J’ai grandi sur l’île d’Hawaiʻi à une époque où ʻŌlelo Hawaiʻi (la langue hawaïenne) commençait à renaître et à se revivifier, sous l’impulsion de la renaissance culturelle hawaïenne des années 1970. Jeune Kanaka Hawaiʻi (autochtone d’Hawaï), je n’ai pas eu la chance de grandir dans une maison où l’on parlait hawaïen. Chez moi, on parlait anglais. L’instruction en hawaïen était interdite dans les établissements publics et privés entre 1896 et 1986. C’est donc la langue coloniale que j’ai apprise enfant et c’est dans cette langue que j’ai été élevée, même si j’étais entourée par la culture hawaïenne, dont une des manifestations est le hula, la danse hawaïenne.
C’est à l’âge de 12 ans, alors que j’étais pensionnaire, que j’ai officiellement commencé à apprendre l’hawaïen. À l’époque, je trouvais passionnant d’apprendre la langue hawaïenne, de me la réapproprier. Les cours de langue étaient l’occasion d’étudier l’histoire, la culture, le peuple, le territoire et les systèmes de connaissances d’Hawaï. Nous apprenions la langue et ce qui l’entoure par l’intermédiaire de l’anglais, mais nos nā kumu (professeurs) trouvaient de bons moyens de lier cet apprentissage à nos vies quotidiennes; ils réussissaient à nous donner envie de participer activement au mouvement de revitalisation de la langue hawaïenne parmi ses apprenants et ses locuteurs.
Une bonne vingtaine d’années plus tard, ma quête n’est pas achevée. Je suis toujours à la recherche de trucs et de ressources pour continuer d’apprendre ma langue, même si je vis maintenant bien loin de mon territoire traditionnel, dans ce pays qu’on appelle aujourd’hui le Canada. Devenue défenseure des langues autochtones, chercheuse universitaire et professeure, j’ai à cœur d’appuyer les personnes qui souhaitent améliorer leur connaissance d’une langue autochtone.
Mon parcours trouvera peut-être un écho chez d’autres Autochtones vivant tout près d’ici, ailleurs au pays ou dans des contrées éloignées. Nous avons en commun des histoires de colonisation similaires, l’expérience du génocide culturel, de l’assimilation et de la dépossession de nos langues. Mais comme Autochtones, nous avons aussi le pouvoir de nous réapproprier nos langues comme nous l’entendons.
Apprendre une langue n’est pas une mince affaire. Pour ceux d’entre nous qui ont subi le traumatisme des injustices du passé, il est encore moins évident d’imaginer un avenir où leur langue autochtone aurait sa place. Je crois toutefois qu’il faut être solidaires et parler nos langues ancestrales, même si nous ne les parlons pas à la perfection. Il est normal de faire des erreurs quand on apprend une langue; ce qui ne l’est pas, c’est de juger les autres quand ils en font.
Voici quelques pistes utiles pour soutenir l’apprentissage et la revitalisation des langues autochtones :
- 1. Un nom porteur de sens
- Employez vos noms traditionnels et ancestraux. Apprenez ceux des autres et utilisez-les quand vous vous adressez à eux.
- 2. Vous situer
- Apprenez à vous présenter et à décrire votre rapport à votre peuple, à votre territoire et au monde au-delà de l’humain. Cela peut comprendre des renseignements liés à votre généalogie et à votre communauté, et une mention du territoire sur lequel vous habitez.
- 3. Formules d’usage
- Dites « bonjour » et « au revoir » dans votre langue, et répondez aussi à votre interlocuteur dans votre langue.
- 4. Au téléphone
- Répondez au téléphone et terminez vos appels dans votre langue. Enregistrez aussi un message dans cette langue pour votre messagerie vocale.
- 5. Interactions sociales
- Quand vous écrivez un courriel, un texto ou que vous clavardez, commencez et finissez la conversation dans votre langue.
- 6. Un peu de décoration
- Écrivez des mots, des expressions courantes, des actions et des noms d’objets sur des autocollants; placez les autocollants à des endroits que vous fréquentez souvent (par exemple dans la cuisine, le salon ou le bureau). Quand vous aurez intégré ces mots et expressions à votre vocabulaire, remplacez les autocollants par de nouveaux.
- 7. Lieux et moments privilégiés
- Choisissez des lieux ou des moments de la journée où vous allez parler exclusivement dans votre langue (par exemple, à l’heure du déjeuner et pendant vos déplacements vers l’école, le travail ou la maison).
- 8. Culture
- Choisissez une pratique ou une activité culturelle que vous aimez; apprenez dans votre langue les mots et les expressions qui la concernent, ainsi que les protocoles culturels qui l’entourent. Servez-vous de ce vocabulaire quand vous accomplissez l’activité en question.
- 9. Des activités choisies
- Choisissez une tâche ou une activité (par exemple la cuisine ou le tissage) et apprenez chacune de ses étapes dans votre langue.
- 10. Chansons
- Apprenez des chansons dans votre langue et chantez-les. Encore mieux : composez une chanson, chantez-la et apprenez-la à votre entourage!
- 11. Autres compagnons
- Parlez votre langue à vos animaux de compagnie. Comme la plupart ne vous répondront pas, profitez-en pour vous exercer. Ils écoutent bien et sans juger!
Ces trucs peuvent être utilisés par tous les apprenants et locuteurs, quel que soit leur niveau. Que vous viviez dans une communauté autochtone, dans une grande ville ou dans un pays étranger, vous pouvez trouver des ressources linguistiques (des personnes, des livres, des médias) qui vous aideront à faire du chemin. N’oubliez pas de souligner et de récompenser vos progrès, qu’ils soient modestes ou substantiels. Protégez votre espace linguistique et encouragez les autres à se joindre à vous. Ensemble, agrandissons la sphère d’usage de nos langues jusqu’à ce que nous puissions employer les langues autochtones dans tous les domaines d’activité.
Ce qui compte par-dessus tout, c’est que vous vous amusiez, que vous preniez plaisir à apprendre et à parler votre langue autochtone. C’est à travers les langues de nos ancêtres que nous pouvons commencer à comprendre notre relation aux autres et avec notre milieu naturel, de même que nos responsabilités à leur égard. Ce savoir sera le gage d’un avenir sain et durable.
E ola mau nā ʻōlelo ʻōiwi! (Vive les langues autochtones!)
Traduit par Marc-André Descôteaux, Portail linguistique du Canada