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Mots de tête : « faire sa part »

Un article sur l’expression faire sa part
Frèdelin Leroux fils (L’Actualité terminologique, volume 23, numéro 3, 1990, page 22) Il faut faire votre part pour sauver M. Bourassa de la déprime(Daniel Larouche, Le Devoir, 12.12.87) Avez-vous subi un examen médical récemment? Et votre E.C.G. était-il normal? Dans ce cas, vous n’allez pas me faire le coup de la syncope, n’est-ce pas, si je vous apprends que faire sa part est… un calque de l’anglais? Ce n’est pas facile à croire, je sais. C’est un peu comme lorsqu’on apprend que le père Noël n’existe pas. C’est pourtant ce qu’affirmait Jean-Marie Laurence en 1972 dans le bulletin du Comité linguistique de Radio-Canada (C’est-à-dire, vol. VII, nº 3, p. 9), et en 1980 dans son dernier ouvrage Vagabondage linguistiqueNote de bas de page 1. (Le Comité linguistique a aussi fait paraître une fiche sur ce problème de langue, fiche qui est vraisemblablement due à M. Laurence.) S’il était seul de cet avis, j’aurais des réserves. Après tout, il n’est pas infaillible. Il a pu donner dans le travers de certains défenseurs de la langue, qu’obsède encore aujourd’hui le cri d’alarme lancé par Jules-Paul Tardivel il y a plus d’un siècle :« L’anglicisme, voilà l’ennemi! » Mais il a de sérieux appuis. En effet, les dictionnaires semblent lui donner raison. Le HerbstNote de bas de page 2 traduit to do one’s part par faire son devoir. Le Harrap et le Robert-Collins ne connaissent que to do one’s share : y mettre du sien (Harrap), fournir sa part d’efforts, sa (quote)-part de travail (Robert-Collins). Certes, ce n’est pas une condamnation proprement dite. Il pourrait s’agir simplement d’un oubli. Mais lorsque Maxime KoesslerNote de bas de page 3 affirme que to do one’s part est un faux ami, qui se rend par faire son devoir, on commence à y croire. D’autant plus que le Dictionnaire des vrais amisNote de bas de page 4, qui prend souvent le contre-pied du Koessler, est muet comme carpe. Quant aux dictionnaires de langue, ils cautionnent indirectement Jean-Marie Laurence, puisqu’ils n’enregistrent pas cette expression. Même pas le volumineux Trésor de la langue française. Ni le Dictionnaire du français Plus où figurent pourtant des québécismes/anglicismes comme ne pas être sorti du bois, lever le nez sur qqn/qqch. Bien malgré moi, je m’étais résigné à l’idée qu’il valait sans doute mieux éviter cette tournure. Jusqu’au jour où j’entendis une ancienne collègue l’employer. Comme elle était d’origine européenne, j’étais curieux de savoir si elle la connaissait depuis longtemps. Elle n’en savait rien, depuis toujours, peut-être. En tout cas, elle était tout aussi étonnée que moi d’apprendre que c’était, apparemment, un anglicisme. À peine quelques jours plus tard, je tombais sur un passage qui devait semer pour de bon le doute dans mon esprit :Je veux faire ma part du travail de direction, absolument, je veux faire ma part. Et donnez-moi un fils, et lui aussi pourra faire sa part après moiNote de bas de page 5. Trois fois en moins de trente mots. Ce n’est pas rien. Mais il faut dire qu’il s’agit d’une traduction, et que dans une version antérieure, on trouve donner/prendre sa part. Reste que c’était l’aiguillon qu’il me fallait pour reprendre mes recherches. La locution figure dans As the French SayNote de bas de page 6 : il ne fait pas sa part – He’s not pulling his weight, et dans 2001 idiotismes français et anglaisNote de bas de page 7 : faire sa part – to do one’s bit, to keep one’s end up. Curieusement, ces deux ouvrages ne connaissent pas to do one’s part/share. Mais qu’importe, après tout, puisqu’on me proposait trois nouvelles pistes. Il ne me restait plus qu’à soumettre les « bilingues » à un nouvel interrogatoire. Ils ont fini par passer aux aveux. On trouve faire sa part à bit (Larousse bilingue), à end (Harrap), ainsi qu’à weight (Larousse bilingue, Robert-Collins, Dictionnaire canadienNote de bas de page 8). Et j’en ai même trouvé un exemple dans un dictionnaire à peu près inconnu : Les ingénieurs font leur part – The engineers are doing their partNote de bas de page 9. C’est une assez belle moisson : sept dictionnaires, huit exemples. Qu’il faille un tel chassé-croisé pour trouver confirmation que notre tournure est française, cela montre encore une fois – s’il en était besoin – que les dictionnaires sont non seulement incomplets, mais incohérents par-dessus le marché. Ceci dit, pour que le tableau soit complet, il me manquait la caution d’un bon écrivain. Je désespérais de jamais l’obtenir, quand je trouvai par hasard, chez un libraire d’occasion, un auteur que j’aime bien. Sans le savoir, je tenais ma citation :Il fera sa part comme les auteursNote de bas de page 10. Cette citation date de 1927. C’est dire que l’expression est nettement moins récente qu’on ne l’aurait cru. En terminant, j’en profite pour inviter les défenseurs de la langue – les traducteurs en sont – à ne pas se contenter de dépister les calques de l’anglais. Car ils ont aussi le devoir – non moins important – de démasquer les faux anglicismes. Après tout, la liste des « vrais » est bien assez longue. Inutile d’y ajouter.RéférencesNote de bas de page 1 Jean-Marie Laurence, Vagabondage linguistique, Montréal, Guérin, 1980, p. 132.Retour à la référence de la note de bas de page 1Note de bas de page 2 Robert Herbst, Dictionnaire des termes économiques, financiers et juridiques, vol. 1, Zoug (Suisse), Franslégal S.A., 1968.Retour à la référence de la note de bas de page 2Note de bas de page 3 Maxime Koessler, Faux amis, Paris, Vuibert, 1975.Retour à la référence de la note de bas de page 3Note de bas de page 4 Jean-Pierre Causse, Dictionnaire des vrais amis, British Institute in Paris, Université de Londres, 1978.Retour à la référence de la note de bas de page 4Note de bas de page 5 D.H. Lawrence, L’Amant de lady Chatterly, Paris, Éditions du Fleutiaux et Laure Vernière.Retour à la référence de la note de bas de page 5Note de bas de page 6 F.C. Whitaker, As the French Say/Comme disent les Français, Don Mills (Ontario), Longmans, 1969, s.p.Retour à la référence de la note de bas de page 6Note de bas de page 7 François Denoeu, 2001 idiotismes français et anglais, New york, Barron’s Educational Series, 1982, p. 174.Retour à la référence de la note de bas de page 7Note de bas de page 8 Jean-Paul Vinay, Pierre Daviault et Henry Alexander, Dictionnaire canadien, Toronto/Montréal, McLelland and Stewart Ltd., 1962.Retour à la référence de la note de bas de page 8Note de bas de page 9 P.-H. Picavet, Dictionnaire anglais d’usage, Paris, Libraire Delagrave, 1931, p. 93.Retour à la référence de la note de bas de page 9Note de bas de page 10 Louis Guilloux, La Maison du peuple, Paris, Grasset, coll. Les Cahiers rouges, 1983, p. 152. (Parus en 1927.)Retour à la référence de la note de bas de page 10
Source : Chroniques de langue (la langue française vue par des langagiers)
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Mots de tête : « paver la voie »

Un article sur l’expression paver la voie
Frèdelin Leroux fils (L’Actualité terminologique, volume 35, numéro 2, 2002, page 16) « Non seulement lui avais-je pavé la voie…  »(Nathalie Petrowski, Le Devoir, 27.5.93) Dans le coin de pays de mon enfance, où tous les chemins étaient en terre, paver était plutôt désœuvré. Il devait son seul emploi à l’Église. Régulièrement, le curé, ou le prédicateur venu prêcher la retraite annuelle, nous rappelait que l’enfer était pavé de bonnes intentions. En dehors de ces occasions, paver retombait dans les limbes. Un jour pourtant, un paroissien plus fortuné que les autres – en mesure de s’offrir une « machine » et donc de voyager – nous apprit que les rues des villes, et les grandes routes y menant, étaient « pavées »… De quoi, nous n’en savions rien. À moins d’ajouter créance aux quelques impies qui prétendaient que ledit pavé était de « la sphatte ». Aussi, ce fut tout un étonnement d’apprendre de la bouche du maître d’école que ce terme barbare était le bon, et qu’il avait en plus une orthographe pour le moins étrange – asphalte. Pour comble de malheur, le mot devenait masculin! Et comme si les choses n’étaient pas assez embrouillées, un dictionnaireNote de bas de page 1 de l’époque proposait cette définition éclairante : « pavé – garni d’un pavage : rue pavée d’asphalte ». C’était à en perdre sa religion avec son latin. Cette confusion n’est sûrement pas étrangère à la popularité grandissante chez nous de l’expression paver la voie – un calque pure laine, si j’ose dire. Et on peut même se demander si certains emplois de pavé ne lui ont pas… préparé le terrain en quelque sorte. Battre le pavé, brûler le pavé, jeter sur le pavé, qui voit encore des pavés dans ces images? De fait, le sens général de rue, de voie publique que le mot a pris n’est pas pour