs, dès sa parution en 1967, le Dictionnaire du français contemporain enregistrait cet usage. Le débat autour de ce problème de langage commence à peine à s’apaiser, et voici qu’impliquer prétend de nouveau étendre son champ sémantique. Comme pour compliquer la vie aux lexicographes. Sur le modèle des conjugaisons fantaisistes qui faisaient nos délices à l’écoleAller à la remarque b, j’en ai forgé une pour tenter de cerner l’extension de sens de notre verbe ambitieux :Je collabore, tu participes, il s’implique.J’ai relevé plusieurs exemples de cette acception :Lévi-Strauss ne s’implique jamais plus dans le contemporain (…) que lorsqu’il feint d’en prendre congéNote de bas de page 1.(Les régimes politiques) cherchent à vous impliquer émotionnellementNote de bas de page 2…(Lorsqu’il) possède déjà un « vécu historique et sociologique » du sujet traité, qu’il s’y impliqueNote de bas de page 3… Et le substantif emboîte le pas :(…) l’implication est forte dans l’isoloirNote de bas de page 4… Ce rejeton, si je puis dire, a déjà ses entrées dans au moins une maison (Larousse, s’entend). Dans le tome 5 du Grand Dictionnaire encyclopédique Larousse (1983), on lit ceci :S’impliquer dans qqch. (abstrait), mettre beaucoup de soi-même dans l’activité que l’on fait, les relations qu’on a avec les autres, etc.; investir : s’impliquer dans son travail. Et dans le Petit Larousse de 1984 :(Fam.) S’impliquer dans qqch., s’y donner à fond. Si ce nouvel emploi a des chances de rencontrer la faveur des amateurs de bon langage, il me paraîtrait hasardeux de miser sur celles de son frère de lait, vraisemblablement d’extraction anglaise. Au sens de « concerné », « intéressé », impliqué est condamné depuis assez longtemps, et à peu près par les mêmes qui interdisaient à implication de sortir de son lit juridique, ou mathématique. Mais malgré tous les interdits, il a le vent dans les voiles. J’ai essayé de ranger les exemples qui suivent par ordre d’éloignement de la signification première du mot, « engagé dans une affaire fâcheuse ».Les fondeurs de fer parisiens –industrie impliquée dans le conflit –sont en grèveNote de bas de page 5…Au Tchad, le pouvoir s’est trouvé de plus en plus étroitement impliqué dans un affrontement avec la LibyeNote de bas de page 6…Monsieur K. resta sa vie durant impliqué dans les luttesNote de bas de page 7.(Être engagé dans un affrontement avec un pays, c’est certes une situation fâcheuse; mais participer à des luttes, ça l’est beaucoup moins.)(…) incidences commerciales liées au passage de certains chanteurs à la radio (…), des pressions exercées, des groupes ou des individus impliquésNote de bas de page 8…(…) que la France ne soit pas impliquée dans les négociations sur le désarmementNote de bas de page 9…(Ici, toute idée de « faute » est disparue.)Parmi les bailleurs de fonds (…) figurent à la fois des « mécènes » (…) et des « commerçants » directement impliquésNote de bas de page 10…(…) pour mieux comprendre les mutations technologiques (…) dans lesquelles le lecteur est directement impliquéNote de bas de page 11.(C’est le sens de « concerné », « intéressé ».)Knight-Ridder vient de porter à soixante-dix le nombre de quotidiens impliqués dans son projet ViewtronNote de bas de page 12.(On pense tout de suite à « visé ».) Voici trois exemples qui rappellent l’emploi de s’impliquer :Ceux qui sont déjà impliqués dans la vie associativeNote de bas de page 13…Le groupe (…), peu impliqué dans les institutionsNote de bas de page 14…Seize Français, impliqués à divers titres dans l’innovationNote de bas de page 15…(C’est l’idée de « participation ».)Les articles qui suivent (ont pour but) de faire en sorte que chaque citoyen impliqué dans un service public ou privéNote de bas de page 16…(Il s’agit des fonctionnaires, agents, employés d’un service…) Enfin, le Harrap va même jusqu’à parler de « véhicule impliqué dans un accident ». Certains doivent se retourner dans leur tombe. Au terme de cette énumération, un peu sèche je m’en excuse, il ne serait peut-être pas inutile de faire le point. Implications, au sens de conséquences, est désormais admis. Quant à s’impliquer, il a de très bonnes chances de faire son petit bonhomme de chemin. Personnellement, je ne répugnerais pas à l’employer. Je le trouve utile. Il occupe un créneau, pour parler comme les économistes. Mais pour ce qui est de notre anglicisme (« impliqué » au sens de « concerné », « intéressé »), jusqu’à ce que les dictionnaires français lui ménagent une petite place, j’ai bien peur qu’il ne demeure sur la liste noire des intrus. Il faut reconnaître qu’il n’est pas indispensable. On gagnera souvent en précision –voire en élégance –à lui préférer un synonyme. Et on évitera d’agacer, ou d’ennuyer, le lecteur délicat.RemarquesRemarque a Voir Victor Barbeau, Gilles Colpron, Gérard Dagenais, Maxime Koessler, les fiches de Radio-Canada.Retour à la remarque aRemarque b Pour l’amusement du lecteur, on me permettra de donner celle de pleuvoir : je pleux, tu pleux, il pleut, nous mouillons, vous mouillez, ils dégouttent.Retour à la remarque bRéférencesNote de bas de page 1 Jean-Paul Enthoven, Le Nouvel Observateur, 17.6.83.Retour à la référence de la note de bas de page 1Note de bas de page 2 Jean Baudrillard, Le Monde, 21.9.83.Retour à la référence de la note de bas de page 2Note de bas de page 3 Jean-Pierre Corbeau, Le village à l’heure de la télé, Stock, 1978, p. 83.Retour à la référence de la note de bas de page 3Note de bas de page 4 Bernard Krief, Le Monde, 19.4.83.Retour à la référence de la note de bas de page 4Note de bas de page 5 Paule Lejeune, Louise Michel, l’indomptable, Éditions des femmes, Paris, 1978, p. 125.Retour à la référence de la note de bas de page 5Note de bas de page 6 Bernard Brigoulex, Le Monde, 1.1.84.Retour à la référence de la note de bas de page 6Note de bas de page 7 Bertolt Brecht, Histoires d’almanach, L’Arche, 1983, p. 129. (Traduit de l’allemand par Ruth Ballangé et Maurice Regnaut.)Retour à la référence de la note de bas de page 7Note de bas de page 8 Louis Leprince-Ringuet, Le Grand Merdier, Flammarion, 1978, p. 75.Retour à la référence de la note de bas de page 8Note de bas de page 9 Dominique Moïsi, Le Monde, 6.4.83.Retour à la référence de la note de bas de page 9Note de bas de page 10 Thomas Ferenczi, sélection hebdomadaire du Monde, 1.8.79.Retour à la référence de la note de bas de page 10Note de bas de page 11 Publicité parue dans Le Monde, 16.10.84.Retour à la référence de la note de bas de page 11Note de bas de page 12 Eddy Cherki, Le Monde, 6.11.83.Retour à la référence de la note de bas de page 12Note de bas de page 13 Léa Marcou, Le Monde, 13.3.83.Retour à la référence de la note de bas de page 13Note de bas de page 14 Jean-Pierre Corbeau, op. cit., p. 45.Retour à la référence de la note de bas de page 14Note de bas de page 15 Annie Battle, Le Monde, 20.11.83.Retour à la référence de la note de bas de page 15Note de bas de page 16 Casamayor, Esprit, janvier 1970. p. 7.Retour à la référence de la note de bas de page 16
Source : Chroniques de langue (la langue française vue par des langagiers)
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Mots de tête : « aux petites heures »

Un article sur l’expression aux petites heures du matin
Frèdelin Leroux fils (L’Actualité terminologique, volume 14, numéro 8, 1981, page 14) « J’ai bien réfléchi depuis huit jours, aux petites heures du matin surtout (…)Note de bas de page 1. » À mon avis, c’est ainsi que s’exprime spontanément, tout Québécois ou Canadien français « normal », si j’ose dire. Mais c’est en vain que vous chercherez l’expression « aux petites heures du matin » dans les dictionnaires. D’après ColpronNote de bas de page 2, c’est un anglicisme. Les dictionnaires bilingues – par leur silence – semblent lui donner raison. « In the small hours of the morning » est presque invariablement rendu par « au petit matin/jour ». Le Harrap propose plusieurs traductions, toutes intéressantes et utiles, mais de notre tournure pas le moindre signe. Pas même « aux petites heures ». Doit-on se résigner à l’idée que nos meilleurs auteurs québécois font tous cette « faute »? Y compris Louise Maheux-Forcier, un de nos très bons stylistes? (Je ne vous demande pas de me croire sur parole. Lisez plutôt ses délectables petites nouvelles, d’où est tirée la citation en exergue. Vous m’en donnerez des nouvelles … comme dirait mon ami journaliste.) L’expression « petites heures » figure évidemment dans les dictionnaires, mais avec un sens très restreint. Ce qui confirme ce que vous saviez déjà, que les dictionnaires sont toujours en retard sur l’usage. Car les exemples de son emploi par des auteurs français, tant d’ici que de France, ne manquent pas. De ce côté-ci de l’eau, la mère de la Sagouine :« Et le 10 août au matin, aux petites heures (…)Note de bas de page 3. » Et de l’autre côté, le père Maigret :« Et si le type se met à jouer à la belote jusqu’aux petites heuresNote de bas de page 4? » Cette phrase de Simenon date de 1938… On en trouve un second exemple dans Maigret et l’indicateurNote de bas de page 5. Autre exemple, cette fois de Boileau-Narcejac :« Aux petites heures, les Kellerman passent à l’attaqueNote de bas de page 6. » Dernier exemple, d’un roman de Graham Greene (il s’agit bien sûr d’une traduction) :« Il faut le garder pour les petites heuresNote de bas de page 7. » On rencontre également diverses variantes de cette tournure, étoffées pour ainsi dire. Commençons par une traduction :« Elles faisaient halte devant les maisons des nègres, y pénétraient aux petites heures de la nuit (….)Note de bas de page 8 ». Usage qu’on retrouve au Québec, sous la plume de Jacques Godbout :« (…) une boîte à images qui parle de sept heures du matin aux petites heures de la nuit (…)Note de bas de page 9. » Autre variante, française celle-là :« S’adressant au pays, mardi 19 février, aux petites heures de la matinée (…)Note de bas de page 10. » On trouve même dans le Grand Robert « aux petites heures du jour », mais sans explication, avec renvoi à aubeNote de bas de page 11. Avec toutes ces variantes, on ne voit vraiment pas ce qui interdirait d’employer « aux petites heures du matin ». Un traducteur français – audacieux ou servile? – a osé franchir ce pas :« (…) à la lumière de l’unique ampoule qu’ils allumaient aux petites heures du matin (…)Note de bas de page 12 .» Et enfin, un auteur français de l’Hexagone, le père du Petit Simonin, nous fournit la preuve que ce n’est rien moins qu’un anglicisme.