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Mots de tête : « en autant que »

Un article sur l’expression en autant que
Frèdelin Leroux fils (L’Actualité langagière, volume 7, numéro 2, 2010, page 12) En autant que je me rappelle, Mussolinin’avait pas droit à nos prièresNote de bas de page 1. Il est amusant qu’une des premières sources de l’expression « en autant que » soit un auteur du nom de DavidNote de bas de page 2 : « Je n’ai voulu jusqu’à présent vous parler de moi… qu’en autant que cela a été indispensable pour vous mettre au fait des événements. » Et qu’un des derniers à la condamner soit un journaliste du même nomNote de bas de page 3. 170 ans plus tard… Il existe des sources plus anciennes encore, mais comme il s’agit de traductionsNote de bas de page 4 – que je ne suis pas parvenu à dater –, je vous les signale sous toute réserve : un texte du secrétaire d’État Egremont d’août 1763, une ordonnance du gouverneur James Murray de septembre 1764 et l’Acte constitutionnel de 1791. Dans le seul article XXXIII de cet Acte, la tournure revient trois fois : « excepté en autant qu’elles ont été expressément rappelées… par cet Acte, ou en autant qu’elles seront ou pourront ci-après… être rappelées ou variées par sa Majesté…, ou en autant qu’elles pourront être rappelées ». Moins de dix ans après la lettre du patriote Girouard citée par L.-O. David, le grand journaliste Étienne ParentNote de bas de page 5 l’emploie : « c’est ce que nous ne pouvons faire qu’en autant que nous aurons… ». Ainsi qu’un autre journaliste, dans un ouvrage historiqueNote de bas de page 6 : « le 4e article du traité de 1763 qui ne permettait pas aux Canadiens de jouir de leur religion comme sous le gouvernement français, mais en autant que le permettaient les lois anglaises ». Cet usage devait être assez répandu à l’époque, puisque dès la fin du siècle, un premier défenseur de la langue prendra la peine de signaler qu’il n’est pas conforme à l’usage français. En 1896, Raoul RinfretNote de bas de page 7 indique qu’il faut dire « en tant que » ou « pourvu que ». Moins de vingt ans plus tard, l’abbé BlanchardNote de bas de page 8 rappelle qu’« en tant que » est la bonne forme. Et l’année suivante, c’est au tour d’un collaborateur de la Société du parler français au Canada, le SarcleurNote de bas de page 9, d’en faire autant. Mais la leçon a été mal retenue, comme en témoignent ces exemples : « en autant que peuvent être stables les institutions humaines » (Errol Bouchette, 1901Note de bas de page 10); « être avec la France en autant [sic] que le permettent nos devoirs envers l’Angleterre ». Le « [sic] » n’est pas de moi, mais de quelqu’un qui, lui, avait retenu la leçonNote de bas de page 11. Dans un ouvrage sur lord Durham, Léo-Paul DesrosiersNote de bas de page 12 cite une dépêche avec plusieurs occurrences : « en autant qu’ils oublient… les principes du droit chrétien, en autant qu’ils sont inspirés par…, en autant qu’une telle conformité est compatible avec les différences ». La traduction est vraisemblablement de Desrosiers. Il est intéressant de voir que les trois premiers auteurs à condamner cette tournure ne semblent pas soupçonner qu’il puisse s’agir d’un calque. C’est seulement en 1936, soit quarante ans après Rinfret, que Léon LorrainNote de bas de page 13 lui accolera l’étiquette infamante. Et à partir de cette date, les défenseurs de la langue lui emboîteront le pas : depuis Gérard Dagenais (1967), jusqu’à Paul Roux (2004) et Michel Parmentier (2006), en passant par Gilles Colpron (1970) et Marie-Éva de Villers (1992). Et j’en saute au moins dix. (Je vous laisse le plaisir de les trouver; vous y ferez toute une moisson d’équivalents pour remplacer le calque.) Soit dit entre vous et moi, et la boîte à bois (comme aurait ajouté mon père), si les condamnations se multiplient, c’est que le succès de la tournure ne se dément pas. À peu près tous nos journalistes ont un faible pour « en autant que » : du Devoir, Gilles Lesage (8.11.93) et Odile Tremblay (20.11.99); du Droit, Michel Vastel (22.1.01); de La Presse, Pierre Foglia (30.10.03), Alain Dubuc (24.11.04), André Pratte (16.11.06) et Nathalie Petrowski (13.12.06); de Voir, Éric-Olivier Dallard (8-14.1.04), et même un journaliste acadien, Serge Rousselle de L’Acadie nouvelle (12.8.02). C’est aussi le cas de gens d’horizons les plus divers : un ancien premier ministre : « en autant que le Québec est considéré » (Robert Bourassa, Le Droit, 10.7.92); une future grande romancière : « en autant que j’ai pu comprendre son anglais » (Gabrielle Roy, Bulletin des agriculteurs, janvier 1942); un homme de théâtre : « il m’encourageait en autant que j’étais premier de classe » (Gilles Provost, Le Droit, 28.11.05); un anthropologue : « le Québec ne peut réaliser qu’un entre-deux en autant que le tolère le Canada » (Claude Bariteau, Le Devoir, 10.7.08); un professeur de français : « l’harmonie linguistique y règne en autant que les francophones acceptent de cacher leur langueNote de bas de page 14 »; et un philosophe théologien (l’exemple en épigraphe). Enfin, si l’on en croit deux de nos journalistes, même les Français prendraient goût à notre calque : « Écrire de la fiction ça donne du plaisir en autant que l’on sait ce que l’on veut dire » (Françoise Giroud, entretien avec Nathalie Petrowski, Le Devoir, 24.9.83); « En autant, bien sûr, que l’échange se fasse à égalité » (Jean-Marie Borzeix, ancien directeur de France Culture; Louise-Maude Rioux Soucy, Le Devoir, 15.9.06). Je ne peux m’empêcher de soupçonner qu’on leur a mis des mots dans la bouche… La forme recommandée par Rinfret et Blanchard, « en tant que », n’est pas fréquente chez nous, mais on la rencontre : « En tant que l’on sache, les loups ne dévorent jamais les messagersNote de bas de page 15 ». Ce tour serait littéraire d’après Joseph Hanse, et en voie de disparition d’après Maurice Grevisse. Mais ce qui est plus étonnant, c’est d’apprendre que la formule qu’on propose fréquemment pour éviter le calque, « pour autant que », ne daterait que du XXe siècle (Grevisse). Effectivement, ni Littré ni Hatzfeld-Darmesteter ne la connaissent. Même la 8e édition (1935) du dictionnaire de l’Académie l’ignore. On comprend mieux pourquoi ces deux formes ont autant de mal à supplanter la nôtre : la première serait trop littéraire, l’autre trop récente… Personnellement, avoir à choisir entre « pour autant que je suis concerné » et « en autant que », mon cœur ne balancerait pas longtemps. C’est la dernière qui l’emporterait. Certes, à moins d’y être obligé, je m’exprimerais autrement, car je préfère de loin « en ce qui me concerne » ou une autre formule plus courte (« quant à moi », « pour ma part », etc.). Mais la question n’est pas là. Ce qu’il faut se demander, c’est si « en autant que » est un véritable calque. En anglais, il me semble qu’on voit plus souvent « as far as » ou « insofar as » que « inasmuch as ». C’est notamment le cas de l’article XXXIII du Constitutional Act de 1791, où on ne rencontre que « far ». Tant qu’à calquer, pourquoi les auteurs ou traducteurs de l’époque n’ont-ils pas choisi une formule comme « aussi loin que »? (On dit bien « d’aussi loin que je me souvienne », où personne ne voit un calque de « as far back as ».) Pourquoi avoir traduit par « en autant que »? Je crois plutôt qu’on a fusionné ou confondu deux tournures : « en tant que » et « autant que ». Si c’est le cas, on ne saurait parler de calque. Mais calque ou pas, après plus de deux cents ans, je crois que le moment est venu de cesser de s’acharner sur « en autant que » et d’y voir plutôt une variante québécoise, aussi légitime que les autres. Elle est effectivement attestée comme variante québécoise par Hanse/Blampain et Grevisse/Goosse. Je laisse le mot de la fin à un grand lexicologue, Georges Matoré : « Une faute cesse d’être une faute quand, devenue générale, elle est faite par les gens cultivésNote de bas de page 16. » Comme nous l’avons vu, ils sont nombreux chez nous à faire cette faute.RéférencesNote de bas de page 1 Louis O’Neill, Les trains qui passent, Montréal, Fides, 2003, p. 45.Retour à la référence de la note de bas de page 1Note de bas de page 2 Laurent-Olivier David, Les Patriotes de 1837-1838, Montréal, Leméac, 1978, p. 56 (paru en 1884). La citation, tirée d’une lettre d’un patriote emprisonné (J.‑J. Girouard), date de 1838.Retour à la référence de la note de bas de page 2Note de bas de page 3 Michel David, Dictionnaire des expressions françaises et québécoises, Montréal, Guérin, 2009.Retour à la référence de la note de bas de page 3Note de bas de page 4 Voir Histoire du Canada par les textes de Guy Frégault et Marcel Trudel, Fides, 1963.Retour à la référence de la note de bas de page 4Note de bas de page 5 Jean-Charles Falardeau, Étienne Parent, Montréal, Éditions La Presse, 1975, p. 128. Conférence prononcée par Parent le 19 novembre 1846.Retour à la référence de la note de bas de page 5Note de bas de page 6 Pierre Boucher de la Bruère, Le Canada sous la domination anglaise, Saint‑Hyacinthe, Lussier et Frères, 1863, p. 45.Retour à la référence de la note de bas de page 6Note de bas de page 7 Raoul Rinfret, Dictionnaire de nos fautes contre la langue française, Montréal, Cadieux et Derome, 1896.Retour à la référence de la note de bas de page 7Note de bas de page 8 Étienne Blanchard, Dictionnaire de bon langage, Paris, Librairie Vic et Amat, 1914, p. 41.Retour à la référence de la note de bas de page 8Note de bas de page 9 Le Parler français, Bulletin de la Société du parler français au Canada, Québec, Université Laval, vol. XIII, nº 8, avril 1915, p. 368.Retour à la référence de la note de bas de page 9Note de bas de page 10 « Emparons-nous de l’industrie », paru dans Écrits du Canada français, nº 35, 1972, p. 204.Retour à la référence de la note de bas de page 10Note de bas de page 11 Olivar Asselin, Trois textes sur la liberté, Montréal, HMH, 1970, p. 45 (1915). L’auteur cite un article du père Albert d’Amours paru dans L’Action catholique du 9 mars 1915.Retour à la référence de la note de bas de page 11Note de bas de page 12 L’Accalmie, Le Devoir, 1937, p. 17.Retour à la référence de la note de bas de page 12Note de bas de page 13 Les Étrangers dans la cité, Montréal, Presses du Mercure, 1936.Retour à la référence de la note de bas de page 13Note de bas de page 14 Luc Bouvier, Les Sacrifiés de la bonne entente, Éditions de L’Action nationale, 2003, p. 16.Retour à la référence de la note de bas de page 14Note de bas de page 15 Harry Bernard, Portages et routes d’eau en Haute-Mauricie, Trois-Rivières, Éditions du Bien Public, 1953, p. 172.Retour à la référence de la note de bas de page 15Note de bas de page 16 Histoire des dictionnaires français, Larousse, 1968, p. 122.Retour à la référence de la note de bas de page 16