améliorer les choses. Malgré la transparence du calque, les mises en garde sont étonnamment peu nombreuses : une fiche de Radio-Canada, le ColpronNote de bas de page 2 dès sa parution, un linguisteNote de bas de page 3, et un ancien conseiller linguistique de Radio-CanadaNote de bas de page 4. Comme la faute n’a pas été recensée par des champions du français comme Gérard Dagenais (1967) ou Victor Barbeau (1970), nous avons dû commencer à la commettre vers la fin des années 60. Vous vous doutez bien qu’aucun dictionnaire ne traduit to pave the way par paver la voie. En gros, ils nous proposent trois solutions : ouvrir ou frayer la voie et préparer le terrain. On trouve aussi chez Charles PetitNote de bas de page 5préparer le chemin. En plus de ces équivalents, René MeertensNote de bas de page 6 donne défricher la voie, et poser des jalons, que je trouve particulièrement intéressant. C’est à peu près la même tournure qui figure dans la partie français-anglais du Harrap’s de 1972 : « poser/planter des jalons – to pave the way ». Le Robert Collins étoffe un peu – les premiers jalons –, mais la partie anglais-français ignore toujours ce bel équivalent. Point n’est besoin de vous dire que paver la voie est également inconnue des dictionnaires français. Même chez nous les ouvrages non normatifs qui la recensent sont rares; je n’en ai trouvé que deux : Dugas/SoucyNote de bas de page 7 et Lionel MeneyNote de bas de page 8. Meney reprend les équivalents français habituels, mais y ajoute « ouvrir la porte », et termine en précisant qu’il s’agit d’un calque. L’expression est évidemment courante au Québec. Les journalistes y sont presque abonnés : Lise Bissonnette (Le Devoir, 14.5.91), Lysiane Gagnon (La Presse, 15.9.92), Daniel Latouche (Le Devoir, 11.9.93), Denise Bombardier (Le Devoir, 24.3.01), Marie-France Bazzo (Le Devoir, 13.10.01), etc. Sans oublier l’exemple en épigraphe, qui nous offre en prime l’inversion du sujet après non seulementNote de bas de page 9. On la rencontre aussi chez des professeurs : de sociologie, Dorval BrunelleNote de bas de page 10, de sciences politiques, Louis BalthazarNote de bas de page 11 et Guy LaforestNote de bas de page 12, ou de littérature, Blandine CampionNote de bas de page 13. Un politicien fédéraliste (Stéphane Dion, La Presse, 8.2.95) et un ancien felquiste oublient un instant leurs différends politiques pour se réconcilier sur le terrain de la langue :L’interdiction du commerce de l’alcool a pavé la voie à l’enrichissement d’un certain nombre de trafiquants devenus de respectables financiersNote de bas de page 14. Fréquente chez nous, l’expression l’est nettement moins de l’autre côté de la mare aux harengs. Mais elle commence à se répandre dangereusement. Avant de me décider à rédiger cet article, je n’avais relevé que quelques exemples dans la presse française : quatre dans Le Monde, dont trois de Martine Jacot, correspondante du journal à Montréal :Ils ne veulent à aucun prix paver la voie du pouvoir à M. Jean Chrétien (28.6.90). Un autre dans le Monde diplomatique (Armand Mattelart, mars 2001) et un dernier dans Libération (décembre 1999). C’était peu… jusqu’à ce que j’aille faire un tour sur Internet. Alors là, le tableau de chasse est impressionnant – 2000 occurrences. Il faut dire que les neuf dixièmes au moins proviennent de sites canadiens ou québécois. Tous les organismes imaginables l’emploient. De même que de nombreux ministères, ainsi que la plupart des universités : Laval, Ottawa, Sherbrooke, UQAM. On en trouve aussi un exemple tiré d’un rapport de la Chambre des communes. Mais qu’en est-il de l’autre dixième?, me demandez-vous. Ce sont des sites européens, africains, haïtiens, etc. L’Ambassade de France au Maroc, par exemple. Jean Massad de la Franc-Maçonnerie libanaise. La Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale. Le Courrier international (5.3.02) et Le Courrier des Balkans (15.4.00). Deux numéros d’Haïti Progrès (12.12.01 et 19.12.01). Un texte de Florence Hartmann, auteur de Milosevic, la diagonale du fou (été 2000). Un article de Paul Balta dans Confluences Méditerranée (nº 22, été 1997) :C’est au politique de paver la voie à l’économique. Pour faire bonne mesure, encore quelques sources : la Déclaration de la Ligue pour la quatrième internationale (avril 1998), le Service de liaison non gouvernementale de l’ONU, la Banque mondiale, l’Institut d’Études de sécurité de l’Union de l’Europe occidentale (Martin Ortega, Cahier de Chaillot 45, mars 2001). Un dernier exemple, d’un article de La Revue internationale sur les élections législatives françaises :Les Français pourraient […] paver la voie à un gouvernement de cohabitation formé par Lionel Jospin. Il se dégage de ces exemples deux constatations : d’abord, que la tournure est répandue dans à peu près tous les milieux; ensuite, qu’elle serait assez récente. D’après mes fiches, les Européens ne la connaîtraient que depuis une petite dizaine d’années – ma source la plus ancienne est un article de Martine Jacot en date du 13 octobre 1989. Et pourtant, je soupçonne qu’elle doit remonter bien au-delà – sous une forme différente, en tout cas, comme en témoigne cette traduction de 1969 :La dictature du prolétariat a pavé le chemin vers un capitalisme d’ÉtatNote de bas de page 15. Sur un site africain, on rencontre une autre variante, paver la route, datée de décembre 1987 (il s’agit sans doute d’une traduction). J’ai trouvé la même tournure chez nous, dans un petit ouvrage paru il y a presque soixante ans :Je me suis bien gardé de cette tâche prétentieuse qui consisterait à paver la route de l’avenirNote de bas de page 16. Serait-ce l’ancêtre de paver la voie? Mais mon mauvais ange me dit que vous n’aimez pas paver la voie. Que vous en avez marre de ces tournures anglaises qui semblent n’avoir rien de mieux à faire que de venir polluer notre paysage linguistique. Je comprends votre exaspération. Mais je vous signale que la locution n’est quand même pas incontournable. Après tout, avec ce que les dictionnaires proposent, vous avez quasiment l’embarras du choix. Alors, que certains mécréants l’emploient, est-ce un si grand péché? D’ailleurs, je ne serais pas étonné que d’ici quelques années les dictionnaires lui délivrent un billet de confession.RéférencesNote de bas de page 1 Louis-Alexandre Bélisle, Dictionnaire général de la langue française au Canada, Québec, Bélisle, 1957.Retour à la référence de la note de bas de page 1Note de bas de page 2 Gilles Colpron, Les anglicismes au Québec, Montréal, Beauchemin, 1970.Retour à la référence de la note de bas de page 2Note de bas de page 3 Jacques Laurin, Le bon mot, Montréal, Éditions de l’Homme, 2001.Retour à la référence de la note de bas de page 3Note de bas de page 4 Camil Chouinard, 1300 pièges du français parlé et écrit au Québec et au Canada, Montréal, Libre Expression, 2001.Retour à la référence de la note de bas de page 4Note de bas de page 5 Charles Petit, Dictionnaire anglais-français, Hachette, 1934.Retour à la référence de la note de bas de page 5Note de bas de page 6 Guide anglais-français de la traduction, Paris, TOP éditions, 1999.Retour à la référence de la note de bas de page 6Note de bas de page 7 André Dugas et Bernard Soucy, Le dictionnaire pratique des expressions québécoises, Montréal, Éditions Logiques, 1991.Retour à la référence de la note de bas de page 7Note de bas de page 8 Lionel Meney, Dictionnaire québécois français, Montréal, Guérin, 1999.Retour à la référence de la note de bas de page 8Note de bas de page 9 Voir L’Actualité terminologique, vol. 35, nº 1, mars 2002, p. 13-17.Retour à la référence de la note de bas de page 9Note de bas de page 10 Les trois colombes, Montréal, VLB, 1985, p. 81 et Le libre-échange par défaut, VLB, 1989, p. 55.Retour à la référence de la note de bas de page 10Note de bas de page 11 Le Devoir, 8.8.92.Retour à la référence de la note de bas de page 11Note de bas de page 12 Le Devoir, 19.5.95.Retour à la référence de la note de bas de page 12Note de bas de page 13 Préface à La fin des songes de Robert Élie, Québec, Bibliothèque québécoise, 1995, p. 13.Retour à la référence de la note de bas de page 13Note de bas de page 14 Charles Gagnon, Le référendum – un syndrome québécois, Montréal, Éditions de la pleine lune, 1995, p. 58.Retour à la référence de la note de bas de page 14Note de bas de page 15 Noam Chomsky, L’Amérique et ses nouveaux mandarins, Paris, Seuil, 1969, p. 24. (Traduction de Jean-Michel Jasienko.)Retour à la référence de la note de bas de page 15Note de bas de page 16 Jean-Charles Harvey, Les grenouilles demandent un roi, Montréal, Éditions du Jour, 1943, p. 152.Retour à la référence de la note de bas de page 16
Source : Chroniques de langue (la langue française vue par des langagiers)
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Mots de tête : L’opportunité fait-elle le larron?