« Primo, la circulation se trouvait être beaucoup plus intense qu’aux petites heures du matin (…)Note de bas de page 13. » Au terme de ce petit zigzag autour d’une tournure, qu’on me permette d’enfoncer une porte ouverte : contrairement à ce qu’on nous répète trop souvent, ce n’est pas parce qu’un terme ne figure pas dans les dictionnaires et qu’il existe un terme semblable en anglais, qu’il s’agit nécessairement d’un anglicisme. Qui sait? c’est peut-être tout simplement un usage – parfaitement français – qui a du mal à faire son entrée au dictionnaire.RéférencesNote de bas de page 1 MAHEUX-FORCIER, Louise. En toutes lettres, Montréal, Le Cercle du livre de France, 1980, p. 108.Retour à la référence de la note de bas de page 1Note de bas de page 2 COLPRON, Gilles. Les Anglicismes au Québec, Montréal, Beauchemin, 1970, p. 198.Retour à la référence de la note de bas de page 2Note de bas de page 3 MAILLET, Antonine. L’Acadie pour quasiment rien, Montréal, Leméac, 1973, p. 44.Retour à la référence de la note de bas de page 3Note de bas de page 4 SIMENON, Georges. L’homme tout nu, Les Dossiers de l’Agence O., œuvres complètes, vol. VIII, Éditions Rencontre, 1967, p. 115.Retour à la référence de la note de bas de page 4Note de bas de page 5 Idem., Maigret et l’indicateur, Paris, Presses de la Cité, 1975, p. 97.Retour à la référence de la note de bas de page 5Note de bas de page 6 BOILEAU-NARCEJAC. Le Roman policier, coll. Que sais-je? 1975, p. 97.Retour à la référence de la note de bas de page 6Note de bas de page 7 GREENE, Graham. Un Américain bien tranquille, Paris, Laffont, 1956, p. 155. (Traduction de The Quiet American par Marcelle Sibon.)Retour à la référence de la note de bas de page 7Note de bas de page 8 HODGSON, Godfrey. « Carpetbaggers » et Ku-Klux-Klan, Paris, Julliard, coll. Archives, 1966, p. 213. (Extrait du rapport du sénateur Sherman de l’Ohio au président Grant, 6 décembre 1876.)Retour à la référence de la note de bas de page 8Note de bas de page 9 GODBOUT, Jacques. « Avec Los Angeles dans tous nos salons » in L’Actualité, Montréal, septembre 1980, p. 76.Retour à la référence de la note de bas de page 9Note de bas de page 10 DHOMBRES, Dominique. « Indispensable malgré lui » in Le Monde, sélection hebdomadaire, Paris, 20.02.80, p. 2.Retour à la référence de la note de bas de page 10Note de bas de page 11 Le Grand Robert, vol. 3, 1969, p. 479.Retour à la référence de la note de bas de page 11Note de bas de page 12 BEHAN, Brendan. Un peuple partisan, Paris, Gallimard, 1960, p. 266. (Traduction de Borstal Boy par Roger Giroux.)Retour à la référence de la note de bas de page 12Note de bas de page 13 SIMONIN, Albert. Confessions d’un enfant de La Chapelle, tome 1, Le Faubourg, Paris, Gallimard, 1977, p. 217.Retour à la référence de la note de bas de page 13
Source : Chroniques de langue (la langue française vue par des langagiers)
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vingt-quatre heures sur vingt-quatre

Article sur l’expression vingt-quatre heures sur vingt-quatre, ses différents équivalents et les calques à éviter.
Selon le contexte, on traduit l’expression anglaise twenty-four hours a day par : vingt-quatre heures sur vingt-quatre 24 heures sur 24 jour et nuit nuit et jour le jour et la nuit en tout temps La locution vingt-quatre heures sur vingt-quatre est attestée au sens de « tout le temps », « sans discontinuer », quoique certaines sources la considèrent comme familière. Certains dictionnaires bilingues la proposent comme équivalent de twenty-four hours a day. On recommande toutefois d’éviter la locution 24 heures par jour (ou vingt-quatre heures par jour). 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 L’expression anglaise twenty-four hours a day, seven days a week se traduit par : 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 24 heures sur 24, sept jours sur sept tous les jours, 24 heures sur 24 tous les jours, vingt-quatre heures sur vingt-quatre vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept  Ce sont des synonymes de vingt-quatre heures sur vingt-quatre. On évite toutefois les locutions suivantes qui, même si elles sont fréquentes, constituent des calques de l’anglais : 24 heures par jour, sept jours par semaine 24 heures par jour, 7 jours par semaine tous les jours, 24 heures par jour 24/7 Quand on veut parler d’un établissement ouvert sans interruption, on peut donc dire : ouvert jour et nuit ouvert en tout temps ouvert jour et nuit, sept jours sur sept ouvert 24 heures sur 24, sept jours sur sept ouvert 365 jours par année
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Prendre pour acquis

Un article sur l’expression prendre pour acquis
Jacques Desrosiers (L’Actualité terminologique, volume 31, numéro 1, 1998, page 13) Les disputes linguistiques portent en général sur des expressions dont l’emploi est très répandu mais que les dictionnaires refusent d’accueillir. Leurs partisans les défendent au nom de l’Usage, leurs détracteurs les rejettent au nom de la Norme. Ces disputes ressemblent à des querelles des anciens et des modernes, où les seconds accusent les premiers d’être ennemis de l’usage, lesquels ennemis se défendent en invoquant le « bon » usage. L’usage, dans ces chicanes, est comme les fleurs et le printemps : tout le monde est pour. Ce n’est pas tout à fait le cas d’un autre genre de querelles qui, pour être plus rares, ne manquent pas moins de piquant : elles portent sur des tournures qui non seulement sont fréquentes dans l’usage, mais en plus figurent en toutes lettres dans de respectables ouvrages, – et sur lesquelles on continue à s’acharner, en excommuniant à la fois usage et dictionnaires. Pensons à s’avérer faux dont il a été question dans L’Actualité terminologiqueNote de bas de page 1 et que certains considèrent encore comme une contradiction, alors qu’il est reçu par le Grand Larousse de la langue française, rien de moins, depuis un quart de siècle. Plusieurs sources soutiennent qu’avoir le meilleur sur quelqu’un est un calque inacceptable de to get the better of someone, mais l’expression figure dans le Trésor de la langue française (TLF), le Grand dictionnaire encyclopédique Larousse (GDEL) et le Hanse, qui tous ignorent royalement l’objection que sa syntaxe serait fautive. La responsabilité de ne pourrait être suivi d’un infinitif, prétend-on : nous aurions le droit de dire la responsabilité de la gestion, mais non la responsabilité de gérer. Or le Grand Robert renferme plusieurs citations d’écrivains célèbres, comme Colette ou Jean d’Ormesson, qui commettent volontiers cette soi-disant fauteNote de bas de page 2. Paul Léautaud va jusqu’à écrire : On n’est pas plus responsable d’être intelligent que d’être bête (à l’entrée fier). Calques de l’anglais? On ne peut s’empêcher de penser à ce que disait le préfacier du Thomas à propos des néologismes, à savoir que ceux « adoptés par quelques bons écrivains […] ont de fortes chances de survivre à toutes les censures »Note de bas de page 3. Entre peut-être aussi dans la même catégorie l’un des « anglicismes » les plus répandus chez nous : prendre pour acquis. Tout le monde connaît par cœur l’article de catéchisme : ne dites pas prendre pour acquis, dites tenir pour acquis!  Prendre pour acquis est marqué d’infamie par à peu près tous les ouvrages normatifs publiés au Canada depuis les années 60, du premier Dagenais à la toute dernière édition du Multidictionnaire, en passant par Objectif : 200, le Dictionnaire de Darbelnet, le Colpron, tous les recueils d’anglicismes et manuels du bon parler sur le marché, les fiches Repères-T/R du Bureau de la traduction, les fiches de Radio-Canada, les logiciels de correction dernier cri et une foule d’autres documents qu’il serait fastidieux d’énumérer tellement la liste en serait longue, sans parler des sites Web consacrés aux anglicismes, des meilleurs comme celui de l’OLF, à d’autres moins connusNote de bas de page 4, où la probabilité que prendre pour acquis y figure, vissé sur le banc des accusés, est de cent pour cent. Prendre pour acquis, dit l’auteur du Dictionnaire des canadianismes, Gaston Dulong, est « à proscrire ». Un peu plus, et on croirait que son emploi est nocif pour l’environnement. Ses chances de survie semblent minces. Seule sa popularité, son emploi vivant dans le français de tous les jours peut expliquer qu’on continue à le condamner avec tant de vigueur. Peut-être craint-on qu’en le laissant entrer dans la langue, on ouvre la porte toute grande aux pires abus; ce serait le loup dans la bergerie. Mais faut-il vraiment garder le cadenas dans la porte? On peut émettre des doutes. Primo, prendre pour acquis n’est pas une spécialité locale. Il figure dans le TLF depuis dix ans, sagement intercalé entre prendre ses désirs pour des réalités et prendre qqch. pour argent comptant, avec une citation de Maurice Merleau-Ponty remontant à 1945Note de bas de page 5. On dira que le TLF est un dictionnaire descriptif et non normatif, les auteurs prennent pourtant bien soin de souligner dans la préface que « toute collaboration élaborée [telle qu’un dictionnaire] vise à l’adhésion du destinataire » et que « les exemples, en même temps qu’ils sont des preuves, sont aussi des modèles d’énoncés analogues »Note de bas de page 6. La grammairienne Madeleine Sauvé l’avait aussi relevé il y a une vingtaine d’années (sans l’entériner) sous la plume d’Alain Rey, responsable de la rédaction des dictionnaires RobertNote de bas de page 7. Il figure dans le Robert québécois d’aujourd’hui, qui le traite comme un parfait synonyme de tenir pour acquis, mais ce dictionnaire-là, bien sûr, on le consulte en cachette… Certains reprocheront à Merleau-Ponty d’avoir commis une faute, à Alain Rey d’avoir eu un moment d’inattention, au TLF son manque de prudence, au Robert québécois son laxisme douteux… Mais quand on voit une expression circuler à gauche et à droite pendant un demi-siècle, on peut se demander s’il est encore possible de la faire disparaître, surtout si elle en vient à faire partie du bagage linguistique d’auteurs dont le français est soigné, comme le philosophe québécois Michel Morin qui écrit : l’individu… […] a pris pour acquis que son avènement à l’Humanité passait par ce que la Culture lui proposaitNote de bas de page 8, ou l’essayiste français Gerald Messadié