Source : Chroniques de langue (la langue française vue par des langagiers)
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Mots de tête : « en rapport avec » (prise 2)

Un article sur l’expression en rapport avec
Frèdelin Leroux fils (L’Actualité langagière, volume 2, numéro 3, 2005, page 12) Un Gatinois est arrêté en rapport avec une disparition. (Le Droit, 28.06.05) En décembre 1981, L’Actualité terminologique faisait paraître un Mots de tête sur « en rapport avec », calque présumé de l’anglais. Un quart de siècle plus tard, malgré la fréquence de ce sens « défendu », les dictionnaires continuent de faire comme s’il n’existait pas. Je l’ai dit, et je le répète (je le tripète même, comme disaient les collégiens), les lexicographes ne lisent pas votre revue préférée. Et nos défenseurs de la langue non plus, semble-t-il. Une nouvelle génération a pris la relève depuis – Marie-Éva de VillersNote de bas de page 1, Lionel MeneyNote de bas de page 2, Camil ChouinardNote de bas de page 3, Paul RouxNote de bas de page 4 –, mais les rappels du sens premier de cette locution (« qui correspond, convient à ») et les condamnations ou mises en garde demeurent les mêmes. Comme à l’époque où Arthur BuiesNote de bas de page 5 la condamnait pour la première fois, en 1888… Si vous êtes assez vieux pour avoir lu mon articleAller à la remarque a, vous savez que cet usage ne nous est pas particulier. Et tout comme chez nous, il s’est bien maintenu en France. Les traducteurs, par exemple, en semblent plutôt friands. De l’espagnol : sa mort est en rapport avec les rendez-vous qu’il avait chez toi (Manuel Vásquez MontalbánNote de bas de page 6). De l’allemand : ses innovations techniques étaient en rapport avec cela (lettre de Freud; Figaro littéraire, 21.03.00). De l’anglais : en rapport avec une affaire sur laquelle je suis (Dennis LehaneNote de bas de page 7). Du polonais : les noms qu’on donne aux enfants sont en rapport avec un événement du jour de leur naissance (Ryszard KapuścińskiNote de bas de page 8). Bien sûr, on trouve l’expression dans les journaux : les éléments les plus intéressants de sa vie en rapport avec son œuvre (Figaro littéraire, 21.03.02). Cette idée de « lien » s’ajoute à celle de « correspondance » dans l’exemple suivant : le Compagnon observe les choses qui sont en rapport avec ses préoccupations professionnellesNote de bas de page 9. Mais dans celui-ci, tiré du Traité de non-prolifération nucléaire, c’est plutôt le sens de « visé par » : événements extraordinaires, en rapport avec l’objet du présent Traité (État du monde 1996). Alors qu’en 1981 mon exemple le plus ancien était d’un spécialiste de Descartes, cette fois, c’est un spécialiste de Marivaux qui m’en fournit un de la même année : cette conception est peut-être chez Marivaux en rapport avec le sentiment qu’il a de la grâceNote de bas de page 10. J’ai dit que les dictionnaires l’ignorent, mais leurs rédacteurs s’oublient parfois : agro-industrie – ensemble des industries en rapport avec l’agriculture. C’est dans le Petit Robert. Il est intéressant de comparer avec la définition du Dictionnaire universel francophone : ensemble des industries concernées par l’agriculture. Ou encore avec celle d’« agrobusiness » dans le Grand Larousse : ensemble des activités en relation avec l’agriculture. Pour leur part, les bilingues commencent timidement à l’employer. On en trouve deux exemples dans le Harrap’s, à « rapport » : une histoire en rapport avec votre vie quotidienne; parlez-lui de choses qui sont moins en rapport avec votre passé. Un dans le Larousse-Chambers, mais sans contexte : to have a relation to something – être en rapport avec qqch. Et un dernier, dans un dictionnaire de difficultésNote de bas de page 11 récent : son refus serait-il en rapport avec son absence? Cela n’a plus grand-chose à voir avec « qui convient à ». C’est simplement l’idée de « lien ». C’est un début d’élargissement du champ sémantique de notre locution. J’ai un dernier exemple, d’un auteur « classique », qui incitera peut-être les lexicographes à revoir leur copie : Il est bon que chaque éditeur soit responsable, engagé dans un organisme vivant, en rapport avec toutes ses partiesNote de bas de page 12. Il est de l’auteur des Destinées sentimentales, mais ça ne correspond pas tellement aux sens évoqués jusqu’ici. Je dirais que cela signifie « en lien avec », si l’expression existait. De fait, bien qu’elle ne se trouve pas dans les dictionnaires, elle existe bel et bien. J’en ai donné un exemple en épigraphe, mais pour ne pas vendre la mèche dès le départ, j’ai remplacé « lien » par « rapport ». Je l’ai vue pour la première fois il y a peut-être cinq ans, dans un travail qu’on m’avait demandé de relire. Je n’ai évidemment pas manqué de signaler à l’auteur que c’était un barbarisme. Il en était tout étonné, étant persuadé de l’avoir lue à maintes reprises sous la plume de collègues historiens. Aujourd’hui, je dois faire amende honorable en quelque sorte, puisque depuis, j’en ai relevé une bonne trentaine d’occurrences. Dont au moins le tiers sont de sources européennes. Et sur Internet, on en trouve un peu plus d’exemples (plus de 900 000) que de l’autre. C’est une véritable « battante », qui semble bien décidée à supplanter sa rivale. Ce qui frappe d’abord, c’est qu’elle est nettement plus polyvalente. Elle a bien sûr le sens de « lié à », « relatif à » : les métiers scientifiques en lien avec la mer (Maison des sciences, Poitou-Charentes); les différents accords de l’OMC en lien avec la sécurité alimentaire (Commission européenne); chansons en lien avec Renaud; accidents de la route en lien avec le travail (Département du Rhône). Mes exemples vont dans le même sens : premier inculpé en lien avec les attentats du 11 septembre (Agence France-Presse, 04.01.02); M. Hutchison a nié que ces mesures aient été en lien avec les attentats de Madrid du 11 mars (AFP, 03.04.04). Ici, « lien » et « rapport » sont interchangeables. Elle a aussi le sens d’« en liaison avec », notamment dans des documents administratifs, du genre offres d’emploi : il travaille en lien avec les directeurs de départements scientifiques; rattaché au responsable d’affaires et en lien avec une équipe; en lien avec la communauté éducative (rapport du Sénat français). J’en ai relevé plusieurs exemples dans les journaux : les trois hommes affirment avoir agi en lien avec le département américain de la Défense (AFP, 17.08.04). Des ouvrages plus sérieux l’emploient : voici quelques-unes de ces actions partenariales : soutien, en lien avec l’Union européenne, d’un projetNote de bas de page 13. Assez curieusement, on la rencontre souvent sur le site d’institutions ou de groupes religieux : retraite spirituelle en lien avec la famille vincentienne (Association vincentienne des diacres mariés); en lien avec la semaine missionnaire mondiale (Missions étrangères de Paris); c’est presque synonyme de « dans le cadre de ». Mais on ne sait trop quel sens donner à cet exemple-ci : prier en lien avec eux (Diocèse d’Arras). En union avec? Les exemples de sites « laïques » ne sont pas nécessairement plus limpides : définir les priorités de financement, en lien avec les schémas nationaux (projet de loi modifié par le Sénat); l’approche des entreprises se fera en lien avec l’évolution des méthodes pédagogiques (ministère des Affaires sociales, du Travail et de la Solidarité). Est-ce le sens d’« en fonction de »? Les exemples de sens approximatifs, à mi-chemin entre ceux que nous avons vus ci-dessus, sont tellement nombreux que je renonce à vous en donner d’autres. Je vous invite à aller constater par vous-mêmes. Et je termine avec cette question de Dominique de Villepin : Est-ce que l’Irak aujourd’hui est en lien direct avec al-Qaïda? (Le Point, 04.03.03). En liaison? en contact? en rapport avec? On le voit, « en lien avec » est beaucoup plus polyvalente que sa vieille rivale, ce qui me porte à croire que les dictionnaires attendront peut-être moins longtemps pour lui faire une petite place. Ce qui milite notamment en sa faveur, c’est que contrairement au cas d’« en rapport avec », il n’existe pas de sens reconnu pour lui faire concurrence.RemarquesRemarque a Sinon, vous pouvez vous faire pardonner votre manque d’âge en vous procurant mon recueil, Mots de tête, aux Éditions David.Retour à la remarque aRéférencesNote de bas de page 1 Multidictionnaire des difficultés de la langue française, Québec/Amérique, 1997.Retour à la référence de la note de bas de page 1Note de bas de page 2 Dictionnaire québécois-français, Guérin, 1999 (l’auteur y voit l’influence d’« in connection with »).Retour à la référence de la note de bas de page 2Note de bas de page 3 1300 pièges du français parlé et écrit, Libre Expression, 2001.Retour à la référence de la note de bas de page 3Note de bas de page 4 Lexique des difficultés du français dans les médias, Éditions La Presse, 2004 (Roux y voit plutôt l’influence d’« in relation to »).Retour à la référence de la note de bas de page 4Note de bas de page 5 Anglicismes et canadianismes, coll. « Introuvables québécois », Montréal, Leméac, 1979, p. 22-23.Retour à la référence de la note de bas de page 5Note de bas de page 6 Tatouage, coll. 10/18, 1990, p. 224; traduit par Michèle Gazier et George Tyras.Retour à la référence de la note de bas de page 6Note de bas de page 7 Un dernier verre avant la guerre, Rivages/Noir, 2001, p. 61; traduit par Mona de Pracontal. On en trouve un autre exemple dans Ténèbres, prenez-moi par la main du même auteur, traduit par Isabelle Maillet.Retour à la référence de la note de bas de page 7Note de bas de page 8 Ébène, Presses Pocket, 2002, p. 82; traduit par Véronique Patte.Retour à la référence de la note de bas de page 8Note de bas de page 9 Bernard de Castéra, Compagnonnage, Que sais-je?, 1992, p. 62.Retour à la référence de la note de bas de page 9Note de bas de page 10 Frédéric Deloffre, introduction au Paysan parvenu, Garnier, 1965, p. xxi.Retour à la référence de la note de bas de page 10Note de bas de page 11 Daniel Péchoin et Bernard Dauphin, Dictionnaire des difficultés du français, Larousse, 2001.Retour à la référence de la note de bas de page 11Note de bas de page 12 Jacques Chardonne, Bonheur de Barbezieux, Stock, 1938, p. 156-157.Retour à la référence de la note de bas de page 12Note de bas de page 13 D. Andrerie, R. Souchier et L. Vilar, Le Patrimoine mondial, Que sais-je?, 1998, p. 117.Retour à la référence de la note de bas de page 13