Un article sur le mot opportunité
Frèdelin Leroux fils (L’Actualité langagière, volume 7, numéro 1, 2010, page 8) Jean n’était pas homme à laisserpasser une bonne opportunité. (La vie de Jean JaurèsNote de bas de page 1, 1954) Il est étonnant que deux grands pourfendeurs d’anglicismes comme Arthur Buies (Anglicismes et canadianismes, 1888) et Jules-Paul Tardivel (L’anglicisme, voilà l’ennemi, 1880) ne se soient pas attaqués à opportunité. Peut-être parce que nous n’étions pas encore très nombreux à lui donner le sens « anglais ». De fait, on n’en trouve qu’un exemple de cette époque dans le Trésor de la langue française au Québec en ligne : « Avant même d’avoir eu l’opportunité d’échanger une parole, ils entendirent un hurlement de douleur » (Wenceslas-Eugène Dick, Un drame au Labrador, 1897). C’est seulement en 1919 que l’abbé BlanchardNote de bas de page 2 signalera qu’opportunité n’a pas le sens d’« occasion favorable » : « Je prends l’opportunité : je saisis l’occasion. » Il n’en est d’ailleurs pas question dans la première édition de son ouvrage parue en 1914. Il faudra ensuite attendre trois lustres pour que Léon LorrainNote de bas de page 3 nous rappelle que c’est un « étranger dans la cité ». Et il s’écoulera encore dix ans avant que Jean-Marie LaurenceNote de bas de page 4 ne demande à sa chère Iphigénie de corriger la phrase « Je saisis l’opportunité de vous adresser la parole ». Au cours des deux décennies suivantes, d’autres défenseurs de la langue reviendront à la charge, notamment Pierre DaviaultNote de bas de page 5 (1963) et Gérard DagenaisNote de bas de page 6 (1967). Si je m’arrête en 1967, ce n’est pas parce que c’est le centenaire de la Confédération – ou l’année de mon arrivée au Bureau de la traduction –, mais parce que mon édition du Harrap’s de cette année-là donne à opportunité le sens de « favourable occasion, opportunity » (dans la partie français-anglais seulement). Naturellement, je me suis demandé si d’autres dictionnaires de l’époque de Blanchard ou Lorrain ne lui donneraient pas aussi ce sens. Certes, ces auteurs n’avaient pas tous sur leur table de chevet le Thresor de la langue françoyse de Nicot (1606), qui donne plusieurs exemples traduits du latin : « Si tu as l’opportunité, Estre frustré de quelque opportunité qu’on pretendoit ». Mais ils devaient sûrement avoir le dictionnaire de l’Académie, qui, depuis la 1re édition (1694), donne à opportunité le sens de « occasion propre, favorable » : « Il a trouvé l’opportunité. » Avec ce commentaire : « Tous deux sont de peu d’usage. » Soixante ans plus tard, la 4e édition nous apprend qu’« il vieillit »! Mais il se maintiendra jusqu’à la 8e (1935), sauf que le commentaire disparaîtra. À défaut du dictionnaire de l’Académie, ils avaient sans doute le Littré, qui ne dit pas autre chose : « Absolument. Occasion favorable. Saisir l’opportunité. Il s’est prévalu de l’opportunité ». Il se trouve même un dictionnaire bilingue de 1881, le vieux Clifton-Grimaux, qui traduit par « opportunity, favourable occasion ». D’autre part, tout ce monde devait avoir lu Montaigne, ou Stendhal tout au moins. Eh oui, nos deux larrons l’emploient dans le sens « anglais ». Montaigne : « et quand l’opportunité s’y présente, elle nous conduit aussi aux hazards de la guerre » (Essais, 1580-1595); et Stendhal : « Il n’a pas le génie adroit et cauteleux d’un procureur qui ne perd ni une minute ni une opportunité » (Le rouge et le noir, 1830). Avec toutes ces sources, il est pour le moins étonnant qu’on ait continué de condamner cet usage. Et pourtant, les condamnations ont été plus nombreuses : Gaston Dulong (1968), le Colpron (1970), Geneviève Gilliot (1974), Jean-Marie Courbon (1984), Jean Darbelnet (1986), Jacques Laurin (2001), Jean Forest (2008), et j’en passe. Je termine cette fastidieuse liste avec deux auteursNote de bas de page 7 qui n’aiment pas du tout cet intrus : « Ils auront beau raconter ce qu’ils veulent, c’est un anglicisme, utilisé en lieu et place d’occasion. Pour s’en convaincre, le lecteur, se souvenant de Gabrielle Roy, méditera un titre comme Bonheur d’opportunité »… Et leur haine est telle qu’ils ont recours à un anglicisme pour tenter de s’en débarrasser, en nous proposant une liste de « Douze mots ou expressions à flusher de [n]otre vocabulaire »! Bien sûr, quelques auteurs de chez nous – Guy BertrandNote de bas de page 8, Lionel MeneyNote de bas de page 9 –, reconnaissent que les Français aussi l’emploient, mais ils continuent de préférer occasion, ou un autre équivalent. Marie-Éva de VillersNote de bas de page 10 va dans le même sens : « L’Académie française entérine l’emploi du nom opportunité au sens de circonstance opportune. On pourra néanmoins préférer circonstance, occasion, possibilité. Profiter de l’occasion pour remercier quelqu’un. » C’était vrai jusqu’à la 8e édition, mais avec la 9e, en ligne, nos immortels ont fait volte-face : « C’est à tort que ce terme est substitué à Occasion dans tous ses emplois. Ainsi, on ne dira pas Je me réjouis d’avoir l’opportunité de vous rencontrer, mais Je me réjouis d’avoir l’occasion de vous rencontrer. » Un puriste a dû se glisser dans leurs rangs, et je ne serais pas étonné que ce soit Jean DutourdNote de bas de page 11, devenu « immortel » en 1978. Il n’aime pas cet usage : « En anglais, en américain, opportunity a le sens d’“occasion” […] il est moderne de dire opportunité pour occasion. » Joseph HanseNote de bas de page 12 condamne ce sens lui aussi : « doit toujours évoquer l’idée d’opportun ». Mais ce n’est pas le cas d’un recueil de faux amis : « malgré l’opposition de puristes, l’emploi d’opportunité se répand de plus en plus dans le sens de occasion favorableNote de bas de page 13 ». Et chez nous, Paul RouxNote de bas de page 14 reconnaît que « son usage est si répandu dans l’ensemble de la francophonie qu’il paraît désormais inutile de s’y opposer ». La plupart des dictionnaires français enregistrent ce « vieux » sens d’opportunité. L’édition abrégée du Littré de 1963 le maintient; le Larousse de la langue française de 1971 le donne; le Quillet de 1977 reprend à peu près le texte de l’Académie : « Abs. Occasion favorable. Il a profité de l’opportunité ». Pour le Grand Dictionnaire encyclopédique Larousse, de 1984, cette façon de parler relève de la « langue soutenue ». Le Grand Robert de 2001 l’enregistre sans commentaire, mais la version « culturelle » parue en 2005 sous la direction d’Alain Rey signale qu’il est « fréquemment critiqué ». Les petits Larousse et Robert portent aussi la mention « emploi critiqué ». Pour leur part, les dictionnaires québécois ont tendance à se passer de la mise en garde. C’est le cas du Dictionnaire Beauchemin (1968), du Dictionnaire du français plus (1988) et du Dictionnaire universel francophone (1997). Enfin, les Clefs du français pratique de la banque de données terminologiques et linguistiques du Bureau de la traduction font bien le point : « Opportunité s’est taillé une place dans les dictionnaires au sens d’“occasion favorable” : Saisir toutes les opportunités qui se présentent. Plusieurs sources lui attribuent la mention “critiqué”, d’autres l’admettent sans réserve. Dans le sens de “perspectives d’avenir, possibilités”, opportunité est encore critiqué, mais on le rencontre de plus en plus : […] les opportunités de carrière (Le Point). » Bien sûr, vous pouvez continuer de préférer occasion (« saisir l’opportunité » me met encore mal à l’aise…), mais il faut reconnaître qu’opportunité a droit de cité. Et si vous voulez une dernière preuve qu’il est entré dans l’usage, la voici. Les rédacteurs du Robert n’ont pu s’en passer pour définir « se rattraper aux branches » : « rétablir une situation critique en saisissant une opportunité ». Pourtant, le Larousse de la langue française s’en tient à occasion : « réussir à profiter d’une occasion inespérée pour rétablir une situation critique », et l’Académie parle de moyens. Je laisse le mot de la fin à André GoosseNote de bas de page 15 qui, après avoir rappelé que l’Académie lui donne ce sens depuis le début, note que cet emploi « a sans doute été revivifié par l’anglais ». Et il termine avec un exemple de nul autre qu’un académicien, qu’on saurait difficilement soupçonner de laxisme, Maurice Druon.RéférencesNote de bas de page 1 Marcelle Auclair, La vie de Jean Jaurès, Seuil, 1954 (Voici, 1964, p. 71).Retour à la référence de la note de bas de page 1Note de bas de page 2 Étienne Blanchard, Dictionnaire du bon langage, Montréal, 1919, p. 170.Retour à la référence de la note de bas de page 2Note de bas de page 3 Les étrangers dans la cité, Les Presses du Mercure, Montréal, 1936, p. 84.Retour à la référence de la note de bas de page 3Note de bas de page 4 Notre français sur le vif, Centre de psychologie et de pédagogie, Montréal, 1947, p. 121.Retour à la référence de la note de bas de page 4Note de bas de page 5 Langage et traduction, Secrétariat d’État, 1963.Retour à la référence de la note de bas de page 5Note de bas de page 6 Dictionnaire des difficultés de la langue française au Canada, Éditions Pedagogia, Montréal, 1967.Retour à la référence de la note de bas de page 6Note de bas de page 7 Benoît Melançon et Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Fides, 2004, p. 107.Retour à la référence de la note de bas de page 7Note de bas de page 8 400 capsules linguistiques, Lanctôt, 1999, p. 124.Retour à la référence de la note de bas de page 8Note de bas de page 9 Dictionnaire québécois-français, Guérin, 2003 (1999).Retour à la référence de la note de bas de page 9Note de bas de page 10 Multidictionnaire de la langue française, Québec Amérique, 2009.Retour à la référence de la note de bas de page 10Note de bas de page 11 À la recherche du français perdu, Plon, 1999, p. 43.Retour à la référence de la note de bas de page 11Note de bas de page 12 Nouveau dictionnaire des difficultés du français moderne, Duculot, 1983.Retour à la référence de la note de bas de page 12Note de bas de page 13 Jacques Van Roey, Sylviane Granger et Helen Swallow, Dictionnaire des faux amis, Duculot, 1998.Retour à la référence de la note de bas de page 13Note de bas de page 14 Lexique des difficultés du français dans les médias, Éditions La Presse, 2004.Retour à la référence de la note de bas de page 14Note de bas de page 15 Le bon usage, 14e édition, de Boeck/Duculot, 2008, p. 160.Retour à la référence de la note de bas de page 15