qui s’en approche en écrivant : Et l’on a vu se constituer ainsi un « athénocentrisme » qu’on prenait pour un fait acquisNote de bas de page 9. Secundo, si l’on peut concéder que prendre pour acquis est plus particulièrement fréquent dans le contexte général de la traduction, où il faut souvent rendre to take for granted, on peut en dire autant de tenir pour acquis. Ce n’est pas un tour si courant en français. Sa syntaxe est bien sûr irréprochable. Mais il faut se forcer un peu pour l’employer; il a quelque chose d’endimanché qui se porte mal le reste de la semaine. Il est d’ailleurs cocasse de constater que ceux qui accusent prendre pour acquis d’anglicisme nous enjoignent d’employer à sa place « l’expression » tenir pour acquis. Car, en dehors des ouvrages normatifs, cette prétendue « expression » n’apparaît que dans le GDEL et le Lexis. Comment une « expression » française peut-elle être parfaitement ignorée par le Petit Robert, le Grand Robert, le Petit Larousse, le Grand Larousse, le Trésor de la langue française, le Logos-Bordas, le Dictionnaire du français plus, bref par la majorité des dictionnaires français? Alors qu’on croit avoir découvert qu’à l’anglais to take for granted correspond en français, par une coïncidence dans l’évolution de la langue, une expression toute faite et comme tombée du ciel, on finit par se demander si elle n’a pas été promue artificiellement au rang d’expression figée pour contrer l’autre. Tout se passe comme si on avait édicté un commandement : to take for granted tu traduiras toujours par tenir pour acquis! La correspondance entre les deux est si forte que chaque fois qu’on voit l’un dans l’anglais, on peut être sûr que la traduction nous servira l’autre; et, inversement, quand tenir pour acquis apparaît dans un texte français, on peut souvent gager qu’on est en train de lire une traduction et non un original. C’est du moins ce que j’ai constaté dans le compte rendu des Débats de la Chambre des communes. Lorsqu’on y lit, le 8 octobre 1997, dans une intervention du ministre Pierre Pettigrew : Je prends pour acquis que les députés connaissent bien leur comté, il suffit de remonter un peu pour voir que nous sommes dans un passage coiffé de la mention [Français]. Quand, le même jour, on y lit que Le Canada peut tenir pour acquis qu’en toute circonstance un véritable gouvernement dirigera le pays, on découvre vite qu’il s’agit d’une [Traduction]. J’ai été frappé de le relever sous la plume du journaliste Gilles Lesage, qui écrivait dans sa revue de la presse anglophone dans Le Devoir du 22 octobre 1996 : tenant pour acquis qu’une autre majorité libérale était déjà dans le sac; mais j’ai aussitôt constaté qu’il traduisait dans ce passage un article du Toronto Star. Pourtant, dans leur partie anglais-français, les dictionnaires bilingues, eux, ne traduisent pas to take for granted par tenir pour acquis. Ils proposent des tournures traditionnelles comme « considérer que qqch. va de soi, tenir pour certain ou établi, être convaincu » (Grand dictionnaire français-anglais/anglais-français de Larousse), « considérer comme allant de soi ou admis, tenir pour certain » (Robert & Collins Super Senior), « considérer qqch. comme admis ou comme convenu » (Harrap’s Shorter), « considérer qqch. comme allant de soi » (Hachette-Oxford), « considérer comme admis » (Password). Les bilingues recourent aux ressources générales du français. Il est étonnant que, dans leur partie français-anglais, le Harrap’s, le Robert & Collins et le Hachette-Oxford redécouvrent par magie tenir pour acquis, qu’ils rendent alors par to take for granted. De fait, l’usage de nombreux locuteurs est hésitant : on connaît tenir pour acquis, mais on ne peut s’empêcher d’employer prendre pour. Dans un discours prononcé à Laval en octobre 1996, le PDG de la Banque de développement du Canada affirme que l’avenir ne peut plus être pris pour acquis, puis, quelques minutes plus tard, comme pour se reprendre, il parle d’une vue à court terme, où l’avenir est tenu pour acquisNote de bas de page 10. Même indécision dans ce texte de l’Ordre des comptables agréés du Québec : nous tenons pour acquis que […] ce pourcentage et si on prend pour acquis que la TVQ sera harmonisée avec la TPSNote de bas de page 11… On a beau déraciner prendre pour acquis, il repousse toujours. En dernier recours, les durs de durs parmi les puristes invoqueront des arguments sémantiques et syntaxiques contre prendre pour acquis. Ils soutiendront que tenir pour et prendre pour n’ont pas le même sens : les deux veulent dire « considérer comme », mais prendre pour connote souvent une idée de méprise, comme le souligne le Dictionnaire historique de la langue française (établi par Alain Rey!). Prendre quelqu’un ou quelque chose pour, c’est « regarder à tort comme étant», dit encore le Grand Larousse. En somme, prendre pour acquis ne devrait pas tant son allure suspecte au fait qu’il soit un calque de l’anglais – après tout, tenir pour acquis n’est pas beaucoup plus éloigné du mot à mot, il ressemble à son correspondant anglais comme deux gouttes d’eau, – qu’au fait que prendre une chose ou une personne pour implique qu’on se trompe, qu’on est victime d’une confusion. Pensons à des tournures comme pour qui se prennent-ils?, je l’avais prise pour une autre, ils prennent des vessies pour des lanternes. Autrement dit, prendre pour est péjoratif. C’est justement parce qu’ils lui avaient donné un sens positif inattendu que les soixante-huitards avaient obtenu un si bon effet de style en écrivant sur les murs de Paris : Prenez vos désirs pour des réalités! Il importe de retenir que l’idée de méprise n’est pas obligatoire : le Robert historique dit bien qu’elle est « souvent » présente. Dans cet exemple du TLF, prendre pour a plus le sens neutre d’« interpréter » ou de « considérer comme » que celui de « se tromper » : Il la prie de sécher ses larmes, qui pourraient être prises pour un augure sinistre par ses guerriers. Il faut rappeler que prendre pour a longtemps été construit dans la langue classique sans l’idée de méprise, avec exactement le même sens qu’aujourd’hui tenir pour, comme dans prendre pour bon ou encore dans ces exemples, de Montaigne (XVIe s.) et de Rousseau (XVIIIe) respectivement, que donne le Grand Robert : nous prendrions pour certain l’opposé de ce que dirait le menteur et je le prenais tout de bon pour raisonnable. Calques de l’anglais? Du côté de la syntaxe, on opposera que prendre pour acquis est mal construit, étant donné qu’au contraire de tenir pour, prendre pour peut se faire suivre d’un substantif ou d’un pronom, mais non d’un adjectif comme acquis. Mais cette objection est superficielle : les emplois de la langue classique que l’on vient de citer montrent que prendre pour s’est longtemps fait accompagner d’adjectifs. Si prendre pour acquis et tenir pour acquis continuent à se regarder en chiens de faïence, leur face à face risque de durer longtemps. Personne n’a l’autorité pour décider seul; c’est l’usage qui tranchera, et ce qu’en feront les grands dictionnaires : ou bien ils accueilleront prendre pour acquis, ou bien ils l’écarteront pour de bon au profit de tenir pour acquis. Peut-être les deux tournures disparaîtront-elles pour laisser la place à des formulations traditionnelles comme considérer comme acquis. J’ai quand même l’impression que prendre pour acquis s’imposera avec le temps, si ce n’est déjà fait. L’acharnement linguistique à maintenir tenir pour acquis en vie ne devrait pas susciter trop d’espoir. Il faudrait le faire avaler de force aux bilingues, avertir les Merleau-Ponty et autres Alain Rey que prendre pour acquis n’est pas français, écrire aux auteurs des grands dictionnaires comme le Grand Robert, le Trésor de la langue française, le Grand Larousse et quelques autres, sans oublier l’Académie française, pour leur signaler qu’ils ont négligé d’inscrire dans leurs pages cette juteuse expression qu’est tenir pour acquis. En somme, il faudrait presque avoir une dent contre l’usage. Références Note de bas de page 1 L’Actualité terminologique, vol. 30, nº 2, 1997. Retour à la référence de la note de bas de page 1 Note de bas de page 2 Une responsabilité écrasante pèse sur vous tous, – celle de protéger, de prolonger, d’embellir ma scintillante, ma précieuse petite vie d’elfe (Colette, citée au mot écrasant dans le Grand Robert). Bon nombre d’historiens […] ont la responsabilité assez lourde d’avoir contribué à cette contagion (d’Ormesson à enticher). Pauline prenait la responsabilité de modifier les chiffres (Jacques Chardonne, à faux). Retour à la référence de la note de bas de page 2 Note de bas de page 3 Cité par Jacqueline Bossé-Andrieu, « Entre la norme et l’usage (suite et fin) », L’Actualité terminologique, vol. 30, nº 3, p. 21. Retour à la référence de la note de bas de page 3 Note de bas de page 4 Voir entre autres VOCOR (www.ntic.qc.ca/cscantons/vocor/Vocor_page_1.html), Sans faute! De Planète Québec (planete.qc.ca/chroniques-de-langue/sdl/sdl6.htm) ou les téléinformations linguistiques des HEC (www.hec.ca/servco/telep.htm). Retour à la référence de la note de bas de page 4 Note de bas de page 5 « Il y a une conception objective du mouvement qui le définit par des relations intramondaines, en prenant pour acquise l’expérience du monde. » Retour à la référence de la note de bas de page 5 Note de bas de page 6 TLF, vol. 1, p. XVI. Retour à la référence de la note de bas de page 6 Note de bas de page 7 Le célèbre lexicographe écrivait, parlant de Furetière : « sans mépriser les indications qu’il y trouve, le biographe ne doit rien prendre pour acquis de ce texte ». Cité par Madeleine Sauvé, Observations grammaticales et terminologiques, fiche nº 108, octobre 1978, p. 4. Retour à la référence de la note de bas de page 7 Note de bas de page 8 Mort et résurrection de la loi morale, Montréal, Hurtubise HMH, 1997, p. 28. Retour à la référence de la note de bas de page 8 Note de bas de page 9 Histoire générale de Dieu, Paris, Robert Laffont, 1997, p. 279. Retour à la référence de la note de bas de page 9 Note de bas de page 10 www.bdc.ca/site/francais/right/gallery/down.html. Retour à la référence de la note de bas de page 10 Note de bas de page 11 www.ocaq.qc.ca/francais/biblio/comifisc/Que01_97.htm. Retour à la référence de la note de bas de page 11
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Mots de tête : « être familier avec »