Source : Chroniques de langue (la langue française vue par des langagiers)
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Plus important,…

Un article sur l’expression plus important en début de phrase,
Jacques Desrosiers (L’Actualité terminologique, volume 32, numéro 3, 1999, page 25) Normalement les adjectifs se rapportent à un nom ou à un pronom, mais on rencontre assez souvent de ces phrases commençant par un adjectif au comparatif, suivi d’une virgule ou des deux points, qui ne se rapporte à rien dans la phrase : Plus important, les transactions ne se feront plus à la Bourse de Vancouver. Plus remarquable : les troupes canadiennes ont atteint la ville de… Plus grave encore, le produit pourrait être responsable de mortelles overdoses. La tournure n’est pas tout à fait nouvelle. André Goosse, qui semble la cautionner, citait déjà cet exemple d’E. Le Roy Ladurie dans l’édition de 1988 du Bon usage : « Plus précis encore, les petits enfants de la ville, à l’heure du massacre final… brandissent les brandons » (Carnaval de Romans). La phrase laisse un peu à désirer : on hésite, on se demande si précis renvoie à enfants ou à toute la phrase. C’est que les noms attirent les adjectifs comme des aimants. Dans nos exemples, toutefois, il est clair qu’important, remarquable et grave s’appuient sur toute la phrase qui suit, un peu à la manière d’un adverbe comme heureusement dans : Heureusement, le patron n’était pas là. Depuis un an ou deux le tour se propage et chaque fois, malgré Goosse, on ne peut s’empêcher de tiquer : il a un côté pressé, quelque chose de bancal; on devine, derrière, une impatience plus ou moins justifiée devant tous les éléments qu’exigerait un français surveillé : Facteur plus important, les transactions ne se feront plus à la Bourse de Vancouver. Fait plus remarquable, les troupes canadiennes ont atteint la ville de… Là on sent que la phrase est plus solide, mieux assise. Ces appositions classiques sont d’ailleurs si simples et nous sont si familières (penser aussi à détail amusant, fait curieux, dernier point à signaler, autre aspect non négligeable, etc.) qu’on peut s’étonner que certains commencent à les trouver encombrantes. Le tour est courant en anglais : « More important, NATO’s leaders insisted that their forces fight a measured campaign… », lit-on dans un numéro récent de Maclean’s. Il est rendu littéralement dans cette traduction tirée d’un rapport publié par un organisme international au printemps dernier : « Mais seulement 100 000 réfugiés, moins de la moitié du nombre escompté, sont rentrés. Plus inquiétant encore, seuls 30 000 d’entre eux ont pu retourner dans des régions à présent dominées par un autre groupe ethnique. » La version anglaise, qui est sans aucun doute l’originale parce qu’elle contient un peu plus d’information…, dit : « But only 100,000 refugees, less than half the official target, went home. More worrying still, during this period only 30,000 people – refugees and internally displaced persons – returned to their old homes in areas which are now controlled by a different ethnic group. » S’agit-il d’un calque? Peut-être, mais le calque n’est pas un péché mortel, la langue en regorge. De plus, il n’explique pas tout, parce que le français le plus correct connaît déjà deux tours semblables, ceux avec les comparatifs mieux et pis, comme dans : Je trouve l’idée très intéressante; mieux, je suis prêt à vous financer, et dans cette phrase de Marguerite Yourcenar : « Pis encore, elle était peureuse » (Souvenirs pieux, cité par Goosse). Mieux et pis sont au départ des adverbes. Dans ces exemples, ils remplaceraient par ellipse qui mieux est et qui pis est, locutions figées qui proviennent elles-mêmes de ce qui est mieux (ou chose qui est mieux) et de ce qui est pis. Or, dans ces locutions, selon certains ouvrages, les deux adverbes sont employés adjectivement : et comme les adjectifs doivent se rapporter à un nom ou à un pronom, mieux dans un tour comme ce qui est mieux serait l’attribut de ce. Mais qu’en est-il quand mieux et pis sont employés seuls comme dans les deux exemples du paragraphe précédent? Restent-ils adverbes ou sont-ils adjectifs? La réponse varie dans les ouvrages. Si on les considère comme des adjectifs, je suppose qu’on dira qu’ils sont les attributs d’un pronom ce sous-entendu. Ensuite on pourrait appliquer la même logique aux autres adjectifs, pour conclure que plus important est construit de la même manière que mieux et pis : important y serait tout simplement l’attribut du ce sous-entendu de ce qui est plus important. Mais l’analyse est un peu tirée par les cheveux, et on reste mal à l’aise devant ces plus important, plus inquiétant, qui passent mal, qui donnent l’impression d’être suspendus en l’air au début de la phrase. On peut expliquer cette gêne de deux façons. D’abord, ces emplois de mieux et de pis sont des tours figés de la langue, ce qui n’est pas le cas des autres adjectifs au comparatif. Mais surtout, le fait qu’ils soient d’abord des adverbes leur facilite la tâche : isolés dans une incise au début de la phrase, ils ressemblent moins à des adjectifs qui se rapporteraient à un invisible pronom, qu’à des adverbes modifiant la phrase entière qui les suit et qui est leur véritable support. La nature adverbiale de mieux et de pis leur donne en quelque sorte le physique de l’emploi pour jouer ce rôle en tête de phrase. Ils retrouvent leur nature véritable, et même si on persiste à les considérer comme adjectifs dans cette construction, il reste que ce ne sont pas proprement des adjectifs, mais des adverbes employés comme adjectifs. Le seul véritable contre-exemple, à ma connaissance, est pire. Celui-là est un pur adjectif. Il est le comparatif de supériorité de l’adjectif mauvais, tandis que pis est le comparatif de supériorité de l’adverbe mal. Il ne peut d’ailleurs jamais, d’après les linguistes, qui sont catégoriques là-dessus, être employé comme adverbe. « Pire, qui joue surtout un rôle d’adjectif, peut servir de nom, mais jamais d’adverbe », écrit Jean-Paul Colin. Or pire et pis se livrent la concurrence en tête de phrase depuis longtemps. Simone de Beauvoir écrivait déjà dans les Mémoires d’une jeune fille rangée : « Ils me méprisaient; pire, ils m’ignoraient » (cité par Goosse). Marcel Aymé, dans Le vin de Paris : « Bien pire, je vois venir le jour qu’en haine de mon auréole elle maudira le nom de Celui qui me l’a donnée » (cité par Hanse). C’est un tour bien ancré dans l’usage. Or Hanse le juge fautif. Cette condamnation est étonnante, mais peu importe, ce qu’il est intéressant de noter est qu’il attribue la faute au fait qu’Aymé emploie un adjectif là où on attendrait un adverbe, c’est-à-dire pis. Hanse considère donc que mieux et pis restent des adverbes dans ces constructions. Doit-on alors penser que Beauvoir et Aymé ont employé pire au lieu de pis pour le plaisir d’employer un adjectif au lieu d’un adverbe? Bien sûr que non. Si Beauvoir avait voulu dire : « Mieux, ils m’ignoraient », elle n’aurait pas écrit : « Meilleur, ils m’ignoraient. » Ces écrivains préfèrent pire parce que, comme beaucoup de locuteurs, ils ressentent pis comme vieilli. J’ai l’impression que l’usage a enfreint la règle des linguistes et en est venu à employer pire comme adverbe dans cet emploi. Cette défaveur de pis – attribuée par Dupré à son homonymie saugrenue avec la tétine des bêtes laitières – est d’ailleurs générale. Comme adverbe, le mot ne reste vivant que dans quelques expressions comme tant pis, aller de mal en pis ou au pis aller, encore que même dans ces deux cas l’usage courant, du moins au Canada, préfère de loin aller de mal en pire et au pire aller. Pire est donc un cas très particulier. Il a finalement plus d’affinités avec des adverbes au comparatif, comme plus généralement, qu’avec des adjectifs comme plus important, plus grave, etc. Il est possible que ces tournures finissent par s’implanter, mais elles semblent encore irrégulières. Ceux qui ne peuvent vraiment plus supporter des incises comme facteur plus important, question plus sérieuse, ce qui est plus grave, etc., mais veulent quand même garder l’adjectif bien en vue au début de la phrase, peuvent recourir à une simple inversion, comme dans cette dépêche de l’AFP : « Encore plus inquiétante pour M. Colville est la présence d’un grand nombre de projectiles largués par l’OTAN et qui n’ont pas explosé » (18-6-1999). C’est ce que fait aussi le journaliste du Monde qui écrit : « Plus étonnant est que l’action de Pierre Bunel ait été portée à la connaissance des juges et de l’opinion publique » (4-11-1998), où l’adjectif étonnant se rapporte au mot sous-entendu fait (plus étonnant est le fait que l’action…). Un collègue plus pressé aurait écrit : « Plus étonnant, l’action de Pierre Bunel a été portée à la connaissance des juges. » Il faudra que l’usage soit beaucoup plus convaincant pour qu’on ne sente plus le manque d’étoffement dans ce genre de phrase.