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Mots de tête : « en termes de »

Un article sur l’expression en termes de
Frèdelin Leroux fils (L’Actualité terminologique, volume 26, numéro 2, 1993, page 25) Le prix de la viande, exprimé en termes de pommes de terreNote de bas de page 1. Si la tournure en termes de, employée comme ci-dessus, vous donne des cauchemars, ou des états d’âme, il serait peut-être indiqué de prendre un calmant. Ou de passer à l’article suivant. Car ce Mots de tête s’adresse d’abord à ceux qui ont déjà succombé à la tentation de l’employer, mais qui ne le font jamais sans un léger pincement au cœur. Et à ceux qui seraient bien tentés de le faire… Sérieusement, comme on voit de plus en plus cette expression sous la plume de bons auteurs, je me suis dit que le moment était venu de remettre en question la condamnation dont elle fait l’objet. Sauf erreur, c’est Irène de BuisseretNote de bas de page 2 qui a été la première à attacher le grelot. Dès 1975. Depuis, chose assez étonnante, les condamnations ou mises en garde ont été plutôt rares : une fiche Repères-T/R du Bureau de la traductionNote de bas de page 3, et deux ouvrages, le Dictionnaire des particularités de l’usage de Jean DarbelnetNote de bas de page 4 et le Multidictionnaire des difficultés de la langue française de Marie-Éva de VillersNote de bas de page 5. Si on ajoute les dictionnaires bilingues (ou de faux amis, comme Roey, Granger et SwallowNote de bas de page 6), on a à peu près fait le tour de ceux qui sont contre. Mais commençons par le commencement. Voyons d’abord la définition de la présumée coupable, in terms of: regarding, concerning, nous dit le petit Webster. Avec cette définition en tête, on serait difficilement tenté de traduire par en termes de. Alors, pourquoi le fait-on? et aussi souvent? Même lorsqu’on écrit en français? C’est ce qui m’a amené à me demander si la rédactrice de la fiche Repères-T/R avait raison d’affirmer que c’est « uniquement sous l’influence de l’anglais » qu’une tournure comme en termes d’emplois se glisse dans nos traductions. Chez nous, que l’anglais y soit pour quelque chose, nous n’allons pas nous chicaner là-dessus. Nous vivons dans un monde anglais, depuis presque deux siècles et demi, c’est un peu normal. Mais en France, où l’on n’a pas encore sacrifié Rimbaud à Rambo – aux dernières nouvelles, en tout cas –, comment expliquer qu’on l’emploie comme si on l’avait sucée avec le lait maternel? Faut-il mettre ça au compte de cette anglomanie endémique dont les Français ont le secret? Je serais plutôt porté à croire que ce nouveau sens est apparu à peu près en même temps dans les deux langues. De fait, in terms of au sens de concerning ne semble pas très vieux. Irène de Buisseret n’en parle pas dans son Guide du traducteur paru en 1972; dans l’édition de 1975 (due aux soins de Denys Goulet), on indique que ce sens s’est surtout répandu vers 1972-1975, mais qu’il était déjà connu dans les années 50. Ce qui est corroboré en quelque sorte par Charles PetitNote de bas de page 7, qui l’enregistre pour la première fois dans son supplément de 1959. On en trouve également des exemples dans le CarbonneauNote de bas de page 8 (le BT-147), paru entre 1957 et 1960. Le Harrap’s, pour sa part, ne le donne que dans son supplément de 1962. Du côté français, ma première source date de 1950. Elle est de François Nourissier :(…) les problèmes se posaient en termes d’organisationNote de bas de page 9. On fait ensuite un bond de quinze ans, avec un document du gouvernement français, le fameux Plan :Expression des besoins en termes de niveaux de formationNote de bas de page 10. À partir de cette date (1965), j’ai trouvé un exemple pour la plupart des quinze années suivantes. Commençons par le regretté Alfred Sauvy, démographe et économiste, professeur honoraire au Collège de France :(…) si l’absolution pouvait se faire en termes de vies humainesNote de bas de page 11. Ensuite, le sociologue Edgar Morin :(…) en termes de croissance et de développementNote de bas de page 12. Suivi d’un autre sociologue, Alain Touraine :(…) l’analyse n’est pas menée en termes de classes, mais plutôt en termes d’élite dirigeanteNote de bas de page 13. Les années se suivent et se ressemblent (1970, 1971, 1972, 1973) :(…) en termes de population, les maux sont discretsNote de bas de page 14.En termes de population, pour éviter une baisseNote de bas de page 15.(…) se traduire en termes de nouveautés techniquesNote de bas de page 16.(José Miró Cardona) conçoit les relations américano-cubaines en termes de clientèleNote de bas de page 17.(…) analyse en termes de secteurs ou de branches (…)Note de bas de page 18.Ce problème de production peut être posé en termes de choixNote de bas de page 19. Pas moins de neuf exemples dans le beau livre de Jacques Rigaud, La Culture pour vivre. Je me contenterai de deux :(…) résultats chiffrables en termes d’espaces vertsNote de bas de page 20.En termes de culture, (l’Amérique) n’est ni un défi ni un épouvantail (…)Note de bas de page 21. Un autre document du gouvernement français :(…) celle-ci s’exprimera en termes de gains financiersNote de bas de page 22. Au tour des sociologues de nouveau :On commence à penser en termes d’équipe (…)Note de bas de page 23.(…) pour présenter l’histoire du Canada français en termes de rapports politiquesNote de bas de page 24.(…) la progression des effectifs globaux en termes de personnes (…)Note de bas de page 25. Après la Sociologie, voici l’Éducation et la Philosophie :(…) l’enseignant doit se resituer non pas en termes de concurrence (…) mais en termes de médiationNote de bas de page 26.Le problème ne se posait plus (…) en termes d’affrontement mais d’émulation (…)Note de bas de page 27. Et enfin, pour couronner le tout, deux linguistes, traducteurs par-dessus le marché :Il est vrai qu’en grec ancien (…), on réinterprète les aspects en termes de « temps » (…)Note de bas de page 28.À plus forte raison est-ce en termes d’affrontement et de pugnacité que vont s’exprimer (…)Note de bas de page 29. Deux dictionnaires me fournissent mes derniers exemples, le Petit Larousse illustré de 1989, un peu à son insu :Marchéage – branche du marketing, coordination de l’ensemble des actions commerciales en termes de dosage et de cohérence. Et le nouveau Harrap’s portatif (1991) :In terms of salary/pollution – en termes de salaires/de pollution. Je vous fais grâce des nombreux exemples que j’ai trouvés dans la presse. Qu’il suffise de dire que journaux et revues logent tous à la même enseigne : le Magazine littéraire, L’Express, Le Monde, Le Nouvel Observateur, Le Monde diplomatique (sans parler de la presse québécoise). Je vois que vous hésitez encore. Alors, n’employez pas l’expression en termes de. Consultez plutôt Irène de Buisseret ou la fiche Repères-T/R. Vous y trouverez sûrement chaussure à votre pied. On vous propose une bonne quinzaine de solutions. Après tout, en termes de n’est pas incontournable. On peut l’éviter. J’en ai eu la preuve encore récemment. Dans Letters to a Québécois Friend de Philip ResnickNote de bas de page 30, on rencontre in terms of plusieurs fois. Pas une fois la traductrice – qui tombe pourtant dans le piège du calque à plus d’une reprise (s’objecter, point tournant, prendre pour acquis) – n’a traduit par en termes de. Mais si vous avez un faible pour cette tournure et qu’il vous faut une caution supplémentaire, voyez le Multidictionnaire des difficultés de la langue française : dans la première édition (1988), on parle de « calque », mais dans la dernière (1992), il n’y en a plus la moindre trace. Simple oubli? Peu probable. Je vois mal Marie-Éva de Villers laisser tomber une faute par inadvertance; elle en rajouterait plutôt. Vous ne me croyez pas? Voyez par vous-même : dans l’édition de 1992, présumément est à remplacer par prétendument (en 1988, on nous le proposait pour éviter supposément). À l’effet que, de terme de droit qu’il était, à éviter dans la langue courante, devient un calque. Dans la première édition, on rencontre l’exemple marcher deux kilomètres. Dans la nouvelle, il est dit que marcher est intransitif et ne peut être suivi d’un complément de distance « comme en anglais » : il faut dire faire 2 km. (Voir ce qu’en pense Claude Duneton dans Parler croquantNote de bas de page 31.) Demander une question, impropriété en 1988, est qualifié de calque en 1992. Se fier sur, accepté