Un article sur l’expression être familier avec
Frèdelin Leroux fils (L’Actualité langagière, volume 4, numéro 3, 2007, page 22) Les bacheliers ne sont pas familiers avec l’école.(Gérard Filion, Fais ce que peux, Boréal, 1989) C’est une sorte de malédiction pour une locution de ressembler d’un peu trop près à son pendant anglais; elle risque tôt ou tard de se voir stigmatiser comme calque. C’est le cas d’« être familier avec ». Il est vrai que si on connaît un peu l’anglais, ce tour fait automatiquement penser à to be familiar with. Et pourtant, c’est un usage qui est vraisemblablement tout à fait français. En tout cas, il est pas mal plus vieux que vous et moi. Littré, Clifton et GrimauxNote de bas de page 1, Hatzfeld et DarmesteterNote de bas de page 2 ainsi que le Grand Robert enregistrent tous cet usage, et donnent aussi le même exemple : « il est familier avec les auteurs grecs ». C’est une citation de Diderot, que je ne suis pas parvenu à dater précisément, mais on peut présumer qu’il s’agit d’un article de L’Encyclopédie, parue entre 1751 et 1765. La tournure aurait donc quelque 250 ans… Comment expliquer alors qu’il se trouve chez nous des auteurs pour la condamner? Gilles ColpronNote de bas de page 3, par exemple, relève ce « calque » dès la première édition de son répertoire en 1970. À peu près à la même époque, le Comité de linguistique de Radio-Canada fera paraître une fiche, qui reprend l’exemple de Diderot et apporte cette précision : « être familier avec se dit des personnes, non des choses ». Cette nuance n’est malheureusement pas retenue par ceux qui condamnent l’expression. Dans la troisième édition de son dictionnaire, Marie-Éva de VillersNote de bas de page 4 se contente de signaler qu’« être familier avec un logiciel » est fautif. BertrandNote de bas de page 5, MeneyNote de bas de page 6 et ChouinardNote de bas de page 7donnent tous des exemples qui vont dans le même sens. Bref, aucun ne mentionne qu’on peut être familier avec un auteur, au sens de bien connaître son œuvre. Est-ce un oubli de leur part? Ou craignaient-ils de légitimer l’emploi douteux en admettant l’autre? Il faut dire que les dictionnaires qu’on consulte quotidiennement (petits Robert et Larousse, les bilingues) ne sont pas d’une grande utilité, puisqu’ils ignorent « être familier avec », aussi bien dans le cas des personnes que des choses. Reste que c’est le métier d’un chroniqueur linguistique de bien éplucher les dictionnaires. Comment ont-ils fait leur compte pour passer à côté d’« être familier avec quelque chose », alors que la locution se trouve dans plusieurs ouvrages? Le premier à admettre cet usage est probablement le Harrap’s anglais-français, dans l’édition de 1967 : « to be familiar with sth. = être familier avec qch.; bien connaître qch. ». La partie français-anglais par contre l’ignore. Mais elle se rattrapera avec l’édition de 1972 : « être familier avec les problèmes d’après-guerre = to be conversant with post-war problems » (inutile de chercher à conversant). Chose curieuse, à partir de cette date, l’expression disparaît pour de bon, des deux parties. (Les rédacteurs auraient-ils découvert la fiche de Radio-Canada?) Deuxième ouvrage à enregistrer cette tournure, le Grand Larousse de la langue française (1973) donne un exemple d’un bon auteur : « Ces textes m’ont rendu familier avec le style de la profession ». Cette citation de Jules Romains, qui vient peut-être des Hommes de bonne volonté, daterait des années 30-40. Vient ensuite le Grand Robert, presque par accident, si je puis dire. Dans l’édition de 1974, on ne mentionne pas expressément « être familier avec », mais parmi des exemples classiques du genre « ces notions lui sont familières », il y a celui-ci : « de vastes combinaisons maritimes avec lesquelles Napoléon n’était pas familier »Note de bas de page 8. De son côté, le Grand dictionnaire encyclopédique Larousse (1983) indique qu’on peut dire aussi bien « familier avec » ou « familier de » quelque chose. Idem pour Joseph HanseNote de bas de page 9, qui ne signale même pas que le tour serait critiqué : « Ces procédés ne lui sont pas familiers. Il n’est pas familier avec ces procédés. » Enfin, la dernière édition du Grand Robert (2001) confirme que les deux tours s’emploient : « Mod. (construit avec de ou avec). Qui a l’habitude (de qch.) ». Comme on pouvait s’y attendre, c’est le Trésor de la langue française qui nous fournit le plus grand nombre d’exemples, une bonne vingtaine. On y trouve notamment Auguste Comte : « chacun sera devenu familier avec le chant » (Catéchisme positiviste, 1852); Jules Verne : « familier avec le bruit d’une porte » (Les cinq cents millions de la Bégum, 1879); un théoricien politique, Georges Sorel : « familier avec des règles de droit » (Réflexions sur la violence, 1908); Proust, dont l’exemple se rapproche de celui de Diderot : « familière avec les travaux de Darwin » (Guermantes, 1921); Georges Simenon : « être familier avec la maison » (Les vacances de Maigret, 1948). Je n’ai pas réussi à trouver par moi-même un aussi grand nombre d’exemples prestigieux, mais il y en a au moins trois qui méritent d’être signalés. Mon plus ancien est de Tocqueville : « les gens qui étaient depuis longtemps familiers avec ses rêveries »Note de bas de page 10. Un siècle plus tard, un futur académicien l’emploie : « le public n’est pas familier avec la dialectique »Note de bas de page 11 (c’est presque une lapalissade). Et une traduction du japonais : « le plus âgé de nos journalistes qui était familier avec la configuration du pays »Note de bas de page 12. Après le Harrap’s, le Larousse de la langue française, le GDEL, le Grand Robert et le Hanse, la belle brochette d’exemples du Trésor, et les miens, je comprends mal comment on pourrait persister à y voir une faute. On peut ne pas aimer ce tour et tout faire pour l’éviter (ce qui n’est pas très sorcier d’ailleurs, car ce ne sont pas les équivalents qui manquent : être familier de, chose qui vous est familière, être familiarisé avec, bien connaître, y être habitué, s’y connaître, une chose qui n’a pas de secret pour vous). On peut même le décrier sur son blogue, mais a-t-on le droit d’écrire dans un ouvrage sérieux, qui constitue une sorte de référence, que c’est un calque, c’est-à-dire une faute à éviter? Pareille affirmation revient à dire que tous ceux que j’ai cités ne connaissent pas leur langue. Seuls les linguistes et grammairiens pourraient prétendre à cet honneur? Mais alors, que penser de Joseph Hanse? Serait-il un électron libre qui s’est laissé séduire un peu vite par un usage qui n’est pas encore le « bon »? Au bout du compte, ce problème me fait un peu penser à « être d’accord avec quelque chose ». On a déjà condamné cet usage. La Commission du langage de l’ORTF, par exemple, vers le milieu des années 60, signalait qu’il ne fallait pas dire « être d’accord avec une décision », mais « être d’accord avec une personne sur une décision ». Et pourtant, un quart de siècle plus tôt, le fameux Lancelot n’hésitait pas à écrire : « Je suis désolé de ne pouvoir me dire d’accord avec le Dictionnaire de l’Académie »Note de bas de page 13. Être d’accord avec un ouvrage, est-ce très différent d’être d’accord avec une décision? Un collègue, Jacques DesrosiersNote de bas de page 14, a consacré un article à ce problème il y a quelques années. À part deux dictionnaires bilingues, cet usage était inconnu des lexicographes. J’en ai trouvé deux exemples qui semblent avoir échappé à l’œil de lynx de l’auteur. Un exemple indirect dans le Trésor, à « ficher » : « Je vous/t’en ficherai(!). [S’emploie, accompagné de la reprise des paroles de l’interlocuteur, pour montrer qu’on n’est pas d’accord avec ses propos] » et celui-ci, d’un ouvrage peu connu : « I agree entirely with your plans = Je suis entièrement d’accord avec vos projets »Note de bas de page 15. Autrement dit, la situation est demeurée inchangée. Mais on dirait que plus personne ne condamne cet usage. Pour revenir à notre locution, elle a beau être condamnée, une demi-douzaine de dictionnaires l’admettent, et de nombreux auteurs l’emploient. Alors, je ne vois pas ce qui pourrait vous faire hésiter à affirmer, sans honte, que vous n’êtes pas familier avec le fonctionnement de votre magnétoscope. C’est aussi mon cas.RéférencesNote de bas de page 1 E. Clifton et A. Grimaux, A New Dictionary of the French and English Languages (français-anglais), Garnier, 1881.Retour à la référence de la note de bas de page 1Note de bas de page 2 Adolphe Hatzfeld et Arsène Darmesteter, Dictionnaire général de la langue française, t. 1, Delagrave, 1964.Retour à la référence de la note de bas de page 2Note de bas de page 3 Répertoire des anglicismes au Québec, Beauchemin, 1970.Retour à la référence de la note de bas de page 3Note de bas de page 4 Multidictionnaire des difficultés de la langue française, Québec /Amérique, 1993.Retour à la référence de la note de bas de page 4Note de bas de page 5 Guy Bertrand, 400 capsules linguistiques, Lanctôt, 1999.Retour à la référence de la note de bas de page 5Note de bas de page 6 Lionel Meney, Dictionnaire québécois-français, Guérin, 1999.Retour à la référence de la note de bas de page 6Note de bas de page 7 Camil Chouinard, 1300 pièges du français parlé et écrit au Québec, Libre expression, 2001.Retour à la référence de la note de bas de page 7Note de bas de page 8 Louis Madelin, Histoire du consulat et de l’empire, Jules Tallandier, 1972.Retour à la référence de la note de bas de page 8Note de bas de page 9 Nouveau dictionnaire des difficultés du français moderne, Duculot, 1983.Retour à la référence de la note de bas de page 9Note de bas de page 10 Alexis de Tocqueville, Souvenirs, Folio, 1978, p. 304 (écrit en 1850-1851).Retour à la référence de la note de bas de page 10Note de bas de page 11 Thierry Maulnier, La face de méduse du communisme, Gallimard, 1951, p. 193.Retour à la référence de la note de bas de page 11Note de bas de page 12 Yasushi Inoué, Confucius, Stock, 1992, p. 81 (traduit par Daniel Struve).Retour à la référence de la note de bas de page 12Note de bas de page 13 Abel Hermant, Chroniques du Lancelot du « Temps », Larousse, 1936 (article du 14 mars 1934).Retour à la référence de la note de bas de page 13Note de bas de page 14 Jacques Desrosiers, « Si vous êtes d’accord… », L’Actualité terminologique, vol. 35, nº 3, 2002.Retour à la référence de la note de bas de page 14Note de bas de page 15 François Denoeu, 2001 idiotismes français et anglais, Barron’s Educational Series, 1982.Retour à la référence de la note de bas de page 15