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Mots de tête : Traduire « eventually » par « à terme »? Éventuellement…

Un article sur la traduction de eventually par à terme plutôt que par éventuellement
Frèdelin Leroux fils (L’Actualité terminologique, volume 17, numéro 3, 1984, page 8) Il revenait éventuellement au quotidien de Vancouver.(Michel Gratton, Le Droit.) Autant il est réjouissant de voir l’usage apporter un démenti aux interdits qui n’ont pas ou qui n’ont plus de raison d’être, autant il est exaspérant de voir certaines fautes s’obstiner à polluer notre paysage linguistique. Parmi ces fautes récalcitrantes, l’anglicisme éventuellement (eventually) n’est pas des moins tenaces. Malgré les condamnations de Victor Barbeau, Irène de Buisseret, Gilles Colpron, Gérard DagenaisNote de bas de page 1, et j’en passe, il se porte assez bien, merci. On l’entend à la télévision, on le lit dans les documents officiels, dans la presse. Et pas seulement dans Le Droit. D’ailleurs, ce n’est pas une faute propre au Canada français. Si elle est moins répandue en France, elle l’est assez pour que Grandjouan juge utile d’en parler dans ses LinguicidesNote de bas de page 2, et Koessler dans ses Faux AmisNote de bas de page 3. En deux mots, voici la différence entre ces frères jumeaux : eventually exprime une certitude (Eventually, we must die); éventuellement, une possibilité (« Je ferai éventuellement [au besoin, le cas échéant] appel à votre concours »). Les équivalents du terme anglais ne manquent pas. Le premier dictionnaire bilingue nous en fournit toute une brochette : finalement, en fin de compte, en définitive, à la longue, à la fin. Mais ils ne « prennent » pas, semble-t-il. Ou bien le pouvoir d’attraction de l’anglais est trop fort, ou bien il leur manque ce quelque chose qui fait le succès des modes. C’est en jonglant avec cette notion de mode que m’est venue à l’idée la formule du clou qui chasse l’autre. Je m’explique. Si l’on veut supplanter une mode, quel est le meilleur moyen d’y arriver? C’est d’en lancer une autre, aurait dit M. de La Palice. Ce que je me propose de faire. Il y a en ce moment une expression qui connaît une vogue exceptionnelle, quasi inexplicable. On la voit de plus en plus souvent dans la presse et dans des ouvrages « sérieux ». Elle a un je ne sais quoi de réfléchi, de pondéré. Il s’agit de à terme :Mais pour garantir l’indépendance de la FONDA, nous souhaitons à terme avoir une totale autonomie financièreNote de bas de page 4.« Faire du saupoudrage » au petit bonheur la chance (…) se traduirait à terme par la disparitionNote de bas de page 5…À terme, l’abonné pourrait jouer avec des imagesNote de bas de page 6…Le régime chilien doit faire face à une opposition dont l’ampleur témoigne qu’il est condamné à termeNote de bas de page 7.Le MPD réclame d’ailleurs l’unification à terme des deux regroupements d’oppositionNote de bas de page 8. Des journalistes, passons aux spécialistes :Ce peut être là la forme indirecte d’une probité professionnelle, « à terme »Note de bas de page 9. Cette citation, de Robert Catherine, date de 1974. Les guillements sont une sorte d’avertissement au lecteur : « Ralentir, néologisme ». J’ai pourtant une source qui remonte à 1966. Un texte de Pierre-Jakez Hélias, le célèbre folkloriste bretonnant :(…) un mouvement de renaissance de notre langue dont on ne saurait mésestimer l’importance, mais seulement à termeNote de bas de page 10. Plus récemment, un économiste :Ce serait un geste magnifique de solidarité humaine et, en même temps, une opération « avantageuse » à termeNote de bas de page 11… Et un sociologue :La victoire des « hommes du président » se traduira, à terme, par un affaiblissement de la présidenceNote de bas de page 12…(…) comprendre les conséquences secondaires que les lois peuvent avoir, à terme, pour ces groupesNote de bas de page 13. Ce ne sont là que quelques-uns des nombreux exemples que j’ai relevés. Devant un tel foisonnement, on s’étonne du silence des dictionnaires. Bien sûr, on trouve « achat à terme », « mener à terme », mais c’est tout. Seul le Grand Larousse de la langue française enregistre cet usage :À terme, dans un délai quelconque prévisible : « Comme cette affaire est engagée, on peut prévoir à terme l’échec ». Si cette tournure se rencontre à tout bout de champ en terre hexagonale, elle est beaucoup moins fréquente chez nous. Mais elle commence à se répandre. Je l’ai lue dans un article de Claude Morin sur le CanadaNote de bas de page 14, et sous la plume de l’éditorialiste en chef du Droit :Il proclame que tout l’Ouest est menacé à termeNote de bas de page 15. C’est bon signe. Certes, seul l’avenir décidera de la fortune de cette expression, mais il ne me paraît pas utopique d’espérer qu’elle puisse – à terme – détrôner ce malencontreux éventuellement. Pour sa part, le traducteur qui aime faire moderne, être à la page, dispose désormais d’une nouvelle corde à son arc. Pourvu qu’il n’en abuse pas. Car à terme et eventually ne sont quand même pas de parfaits équivalents. La traduction « automatique », ce n’est pas demain la veille. Pour bien traduire, on devra continuer à faire travailler ses méninges. Après tout, n’est-ce pas une condition sine qua non du bon traducteur, qu’il ait un peu de jarnigoine (comme disent les gens)?RéférencesNote de bas de page 1 Ces auteurs étant bien connus, je me contenterai de renvoyer le lecteur à L’Actualité terminologique d’avril 1982 (vol. 15, nº 4).Retour à la référence de la note de bas de page 1Note de bas de page 2 J.O. Grandjouan, Les Linguicides, Didier, 1971, p. 208.Retour à la référence de la note de bas de page 2Note de bas de page 3 M. Koessler, Les Faux Amis, Vuibert, 1975, p. 38.Retour à la référence de la note de bas de page 3Note de bas de page 4 Daniel Garcia, Le Monde, 10.10.82.Retour à la référence de la note de bas de page 4Note de bas de page 5 Jean-Michel Quatrepoint, Le Monde, 15.11.82Retour à la référence de la note de bas de page 5Note de bas de page 6 J.-F. Lacan, Le Monde, 27.8.83.Retour à la référence de la note de bas de page 6Note de bas de page 7 André Fontaine, Le Monde, 1.1.84.Retour à la référence de la note de bas de page 7Note de bas de page 8 Maurice Najmann, Les Temps modernes, nº 449, déc. 83, p. 997.Retour à la référence de la note de bas de page 8Note de bas de page 9 Robert Catherine, Conscience et pouvoir, Éditions Montchrestien, Paris, 1974, p. 71-72.Retour à la référence de la note de bas de page 9Note de bas de page 10 Pierre-Jakez Hélias, Lettres de Bretagne, Galilée, 1978, p. 58.Retour à la référence de la note de bas de page 10Note de bas de page 11 Alfred Sauvy, La Fin des riches, Calmann-Lévy, 1975, p. 31.Retour à la référence de la note de bas de page 11Note de bas de page 12 Michel Crozier, Le Mal américain, Fayard, 1980, p. 112.Retour à la référence de la note de bas de page 12Note de bas de page 13 Ibid., p. 248.Retour à la référence de la note de bas de page 13Note de bas de page 14 Claude Morin, « Le rapatriement de la constitution canadienne », L’État du monde 1982, Maspero/Boréal Express, p. 484.Retour à la référence de la note de bas de page 14Note de bas de page 15 Pierre Tremblay, Le Droit, 4.10.83.Retour à la référence de la note de bas de page 15
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Mots de tête : « premier » et « dernier »

Un article sur les mots premiers et derniers suivis d’un nombre
Frèdelin Leroux fils (L’Actualité terminologique, volume 15, numéro 7, 1982, page 9) « Dans tous les cas l’accent est mis sur les derniers vingt ans. » (Jacques Dufresne, Le Devoir, 6.12.80) « Récapitulons voulez-vous certains événements marquants de vos premiers cent jours de pouvoir. » (Solange Chaput-Roland, Lettres ouvertes à 13 personnalités politiquesNote de bas de page 1) En lisant ces deux phrases, le défenseur de la langue qui sommeille en vous aura vite fait de remettre l’adjectif numéral à sa place : « les vingt dernières années », « vos cent premiers jours ». Le Comité de linguistique de Radio-Canada lui donnerait d’ailleurs raison : « L’usage français veut que l’adjectif numéral accompagné de « premier » se place toujours avant le mot « premier », contrairement à l’anglais qui le place après (the first ten). Il en est de même pour « dernier ». Le Guide du traducteur du ministère québécois des Communications (ne pas confondre avec l’ouvrage d’Irène de Buisseret) abonde dans le même sens : « L’adjectif numéral se place toujours avant le substantif et les mots : premier, dernier, autres, …Note de bas de page 2. » Mais on juge bon de signaler une exception à la règle : « Les dernières vingt-quatre heures ». Pourquoi cette exception? Et celle-là seulement? On ne le dit pas. Au Québec, l’usage de mettre « premier » ou « dernier » avant l’adjectif numéral est très répandu. Un seul numéro du Devoir nous en fournirait une bonne râtelée. On nous a dit à maintes reprises – et je l’ai cru – que c’était un anglicisme, mais aujourd’hui je n’en suis plus aussi sûr. Car même en pays hexagonal, c’est une tournure qu’on ne dédaigne pas. Commençons par deux annonces publicitaires : « Au Kenya (…), plus de cent rhinocéros ont été braconnés ces derniers dix-huit moisNote de bas de page 3. » « … cette dégradation commence parfois à s’opérer dès les premiers dix mille kilomètres …Note de bas de page 4 » Un journaliste : « … les premières trois cents pages de son prochain roman les ont épatésNote de bas de page 5. » Deux traducteurs, le premier de l’anglais : « …. elle lui parlait le plus franchement qu’elle pouvait des dernières quatre ou cinq heures de son existenceNote de bas de page 6. » Le second, de l’allemand : « Enfin, dans les dernières soixante-quinze minutes…Note de bas de page 7 » J’en ai relevé quatre autres exemples dans le même ouvrage (il s’agit du Capital de Karl Marx). De bons écrivains l’emploient également, dont Pierre-Jakez Hélias : « … l’auteur (…) se vit condamner à mort des deux côtés dès les premiers six mois de son activité…Note de bas de page 8 » Hélias n’ignore pourtant pas l’usage « correct », puisqu’il l’utilise plus loin : « cent dernières annéesNote de bas de page 9 ». Georges Simenon succombe aussi à la tentation : « Combien de fois est-ce arrivé pendant les derniers six moisNote de bas de page 10? » J’ai rencontré pas moins de cinq fois la tournure « derniers vingt ans » dans un ouvrage d’André ParrotNote de bas de page 11, directeur honoraire du Musée du Louvre. Et jusque chez Michel Tournier de L’Académie Goncourt : « Quelques yachts pimpants (…) égaient les premiers cent mètresNote de bas de page 12. » Cela commence à faire du monde à la messe (comme on dit en Nouvelle-France)… Au terme d’un tel inventaire, il me paraît presque inconvenant de continuer à condamner cet usage. Si l’on ne peut se résigner à le cautionner, il faudra