il y a quatre ans, a vieilli depuis. Et ainsi de suite. Vous croyez toujours que c’est un oubli?RemarquesRemarque aC’est moi qui souligne.Retour à la remarque aRemarque bInutile de vous ruer sur le Dictionnaire québécois d’aujourd’hui (le DQA, comme on l’appelle), l’expression n’y est pas.Retour à la remarque bRéférencesNote de bas de page 1 Gaël Fain, note du traducteur dans L’Économique de Paul A. Samuelson, tome 1, Armand Colin, 1972, p. 95.Retour à la référence de la note de bas de page 1Note de bas de page 2 Irène de Buisseret, Deux langues, six idiomes, Carlton-Green Publishing Company Ltd., 1975, p. 286.Retour à la référence de la note de bas de page 2Note de bas de page 3 Fiche Repères-T/R établie par Denise Cyr de la Division de l’évaluation en 1986.Retour à la référence de la note de bas de page 3Note de bas de page 4 Jean Darbelnet, Dictionnaire des particularités de l’usage, Presses de l’Université Laval, 1988, p. 189.Retour à la référence de la note de bas de page 4Note de bas de page 5 Marie-Éva de Villers, Multidictionnaire des difficultés de la langue française, Québec/Amérique, 1988.Retour à la référence de la note de bas de page 5Note de bas de page 6 Jacques Van Roey, Sylviane Granger et Helen Swallow, Dictionnaire des faux amis français-anglais, Duculot, Paris-Gembloux, 1988, p. 694.Retour à la référence de la note de bas de page 6Note de bas de page 7 Charles Petit, Dictionnaire anglais-français, Hachette, 1970.Retour à la référence de la note de bas de page 7Note de bas de page 8 Hector Carbonneau, Vocabulaire général, Secrétariat d’État, Ottawa, 1972.Retour à la référence de la note de bas de page 8Note de bas de page 9 François Nourissier, L’Homme humilié, Éditions Spes, 1950, p. 98.Retour à la référence de la note de bas de page 9Note de bas de page 10 Le Plan de développement économique et social, tome II, Imprimerie des Journaux officiels, 1965, p. 18. (Voir p. 255.)Retour à la référence de la note de bas de page 10Note de bas de page 11 Alfred Sauvy, Mythologie de notre temps, Petite Bibliothèque Payot, 1971, p. 189. (Paru en 1965.)Retour à la référence de la note de bas de page 11Note de bas de page 12 Edgar Morin, Commune en France : La Métamorphose de Plodémet, Fayard, 1967, p. 64. (Voir p. 87.)Retour à la référence de la note de bas de page 12Note de bas de page 13 Alain Touraine, La Société post-industrielle, Gonthier, coll. Médiations, 1969, p. 62 (Voir p. 60.)Retour à la référence de la note de bas de page 13Note de bas de page 14 Alfred Sauvy, La Révolte des jeunes, Calmann-Lévy, 1970, p. 114.Retour à la référence de la note de bas de page 14Note de bas de page 15 Alain Chénicourt, L’inflation ou l’anti-croissance, Éditions HMH/L’Usine nouvelle/Robert Laffont, 1971, p. 115.Retour à la référence de la note de bas de page 15Note de bas de page 16 Jean-Pierre Rioux, La Révolution industrielle, Seuil, coll. Points, 1971, p. 161.Retour à la référence de la note de bas de page 16Note de bas de page 17 Manuela Semidei, Kennedy et la Révolution cubaine, Julliard, coll. Archives, 1972, p. 241. (Voir p. 267.)Retour à la référence de la note de bas de page 17Note de bas de page 18 Guy Devillebichot, Clefs pour l’économie politique, Seghers, 1973, p. 51.Retour à la référence de la note de bas de page 18Note de bas de page 19 Pierre Mendès France et Gabriel Ardant, Science économique et lucidité politique, Gallimard, coll. Idées, 1973, p. 271.Retour à la référence de la note de bas de page 19Note de bas de page 20 Jacques Rigaud, La Culture pour vivre, Gallimard, coll. Idées, 1980, p. 300. (Paru en 1975.)Retour à la référence de la note de bas de page 20Note de bas de page 21 Idem, p. 396. (Voir p. 33, 134, 237, 275, 365, 373, 380).Retour à la référence de la note de bas de page 21Note de bas de page 22 Réponses à la violence, rapport du Comité d’études sur la violence, la criminalité et la délinquance, Presses Pocket, tome II, 1977, p. 240.Retour à la référence de la note de bas de page 22Note de bas de page 23 Jean-Pierre Corbeau, Le Village à l’heure de la Télé, Stock, 1978, p. 35.Retour à la référence de la note de bas de page 23Note de bas de page 24 Pierre George, Le Québec, coll. Que sais-je?, 1979, p. 42.Retour à la référence de la note de bas de page 24Note de bas de page 25 M. Durant et J.-P. Frémont, L’Artisanat en France, coll. Que sais-je?, 1979, p. 19.Retour à la référence de la note de bas de page 25Note de bas de page 26 Christian Beullac, ministre de l’Éducation, cité par Paul Guth, Lettre ouverte aux futurs illetrés, Albin Michel, 1980, p. 202.Retour à la référence de la note de bas de page 26Note de bas de page 27 Roger Garaudy, Appel aux vivants, Seuil, coll. Points/Actuels, 1980, p. 57.Retour à la référence de la note de bas de page 27Note de bas de page 28 J.-R. Ladmiral, Traduire : théorèmes pour la traduction, Petite Bibliothèque Payot, 1979, p. 36.Retour à la référence de la note de bas de page 28Note de bas de page 29 Claude Hagège, Le français et les siècles, Odile Jacob, coll. Points, 1989, p. 136. (Paru en 1987.)Retour à la référence de la note de bas de page 29Note de bas de page 30 Philip Resnick, Lettre à un ami québécois, Boréal, 1990, traduit par Claire Dupond.Retour à la référence de la note de bas de page 30Note de bas de page 31 Claude Duneton, Parler croquant, Stock Plus, 1978, p. 137. (Paru en 1973.)Retour à la référence de la note de bas de page 31
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Mots de tête : « mordre la main qui nourrit »

Un article sur l’expression mordre la main qui nourrit
Frèdelin Leroux fils (L’Actualité terminologique, volume 22, numéro 4, 1989, page 7) Certainement pas parce qu’ils veulent mordre la main qui les nourrit.(Michel Gratton, Le Droit, 21.12.83) Les artistes, c’est bien connu, sont d’une ingratitude sans pareille. Sitôt leur subvention en poche, ils se retournent contre leur bienfaiteur et le déchirent à belles dents. Si l’on en croit Naïm Kattan, ce serait une sorte de prérogative, inhérente à leur état : « l’artiste peut mordre la main qui le nourrit »Note de bas de page 1, écrit-il. Mon propos n’est pas, vous l’avez deviné, d’épiloguer sur le bien-fondé ou l’incongruité d’une telle attitude, mais, plus prosaïquement, de vous dire quelques mots de la locution mordre la main qui nourrit. Au sens propre, cette expression a dû voir le jour avec le premier naturaliste avant la lettre qui, voulant donner à manger à quelque bête à moitié sauvage, se fit mordre proprement. Théodore de Banville a sans doute assisté à une telle scène :[…] le petit monstre manifeste son existence en mordant volontiers les mains qui le nourrissent.Note de bas de page 2 Mais au figuré, vous la chercheriez en vain dans les ouvrages que je vois sur votre bureau. Ce qui n’est pas le cas en anglais. La plupart des dictionnaires courants donnent to bite the hand that feeds one. La paternité en reviendrait à Edmund Burke, homme politique et écrivain britannique du 18e siècle :Having first looked to government for bread, on the very first scarcity they will turn and bite the hand that fed them.Note de bas de page 3 Malgré cette ancienneté, un seul dictionnaire bilingue la connaît, le Robert-Collins :To bite the hand that feeds you – être d’une ingratitude monstrueuse. On se demande pourquoi les rédacteurs n’ont pas cru bon de proposer une tournure équivalente, plutôt qu’une simple explication. Après tout, l’idée d’ingratitude peut se rendre de façon plus imagée. Par battre sa nourrice, par exemple : « montrer de l’ingratitude aux personnes à qui l’on doit le plus », nous dit le Grand Larousse de la langue française. Mordre sa nourrice, ajoute le Dictionnaire général de la langue françaiseNote de bas de page 4. Alain ReyNote de bas de page 5 donne une variante plus parlante encore, mordre le sein de sa nourrice. Qui figure aussi dans le Trésor de la langue française. À l’exception du Dictionnaire général, les autres considèrent qu’il s’agit d’un emploi vieilli. C’est peut-être ce qui explique que le Robert-Collins n’en parle pas. (Soit dit entre parenthèses, je soupçonne parfois les lexicographes français d’avoir un surplus d’étiquettes « vieux » dont ils sont impatients de se défaire.) Mais revenons à nos moutons, peu susceptibles de mordre la main qui les nourrit. Inutile de dire que cette locution est très répandue chez nous. À peu près tout le monde l’emploie, mais elle ne figure dans aucun recueil ou dictionnaire de québécismesNote de bas de page 6. S’agirait-il d’un tour qui ne nous serait pas propre? Les Français le connaissent, en tout cas, comme en témoignent ces exemples :Il y a des hommes à qui l’on tend la main et qui vous la mordent.Note de bas de page 7Dressé à lécher les mains pour manger, on prend goût à les mordiller.Note de bas de page 8Et n’étiez-vous pas gêné vous-même de mordre ainsi la main qui vous nourrit.Note de bas de page 9 La dernière citation date de 1976. Ce serait donc un usage plutôt récent, influencé par l’anglais peut-être. C’est ce que je commençais à croire, mais… Un jour que je feuilletais – par curiosité – un ouvrage peu connu, le Logos, que je n’ai pas consulté plus de dix fois en douze ans, quelle ne fut pas ma surprise, et ma joie, d’y lire : « mordre la main qui vous nourrit, qui vous protège – se montrer ingrat »Note de bas de page 10. Ce dictionnaire est paru en 1976. L’expression daterait donc du début des années 70. J’étais sur