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Mots de tête : « comme étant »

Un article sur l’expression étant
Frèdelin Leroux fils (L’Actualité langagière, volume 2, numéro 4, 2005, page 14) Le Vocabulaire juridique définit ce mot comme étant la division…(Paul Roux, La Presse, 2.5.5) Si je viens aujourd’hui troubler votre paix hivernale, c’est la faute du chroniqueur linguistique du plus grand quotidien français d’Amérique. La phrase en épigraphe lui ayant valu les remontrances d’un lecteur pointilleux, quelques semaines plus tard il venait à résipiscence –comme disaient nos curés –et le remerciait de lui « avoir signalé [s]on erreur avec amabilité ». Effectivement, une vieille fiche du Comité de linguistique de Radio-Canada, que vous avez sûrement égarée (ou jetée), met en garde contre cette « traduction littérale de l’anglais as being » et, plus près de nous, Lionel MeneyNote de bas de page 1 juge aussi que c’est un calque. Mais est-ce vraiment une faute? Les Français, semble-t-il, ne s’en doutent pas. En 1844, Flora Tristan notait dans son journal : « L’archevêque m’a raconté cela comme étant un grand triomphe remporté par le clergé sur la philosophie »Note de bas de page 2. Et deux fois plutôt qu’une. Certes, il s’agit de notes qu’elle prenait un peu à la hâte, souvent à la fin de journées épuisantes, et qu’elle n’a pas eu le temps de revoir. Elle a donc pu être distraite. Mais on pourrait difficilement invoquer pareille circonstance atténuante dans ce cas-ci : « Je me le rappelle aujourd’hui comme étant la première indication de certains faits très obscurs »Note de bas de page 3. Ce très beau roman, paru en 1863, aura été sur le métier pendant plus de deux ans, et Fromentin mettra beaucoup de soin à corriger la deuxième édition de 1876. Un troisième exemple « ancienAller à la remarque a » m’est fourni par le Grand Robert (à « expression ») : « ce grand discours de Jaurès, que vous nous avez présenté comme étant la plus haute expression, comme étant la plus glorieuse manifestation de son génie poétique ». Il s’agit d’une citation de La République de Péguy, qui doit dater du début du 20e siècle. Passons maintenant aux « modernes », chez qui j’ai fait une assez belle moisson. L’auteur du fameux Vrai ami du traducteur, qu’on ne saurait soupçonner de laxisme, l’emploie : « Eric Partridge le définit comme étant le langage des apaches »Note de bas de page 4 (c’est presque la tournure pour laquelle Roux s’est excusé). Le rédacteur d’un journal italien dans un entretien avec Sartre : « le parti révolutionnaire doit se considérer comme étant en permanence au service d’une lutte »Note de bas de page 5. Un grand critique : « une parodie d’Hernani, sous le titre : N, I, NI, ou le Danger des Castilles, présenté [sic] comme étant un amphigouri »Note de bas de page 6. Un ouvrage scientifique : « On peut définir l’élongation comme étant la croissance de l’individu jusqu’à sa maturité sexuelle »Note de bas de page 7. J’ai relevé l’expression dans quelques traductions de l’anglais, dont une sorte de guide du Parlement britannique : « Certains auteurs choisissent le Grand Conseil de 1275 comme étant véritablement le premier prédécesseur des Parlements modernes »Note de bas de page 8. Une traduction de l’espagnol : « Le dominicain Domingo de Santo Tomás dénonçait Potosi comme étant une gueule de l’enfer »Note de bas de page 9. Et pour couronner le tout, sous la plume de l’ancien secrétaire perpétuel de l’Académie : « Faire problème ne peut pas être considéré comme étant réellement une faute »Note de bas de page 10. Même le Bureau de la traduction accepte cet usage : « La séquence considérer + comme + participe présent est tout à fait correcte », peut-on lire sur le site des Clefs du français pratique dans TERMIUM®. Avec cet exemple : « Je le considère comme étant mon ennemi ». (Spontanément, on écrirait « comme mon ennemi ».) Ainsi qu’une citation de Flaubert, où le sens est plutôt « parce que » : « Il convoitait le port d’Utique, comme étant le plus près de Carthage ». Quelques dictionnaires bilingues enregistrent la tournure, mais seulement dans la partie anglais-français : « reconnaître comme étant »; « il s’est révélé comme étant » (Robert-Collins); « dépeindre, décrire comme étant »; « présenter comme étant » (Hachette-Oxford). Pour me faire mentir, le Larousse bilingue la donne seulement dans l’autre partie (« définir ») : « Je définirais son rôle comme étant celui d’un négociateur. » Les emplois du Petit Robert signalés par Maurice Rouleau sont surtout dus aux rédacteurs, mais outre Chateaubriand, on retrouve Gide (« puritanisme ») : « certain puritanisme qu’on m’avait enseigné comme étant la morale du Christ ». Après tous ces exemples, il faudrait presque être de mauvaise foi pour s’entêter à considérer cette tournure comme (étant) fautive… Mais, si la locution suivie d’un nom s’emploie, qu’en est-il avec un adjectif? La fiche de Radio-Canada condamne également cet usage, de même que l’auteur des Anglicismes au QuébecNote de bas de page 11, qui ne traite d’ailleurs que de ce cas (Meney s’en tient au tour avec un nom). La condamnation de Colpron est maintenue jusque dans la dernière édition (1999) : « Les délégués ont rejeté comme étant inacceptables les propositions de l’assemblée ». Je ne sais trop pourquoi, mais cette formulation me chicote davantage que l’autre, et me semble moins utile : « rejeter comme inacceptables » me paraît plus naturel. Mais est-ce une faute d’y intercaler « étant »? En tout cas, c’est un usage qui ne date pas d’hier :[…] l’un des Capitaines nommé Kers, peu affectionné à notre Compagnie, comme étant hérétique, témoigna…Note de bas de page 12 Il s’agit de la lettre du père Le Jeune à ses supérieurs en France, sorte de compte rendu de ce qui s’est passé en Nouvelle-France au cours de l’année 1633. On le voit, c’est le même sens que chez Flaubert, « parce qu’il était hérétique ». C’est aussi le cas des trois exemples suivants; une traduction de l’allemand : « pays qui ont rejeté l’idée de traiter les prisonniers humainement comme étant surannée »Note de bas de page 13; un scientifique : « on en refuse les conclusions comme étant trop technocratiques »Note de bas de page 14; un psychanalyste : « seuls 70 ont été retenus comme étant exploitables »Note de bas de page 15. Revenons au tour « classique », si je puis dire; un romancier écrit : « des produits présentés comme étant nouveaux »Note de bas de page 16; une romancière : « quelques vers qu’on eut la bonté de regarder comme n’étant point trop mal venus »Note de bas de page 17; un journaliste : « d’autres méthodes peuvent être considérées comme étant contragestives »Note de bas de page 18; et deux linguistes : « des formes que le dictionnaire doit reconnaître comme étant caractéristiques de femmes »Note de bas de page 19; « des traits posés comme étant communs à toutes les langues »Note de bas de page 20. Quelques années auparavant, un linguiste de chez nous ne s’exprimait pas autrement : « le mot académique se présente comme étant commun à l’ensemble de la francophonie ».Note de bas de page 21 Et je termine avec trois exemples où, cette fois, la locution est suivie d’un participe passé –le psychanalyste déjà cité : « si la souffrance est alors envisagée comme étant intimement liée à la mise à l’écart de la société »Note de bas de page 22; un sociologue : « la science risque fort d’être rejetée comme étant utilisée par les puissances et non pas au service de tous »Note de bas de page 23; et l’un de vos chroniqueurs préférés : « la remise d’un diplôme honorifique n’a de sens que si le titre est remis comme étant mérité »Note de bas de page 24. (Dans les deux derniers cas, c’est à peu près le sens de « parce que ».) S’il est vrai qu’« étant » est parfois une « cheville qui alourdit la phrase » (Radio-Canada), nous avons vu plusieurs cas où son emploi s’impose, ou tout au moins ajoute à l’équilibre de la phrase. Comme les citations de Fromentin, Druon, Chandernagor, Yaguello, et j’en passe. Malgré tout, je continue de m’en méfier (surtout du tour avec adjectif). Mais je commence sérieusement à me demander pourquoi. Et ce ne sont pas tellement les quelque trois millions d’exemples dont la Toile est constellée qui me font hésiter, mais bien plutôt les 193 occurrences qu’on trouve dans le Trésor de la langue françaiseAller à la remarque b. S’y côtoient Montaigne et Martin du Gard, Balzac et Beauvoir, Flaubert et Camus, Huysmans et Ramuz, Proust et Hugo, Sartre et Stendhal… Devant pareil aréopage de pécheurs, on est pris d’une terrible envie de fauter.RemarquesRemarque a Maurice Rouleau, professeur de traduction à l’Université du Québec à Trois-Rivières, a relevé près de vingt exemples dans le Petit Robert, dont celui-ci de Chateaubriand (à « facile ») : « Je hais l’esprit satirique comme étant le plus petit et le plus facile de tous ».Retour à la remarque aRemarque b Grâce à une recherche intégrale.Retour à la remarque bRéférencesNote de bas de page 1 Lionel Meney, Dictionnaire québécois-français, Montréal, Guérin, 1999.Retour à la référence de la note de bas de page 1Note de bas de page 2 Flora Tristan, Tour de France II, François Maspero, 1980, p. 69 (et 103).Retour à la référence de la note de bas de page 2Note de bas de page 3 Eugène Fromentin, Dominique, Garnier-Flammarion, 1967, p. 163.Retour à la référence de la note de bas de page 3Note de bas de page 4 Félix Boillot, Le second vrai ami du traducteur, Paris, J. Oliven, 1956, p. 50.Retour à la référence de la note de bas de page 4Note de bas de page 5 Jean-Paul Sartre, Situations, VIII, Gallimard, 1972, p. 284. Entretien paru le 4 septembre 1969.Retour à la référence de la note de bas de page 5Note de bas de page 6 Hubert Juin, introduction à Choses vues 1830-1846 de Victor Hugo, Folio, 1972, p. 35.Retour à la référence de la note de bas de page 6Note de bas de page 7 M. Becker et coll., La forêt, Paris, Masson, 1981, p. 49.Retour à la référence de la note de bas de page 7Note de bas de page 8 Strathearn Gordon, Le Parlement britannique, Londres, The Hansard Society, 1947, p. 18. Traduit par Germaine Pastré-Jackson.Retour à la référence de la note de bas de page 8Note de bas de page 9 Eduardo Galeano, Les veines ouvertes de l’Amérique latine, Presses Pocket, 1991, p. 59 (Plon, 1981). Traduit par Claude Couffon.Retour à la référence de la note de bas de page 9Note de bas de page 10 Maurice Druon, Le « Bon Français », Éditions du Rocher, 1999, p. 77 (Le Figaro, 25.3.97).Retour à la référence de la note de bas de page 10Note de bas de page 11 Gilles Colpron, Les anglicismes au Québec, Montréal, Beauchemin, 1970.Retour à la référence de la note de bas de page 11Note de bas de page 12 Relations des Jésuites, t. 1, Montréal, Éditions du Jour, 1972, année 1633, p. 35.Retour à la référence de la note de bas de page 12Note de bas de page 13 Stephan Zweig, Le Brésil, terre d’avenir, Montréal, Éditions B.D. Simpson, 1946, p. 313. Traduit par Jean Longeville.Retour à la référence de la note de bas de page 13Note de bas de page 14 Louis Leprince-Ringuet, Science et bonheur des hommes, Flammarion/Champs, 1973, p. 161.Retour à la référence de la note de bas de page 14Note de bas de page 15 Patrick Declerck, Les naufragés, Plon, 2001, p. 303.Retour à la référence de la note de bas de page 15Note de bas de page 16 René-Victor Pilhes, « Le complot multinational », Playboy, juillet 1976, p. 42.Retour à la référence de la note de bas de page 16Note de bas de page 17 Françoise Chandernagor, L’Allée du Roi, Club France Loisirs, p. 114 (Julliard, 1981).Retour à la référence de la note de bas de page 17Note de bas de page 18 Jean-Yves Nau, Le Monde, 3.11.84.Retour à la référence de la note de bas de page 18Note de bas de page 19 Claude Hagège, Diogène, janv.