tout au moins inventer une nouvelle catégorie de faute, car il ne saurait s’agir d’un anglicisme. Au Québec, ce serait plutôt un archaïsme maintenu sous l’influence de l’anglais. Je dis « archaïsme », parce que je l’ai lu dans une lettre du père Charles Lallemant qui date du 1er août… 1626 : « Les premières six ou sept années paraîtront stériles à quelques-unsNote de bas de page 13. » Ceux qui aimeraient en savoir plus long liront avec intérêt et profit la cinquième et dernière série des Problèmes de langageNote de bas de page 14 de Maurice Grevisse. Les exemples de Grevisse ne correspondent pas tout à fait aux miens, mais ils permettent de voir qu’en suivant à la lettre les préceptes des « fabricateurs de règles et d’exceptions » (le mot est de Grevisse), on se priverait de nuances subtiles et – partant – utiles. P.S. : Assez curieusement, Irène de Buisseret ne dit rien de la place de l’adjectif numéral, mais elle va plus loin. Elle qualifie de « fausse FrançaiseNote de bas de page 15 » la tournure pendant les six dernières semaines et lui préfère une « vraie Française », depuis six semaines. C’est un raccourci fort utile – et maniable en plus – dont vous avez dû user et abuser (tout comme moi), mais qui ne convient malheureusement pas dans tous les cas. Références Note de bas de page 1  CHAPUT-ROLLAND, Solange. Lettres ouvertes à 13 personnalités politiques, Cercle du Livre de France, Montréal, 1977, p. 59. Retour à la référence de la note de bas de page 1 Note de bas de page 2  Guide du traducteur, Éditeur officiel du Québec, 3eéd., 1978, p. 36. Retour à la référence de la note de bas de page 2 Note de bas de page 3  L’Express, 10.01.81, p. 63 (Texte vraisemblablement traduit ou adapté de l’anglais.) Retour à la référence de la note de bas de page 3 Note de bas de page 4  Le Point, 20.10.80, p. 70. Retour à la référence de la note de bas de page 4 Note de bas de page 5  GOESBERT, Franz-Olivia. Le Nouvel Observateur, 27.10.80, p. 60. Retour à la référence de la note de bas de page 5 Note de bas de page 6  WOLFE, Tom. Acid Test, Seuil, 1975, p. 167. (Traduction par Daniel Mauroc) Retour à la référence de la note de bas de page 6 Note de bas de page 7  MARX, Karl. Le Capital, Livre 1, Garnier-Flammarion, 1969, p. 172 (Traduction par J. Roy) Retour à la référence de la note de bas de page 7 Note de bas de page 8  HÉLIAS, Pierre-Jasek. Lettres de Bretagne, Éditions Galilée, 1978, p. 12. Retour à la référence de la note de bas de page 8 Note de bas de page 9  Ibid. p. 46. Retour à la référence de la note de bas de page 9 Note de bas de page 10  SIMENON, Georges. Les Dossiers de l’Agence O, Éditions Rencontre, tome VIII, 1967, p. 19. Retour à la référence de la note de bas de page 10 Note de bas de page 11  PARROT, André. Clefs pour l’archéologie, Seghers, 1976, p. 20, 26, 41, 74, et 83. Retour à la référence de la note de bas de page 11 Note de bas de page 12  TOURNIER, Michel. Canada : Journal de voyage, Éditions La Presse, 1977, p. 43. Retour à la référence de la note de bas de page 12 Note de bas de page 13  Relations des Jésuites, tome 1, Éditions du Jour, 1972, p. 8. Retour à la référence de la note de bas de page 13 Note de bas de page 14  GREVISSE, Maurice. Problèmes de langage, Gembloux, Duculot, 1970, p. 167-168. Retour à la référence de la note de bas de page 14 Note de bas de page 15  DE BUISSERET, Irène. Guide du Traducteur, Ottawa, ATIO, 1972, p. 35. Retour à la référence de la note de bas de page 15
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Retour sur le mot globalisation

Un article sur le mot globalisation
Martine Racette, trad. a. (L’Actualité terminologique, volume 34, numéro 2, 2001, page 28) Dans la foulée du Sommet des Amériques qui se tenait à Québec en avril dernier, j’ai jugé à-propos de revenir brièvement ici sur l’emploi du mot globalisation pour désigner le phénomène de la mondialisation. Dans un article intitulé « Le legs de McLuhan » (L’Actualité terminologique, vol. 30, nº 3), je me demandais si globalisation allait se tailler une place à côté de mondialisation dans le vocabulaire de l’économie et des marchés, et ce, en dépit du silence des lexicographes. Nous étions en 1997, et globalisation, pour indésirable qu’il était, avait la vie chevillée au corps, surtout dans la presse européenne – les journalistes canadiens semblant être plus prudents. Quatre ans plus tard, mondialisation et globalisation cohabitent encore, bien que dans l’usage dit « soigné », mondialisation ait surclassé son rival, de ce côté-ci de l’Atlantique du moins. Mais il y a du nouveau : fidèle moi-même au conseil que je donnais aux lecteurs à l’époque, j’ai gardé l’œil ouvert, et j’ai constaté que le Petit Robert, dans son édition mise à jour de juin 2000, fait une place à globalisation dans le sens qui nous intéresse, en ayant soin toutefois de préciser qu’il s’agit d’un anglicisme. L’adjectif global y figure aussi dans le sens de « mondial », avec la mention « de l’anglais global ». Le mot a donc un pied dans la porte, si je puis m’exprimer ainsi, et l’avenir nous dira si, malgré les mises en garde du Robert et de certains ouvrages de difficultés, il finira par être admis sans réserve, comme cela a été le cas pour d’autres anglicismes installés pour de bon dans la langue française. Notons pour terminer que le Petit  Larousse, qui suit pourtant de près l’évolution de l’usage, reste muet sur la question dans son édition de 2001.
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Mots de tête : « différend sur la différence »

Un article sur l’expression faire la différence
Frèdelin Leroux fils (L’Actualité langagière, volume 3, numéro 2, 2006, page 10) Le soutien d’un artiste peut vraiment faire la différence.(Alain Dubuc, La Presse, 08.04.06) Il y a une vingtaine d’années, on m’avait demandé mon avis sur le slogan que Centraide voulait se donner pour sa campagne cette année-là. J’en avais déconseillé l’usage, n’y voyant qu’une traduction bébête de « you can make a difference ». Mais j’eus beau proposer diverses formules, on leur préféra « vous pouvez faire une différence »… Cette expression s’est répandue comme du chiendent depuis – tout le monde veut « faire une différence ». À la question d’un journaliste, l’ancien premier ministre de l’Ontario répondait : « Je suis entré en politique pour faire une différence » (Le Devoir, 17.10.01). Et cette ambition n’est pas la chasse gardée des politiciens : « Il faut redonner à l’électeur le goût de faire une différence [sic] »Aller à la remarque a (Journal de Montréal, 29.07.93). Sans oublier les jeunes : « Les jeunes rêvent de faire une différence dans le monde de demain » (Le Droit, 09.09.95). Et même une fois devenue sénatrice, on en rêve encore : « Le caucus des soixante-dix femmes libérales auquel j’appartiens peut faire une différence » (Céline Hervieux-Payette, La Presse, 11.06.04). C’est devenu un tel cliché que les anglophones, qui l’ont pourtant inventé, commencent à s’en lasser. Témoin le chroniqueur politique du Globe and Mail, Norman Spector : « le premier ministre veut faire une différence – une expression vide de sens qui englobe tout, de Pol Pot à Mère Teresa » (Le Devoir, 24.02.05). Curieusement, un seul ouvrage québécois enregistre cette expression. Lionel MeneyNote de bas de page 1, qui signale qu’il s’agit d’un calque, propose plusieurs façons de l’éviter : « changer les choses », « contribuer au changement », « avoir un effet très important », « compter ». Les bilingues n’ajoutent rien de plus, sauf le Harrap’s qui se fend d’un maigre « faire avancer les choses ». Le guide de MeertensNote de bas de page 2, par contre, met le paquet : outre le double trio « influencer/changer/modifier le cours des choses/événements », on trouve « avoir des effets réels/positifs », « obtenir des résultats », « être efficace », etc. De mon côté, j’ai glané quelques expressions qui pourraient remplacer le calque : « il faut des gens comme toi aux Nations unies pour faire bouger la machine »Note de bas de page 3; « les gens veulent un leader qui puisse améliorer les choses » (Agence France-Presse, 20.01.04); « tous les Québécois qui ont œuvré au cours de l’année pour changer le paysage » (L’Actualité, janv. 2006). Au forçaille, comme disait mon père, la déclaration de Stéphane Dion, qui dit être « entré en politique pour changer les mentalités » (Le Devoir, 10.04.06), pourrait aussi faire l’affaire. On le voit, les façons de rendre cette idée ne manquent pas, mais on peut se demander si la tournure-calque ne finira pas par s’imposer. Le fait qu’il existe plusieurs tournures avec « différence » rend l’usage du calque moins problématique. Le Grand Dictionnaire encyclopédique Larousse donne deux sens à « faire une différence » : « être très différent » et « marquer une distinction, un écart, en particulier qualitatif : Y aller à pied ou en voiture, je t’assure que ça fait une différence ». Dans cet exemple-ci, l’idée d’écart est assez évidente : « la question de ces armes d’assaut peut faire une différence de plusieurs points de pourcentage pour ou contre l’un des deux candidats » (Agence France-Presse, 13.09.04). Mais dans ces deux citations du Devoir, ça l’est moins : « mettre ces sommes dans quelque chose qui ferait vraiment une différence » (07.01.02), ou « pour que l’aide aux pays pauvres fasse vraiment une différence, il ne faut pas saupoudrer partout » (22.10.04). On se rapproche de la définition de l’Académie : « cela fait une différence, cela change beaucoup ». Et il y a bien sûr cette autre tournure qui fait rage en France, « faire la différence ». Si l’on s’entend pour dire que « cet anglicisme s’est introduit dans la langue par le biais du vocabulaire sportif »Note de bas de page 4, on est moins sûr de sa datation. D’avant 1975, si l’on en croit le Trésor de la langue française, qui cite un lexique de cette année-là. Le GDEL la définit ainsi : « creuser, créer un écart : Coureur qui fait la différence après quelques kilomètres ». La politique n’étant finalement qu’une autre forme de sport, il était inévitable que « faire la différence » passe du stade à l’arène politique. Il y a une quinzaine d’années, une revue allemandeNote de bas de page 5 consacrait un article à la phraséologie électorale : « faire la différence – devancer, battre : S’il veut, au second tour, faire la différence, ce candidat devra mobiliser tous ses électeurs ». Un deuxième exemple montre un glissement vers la seule idée de gagner : « aux prochaines élections, les alliances feront la différence ». C’est ce qu’on constate de plus en plus : « une opportunité pour la gauche de faire la différence » (TV5, 14.07.97); « deux swing states, dont une frange oscillante de l’électorat est susceptible de faire la différence le 2 novembre » (Agence France-Presse, 18.10.04). Mais ici, on revient presque au sens académique