« Vous devez faire une composition pour la semaine prochaine. » À cette annonce, les élèves de ma classe de cinquième année ont poussé un soupir de découragement à l’unisson, mais moi, je pensais déjà à une panoplie de sujets. J’adorais les travaux de rédaction!
M. Ouellette, notre professeur de français, souhaitait nous voir améliorer et perfectionner nos compétences en rédaction. Il nous a demandé de nous surpasser et de remplacer les mots simples que nous utilisions tous les jours par des mots plus savants. Il a écrit quelques exemples au tableau. Plus un mot était rare, mieux c’était. J’ai donc pris mon dictionnaire français de même que mon dictionnaire des synonymes et des antonymes, j’ai taillé mon crayon et je me suis mise au travail, mes documents de référence éparpillés sur la table de cuisine. J’étais très confiante en remettant mon devoir.
Quelques semaines plus tard, M. Ouellette a annoncé qu’il avait corrigé nos travaux et qu’il souhaitait nous en lire un en particulier. Il a mis ses lunettes, s’est raclé la gorge et a commencé à lire. J’ai immédiatement reconnu mon texte. J’étais flattée qu’il considère que mon travail était suffisamment bon pour être lu devant toute la classe, mais comme je suis introvertie, j’ai senti mon visage s’empourprer. Et ce n’était que le début!
Parmi les nombreux synonymes utilisés dans mon texte se trouvait l’expression « obscurité totale ». Je me souviens de cette expression pour deux raisons : mon professeur s’y est attardé, et elle a donné naissance à mon nouveau surnom. En effet, ce jour-là, des camarades de classe ont commencé à m’appeler à la blague « Obscurité totale » et ont gardé cette habitude jusqu’à la fin de mes études secondaires.
Mon initiation au langage clair et simple
Quelques décennies plus tard, j’ai commencé ma carrière à Service Canada en tant qu’agente de prestations. J’ai alors vraiment pu constater à quel point la correspondance gouvernementale pouvait décontenancer un grand nombre de clients et clientes et semer la confusion dans leur esprit. Je me suis d’ailleurs souvent retrouvée à donner des explications en langage clair et simple sur des processus, des formulaires, des lettres et des lois.
Je travaille maintenant au programme de Modernisation du versement des prestations, plus précisément dans le secteur de la conception et de la prestation de l’expérience de service, où je fais partie de l’équipe du contenu. J’apprends des techniques pour réviser et rédiger du contenu en ligne à l’intention du public. Ici, l’emploi de mots longs, sophistiqués et rares est non seulement mal vu, mais carrément condamné. Je suis certaine que mon professeur de cinquième année serait déçu.
L’importance du langage clair et simple, et ma façon de l’utiliser
Selon l’International Dyslexia Association (s’ouvre dans un nouvel onglet) (en anglais seulement), de 15 à 20 % de la population présente un trouble d’apprentissage lié au langage. Par ailleurs, un rapport sur le Programme pour l’évaluation internationale des compétences des adultes (s’ouvre dans un nouvel onglet) nous apprend que près de la moitié des adultes au Canada ont de la difficulté à lire et à écrire. En fait, un grand nombre de Canadiens et Canadiennes peinent à accomplir des tâches relativement simples comme remplir un formulaire ou lire un article de journal. Dans les groupes obtenant les résultats les plus faibles, on trouve non seulement des personnes nouvellement arrivées au Canada, dont la langue maternelle n’est ni le français ni l’anglais, mais aussi des francophones et anglophones originaires du Canada. C’est pourquoi le contenu destiné au public doit pouvoir être compris par les personnes dont la capacité de lecture correspond à une huitième année ou moins.
C’est là que mon équipe entre en jeu. Comme le secteur de travail auquel elle est rattachée crée et améliore des produits numériques visant à mieux servir la population canadienne, l’un des mandats de mon équipe consiste à réviser et à rédiger du contenu en langage clair et simple. Pour éviter que les lectrices et lecteurs se sentent dépassés, nous veillons à ce que les renseignements essentiels soient accessibles et faciles à comprendre pour tout le monde. Voici comment nous nous y prenons :
- Nous employons des termes courants et bien connus.
- Nous choisissons des mots d’une ou deux syllabes.
- Nous rédigeons des phrases et des paragraphes courts.
- Nous éliminons les acronymes, les sigles, le jargon et les expressions, notamment les expressions idiomatiques.
- Nous nous servons de puces pour diviser les blocs de mots et de phrases.
En plus de ces méthodes, nous utilisons des outils de lisibilité pour évaluer le contenu en français et en anglais. Enfin, nous employons un ton informatif et informel, qui demeure toutefois toujours professionnel. Il faut trouver un juste équilibre, mais l’effort en vaut vraiment la peine.
Comment fait-on pour amorcer un changement durable au sein d’une organisation aussi vaste et diversifiée que la nôtre? On crée une loi.
Le résumé de la Loi canadienne sur l’accessibilité (s’ouvre dans un nouvel onglet) énonce l’objet de la Loi, qui consiste à « faire du Canada un pays exempt d’obstacles d’ici le 1er janvier 2040 ». Et l’un des principes sur lesquels repose la Loi est que « toute personne a droit à une participation pleine et égale dans la société ». L’avenir est prometteur!
De l’obscurité au langage clair et simple
Quant à moi, j’utilise encore aujourd’hui un dictionnaire des synonymes, sauf qu’il s’agit maintenant d’une version en ligne. Au lieu de remplacer les mots simples par des mots longs et compliqués, comme je le faisais en cinquième année, je remplace les mots longs et compliqués par des mots courants et courts. On ne peut sous-estimer le pouvoir du langage, et je suis certaine que M. Ouellette comprendrait que les mots obscurs et recherchés n’ont pas leur place dans les documents destinés au grand public.