-mars 1987, p. 27.Retour à la référence de la note de bas de page 19Note de bas de page 20 Marina Yaguello, Catalogue des idées reçues sur la langue, Seuil/Points, 1988, p. 158.Retour à la référence de la note de bas de page 20Note de bas de page 21 Jean Darbelnet, Langues et linguistique, nº 8, t. 2, Québec, Université Laval, 1982, p. 12.Retour à la référence de la note de bas de page 21Note de bas de page 22 Declerck, op. cit., p. 292.Retour à la référence de la note de bas de page 22Note de bas de page 23 Alain Touraine, Le nouvel observateur, 26.6.-2.7.3.Retour à la référence de la note de bas de page 23Note de bas de page 24 Jacques Desrosiers, « Comment se faire octroyer une subvention », L’Actualité langagière, juin 2005.Retour à la référence de la note de bas de page 24
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Mots de tête : L’art de se tirer (une balle) dans le pied

Un article sur l’expression se tirer dans le pied
Frèdelin Leroux fils (L’Actualité terminologique, volume 36, numéro 3, 2003, page 20) Les conservateurs se sont tiré dans le pied.Et comme ils avaient déjà ce pied dans la bouche,cela risque bien d’être fatal.(Michel Vastel, Le Droit, 03.06.03.) Votre dictionnaire de locutionsNote de bas de page 1 préféré consacre presque huit pages aux expressions formées avec pied. On pourrait croire que pied a déjà donné, et qu’il a mérité de se reposer un peu – après tout, quelque quatre-vingts rejetons, c’est une progéniture respectable. Mais les usagers semblent plutôt d’avis qu’il y a encore moyen d’en tirer quelque chose… De fait, depuis la parution du Rey-Chantreau, la famille « pied » s’est enrichie d’au moins trois expressions qui, sauf erreur, ont toutes du sang anglais. Il y a une quinzaine d’années, traîner les pieds faisait son entrée dans les dictionnairesAller à la remarque a, du moins dans le Grand Dictionnaire encyclopédique Larousse (1985). En 1992, le supplément de l’encyclopédie présentait un néologisme du domaine de la psychologie, pied-dans-la-porte (je vous laisse le plaisir d’en découvrir le sens), que je n’ai jamais revu ailleurs. Et, plus récemment, on a vu apparaître le troisième membre du trio, se tirer dans le pied. Cette tournure n’est pas encore très répandue, mais on la rencontre quand même assez souvent, et de plus en plus semble-t-il. Lionel MeneyNote de bas de page 2, qui en recense plusieurs exemples, signale qu’il s’agit d’un calque. Pour l’éviter, il donne pas moins de huit équivalents : « agir contre son propre intérêt », « se faire (du) tort à soi-même », « mal juger son coup », « scier la branche sur laquelle on est assis », « creuser sa propre tombe », « marquer contre son camp », « ça lui est retombé sur le nez ». Il n’a oublié que les traductions proposées par le MeertensNote de bas de page 3, « se nuire à soi-même stupidement », et par le Larousse bilingue, « ramasser une pelle ». Il serait intéressant de pouvoir dater cette expression, de savoir quand elle a commencé à se répandre, mais Meney ne donne malheureusement pas ses sources. Mon exemple le plus ancien ne remonte qu’à 1990. Un journalisteNote de bas de page 4 du Devoir l’emploie, mais – cas plutôt exceptionnel – au pluriel : se tirer dans les pieds. C’est le singulier qu’on voit normalement. Jean DunoyerNote de bas de page 5 de La Presse titre un de ses articles « L’art de se tirer dans le pied ». Pierre Bourgault semble l’avoir prise en affection : il l’emploie une première fois alors qu’il était au DevoirNote de bas de page 6 : « Ils se tirent dans le pied parce qu’ils sont stupides et incompétents », et à quelques reprises quand il étaitAller à la remarque b au Journal de MontréalNote de bas de page 7 : « Nous nous tirons constamment dans le pied ». Outre la citation en exergue, j’en ai relevé un autre exemple chez Michel Vastel (24.02.02). Dans une lettre au Devoir, l’éditeur Jacques LanctôtNote de bas de page 8 trouve le moyen, dans la même phrase, d’employer deux calques : « On se tire dans le pied en laissant ce puissant outil culturel que sont les bibliothèques publiques bouder nos livres, lever le nez [sic] sur les auteurs que nous publions ». Avec un animisme en prime… Enfin, deux chroniqueurs, Denis Gratton du DroitNote de bas de page 9 et Chantal Hébert du DevoirNote de bas de page 10, semblent avoir piqué son titre à Jean Dunoyer : « L’art de se tirer dans le pied ». Je n’ai jamais rencontré cette tournure dans la presse ou les ouvrages français. Ce qui ne veut pas dire grand-chose, puisqu’on la trouve sur Internet. Le tour n’est pas fréquent, j’en conviens, mais les Européens ne l’ignorent pas tout à fait. Un certain Nicolas Beau écrit dans le Canard enchaîné (02.05.01) : « L’Algérie est assez grande pour se tirer elle-même dans le pied ». Et Catherine Bouy, sur un site belge, rapporte les propos d’un directeur général de la Région wallonne qui sent le besoin de guillemeter l’expression : « La complémentarité entre les régions belges est primordiale si l’on veut éviter de "se tirer dans le pied" ». Si se tirer dans le pied est rare en dehors du Québec, il en va autrement d’une variante, qui n’est qu’une sorte d’étoffement : se tirer une balle (ou : des balles) dans le pied. On en trouve à la pelle sur la Toile. Dans L’Indépendant (26.06.01), un député, Jean-Claude Pérez, dit que tenir une certaine manifestation « c’est comme se tirer une balle dans le pied ». Un journaliste, Jean-Paul Pouron (sept. 2001), donne à son article un titre qui rappelle celui de Denis Gratton et Chantal Hébert : « L’art de se tirer une balle dans le pied ». Sur un autre site, on apprend que la section de l’Essone du Syndicat des enseignants « se tire une balle dans le pied ». Pour faire bonne mesure, je vous signale deux derniers exemples : Gregory Schneider dans Libération (06.05.02) et Jean-Louis Boulanger dans le Figaro (11.02.03). Et je ne résiste pas à un tout dernier, pour le bel animisme qu’il nous offre. Le secrétaire d’État aux PME n’hésite pas à déclarer que les « fonds de pension américains […] ne vont pas se tirer une balle dans le pied »Note de bas de page 11. Comme en témoigne l’exemple de Catherine Bouy, se tirer dans le pied est employé en Belgique, mais la tournure avec « balle » n’y est pas inconnue. Dans Le Soir Magazine (15.02.03), on peut lire : « Quand la Belgique risque de se tirer une balle dans le pied ». Et la Suisse n’est pas en reste. Dans la Tribune de Genève (05.07.02), un ex-directeur général de la Banque cantonale de Genève déplore que la banque soit « en train de se tirer une balle dans le pied ». À l’occasion du salon de l’automobile de Genève de 2003, le président de la Confédération l’emploie, en s’excusant, et en l’amplifiant un peu : « Y renoncer sans alternative crédible c’est, permettez-moi l’expression un peu simple, "nous tirer une balle dans le pied à l’ouverture de la chasse" ». Mais avant d’aller me balader sur la Toile, j’avais déjà trouvé trois exemples avec « balle », dont le premier a à peu près le même âge que son pendant québécois :Même s’il ne lâche pas Édith Cresson – ce serait se tirer une balle dans le pied – le chef de l’État mesure aujourd’hui ses lacunesNote de bas de page 12. Les deux autres exemples sont de sources beaucoup plus sûres que tout ce que j’ai trouvé sur Internet. Jean-Marie Rouart, un immortel, semble préférer le pluriel :Cela fait partie de l’idiosyncrasie de ce peuple si génial de brûler ses vaisseaux, de se tirer des balles dans le piedNote de bas de page 13… (Une courte parenthèse, si vous permettez. Mutatis mutandis, « brûler ses vaisseaux », pourrait traduire « to shoot oneself in the foot » (si le calque vous déplaît). Chose certaine, en tout cas, c’est une belle façon, quoique un peu relevée sans doute, de rendre « to paint oneself in the corner » – que vous traduiriez probablement par « se mettre dans une impasse ». Nos politiciens, quant à eux, n’hésitent pas à « se peinturer dans le coin ».) Fermons la parenthèse, et reprenons notre « pied » où nous l’avons laissé – entre les bonnes mains d’un académicien. C’est l’exemple de Rouart qui m’a décidé à écrire cet article, et qui m’a incité aussi à consulter les dernières éditions des dictionnaires, au cas où. Après avoir fait chou blanc à trois reprises – avec le Larousse-Chambers de 1999, le Hachette-Oxford de 2001 et le Harrap’s de 2000 – je commençais à me dire que ça ne valait pas la peine de continuer. Mais la force de l’habitude aidant, j’ai quand même jeté un coup d’œil sur le Robert-Collins 2002. Ça commençait plutôt mal : rien dans la partie français-anglais et, dans l’autre, rien à « foot ». Mais enfin, à « shoot », j’ai trouvé la pie au nid : « to shoot oneself in the foot » est traduit par « se tirer une balle dans le pied ». Je sais, ce n’est pas tout à fait notre tournure, mais faut-il pour si peu bouder notre plaisir? Sur Internet, j’ai relevé des exemples de notre usage sur des sites sérieux : l’Université Laval (dont un exemple au pluriel) et l’Université de Montréal, notamment. Après tout, si les Français peuvent tirer dans les pattes ou les jambes de leurs compatriotes, au propre comme au figuré, et qu’ils peuvent même se tirer une balle dans le pied (ou plusieurs, pour plus de sûreté), je ne vois pas pourquoi les Québécois ne pourraient pas en faire autant, tout en faisant l’économie d’une balle. P.