de « faire une différence » : « ils ont espéré que la politique étrangère ferait la différence » (Monde diplomatique, oct. 2001). De la politique, on passe au monde médiatique : « seule une performance très personnelle peut donc faire la différence » [à propos d’un présentateur télé qui cherche à attirer les spectateurs] (Le Monde radio télé, 16-22.07.90). Pour aboutir au domaine militaire : « la sophistication des armes américaines a vraiment fait la différence » (TF1, 17.01.91)Note de bas de page 6. Avec les exemples suivants, l’idée de creuser un écart ou de devancer un adversaire a disparu : « est-ce les fragilités des preuves sur la dangerosité de l’arsenal que Saddam aurait développé en violation des résolutions de l’ONU qui fait la différence? » (Le Monde, 31.12.02); « ce n’est pas le coût de la main-d’œuvre qui fait la différence » (Libération, 28.06.05); « cela a pu faire la différence, ce jour de bombardement intensif où nul n’attendait deux voitures humanitaires sur les routes désertes »Note de bas de page 7. C’est l’idée de changer quelque chose, qui s’exprime aussi avec l’article indéfini. Le tour avec « la » est également très fréquent chez nous : « on sait qu’on [les Acadiens] peut faire la différence entre un parti élu et un parti battu » (Le Devoir, 31.12.02); « le résultat dans les comtés francophones de l’est de Montréal pourrait bien faire la différence » (Le Devoir, 06.02.03); « M. Brisson croit que les enfants de la loi 101 peuvent faire la différence » (Le Devoir, 22.09.04); « les Québécois qui vont faire la différence [au référendum] sont ceux qui pensent avoir vécu pendant longtemps dans un beau, grand et vrai pays : le Canada »Note de bas de page 8. Et dans ce dernier exemple, « d’une certaine manière, l’État ne fait pas la différence »Note de bas de page 9, c’est l’idée que l’État n’est pas en mesure de changer quelque chose, de peser assez lourd dans la balance (une autre façon de rendre to make a difference?). Enfin, voici des exemples où la tournure rejoint sa jumelle avec l’article indéfini : « c’est en se mobilisant que la population peut espérer faire la différence » (Le Droit, 12.12.91); « le Comité-Canada compte bien faire la différence » (Le Droit, 30.09.92); « je crois sincèrement que nous ferons la différence » (Le Droit, 28.06.94); « les grandes gueules qui pensent avoir fait la différence cet été » (Le Devoir, 16.10.02)… Il est clair que « faire la différence » est entré dans l’usage (plusieurs dictionnaires l’enregistrent – mais pas l’Académie –, plus de 600 000 occurrences sur Internet), et on serait presque tenté d’en dire autant de sa jumelle (plus de 100 000). Si, devant un exemple comme « ce vote peut faire toute une différence pour Paul Martin » (Le Droit, 20.05.05), on est prêt à se montrer indulgent, pourquoi l’est-on moins lorsqu’on lit : « Gérald Savoie est convaincu qu’il pouvait faire la différence à Montfort » (Le Droit, 02.07.05); « des députés plus influents démontreront qu’on peut faire une différence au Parlement » (Le Devoir, 26.11.03)? Ce qui nous fait hésiter, est-ce la difficulté à mesurer cette différence? Difficile à dire, mais je dois avouer que « faire une différence », dans ce sens, me chicote toujours. Par ailleurs, les emplois avec « différence » semblent en train de se multiplier. On en arrivera peut-être un jour à sanctionner ce vieil usage condamné depuis longtemps par le Comité de linguistique de Radio-Canada, « cela ne me fait pas de différence », pour dire « cela m’est égal, indifférent ». L’Académie donne à l’expression « cela ne fait pas de différence » le sens de « cela ne change rien ». Mais le TLF va un peu plus loin et écrit « être égal, indifférent ». Et – sûrement dans un moment d’égarement – les rédacteurs donnent ce bel exemple de Louis HémonNote de bas de page 10 : Il peut mouiller à cette heure (…). Ça ne nous fera pas de différence. Évidemment, ce n’est pas Hémon qui parle, mais le père Chapdelaine. Mais nous savons maintenant que nous commettons cette faute depuis à peu près un siècle. Il devrait y avoir prescription pour les fautes de langue, vous ne croyez pas?RemarquesRemarque a Le sic est de Pierre Bourgault, qui cite le chef de l’Action démocratique du Québec, Mario Dumont.Retour à la remarque aRéférencesNote de bas de page 1 Dictionnaire québécois-français, Guérin, 1999.Retour à la référence de la note de bas de page 1Note de bas de page 2 René Meertens, Guide anglais-français de la traduction, Chiron éditeur, 2002.Retour à la référence de la note de bas de page 2Note de bas de page 3 Isabelle Baillancourt, Geneviève Begkoyian, sur le front de l’urgence, Éditions ouvrières, 1996, p. 30.Retour à la référence de la note de bas de page 3Note de bas de page 4 Sylvie Brunet, Les Mots de la fin du siècle, Belin, 1996, p. 139.Retour à la référence de la note de bas de page 4Note de bas de page 5 Gérard Grelle, « À travers la phraséologie électorale », Lebende Sprachen, nº 3, 1991, p. 122.Retour à la référence de la note de bas de page 5Note de bas de page 6 Sylvie Brunet, ibidem.Retour à la référence de la note de bas de page 6Note de bas de page 7 Myriam Gaume, Kosovo : la guerre cachée, Éditions des mille et une nuits, 1999, p. 66.Retour à la référence de la note de bas de page 7Note de bas de page 8 Guy Laforest, L’Urgence, Boréal, 1995, p. 113.Retour à la référence de la note de bas de page 8Note de bas de page 9 Daniel Latouche, Le Bazar, Boréal, 1990, p. 278.Retour à la référence de la note de bas de page 9Note de bas de page 10 Maria Chapdelaine, Grasset, 1916, p. 98 (Boréal Express, 1980, p. 76).Retour à la référence de la note de bas de page 10
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Mots de tête : « anxieux de » + infinitif

Un article sur anxieux de suivi d’un infinitif
Frèdelin Leroux fils (L’Actualité terminologique, volume 28, numéro 4, 1995, page 25) Presque heureux (…), anxieux de raconter…(Félix Leclerc, Moi mes souliers, 1955.) « Anxieux serait-il en train de prendre en France l’acception de désireux? » C’est la question que Louis-Philippe Geoffrion se posait… en 1925. Dans ses merveilleux ZigzagsNote de bas de page 1. Il en avait relevé deux exemples dans la presse (notamment d’un membre de l’Académie Goncourt), et un troisième dans un roman qui allait devenir la bête noire de milliers d’élèves canadiens-français :(Les maringouins) revenaient de suite (…), anxieux de trouver un pouce carré de peau pour leur piqûreNote de bas de page 2. « Maringouin » et « pouce » vous ont sûrement mis la puce à l’oreille. Vous aurez reconnu l’épisode de la cueillette des bleuets, où le beau François Paradis regarde à la dérobée la forte poitrine de Maria… Mais je m’égare. Revenons à Geoffrion. On aurait aimé qu’il nous donnât d’autres sources, de plus anciennes surtout. Après tout, cette tournure s’employait en France depuis une bonne quarantaine d’années déjà. La preuve, cet exemple de Maupassant (tiré d’une nouvelle parue en 1881) :(…) très anxieuse de savoir si ce n’était pas aujourd’hui qu’on s’en apercevraitNote de bas de page 3. Certes, ne pas avoir lu tout Maupassant n’est pas un péché. Mais il n’y a pas de mérite à ne pas avoir lu La Débâcle de Zola, où l’expression revient pas moins de trois fois : (…) anxieux de savoir comment le malheur des autres allait tourner pour luiNote de bas de page 4. Par contre, je comprends très bien que Geoffrion ait pu sauter un poème ou deux de José Maria de Heredia :Tous anxieux de voir surgir (…)Le chef borgne monté sur l’éléphant Gétule. Moi non plus, je n’ai pas lu Heredia (sauf quelques vers, que j’ai dû mémoriser à l’école), mais si vous avez déjà cherché anxieux de, vous savez que c’est souvent le premier exemple que les dictionnaires donnent. C’est le cas notamment du Grand Larousse de la langue française et du Petit et du Grand Robert. Mais alors que le poème de Heredia est paru en 1893, le Grand Robert date cet usage de 1853! Et le Dictionnaire historique de la langue françaiseNote de bas de page 5 abonde dans le même sens : il indique « mil. XIXe ». Heureusement, le Trésor de la langue française vient éclairer notre lanterne; il s’agit d’anxieux tout court :Viendra-t-il me voir? J’en suis anxieux; j’aurai grand plaisir à le voirNote de bas de page 6. Il s’écoulera presque trente ans avant que l’exemple de Flaubert ne fasse des petits, si je puis dire. La nouvelle de Maupassant paraîtra un an après la mort du « maître »; c’est comme si son disciple avait voulu lui rendre un hommage posthume en lui empruntant cet anglicisme, pour l’étoffer… Mais revenons sur notre continent. D’après Geoffrion, cette tournure était courante chez nous à l’époque. Depuis plusieurs années déjà, comme en témoigne le dictionnaire de Sylva ClapinNote de bas de page 7, paru en 1894. Et Raoul RinfretNote de bas de page 8, qui la condamne deux ans plus tard. Je l’ai même rencontrée sous la plume du curé d’un petit village manitobain, Sainte-Anne-des-Chênes :Les autres commissaires sont anxieux de savoir (…)Note de bas de page 9. La lettre de notre curé date du 3 mars 1893; la nouvelle de Maupassant, de 1881. Nous n’allons pas chipoter sur quelques années. Disons que les Français et nous avons commencé à l’employer à peu près en même temps. Et nous n’avons jamais cessé depuis. En dépit des objurgations de presque tout ce que le pays compte de défenseurs de la langue : de Raoul Rinfret (1896) au nouveau Colpron (1994), en passant par l’abbé Blanchard (1919), Victor Barbeau (1939), Pierre Daviault (1963), Gérard Dagenais (1967), pour finir par Robert Dubuc (1970) et Marie-Éva de Villers (1988). Et j’en passe. Je ne sais pas si en France les champions de la langue ont tenté de combattre cet usage, mais ils ne semblent avoir eu guère plus de succès que les nôtres. À la suite de Maupassant, Zola et Heredia, d’autres grands noms ont trempé leur plume dans l’encre anglophile : Gide et Barrès (1922), Martin du Gard (1928), Giraudoux (1938), Ramuz (1939), Simenon (1945), André Maurois (1946), Marcel Aymé (1948), Romain Gary (1960), Jules Roy (l964) et – last but not least – nul autre que le secrétaire perpétuel de l’Académie française lui-même, feu Maurice Genevoix (l980) :(…) deux yeux me fixaient, grands ouverts, anxieux de croiser les miensNote de bas de page 10. Cela fait deux prix Nobel, trois académiciens et une ribambelle d’écrivains qui n’ont quand même pas tous attrapé le virus de l’anglomanie. De leur côté, les dictionnaires ont mis du temps à bouger. Sauf erreur, c’est le dictionnaire français-anglais de Charles Petit, paru en l946, qui enregistre anxieux de (mais sans infinitif) pour la première fois :anxieux (de) – anxious (to), eager (to), solicitous (to). Aujourd’hui, il est devenu plus difficile de trouver un dictionnaire qui ne donne pas cette locution que l’inverse. Les unilingues ont emboîté le pas assez rapidement : le Grand Robert en 1964, le Petit en 1967. Quant à la famille Larousse, elle est au grand complet : le Grand Larousse encyclopédique en 1960, le Grand Larousse de la langue française (1971), le Lexis et le Pluridictionnaire (l975), etc. Seul le Petit Larousse se fera tirer l’oreille un moment (1990). Du côté des bilingues, le Petit Larousse anglais-français la donne dès sa parution en 1960. Mais il faudra attendre une trentaine d’années avant que d’autres en fassent autant : le Grand Larousse bilingue en 1993 et le Hachette-Oxford en 1994. Curieusement, malgré deux rééditions, le Robert-Collins ne la donne toujours pas dans la partie anglais-français; dans l’autre, il se contente d’anxieux de (sans infinitif). Quant au Harrap’s, on dirait qu’il s’entête à la boycotter. À voir ce qu’il accueille par ailleurs, on comprend mal un tel scrupule… Dans son Guide du traducteurNote de bas de page 11 (1972), Irène de Buisseret qualifie ce tour d’« anglicisme solidement ancré dans le néo-français ». Cinq ans plus tard, le QuilletNote de bas de page 12 décrète que c’est un néologisme! C’est curieux, et amusant à la fois. En 1972, cela faisait pas moins de quatre-vingt-dix ans que Maupassant avait commis cet anglicisme. Et presque cent vingt que Flaubert lui avait montré la voie. Il y a des néologismes qui ont la vie dure. P.