le point d’envoyer mon billet à L’Actualité lorsque parut la nouvelle édition du Grand Robert. Par acquit de conscience, j’y jetai un coup d’œil… désillusionné d’avance. Comme quoi il ne faut jurer de rien, « mordre la main qui nourrit, qui protège » s’y trouve. C’est alors que je me rendis compte que j’avais négligé de vérifier dans la première version. Pour en avoir le cœur net, je m’y reportai. C’est ce que j’aurais dû faire au départ, puisque la locution y est. Malheureusement, il n’y a pas de citation. Il est donc difficile de la dater avec précision. Mais nous savons qu’elle a au moins vingt ans, le tome 3 du Grand Robert étant paru en 1969. En arrondissant un peu, on pourrait lui donner vingt-cinq ans. Un quart de siècle, c’est peu comparé à l’anglais, mais c’est tout de même respectable. En terminant, je vous signale qu’il existe plusieurs proverbes qui pourraient, le contexte s’y prêtant, vous permettre de rendre cette idée d’ingratitude autrement. Je vous laisse le plaisir de les découvrir, et je me contente de celui-ci :Le scorpion pique celui qui l’aide à sortir du feu.Note de bas de page 11 P.S. : Le hasard fait parfois bien les choses. Mon article tardant à paraître, j’ai eu la chance de faire une trouvaille, que je m’empresse de vous communiquer : « (…) je n’estime point le caractère de M. Alphonse Daudet, qui a trahi tous ses amis, l’un après l’autre, et mordu successivement la main de ses bienfaiteursNote de bas de page 12 ». Il s’agit d’un article d’Octave Mirbeau paru en décembre 1883.RéférencesNote de bas de page 1 Naïm Kattan, Le Devoir, Montréal, 25.7.87.Retour à la référence de la note de bas de page 1Note de bas de page 2 Théodore de Banville, Mes Souvenirs, G. Charpentier, Éditeur, Paris, 1882, p. 207-208.Retour à la référence de la note de bas de page 2Note de bas de page 3 J.M. et M.J. Cohen, Penguin Dictionary of Quotations, Harmondsworth, Penguin Books, 1967, p. 81.Retour à la référence de la note de bas de page 3Note de bas de page 4 A. Hatzfeld et A. Darmesteter, Dictionnaire général de la langue française, Paris, Delagrave, 1964, tome II, p. 1602.Retour à la référence de la note de bas de page 4Note de bas de page 5 Alain Rey et Sophie Chantreau, Dictionnaire des expressions et locutions figurées, Le Robert, coll. « Les Usuels », Paris, 1984, p. 840.Retour à la référence de la note de bas de page 5Note de bas de page 6 Même le nouveau Dictionnaire du français Plus, qui n’en recense pas moins de 4 000, l’ignore.Retour à la référence de la note de bas de page 6Note de bas de page 7 Jean Raspail, Journal Peau-Rouge, Paris, Laffont, 1975, p. 224.Retour à la référence de la note de bas de page 7Note de bas de page 8 Bertrand Poirot-Delpech, Le Monde, Paris, 16.1.87.Retour à la référence de la note de bas de page 8Note de bas de page 9 Pierre Viansson-Ponté, Lettre ouverte aux hommes politiques, Paris, Livre de poche, 1977, pp. 129-130. (Paru chez Albin Michel en 1976.)Retour à la référence de la note de bas de page 9Note de bas de page 10 Jean Girodet, Logos, Grand Dictionnaire de la langue française, Paris, Bordas, 1976, v. 2, p. 2080.Retour à la référence de la note de bas de page 10Note de bas de page 11 Maurice Maloux, Dictionnaire des proverbes, Larousse, Paris, 1960, p. 279.Retour à la référence de la note de bas de page 11Note de bas de page 12 Jacques-Henry Bornecque, introduction aux Lettres de mon moulin, Imprimerie nationale, 1983, p. 46.Retour à la référence de la note de bas de page 12
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Mots de tête : Avez-vous de la tchatche?

Un article sur la traduction de l’expression articulate
Frèdelin Leroux fils (L’Actualité terminologique, volume 32, numéro 3, 1999, page 19) Il y a trente-cinq ans, André Laurendeau notait dans son journal – qu’il tenait lorsque les travaux de la Commission dont il était coprésident lui en laissaient le loisir – un terme dont il a peut-être cherché en vain l’équivalent :Lui-même, qui paraît un citoyen très « articulate » […]Note de bas de page 1. Le jugeait-il intraduisible? L’aurait-il remplacé s’il avait su que son journal allait être publié? Il eût été intéressant de voir ce qu’il aurait mis à la place. Malheureusement, il devait mourir quelques années plus tard, laissant son journal en plan. Aujourd’hui, ses compatriotes n’ont plus de ces états d’âme – ils emploient « articulé » sans hésitation. Mais il faut dire que nous avons quand même mis pas mal de temps à franchir ce pas. Plus de vingt ans, si je me fie à mon premier exemple :Ils sont un peu plus âgés que les rinistes […], plus articulés aussiNote de bas de page 2. Et pourtant, « articulé » se disait déjà depuis assez longtemps à propos de choses abstraites, aussi bien chez nous qu’en France :Cette pensée tranchante m’est d’abord apparue comme un édifice logique […], bien articulé […]Note de bas de page 3. Dès 1950, un académicien l’emploie :Par contraste […], la vie grecque était maritime, articulée, diverseNote de bas de page 4. Il est étonnant que les dictionnaires ignorent cet usage, encore aujourd’hui. Même le Trésor de la langue française s’en tient aux sens classiques. De leur côté, les dictionnaires anglais de l’époque ne font pas meilleure figure; ils n’enregistrent pas le sens qui nous intéresse. Je n’ai pas fait une fouille exhaustive, mais le premier à le signaler serait le Random House Dictionary de 1967 : « using language easily and fluently; having facility with wordsNote de bas de page 5 ». Cet usage daterait donc du milieu des années 60. Les dictionnaires bilingues nous en donnent d’ailleurs la preuve par défaut : le Dictionnaire anglais-français de Charles Petit, dans son supplément de 1959, traduit articulate par « capable de parler ». Quant au Dictionnaire canadien (1962) et au Harrap’s (1967), ils l’ignorent. Encore au début des années 70, Irène de BuisseretNote de bas de page 6 pouvait déplorer l’absence d’un dictionnaire « traductif » où trouver un équivalent du nouveau sens d’articulate. (Dans la version précédente de Deux langues, six idiomes, où il n’est pas question d’articulate, l’auteur cherchait en vain un dictionnaire qui traduirait vocal par « éloquentNote de bas de page 7 ».) C’est seulement en 1975 qu’articulate apparaît comme faux ami dans l’ouvrage de Maxime KoesslerNote de bas de page 8 (il est absent de l’édition de 1964). Les équivalents proposés tournent tous autour de « s’exprimer » (bien, clairement, nettement, à la perfection). Aucun signe d’« éloquent ». Treize ans plus tard, les auteurs de Cut the ChatNote de bas de page 9 s’en tiennent à un seul exemple : « to be highly articulate on an issue – s’exprimer très clairement sur un problème ». Quant au Dictionnaire des faux amis de Van Roey, Granger et Swallow, même l’édition de 1998 est muette. Chez nous, les dictionnaires d’anglicismes ou de fautes de langue ont mis beaucoup de temps à s’aviser que l’usage que nous faisions d’articulé n’était pas des plus catholiques. Sauf erreur, cela fait à peine cinq ans que le ColpronNote de bas de page 10 nous signale qu’on ne saurait dire d’un conférencier qu’il est articulé, mais qu’il est « éloquent », qu’il « s’exprime bien ». Vingt ans après Koessler. Même chose pour Marie-Éva de VillersNote de bas de page 11. Ce n’est que dans la troisième édition (1997) qu’elle en parle. Et pourtant, dès 1989, une terminologueNote de bas de page 12 de Téléglobe Canada, Nathalie Proulx, consacrait un article très bien « articulé » à ce problème. Après avoir comparé de façon convaincante les acceptions des deux termes, elle nous propose une dizaine d’équivalents. Le malheur – c’est le cas des autres ouvrages aussi –, c’est qu’à l’exception d’« éloquent », on en revient invariablement à une périphrase. Quant à « éloquent », s’il peut sembler à première vue un parfait équivalent, je ne me souviens pas de l’avoir jamais employé pour traduire articulate. C’est comme s’il disait davantage qu’articulate, que celui-ci était un cran en deçà. Est-ce parce que nous associons spontanément « éloquent » à « orateur »? Ce qui n’est pas souvent le cas des personnes qu’on serait tenté de qualifier d’articulées. J’en ai pourtant relevé un exemple dans la presse française qui correspond tout à fait à articulate :« Oui, je suis noir », lance Stéphane, un lycéen très éloquentNote de bas de page 13. Mais c’est assez rare. On rencontre plus souvent une périphrase :Élisabeth Hubert est une chiraquienne pur sucre. La langue bien pendue, volontiers ironiqueNote de bas de page 14. Dans les deux cas, je suis sûr que nous aurions mis articulé. Car il est tellement ancré dans notre usage, qu’il est devenu presque incontournable. On le rencontre sous la plume de tous nos journalistes (du Droit, du Devoir, de la Presse), de professeurs, de romanciers, de chercheurs, et même dans la bouche de nos politiciens. Appliqué aussi bien à une chose (« œuvres articulées », « position articulée ») qu’à une personne. Ailleurs que chez nous, les francophones semblent peu portés sur cet usage. Mais il n’est pas dit qu’ils n’y viendront pas. J’en ai quand même relevé deux exemples :C’est une femme très articulée, toujours entre deux interviewsNote de bas de page 15. L’exemple date de 1981. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il n’a pas fait de petits. L’autre fait écho à la citation de Siegfried (40 ans plus tard) :Le film véhicule cette information de manière très articuléeNote de bas de page 16. Autant dire que nous sommes les seuls à avoir adopté cet anglicisme. Aussi, je ne serais pas étonné que vous hésitiez à l’employer. Et si la brochette d’équivalents qu’on trouve dans les ouvrages mentionnés jusqu’ici ne vous satisfont pas, je vous recommande le Lexique analogiqueNote de bas de page 17. Vous y trouverez sûrement le mot qui vous manque. À la longue liste que l’auteur propose, on pourrait ajouter « avoir du bagou, de la faconde ». Ou encore, un terme qu’on commence à voir chez nous depuis deux ou trois ans, mais qui figurait déjà dans le supplément du Grand Dictionnaire encyclopédique Larousse (1992), avec sa progéniture :tchatche – bagou volubile.tchatcher – convaincre ou impressionner avec des discours pleins de tchatche.tchatcheur, euse – personne qui tchatche, qui a de la tchatche; beau parleur. Il se peut, pour reprendre l’expression de Nathalie Proulx, qu’articulé/articulate soit un couple mal assorti, mais l’est-il plus qu’informel/informal? Qui a fait couler pas mal d’encre à l’époque. Encore là, on avait beau nous recommander de traduire par « officieux », les trois quarts du temps il fallait se rabattre sur une périphrase. Et « informel » a fini par s’imposer. En terminant, je vous signale que le contraire d’« articulé » commence à se répandre depuis quelques années :[…], des accusés démunis, inarticulés, vulnérablesNote de bas de page 18. Reste à voir si ce couple saura faire des petits ailleurs que chez nous.RéférencesNote de bas de page 1 André Laurendeau, Journal tenu pendant la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme, VLB éditeur/le Septentrion, Montréal, 1990, p. 232.Retour à la référence de la note de bas de page 1Note de bas de page 2 Pierre Godin, Les Frères divorcés, Éditions de l’Homme, Montréal, 1986, p. 341.Retour à la référence de la note de bas de page 2Note de bas de page 3 Hubert Aquin, « La fatigue culturelle du Canada français », Liberté, mai 1962, p. 300.Retour à la référence de la note de bas de page 3Note de bas de page 4 André Siegfried, L’Âme des peuples, Hachette, 1950, p. 199.Retour à la référence de la note de bas de page 4Note de bas de page 5 Random House Dictionary of the English Language, Random House, New York, 1967.Retour à la référence de la note de bas de page 5Note de bas de page 6 Deux langues, six idiomes, Carlton-Green Publishing Company Ltd., 1975, p. 398.Retour à la référence de la note de bas de page 6Note de bas de page 7 Guide du traducteur, Association des traducteurs et interprètes de l’Ontario, 1972, p. 414.Retour à la référence de la note de bas de page 7Note de bas de page 8 Les Faux Amis, Vuibert, Paris, 1975.Retour à la référence de la note de bas de page 8Note de bas de page 9 Ch. Labarre et L. Bossuyt, Cut the Chat, Éditions universitaires de Boeck, Bruxelles, 1988.Retour à la référence de la note de bas de page 9Note de bas de page 10 Constance et Louis Forest, Le Colpron, Beauchemin, Montréal, 1994.Retour à la référence de la note de bas de page 10Note de bas de page 11 Multidictionnaire de la langue française, Québec Amérique, Montréal, 3e éd., 1997.Retour à la référence de la note de bas de page 11Note de bas de page 12 Nathalie Proulx, « Articulé/articulate, un couple mal assorti », Termiglobe, octobre 1989, p. 29-30.Retour à la référence de la note de bas de page 12Note de bas de page 13 Philippe Bernard, Le Monde, 11.12.91.Retour à la référence de la note de bas de page 13Note de bas de page 14 Martine Gilson, Le Nouvel Observateur, 20-26.6.95.Retour à la référence de la note de bas de page 14Note de bas de page 15 Franz-Olivier Giesbert, Le Nouvel Observateur, 5.5.81.Retour à la référence de la note de bas de page 15Note de bas de page 16 Henri Béar, Le Monde, 11.4.91.Retour à la référence de la note de bas de page 16Note de bas de page 17 Jacques Dubé, Lexique analogique, Bureau de la traduction, Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 1997, p. 102.Retour à la référence de la note de bas de page 17Note de bas de page 18 Pierre Foglia, La Presse, 17.4.93.Retour à la référence de la note de bas de page 18
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Mots de tête : « vocal »

Un article sur la traduction de vocal
Frèdelin Leroux fils (L’Actualité terminologique, volume 32, numéro 2, 1999, page 14) Le lecteur qui voit dans sa gazette du matin des groupes fanatiques qualifiés de vocables (Adrien Cantin, Le Droit, 7.3.90)… retient un sourire. Et quand il lit dans votre quotidien préféré que des revendications sont devenues vocales (Michel Duquette, Le Devoir, 7.5.92), il étouffe un soupir. Mais quand, sous la plume d’une journaliste soucieuse de correction, il rencontre des groupes d’intérêt vocaux (Lysiane Gagnon, La Presse, 25.3.99), il se prend à maudire les dictionnaires… Et à se dire qu’il est grand temps qu’ils se guérissent de leur syndrome explicatif et nous proposent enfin un véritable équivalent de vocal. Jusqu’ici, en effet, ils se sont contentés d’explications du genre « qui se fait entendre », « qui fait du bruit ». Rien à redire à cela, sauf que dans un texte où vocal foisonne comme la mauvaise herbe, le traducteur en vient vite à ressentir cruellement l’absence d’un terme maniable, un peu passe-partout. Récemment, deux dictionnaires ont tenté de combler cette lacune. Y sont-ils arrivés? C’est ce que nous verrons tout à l’heure. Pour le moment, j’ai le goût de vous faire languir un peu et de passer en revue avec vous quelques termes qui me semblent assez bien correspondre au sens anglais. Le terme que j’ai rencontré le plus souvent – c’est aussi le plus ancien (1907!) – est bruyant. C’est André Siegfried, dans son célèbre ouvrage sur le Canada, qui me le fournit :Ces petites chapelles sont d’ordinaire agitées et bruyantesNote de bas de page 1. Abel Hermant (le célèbre Lancelot, pourfendeur de fautes) écrit en 1918 une phrase qu’on aurait pu lire dans le journal d’hier :Il faut prendre garde que des décrets […] donnent satisfaction à une de ces minorités bruyantes qui se prennent pour la majoritéNote de bas de page 2. Presque 60 ans plus tard, dans un commentaire aux allures de proverbe, Alfred Sauvy lance le substantif :Satisfaire les bruyants est un moyen de faire cesser le bruit et dispense de la tâche de soulager les silencieuxNote de bas de page 3. Un philosopheNote de bas de page 4 a des sympathies pour les critiques bruyants, et un romancier, collaborateur du MondeNote de bas de page 5, pour les organisations bruyantes. Il y a dix ans, un traducteur anonyme nous indiquait déjà la voie :Le Québec anglais est devenu le partisan […] le plus bruyant de la vision d’un Canada bilingueNote de bas de page 6. Il s’agit d’un article d’un ancien président d’Alliance Québec, paru dans une revue bilingue. Le texte que je présume être l’original donne vocal. Enfin, dans l’équivalent québécois du Canard enchaîné, on trouve cette définition pince-sans-rire :Opposition – Minorité bruyante représentant la majorité silencieuseNote de bas de page 7. Les autres termes que j’ai notés sont moins fréquents. Un professeur de l’Université de SherbrookeNote de bas de page 8 n’hésite pas à qualifier une minorité de loquace. Un journaliste du DevoirNote de bas de page 9 renchérit et parle de groupes vociférants. Dans le même journal, en date du 17 décembre 1998, il est question de minorité tapageuse. Un écrivain français, en dix mots, nous fournit deux équivalents :Il est exact que les minorités sont polémiques et agressivesNote de bas de page 10. Un journaliste français préfère parler de minorité active :Ce sont les excès de la minorité active qui conduisent à la prise de conscienceNote de bas de page 11. Agissant aussi se rencontre assez souvent. De nouveau, c’est Siegfried qui me fournit l’exemple le plus ancien :Une minorité agissante a joué le rôle de ferment dans la pâteNote de bas de page 12. Deux journalistes de chez nous, Gil CourtemancheNote de bas de page 13 et Fulvio CacciaNote de bas de page 14, emploient la même expression. Le Lexis de 1975 l’enregistre : « la communauté protestante de la ville forme une minorité agissante ». Il indique comme synonymes actif et influent. Et le Petit Larousse de 1998 en donne une définition intéressante : « groupe, catégorie de personnes qui poursuivent des fins communes et dont l’action, souvent influente, est source de changements ». Après ce long détour, j’en arrive enfin aux deux dictionnaires qui nous proposent un équivalent de vocal. Le Hachette-Oxford (1994) traduit vocal minority par minorité agissante, mais minorité agissante y est qualifiée d’active minority… Quant au Robert-Collins, si la 3e édition (1993) se contente de l’explication habituelle (qui fait du bruit, qui se fait entendre), par contre à minorité agissante, on trouve… active minority. L’édition de 1998 ajoutera influential minority. Mais cette fois, les rédacteurs de la partie français-anglais se montrent plus audacieux et rendent minorité bruyante par vocal minority. Quatre-vingt-dix ans plus tard, ils rejoignent André Siegfried! Un dernier mot sur minorité agissante. La définition du Petit Larousse soulève une question : si la minorité agissante est « souvent » influente, est-ce aussi le cas de la vocal minority? Autrement dit, celle-ci obtient-elle des résultats ou ne fait-elle que du bruit? Outre le problème d’efficacité se pose celui de la péjoration de l’expression minorité agissante. L’auteur