-S. : J’y pense, celui qui se tire dans le pied ne serait-il pas un peu le petit cousin de cet excentrique anglais que les dictionnaires s’entêtent à snobber, ou à traduire par « franc-tireur » (Robert-Collins)? S’ils sont incapables de nous fournir de bons équivalents, nous allons le faire nous-mêmes. Je propose donc de traduire « he’s a bit of a loose cannon » par « il a l’habitude de se tirer dans le pied ». Qu’en pensez-vous?RemarquesRemarque a Curieusement, le Grand Robert de 2002 l’ignore toujours, alors que le petit l’enregistre depuis 1993. (Mais vous chercheriez en vain la forme pronominale chère aux Québécois.)Retour à la remarque aRemarque b Pierre Bourgault, on le sait, est décédé le 16 juin dernier.Retour à la remarque bRéférencesNote de bas de page 1 Alain Rey et Sophie Chantreau, Dictionnaire des expressions et locutions figurées, les usuels du Robert, 1984.Retour à la référence de la note de bas de page 1Note de bas de page 2 Lionel Meney, Dictionnaire québécois-français, Montréal, Guérin, 1999.Retour à la référence de la note de bas de page 2Note de bas de page 3 René Meertens, Guide anglais-français de la traduction, Paris, Chiron Éditeur, 2002.Retour à la référence de la note de bas de page 3Note de bas de page 4 Gilles Lesage, Le Devoir, 01.11.90.Retour à la référence de la note de bas de page 4Note de bas de page 5 Jean Dunoyer, La Presse, 05.04.93.Retour à la référence de la note de bas de page 5Note de bas de page 6 P. Bourgault, Le Devoir, 30.11.93.Retour à la référence de la note de bas de page 6Note de bas de page 7 P. Bourgault, Le Journal de Montréal, 03.03.01. Voir aussi les 20 et 22 avril 2002.Retour à la référence de la note de bas de page 7Note de bas de page 8 Jacques Lanctôt, lettre au Devoir, 19.09.02.Retour à la référence de la note de bas de page 8Note de bas de page 9 Denis Gratton, Le Droit, 10.10.02.Retour à la référence de la note de bas de page 9Note de bas de page 10 Chantal Hébert, Le Devoir, 03.02.03.Retour à la référence de la note de bas de page 10Note de bas de page 11 Pascal Ceaux, entretien avec Renaud Dutreil, Le Monde, 16.04.03.Retour à la référence de la note de bas de page 11Note de bas de page 12 Sylvie Pierre-Brossolette, L’Express, 20.09.91.Retour à la référence de la note de bas de page 12Note de bas de page 13 Jean-Marie Rouart, Le Figaro littéraire, 17.10.02.Retour à la référence de la note de bas de page 13
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Mots de têtes : « mon nom est »

Un article sur l’expression mon nom est
Frèdelin Leroux fils (L’Actualité langagière, volume 7, numéro 4, 2010, page 22)Mon nom est Johnny Cash.(Marie-Christine Blais, La Presse, 7.10.09) Il est curieux que je puisse vous demander « Quel est votre nom? », mais que vous ne puissiez pas me répondre « Mon nom est Untel »… sans commettre d’anglicisme, en tout cas. Vous le saviez? On ne peut rien vous apprendre. Pour ma part, c’est un ouvrageNote de bas de page 1 de Victor Barbeau qui m’apprit – à mon grand étonnement – que cette tournure était un calque. Bien sûr, je me suis précipité sur mes dictionnaires. Mais les bilingues n’ont fait que confirmer le verdict : il fallait dire « je m’appelle ». Quant aux unilingues, ils étaient muets. Il s’écoulera ensuite presque vingt ans avant que l’auteur du fameux ColpronNote de bas de page 2 ne vienne me rafraîchir la mémoire (cet anglicisme avait échappé à l’édition de 1970). Et presque autant d’années avant qu’un autre défenseur de la langue, Camil ChouinardNote de bas de page 3, revienne à la charge. Par la suite, les condamnations seront plus rapprochées : Lionel MeneyNote de bas de page 4 en 2003, Jacques LaurinNote de bas de page 5 en 2006 et Jean ForestNote de bas de page 6 en 2008. Si l’on ajoute la mise en garde des Clefs du français pratique du Bureau de la traduction, cela fait à peine sept « condamnations » : « Quel est votre nom? À cette question, le bon usage veut que l’on réponde Je m’appelle… ou Je me nomme…, plutôt que Mon nom est…, calque de l’anglais My name is… ». Sur plus de quarante ans, c’est peu. On est étonné du silence de fidèles vigiles comme Guy Bertrand, Robert Dubuc, Paul Roux ou Marie-Éva de Villers. Mais, condamnations ou pas, nous continuons à l’employer de plus belle. Et nous sommes loin d’être les seuls. La traduction, entre autres, nous en fournit plein d’exemples, et curieusement, de l’italien surtout. Je me contenterai de quatre : Carlo LeviNote de bas de page 7 : « Mon nom est Barone »; Elio VittoriniNote de bas de page 8 : « Sylvestro est mon nom »; Leonardo SciasciaNote de bas de page 9 : « Moi, mon nom est Gerlanda »; et Oriana FallaciNote de bas de page 10 : « Mon nom est Kundun ». Et il n’y a pas que les traducteurs qui affectionnent ce tour. Les Français aussi. Je l’ai entendu dans des films, dont Légitime violence (1982) de Serge Leroy et L’œuvre au noir (1987) d’André Delvaux. Je l’ai même lu dans quelques bédés, notamment un Thorgal : « Mon nom est Thorgal » (Le maître des montagnes). Quant aux auteurs plus sérieux, vous avez l’embarras du choix. Que diriez-vous de Lamartine pour ouvrir le bal? Certes, il inverse la formule : « Le nom de ma famille est d’***. Julie est le mien » (Raphaël, 1849), mais il me semble que c’est à peu près comme dire « Julie est mon nom ». Quant au tour usuel, des auteurs quasi oubliés comme Albert Londres : « Mon nom est M. Pou » (La Chine en folie), ou des moins connus comme Georges Borgeaud (Le préau) ou Hugo Claus (La chasse au canard) l’emploient, ainsi que des plus connus comme Jean Dutourd (Le crépuscule des loups), Louis Guilloux (O.K., Joe!) ou Jean Genet (Un captif amoureux). Même un grand cinéaste ajoute son grain de sel : « Mon nom est Jean Renoir » (Écrits). À l’époque où Barbeau m’apprit la mauvaise nouvelle, le Trésor de la langue française en ligne n’existait évidemment pas. Si on y jetait un coup d’œil? On y trouve plusieurs exemples : de Vigny (Journal d’un poète) : « Mon nom est Jeanne-Victoire »; de Hugo (La légende des siècles), de Claudel (Poésies diverses), et enfin, de Mauriac (Le nœud de vipères), qui emploie les deux : « Je ne m’appelle pas celui qui damne, mon nom est Jésus. » Aujourd’hui, on trouve ce « calque » dans quelques dictionnaires, dont le Grand Larousse de la langue française, que j’avais négligé de consulter à l’époque : « mon nom est Durand ». Sauf erreur, un seul dictionnaire bilingue l’enregistre, le Robert & Collins : « mon nom est Robert ». Dans sa dernière édition, le Littré donne « mon petit nom est Paul », ce qui logiquement devrait nous autoriser à dire « mon nom est Paul », vous ne croyez pas? Après ce chapelet d’exemples (et tous ceux que je vous ai épargnés), je ne vois pas comment on pourrait continuer à condamner cette façon de dire. On peut certes lui préférer « je m’appelle » (c’est mon cas), mais la condamner? Si on ne peut la souffrir, mais qu’on veut éviter de répéter « je m’appelle », ou qu’on trouve « je me nomme » un peu vieillot, il existe une autre formule. Que certains considèrent d’ailleurs comme fautive. Louis-Paul BéguinNote de bas de page 11 est catégorique : « Un lecteur voudrait savoir comment on doit se présenter au téléphone. Doit-on dire : Allo, mon nom est… ou Je suis… Cette dernière formule (Je suis Untel) est absolument à proscrire. C’est un anglicisme de la pire espèce. On peut dire à la rigueur Mon nom est… pour s’identifier au téléphone. » Ce n’est pas l’avis de Colpron ou Chouinard, qui eux – nous l’avons vu – condamnent « mon nom ». Outre « je m’appelle », ils proposent justement « je suis ». J’en ai trouvé moins d’exemples, mais c’est néanmoins courant. Et ça ne date pas d’hier, comme en témoigne cet exemple de Léon DaudetNote de bas de page 12 : « Vous ne me connaissez pas. Je suis Riffard. » Et les Italiens répondent encore à l’appel : Curzio MalaparteNote de bas de page 13 : « Comment t’appelles-tu? – Je suis Calusia, m’cap’taine »; et Tomasi di LampedusaNote de bas de page 14 : « Je suis Bettina, la gouvernante ». Enfin, un auteur françaisNote de bas de page 15 : « [l’auteur] comprenait mal que la plupart des adultes osent ainsi se présenter : Je suis Monsieur Verges ». Au moins deux dictionnaires bilingues, le Harrap’s et le Larousse, l’enregistrent : « je suis Éliane », « je suis Bill ». J’ai écrit au début que je pouvais, en toute impunité, vous demander Quel est votre nom? Mais si je me fie aux dictionnaires, je devrais me méfier de cette question tout autant que de sa réponse « québécoise ». C’est en vain que vous la chercheriez dans le Robert, le Larousse, le Littré, etc. J’ai d’ailleurs déjà entendu ce tour condamné. Et sur Internet, j’ai trouvé récemment un article d’une importante personnalité de la francophonie (commandeur de la Légion d’honneur, entre autres), Jean-Marc Léger, qui déplore l’anglicisation du Québec : « De même, on ne dit plus : Comment vous appelez-vous? mais : Quel est votre nom? (what’s your name?). » Et pourtant, on trouve cette expression dans quelques dictionnaires : le Trésor de la langue française cite Casimir Delavigne (1824) et Mauriac (1938); le Hachette-Oxford, le Larousse bilingue et le Harrap’s la donnent aussi. Et c’est la question qui se pose normalement d’après Béguin et les Clefs du français pratique du Bureau de la traduction. Alors, comment en est-on arrivé à soupçonner ce tour d’être un calque? Il suffit, comme on le voit, que le français ressemble de trop près à l’anglais. À l’époque, Victor Barbeau pouvait toujours invoquer le silence des dictionnaires, mais aujourd’hui, Jean-Marc Léger n’a plus cette excuse. Et nous non plus… Je termine avec un mot sur deux traductions de La nuit des rois de Shakespeare. Dans celle de la romancière acadienne Antonine Maillet (Leméac, 1993), « My name is Mary, sir » est traduit comme vous le feriez : « Je m’appelle Maria, monsieur ». Mais que trouve-t-on dans celle de celui qu’on qualifie de « traducteur le plus respecté de sa génération », Pierre Leyris? Ceci : « Mon nom est Marie, monsieur » (GF-Flammarion, 1994)… Leyris n’a manifestement pas lu Barbeau, Colpron, Chouinard ou les autres.RéférencesNote de bas de page 1 Le français du Canada, 1970.Retour à la référence de la note de bas de page 1Note de bas de page 2 Gilles Colpron, Les anglicismes au Québec, Beauchemin, 1982.Retour à la référence de la note de bas de page 2Note de bas de page 3 1300 pièges du français parlé et écrit, Libre Expression, 2001.Retour à la référence de la note de bas de page 3Note de bas de page 4 Dictionnaire québécois-français, Guérin.Retour à la référence de la note de bas de page 4Note de bas de page 5 Nos anglicismes, Éditions de l’Homme.Retour à la référence de la note de bas de page 5Note de bas de page 6 Le grand glossaire des anglicismes du Québec, Triptyque.Retour à la référence de la note de bas de page 6Note de bas de page 7 Le Christ s’est arrêté à Eboli, Gallimard, 1948 (traduit par Jeanne Modigliani).Retour à la référence de la note de bas de page 7Note de bas de page 8 Conversation en Sicile, Gallimard, 1948 (traduit par Michel Arnaud).Retour à la référence de la note de bas de page 8Note de bas de page 9 La mer couleur de vin, Gallimard, 1977 (traduit par Jacques de Pressac).Retour à la référence de la note de bas de page 9Note de bas de page 10 La rage et l’orgueil, Plon, 2002 (traduit par Victor France).Retour à la référence de la note de bas de page 10Note de bas de page 11 Problèmes de langage au Québec et ailleurs, L’Aurore, 1978.Retour à la référence de la note de bas de page 11Note de bas de page 12 La vie orageuse de Clemenceau, Albin Michel, 1938.Retour à la référence de la note de bas de page 12Note de bas de page 13 Le soleil est aveugle, Denoël, 1958 (traduit par Georges Piroué).Retour à la référence de la note de bas de page 13Note de bas de page 14 Le professeur et la sirène, Seuil, 1961 (traduit par Louis Bonalumi).Retour à la référence de la note de bas de page 14Note de bas de page 15 Pierre Sansot, Bains d’enfance, Payot, 2003.Retour à la référence de la note de bas de page 15
Source : Chroniques de langue (la langue française vue par des langagiers)
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Mots de tête : « tel que » + participe passé

Un article sur l’expression
Frèdelin Leroux fils (L’Actualité terminologique, volume 17, numéro 1, 1984, page 10) L’audience a lieu tel que prévu. (Le Droit, 10.11.83) Il en est de certaines locutions comme de la mode « punk » ou des poupées bout-de-chou. On aime ou on n’aime pas. C’est viscéral. C’est le cas de « tel que » suivi d’un participe passé. Nombreux sont ceux qui tiennent cette expression pour un calque de l’anglais. BarbeauNote de bas de page 1, CarbonneauNote de bas de page 2, ColpronNote de bas de page 3, DagenaisNote de bas de page 4 et GérinNote de bas de page 5 sont de cet avis. De même que le collège des réviseurs-moniteurs du Bureau des traductions (voir fiche Repère-T/R sur l’anglicisme, 1982). Ainsi que le Comité de linguistique de Radio-Canada. Mais la position du Comité s’est modifiée sensiblement au fil des années. Sa première fiche, qui remonte au tout début des années soixante, était une condamnation pure et simple :Tel que ne peut être suivi que d’un nom et d’un verbe; jamais d’un adjectif ou d’un participe passé. Une quinzaine d’années plus tard, en 1976, paraît une nouvelle fiche. Le ton, cette fois, est beaucoup plus modéré. On se contente d’une mise en garde :Dans la langue soignée, tel que n’est habituellement pas suivi immédiatement d’un participe passé. En 1981, la position du Comité est reprise et complétée par un de ses membres, Robert Dubuc. La place me manque pour faire état des distinctions intéressantes que l’auteur établit entre les divers emplois de « tel que », mais on pourrait résumer ainsi :S’il y a un antécédent identifiable, la tournure est acceptable (voir exemple de Siegfried ci-après); S’il n’y a pas d’antécédent, on peut reconstruire la phrase, supprimer tel que ou le remplacer par comme, ainsi que, car « cette syntaxe ne semble pas reçue du bon usageNote de bas de page 6 ».Qu’on soit d’accord ou non avec tout ce monde, il faut reconnaître une chose : les solutions de rechange qui nous sont proposées sont souvent excellentes, presque toujours bonnes, et parfois plus courtes. Nous serions bêtes de ne pas en profiter. Il arrive pourtant que la solution ne soit guère meilleure que la « faute ». Ainsi Barbeau suggère de remplacer « tel que convenu » par « suivant que convenu ». Ce n’est pas très élégant. Je me demande si c’est français, d’ailleurs… Malgré tous ces interdits et mises en garde, les Québécois continuent d’employer cette tournure comme si de rien n’était. Et ils ne sont pas les seuls, les Européens aussi. Un lecteur du Monde :« Tout est tel que prévuNote de bas de page 7 ». Un rapport officiel :L’association telle que prévue par la loi de 1901Note de bas de page 8…(…) apporter une réponse aux problèmes de la délinquance tels que révélés par les indicateurs sociauxNote de bas de page 9… Un bulletin du ministère de l’Agriculture :Des vérifications sont effectuées tant à la fabrication que sur les produits tels que vendusNote de bas de page 10. Un traducteur de l’allemand :(…) mais le centre du mouvement était bien tel que décritNote de bas de page 11. Pour leur part, les linguistes français sont moins catégoriques que leurs homologues québécois. Grevisse constate :À noter en particulier tel que suivi immédiatement d’un simple participe passé, avec ellipse du verbe être : « le système de tonnage brut (…) tel que pratiqué en Angleterre » (A. Siegfried, Suez, Panama)Note de bas de page 12. Joseph Hanse, dans son Nouveau Dictionnaire des difficultés du français moderneNote de bas de page 13, reprend la même citation. Il n’est pas inutile de signaler qu’elle date de 1940. Jean-Paul Colin, dans son Dictionnaire des difficultés du françaisNote de bas de page 14, précise que ce tour appartient à la langue administrative ou technique. Le Grand Larousse de la langue française nous dit à peu près la même chose :Tel que, dans la langue familière, commerciale ou administrative, est parfois suivi directement d’un participe passé, avec ellipse du verbe et du sujet : « La recette, telle que donnée ci-dessus, est prévue pour six personnes. »Note de bas de page 15 Jean Girodet, auteur du Dictionnaire du bon françaisNote de bas de page 16, « l’anti-faute », sans condamner la tournure, se veut plus normatif :Tour elliptique, à éviter dans la langue soutenue. Cette « indulgence » des grammairiens européens se comprend : l’anglicisation, réelle ou imaginaire, n’est pas aussi menaçante chez eux que chez nous. C’est sans doute ce qui explique qu’aucun n’y voit l’influence de l’anglais. Mais s’il est vrai que pour les spécialistes québécois cette locution demeure sujette à caution, il y en a pourtant un qui l’enregistre sans le moindre commentaire. Dans sa Pratique de la révision, Paul Horguelin écrit :Ellipse : Suppression de mots non nécessaires à la compréhension. Ex. Tel que (nous en avons) convenuNote de bas de page 17. Ce constat, à mon sens, est un signe que l’expression est sur le point d’être reçue dans le bon usage. Autre signe, tout aussi révélateur, le Dictionnaire des anglicismes au Québec de Gilles Colpron n’en fait plus mention. Oubli? repentir? ou simple constatation que la langue a évolué? Quoi qu’il en soit, je ne suis pas sûr de pouvoir jamais l’employer sans un petit pincement au cœur. Mais je suis tout disposé à la tolérer chez d’autres. Surtout s’il s’agit d’un texte administratif. Et si l’auteur ou le traducteur n’en abuse pas. Car il en va des mots comme de l’alcool : la modération a bien meilleur goût.RéférencesNote de bas de page 1 Victor Barbeau, Le Français du Canada, Garneau, 1970.Retour à la référence de la note de bas de page 1Note de bas de page 2 Hector Carbonneau, Vocabulaire général, bulletin de terminologie nº 147, Bureau des traductions, 1972. (Articles agreed, amended, as, etc.)Retour à la référence de la note de bas de page 2Note de bas de page 3 Gilles Colpron, Les Anglicismes au Québec, Beauchemin, 1970.Retour à la référence de la note de bas de page 3Note de bas de page 4 Gérard Dagenais, Dictionnaire des difficultés de la langue française au Canada, Éditions Pedagogia, 1967.Retour à la référence de la note de bas de page 4Note de bas de page 5 Léon Gérin, Vocabulaire pratique de l’anglais au français, Éditions Albert Lévesque, Montréal, 1937, p. 23.Retour à la référence de la note de bas de page 5Note de bas de page 6 Robert Dubuc, C’est-à-dire, vol. XII, nº 6, 1981, p. 2.Retour à la référence de la note de bas de page 6Note de bas de page 7 Le Monde, 26.2.83.Retour à la référence de la note de bas de page 7Note de bas de page 8 Réponses à la violence, rapport du Comité d’études sur la violence, tome II, Presses Pocket, 1977, p. 390.Retour à la référence de la note de bas de page 8Note de bas de page 9 Ibid., p. 467.Retour à la référence de la note de bas de page 9Note de bas de page 10 Bulletin daté du 17.6.61, in Les Consommateurs, Quin, Boniface et Gaussel, le Seuil, 1965, p. 95.Retour à la référence de la note de bas de page 10Note de bas de page 11 Robert Musil, L’Homme sans qualités, tome II, Gallimard, coll. « Folio », 1973, p. 257. (Traduit de l’allemand par Philippe Jacottet. Paru en 1957.)Retour à la référence de la note de bas de page 11Note de bas de page 12 Maurice Grevisse, Le Bon Usage, Duculot, 8eéd., 1964, p. 1092.Retour à la référence de la note de bas de page 12Note de bas de page 13 Joseph Hanse, Nouveau Dictionnaire des difficultés du français moderne, Duculot, 1983, p. 911.Retour à la référence de la note de bas de page 13Note de bas de page 14 Jean-Paul Colin, Dictionnaire des difficultés du français, Robert, coll. « Les Usuels », 1980, p. 737.Retour à la référence de la note de bas de page 14Note de bas de page 15 Grand Larousse de la langue française, tome 7, 1978, p. 5969.Retour à la référence de la note de bas de page 15Note de bas de page 16 Jean Girodet, Dictionnaire du bon français, Bordas, 1981, p. 754.Retour à la référence de la note de bas de page 16Note de bas de page 17 Paul Horguelin, Pratique de la révision, s. éd. n.l., 1978, p. 97.Retour à la référence de la note de bas de page 17
Source : Chroniques de langue (la langue française vue par des langagiers)
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