-S. – N’êtes-vous pas anxieux de voir si les lexicographes vont refaire leurs devoirs, comme on dit (les Français diraient reprendre leur copie)? Après tout, la nouvelle de Maupassant est antérieure de douze ans au poème de Heredia.RéférencesNote de bas de page 1 Louis-Philippe Geoffrion, Zigzags autour de nos parlers, tome 1, chez l’auteur, Québec, 1925, p. 58.Retour à la référence de la note de bas de page 1Note de bas de page 2 Louis Hémon, Maria Chapdelaine, Grasset, 1921, p. 91.Retour à la référence de la note de bas de page 2Note de bas de page 3 Guy de Maupassant, « Histoire d’une fille de ferme », in Récits de l’eau et des rives, Bibliothèque de la culture générale, s.d.n.l., p. 75.Retour à la référence de la note de bas de page 3Note de bas de page 4 Émile Zola, La Débâcle (paru en 1892), Lausanne, éditions Rencontre, s.d., p. 403, 472 et 550.Retour à la référence de la note de bas de page 4Note de bas de page 5 Alain Rey (dir.), Dictionnaire historique de la langue française, Éditions Dictionnaires Le Robert, 1993.Retour à la référence de la note de bas de page 5Note de bas de page 6 Gustave Flaubert, œuvres complètes, tome VII, Lausanne, éditions Rencontre, 1964, p. 276. Lettre à Louise Colet du 26 septembre 1853.Retour à la référence de la note de bas de page 6Note de bas de page 7 Sylva Clapin, Dictionnaire canadien-français, Québec, P.U.L., 1974. Paru en 1894.Retour à la référence de la note de bas de page 7Note de bas de page 8 Raoul Rinfret, Dictionnaire de nos fautes contre la langue française, Montréal, Cadieux et Derome, 1896.Retour à la référence de la note de bas de page 8Note de bas de page 9 Abbé Louis-Raymond Giroux, lettre à Mgr A.-A. Taché, citée par Gilbert-L. Comeault, Revue d’Histoire d’Amérique française, vol. 33, nº 1, juin 1979, p. 7.Retour à la référence de la note de bas de page 9Note de bas de page 10 Maurice Genevoix, Trente mille jours, Seuil, l980, p. 266.Retour à la référence de la note de bas de page 10Note de bas de page 11 Irène de Buisseret, Guide du traducteur, Ottawa, ATIO, 1972, p. 419. (Deux langues, six idiomes, 1975, p. 403.)Retour à la référence de la note de bas de page 11Note de bas de page 12 Dictionnaire encyclopédique Quillet, 1977.Retour à la référence de la note de bas de page 12
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Mots de tête : « sous l’impression que »

Un article sur l’expression
Frèdelin Leroux fils (L’Actualité langagière, volume 7, numéro 3, 2010, page 10) La plupart de nos concitoyens sont sousl’impression que le pont Victoria a étéconstruit à même les sueurs du peupleNote de bas de page 1. S’il vous arrive de feuilleter les ouvrages des défenseurs de notre langue – ils sont assez nombreux, de Carbonneau à Meney, en passant par Daviault, Dagenais et Colpron, sans oublier les dictionnaires de faux amis –, vous n’ignorez pas que la tournure « sous l’impression que » est un calque. Dans une chronique de l’année dernière, j’indiquais qu’elle date de presque un siècle et demi. Depuis, j’ai trouvé quatre sources qui la vieillissent de plusieurs années. Un politicien, forcé de s’exiler, écrit dans son journal de voyage : « Elle était sous l’impression que c’était le trésor Anglais qui payait nos officiers publics dans le Bas-CanadaNote de bas de page 2. » Deux ans plus tard, un évêque lui emboîte le pas : « Plusieurs de nos Patriotes sont sous cette impression que l’Union des deux Provinces opérera plus vite leur désunion de la mère patrieNote de bas de page 3. » Suivi d’un autre exilé : « sous l’impression que les fonds […] y seront parvenus avant nousNote de bas de page 4 ». Un journaliste, futur député, joint sa voix à celles du clergé et des exilés : « ils nous ont tous paru être sous l’impression qu’ici nous devons agir de telle manièreNote de bas de page 5 ». C’est ensuite au tour d’un prisonnier d’État d’ajouter son grain de sel : « comme on était resté sous l’impression que l’eau salée m’avait fait du bienNote de bas de page 6 ». Même un fonctionnaire de l’Instruction publique ne se méfie pas du calque : « je suis sous l’impression qu’il importe que les discussions de cette nature se fassent jour de temps à autreNote de bas de page 7 ». Enfin, un politicien : « Je suis sous l’impression que tu as peut-être été un peu vif à donner ta démissionNote de bas de page 8 », et un prêtre (un émule de Mgr Bourget, peut-être, surtout qu’il a été ordonné par lui) : « Je suis sous l’impression que le mandement collectif se tiendra dans les hautes sphèresNote de bas de page 9. » Il va sans dire que cette tournure est tout aussi fréquente au vingtième siècle. Et qui de mieux pour l’inaugurer que le grand Louis Fréchette : « le public était sous l’impression que la voiture à quatre roues devait être l’apanage exclusif des AnglaisNote de bas de page 10 ». Une litanie de grands noms s’égrène sur tout le siècle : Jules‑Paul Tardivel (1901), Camille Roy (1907), et l’auteur d’un des premiers glossaires du parler québécois : « Plusieurs sont sous l’impression que marchandises sèches est la traduction de l’anglais dry goodsNote de bas de page 11. » Viendront ensuite Olivar Asselin (1915), Adélard Godbout (1942), Pascal Poirier (1944), André Laurendeau (1968), Jacques Ferron (six exemples, de 1971 à 1985). L’expression trouve même le moyen de se glisser dans un discours du banquet de clôture de la Dictée des Amériques de 2004 : « cet exercice ne devrait pas nous laisser sous l’impression que le français est une langue difficile à apprendre »… On ne saurait mieux dire. Quant à nos journalistes, autant dire qu’ils l’ont tous adoptée. Il est pourtant tellement facile de l’éviter, me direz-vous. Et sans compter que les formules de remplacement sont souvent plus courtes, plus maniables : « j’ai l’impression », « je suis persuadé », « il me semble », « je pense », « je crois »… Après au moins un demi-siècle de condamnation (CarbonneauNote de bas de page 12), comment expliquer un tel acharnement? Je me demande si – outre l’influence indéniable de l’anglais – l’existence de la forme « sous l’impression », qui a un sens très voisin, n’y serait pas pour quelque chose. Lorsqu’on lit cette phrase d’André Breton (1939), dans une lettre à Julien Gracq : «  Votre livre m’a laissé sous l’impression d’une communication d’un ordre absolument essentiel », on a un moment d’hésitation. Mais celle-ci de René Bazin (1889) fait hésiter davantage : « Il ne voulut pas me laisser sous l’impression fâcheuse que ce nom pouvait éveiller en moi » (À l’aventure). Il faut relire. Et avec ce texte de Valéry Larbaud (1922) : « Il est resté sous l’impression qu’il en a reçue au collège » (Nouvelle Revue française), l’hésitation est encore plus longue. Mais à la relecture, on voit bien que ce n’est pas notre usage. J’ai pourtant trouvé des exemples qui pourraient facilement porter l’étiquette « Québec » : « laissant sa tante sous l’impression qu’il n’était rien moins qu’un réprouvéNote de bas de page 13 ». Évidemment, il s’agit d’une traduction, me ferez-vous remarquer. Mais la traductrice – Marie-Thérèse Blanc de son vrai nom – récidive quelques années plus tard dans un article sur les romans américains : « M. Fawcett nous laisse sous l’impression que son héroïne a plus de bonheur qu’elle n’en mériteNote de bas de page 14. » Et il n’y a pas que les traducteurs de l’anglais qui se laissent prendre au piège. Celui-ci, de l’allemand : « Sous l’impression qu’il s’agissait des restes d’un temple d’Aphrodite… » (Paul Heinrich August Wolters, Bulletin de correspondance hellénique, 1894). Et du chinois : « tandis que je me trouvais […] sous l’impression que le monde avait changé de couleurNote de bas de page 15 ». Existe-t-il un tour semblable à l’anglais dans ces deux langues? D’ailleurs, il n’y a pas que les traducteurs qui succombent au charme de « notre » tournure : « Ne restez pas sous l’impression que nous allons partir en guerre contre le Mexique » (L’avenir du Luxembourg, 1914); « Mon passage à Manille m’a laissé sous l’impression que les Filippins commençaient à se rendre compte… » (Rév. P. Robert, Politique étrangère, 1937). Autre exemple, dans la même revue, d’un grand journaliste : « L’opinion moyenne resta sous l’impression qu’ils regrettaient, non seulement la capitulation, mais aussi l’apaisement. » (Alfred Fabre-Luce, 1939). Un scientifique se fait psychologue : « M. Guinier était servi par un don exceptionnel pour saisir son auditoire […] et le laisser sous l’impression que tout est parfaitement clair et simple » (Bulletin de l’Académie et de la Société lorraines des Sciences de Nancy, juin 1963). Et plus près de nous : « Il me laisse sous l’impression que ce phénomène invasif doit bien arranger Karim pour qu’il demande à ce que l’on n’en parle plus. » (Ivan Rioufol, Le Figaro, 30.01.10) On commence presque à trouver à cette tournure un petit air idiomatique… Il existe même des variantes, dont une avec « de » : « Le faubourg Saint-Germain restait encore sous l’impression d’avoir appris qu’à la réception pour le roi et la reine d’Angleterre, la duchesse n’avait pas craint de convier M. Detaille. » Je sais, cette phrase de Proust (Guermantes, 1921) est plus près du tour classique (v. Bazin, Larbaud, Breton). Mais j’en ai trouvé une autre, qui est dans le droit sens de notre usage : « Socrate, sous l’accablante impression d’avoir peut-être attendu trop longtemps, fit pesamment demi-tourNote de bas de page 16. » Je me doute bien que ce ne sont pas ces exemples qui feront qu’à la première occasion vous emploierez « notre » calque. Je ne suis d’ailleurs pas sûr de parvenir à m’y résoudre moi-même… Mais je songeais à écrire sur ce problème depuis quelque temps. Le déclencheur est venu le jour où j’ai lu dans un recueil d’expressions françaises et québécoisesNote de bas de page 17, d’un ancien professeur de français, que le tour « avoir l’impression que » était québécois… Je me suis dit que les nombreux interdits qui frappent notre calque depuis des lustres commençaient à faire trop de ravages et que le moment était venu de tenter de remettre les pendules à l’heure. Ce « calque » finira-t-il par se glisser dans le dictionnaire? Ce n’est certes pas demain la veille, si l’on en juge par le fait qu’il est encore quasi impossible d’y trouver « sous l’impression », sans « que ». Le tour même que René Bazin emploie en 1889…RéférencesNote de bas de page 1 Hector Fabre, Chroniques, Leméac, 1979, p. 188 (chronique de mars 1868).Retour à la référence de la note de bas de page 1Note de bas de page 2 Louis-Hippolyte La Fontaine, Journal de voyage en Europe – 1837-1838, Septentrion, 1999, p. 35-36.Retour à la référence de la note de bas de page 2Note de bas de page 3 Lettre de Mgr Bourget à Mgr Signay, 31 janvier 1840. (Jacques Monet, La Première Révolution tranquille, Fides, 1981, p. 77)Retour à la référence de la note de bas de page 3Note de bas de page 4 Hypolite Lanctot, Souvenirs d’un patriote exilé en Australie, Septentrion, 1999, p. 76 (novembre 1844).Retour à la référence de la note de bas de page 4Note de bas de page 5 Denis-Émery Papineau, L’Avenir, 16 mars 1848.Retour à la référence de la note de bas de page 5Note de bas de page 6 Félix Poutré, Souvenirs d’un prisonnier d’État en 1838, Réédition-Québec, 1968, p. 51 (paru en 1869).Retour à la référence de la note de bas de page 6Note de bas de page 7 Louis Giard, circulaire du ministère de l’Instruction publique, 15 novembre 1871.Retour à la référence de la note de bas de page 7Note de bas de page 8 Arthur Buies, Correspondance, Guérin, 1993, p. 278 (lettre de 1897).Retour à la référence de la note de bas de page 8Note de bas de page 9 J.-B. Proulx, Dans la ville éternelle, Granger Frères, Montréal, 1897, p. xii.Retour à la référence de la note de bas de page 9Note de bas de page 10 Louis Fréchette, Mémoires intimes, Fides, 1977 (paru en 1900), p. 62.Retour à la référence de la note de bas de page 10Note de bas de page 11 Narcisse-Eutrope Dionne, Le Parler populaire des Canadiens français, P.U.L., 1974, p. 429 (paru en 1909).Retour à la référence de la note de bas de page 11Note de bas de page 12 Hector Carbonneau, Vocabulaire général, 3e fascicule, Secrétariat d’État, 1972 (1958-59).Retour à la référence de la note de bas de page 12Note de bas de page 13 Edward Eggleston, Le maître d’école de Flat-Creek, in Revue des deux mondes, novembre 1872, p. 160. Traduit de l’anglais par Thérèse Bentzon.Retour à la référence de la note de bas de page 13Note de bas de page 14 Revue des deux mondes, juillet 1885, p. 658.Retour à la référence de la note de bas de page 14Note de bas de page 15 Chen Fou, Récits d’une vie fugitive, Folio, 1977 (paru en 1967). Traduit par Jacques Reclus.Retour à la référence de la note de bas de page 15Note de bas de page 16 Bertolt Brecht, « Socrate blessé », Histoires d’almanach, L’Arche, 1983, p. 97. Traduit par Ruth Ballangé et Maurice Regnault.Retour à la référence de la note de bas de page 16Note de bas de page 17 Michel David, Dictionnaire des expressions françaises et québécoises, Guérin, 2009.Retour à la référence de la note de bas de page 17
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Mots de tête : « Un tapis rouge qui vire au bleu »

Un article sur la traduction de l’expression red carpet
Frèdelin Leroux fils (L’Actualité terminologique, volume 21, numéro 3, 1988, page 22) Le tapis rouge pour nos cœurs.(Paule La Roche, Le Droit, 8.11.86) Un ancien premier ministre du Québec, Maurice Duplessis pour ne pas le nommer, prenait un malin plaisir à rappeler à ses « chers électeurs zé électrices » – surtout à l’approche des élections – que le ciel était bleu, et l’enfer, rouge. S’il revenait parmi nous aujourd’hui, il se réjouirait de voir que le rouge se porte beaucoup moins bien depuis quelques années. Et que le bleu gagne du terrain partout. (Allez donc savoir pourquoi…) Malgré la désaffection dont le rouge fait les frais, les anglophones, même au-delà du 49e parallèle, continuent de dérouler le red carpet chaque fois qu’un dignitaire se pointe. Comme quoi il est des choses qu’un gouvernement – fût-il conservateur, bleu et plein de bonne volonté – ne saurait changer. Si l’on en croit les dictionnaires bilingues, cette coutume serait inconnue du monde francophone. (Pourtant, au dernier sommet de la Francophonie…) À carpet, le Harrap écrit : « to lay down the red carpet for someone, to give someone the red carpet treatment – recevoir quelqu’un avec la croix et la bannièreAller à la remarque a, avec tous les égards possibles ». Le Harrap’s Slang and Colloquialisms (1980) ajoute : « faire les honneurs à quelqu’un, mettre les petits plats dans les grands ». Et le Robert-Collins complète : « recevoir quelqu’un en grande pompe, se mettre en frais pour recevoir quelqu’un ». La dernière édition donne un ajout : « red-carpet treatment – accueil princier, somptueux ». (On pourrait multiplier les variantes, mais je me contenterai de celle-ci : « accueillir (quelqu’un) avec tous les honneurs »Note de bas de page 1. À vous d’en trouver d’autres.) À l’exception de la première (« la croix et la bannière ») et de la quatrième (« les petits plats dans les grands »), les traductions proposées ont toutes un défaut, elles ne font pas image. À tort ou à raison, lorsqu’on traduit une expression figurée par une paraphrase, on a souvent l’impression de voler le lecteur, pour ainsi dire, de ne pas lui en donner pour son argent. Ce n’est pas le cas de la traduction suivante. À propos de son arrivée en prison, Brendan Behan écrit :I didn’t expect anyone to lay down a red carpet for me…Note de bas de page 2 Le traducteur a eu la main heureuse :(…) je savais (qu’ils) n’allaient pas me faire mener la vie de château.Note de bas de page 3 Vous conviendrez que c’est bien trouvé. Mais ce ne sont pas tous les traducteurs qui se donnent autant de mal.Nous autres, on est au dortoir mais, pour toi, on déroule le tapis rouge.Note de bas de page 4 Soyons indulgents, ce n’est que la traduction d’un roman policier. Mais les auteurs de « polars » l’emploient aussi.Picard sortit par la grande porte. Sans honneur ni tapis rouge…Note de bas de page 5 Bof, même Demouzon peut avoir des moments d’égarement. À plus forte raison, les journalistes. Toujours à la course, jamais le temps de réfléchir, et encore moins de se relire, rien d’étonnant à ce qu’ils écrivent :(…) un véritable tapis rouge a été déroulé pour accueillir Saint-Gobain.Note de bas de page 6 Il faut dire, à sa décharge, qu’il s’agit d’un chroniqueur boursier. Mais lorsqu’un bon journaliste, et qui connaît bien sa langue, emboîte le pas, on est en droit de s’interroger.En novembre, les sandinistes avaient déroulé le tapis rouge pour M. Rivera.Note de bas de page 7 L’expression serait-elle entrée dans la langue? Il semble bien que oui. On la trouve dans la dernière édition du Harrap Slang (1984). Vous me direz que c’est un dictionnaire bilingue, que les lexicographes se laissent parfois prendre au piège de la traduction littérale. Je vous le concède. Et pourtant, Alain Rey l’enregistre aussi :Dérouler le tapis rouge (devant quelqu’un) – « lui réserver un accueil chaleureux, empressé »Aller à la remarque b. On déroule le tapis rouge devant un invité officiel prestigieux, la couleur rouge étant ici le symbole des solennités.Note de bas de page 8 J’attendais avec impatience la parution du dernier tome du GDEL, espérant y trouver une nouvelle preuve de la consécration de cet usage, mais la locution n’y est pas. Qu’à cela ne tienne, puisque le Grand Robert la donne :Dérouler le tapis rouge pour quelqu’un – recevoir quelqu’un avec tous les honneurs. Avec, à l’appui, un exemple de nul autre que Malraux (Antimémoires). Quant au dictionnaire-qui-sème-à-tout-vent, et qui récolte aussi large, il n’hésite pas à « dérouler le tapis rouge », malgré la réserve de son grand frère. Le Petit Robert, de son côté, n’a pas cru bon de suivre l’exemple du grand, mais ce n’est qu’une question de temps à mon avis. La prochaine édition, peut-être… Les paris sont ouverts. Pour ma part, la prochaine fois que ma belle-mère nous rendra visite, je me ferai un plaisir de dérouler le tapis rouge devant elle. Ou mieux encore, pour bien la mettre à son aise, je « sortirai l’argenterie ». Cette expression ne figure dans aucun dictionnaire (sauf erreur), mais je la trouve parfaite. S’agit-il d’un québécisme? Je l’ignore. Mais je la connaissais. Je remercie Lysiane Gagnon de me l’avoir rappelée :Fallait-il sortir l’argenterie sous prétexte que Hyundai pourrait avoir un effet d’entraînement?Note de bas de page 9 Qu’en pensez-vous? C’est court, c’est imagé, et bien de chez nous (jusqu’à preuve du contraire). Que voulez-vous de plus? P.S. : Vous pensiez sans doute que je plaisantais au sujet du bleu qui dame le pion au rouge. Pas du tout. J’ai lu dans la publicité d’un certain Palais des Congrès qu’on y déroule le tapis bleu pour vous y accueillir. (Si j’étais vous, j’en profiterais avant les prochaines élections.)RemarquesRemarque a L’expression semble vieillie dans ce sens.Retour à la remarque aRemarque b Deux autres variantes à ajouter à votre liste.Retour à la remarque bRéférencesNote de bas de page 1 Michel Tatu, Le Monde, 14.8.83.Retour à la référence de la note de bas de page 1Note de bas de page 2 Brendan Behan, Borstal Boy, Gorki Books, 1961, p. 71.Retour à la référence de la note de bas de page 2Note de bas de page 3 Id., Un peuple partisan, Gallimard, 1960, p. 72. (Traduction de Roger Giroux)Retour à la référence de la note de bas de page 3Note de bas de page 4 Lee Dunn, I.R.A.-cible, Gallimard, Série noire, 1981, p. 62. (Traduction de Michel Deutsch)Retour à la référence de la note de bas de page 4Note de bas de page 5 Demouzon, Section Rouge de l’Espoir, Flammarion, 1979, p. 129.Retour à la référence de la note de bas de page 5Note de bas de page 6 André Dessot, Le Monde, 24.11.86.Retour à la référence de la note de bas de page 6Note de bas de page 7 Marcel Niedergang, ibid., 16.2.85.Retour à la référence de la note de bas de page 7Note de bas de page 8 Alain Rey et Sophie Chantreau, Dictionnaire des expressions et locutions figurées, les Usuels du Robert, 1984.Retour à la référence de la note de bas de page 8Note de bas de page 9 Lysiane Gagnon, La Presse, 21.11.85.Retour à la référence de la note de bas de page 9
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