d’un vocabulaire politiqueNote de bas de page 15 y voit un terme péjoratif, « qui vise à mettre en valeur le fait que les mouvements sociaux et politiques […] sont manipulés par un petit nombre d’individus ». À voir cette évolution, je vous conseillerais d’employer minorité agissante au plus vite, avant que l’usage ne vous l’interdise. Ou de vous rabattre sur bruyant. Que j’aime bien, mais qui est à la limite du péjoratif. Ce qui est rarement le cas de vocal, si je ne m’abuse. En vous quittant, il me vient une dernière idée. Il me semble qu’on pourrait aussi parler de minorité revendicative (ou revendicatrice). Ou protestataire encore. Voire contestataire. Après tout, n’est-ce pas la raison d’être de la minorité active, bruyante et agissante?RéférencesNote de bas de page 1 Le Canada, les deux races, Armand Collin, 1907, p. 71.Retour à la référence de la note de bas de page 1Note de bas de page 2 La Vie à Paris, une année de guerre : 1917, Flammarion, 1918, p. 33-34.Retour à la référence de la note de bas de page 2Note de bas de page 3 Le socialisme en liberté, Denoël-Gonthier, 1974, p. 59.Retour à la référence de la note de bas de page 3Note de bas de page 4 Pascal Bruckner, Le sanglot de l’homme blanc, Seuil, Points Actuels, 1986, p. 266. (Paru en 1983.)Retour à la référence de la note de bas de page 4Note de bas de page 5 Robert Solé, Le Monde, cité dans Le Devoir, 9.6.93.Retour à la référence de la note de bas de page 5Note de bas de page 6 Michael Goldbloom, « Quelques réflexions sur la communauté anglophone du Québec », in Langue et Société, été 1989, p. D-38. (Cité par Josée Legault, L’invention d’une minorité : Les Anglo-Québécois, Boréal, 1992, p. 119.)Retour à la référence de la note de bas de page 6Note de bas de page 7 Ph. Gauthier et Fr. Dupuis-Déri, Le Couac, décembre 1998.Retour à la référence de la note de bas de page 7Note de bas de page 8 Richard Joly, Notre démocratie d’ignorants instruits, Leméac, 1981, p. 160.Retour à la référence de la note de bas de page 8Note de bas de page 9 Gilles Lesage, Le Devoir, 31.8.89.Retour à la référence de la note de bas de page 9Note de bas de page 10 Guy Sorman, En attendant les barbares, Livre de poche, 1994, p. 126. (Paru en 1992.)Retour à la référence de la note de bas de page 10Note de bas de page 11 Olivier Postel-Vinay, Le Monde, 22.5.92.Retour à la référence de la note de bas de page 11Note de bas de page 12 André Siegfried, L’Âme des peuples, Hachette, 1950, p. 149.Retour à la référence de la note de bas de page 12Note de bas de page 13 Le Soleil, 24.1.93.Retour à la référence de la note de bas de page 13Note de bas de page 14 Le Devoir, 20.8.93.Retour à la référence de la note de bas de page 14Note de bas de page 15 Jean-Marie Denquin, Vocabulaire politique, Que sais-je?, 1997, p. 96.Retour à la référence de la note de bas de page 15
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Mots de tête : De vigne en branche

Un article sur l’expression à travers les branches
Frèdelin Leroux fils (L’Actualité langagière, volume 8, numéro 2, 2011, page 10) J’entends dire entre les branches…(Maurice de Goumois, François DuvaletNote de bas de page 1) Si vous avez suivi la saga des malheurs qui s’abattent sur la population haïtienne depuis quelque temps, vous avez sûrement entendu parler du télédiol. Non? Vous ne regardez pas la télé? Un romancier haïtienNote de bas de page 2 en donne cet exemple : « L’attaché culturel s’était mis en route, et rapport avait été fait quotidiennement à la préfecture de Quina par télédiol (télégueule) sur tout ce que le représentant de la France disait à chaque étape… » Comme vous le voyez, c’est une variante de télégueule. Que vous connaissiez sans doute. Non? Mais vous ne lisez pas les journaux? Par contre, j’imagine que vous n’avez pas attendu les bouleversements qu’ont connus les pays arabes ces derniers mois pour découvrir le « téléphone arabe ». D’ailleurs, le journaliste du MondeNote de bas de page 3 chez qui j’ai rencontré télédiol pour la première fois l’appelle le « téléphone arabe haïtien ». Enfin, chacun ayant son moyen de communication, ailleurs, on parle de radio-trottoir (Afrique) ou de radio-cocotier (Nouvelle-Calédonie). Vous le saviez, je présume? CurieuseAller à la remarque a comme vous l’êtes, vous vous êtes empressée de vérifier les traductions de « téléphone arabe », j’imagine? Vous avez dû sourire en apprenant qu’en anglais il se transforme en vigne, grapevine. Et en jetant un coup d’œil à la partie anglais-français, vous aurez vu que grapevine peut aussi correspondre à votre petit doigt : « Mon petit doigt me l’a dit. » Il peut également s’agir de vos « services de renseignement ». Ou de « la rumeur publique », encore. J’ai même relevé, je ne sais plus où (comment ai-je pu ne pas le noter?), « c’est ma femme qui me l’a dit ». (On ne dit pas si le mari est apte à jouer ce rôle…) Mais au bout du compte, vous avez sûrement été déçue qu’aucun dictionnaire ne traduise par l’expression que vous auriez employée spontanément, « à travers les branches ». C’est malheureux, puisqu’elle est imagée. Et expressive. Comment expliquer cette absence? L’expression ne serait pas assez répandue? Pourtant, en interrogeant avec divers verbes – apprendre, entendre, savoir –, on en trouve plusieurs milliers d’occurrences sur Internet. Serait-elle strictement québécoise, alors? C’est possible, puisque je n’y ai vu aucune source non québécoise (sauf distraction de ma part). À moins que ce ne soit parce qu’elle a le malheur de ressembler au tour anglais? Certains y voient effectivement un calque. Plusieurs collègues, et de nombreux internautes, notamment. Personnellement, j’ai longtemps cru à l’influence de l’anglais. Mais aujourd’hui, je me dis qu’il faut faire un gros effort d’imagination pour se convaincre qu’on a pu, à partir de grapevine, aboutir à nos branches… Par ailleurs, parlant de traduction, la rareté de la vigne chez nous nous interdisait de traduire littéralement. « J’ai appris à travers la vigne » n’aurait pas été très vraisemblable. À défaut, nous nous serions donc raccrochés aux branches? Aucun des auteurs qui enregistrent l’expression ne parle de calque. Que ce soit Léandre BergeronNote de bas de page 4, Gaston DulongNote de bas de page 5, A. Clas et É. SeutinNote de bas de page 6, A. Dugas et B. SoucyNote de bas de page 7, Marie-Éva de VillersNote de bas de page 8 ou Lionel MeneyNote de bas de page 9. Deux dictionnaires « québécoisAller à la remarque b », le Dictionnaire québécois d’aujourd’hui (Robert, 1993) et le Dictionnaire universel francophone (Hachette, 1997), la donnent aussi. Mais seul ce dernier juge utile de préciser qu’il s’agit d’un québécisme. D’après la première de ces sources, notre tournure aurait à peine trente ans. Mais comme en témoigne la citation de François Duvalet, elle est au moins cinquantenaire. De fait, elle est beaucoup plus vieille encore. Clas et Seutin donnent une source qui date du début du siècle dernier. Une conférence qu’un certain père Vincent-Pierre Jutras aurait prononcée en 1917! Hélas, pas moyen de mettre la main dessus. Mais le Trésor de la langue française au Québec vient à notre secours. Il cite une conférence lui aussi, de Louis-Philippe Geoffrion cette fois, qui date de 1928. Mais elle est tout aussi inaccessible que l’autre. Heureusement qu’une linguiste était à l’affût. Ludmila BovetNote de bas de page 10 a retrouvé le texte de Geoffrion : « La locution apprendre à travers les branches au sens d’apprendre par ouï-dire, locution qui évoque sans doute les commencements de toute colonie dans les forêts de notre pays, n’est-elle pas aussi charmante qu’expressive? » Geoffrion en parle une première fois en 1927 (dans Le Canada français) et l’année suivante devant la Société royale du Canada. Mme BovetAller à la remarque c a sans doute raison de dire qu’il « se plaisait à l’utiliser dans les discours qu’il prononçait devant les sociétés savantes ». Aussi, on s’étonne qu’elle soit absente de ses délicieux Zigzags autour de notre parler. Est-ce qu’il en aurait découvert l’existence trop tard pour l’inclure dans l’un des trois volumes de ses Zigzags, parus entre 1924 et 1927? Que n’a-t-il publié un quatrième recueil? Il aurait eu le temps, puisqu’il n’est mort qu’en 1942. Dommage, mais comme diraient nos compatriotes anglophones, il ne sert à rien de pleurer sur le lait répandu… Perrette en sait quelque chose. Le Trésor donne deux autres exemples, identiques, tirés des caricatures d’Albéric Bourgeois, En roulant ma boule : « d’après ce que j’ai entendu dire à travers les branches ». La première date de 1934 et la seconde, de 1944… Ce qui m’a amené à continuer mes recherches sur Internet, et j’ai fini par trouver une source qui nous permet d’affirmer que notre tournure est à peu près centenaire. Dans l’Almanach Rolland de 1914, on trouve un conte d’un certain A. Bourgeois : « Paraît qu’ils faisaient des grosses gages dans les factries, à ce qu’on entendait dire à travers les branches… » Il ne peut s’agir que du même Albéric. Après tous ces exemples, qui s’étendent sur presque un siècle, on peut se demander s’il vaut la peine d’en ajouter d’autres. Il suffit de jeter un coup d’œil aux journaux pour en trouver. Néanmoins, je ne résiste pas à la tentation de vous en imposer un dernier, d’un ancien directeur du Devoir : « L’échéance de 1960 approche et on apprend à travers les branches, que la bisbille est prise dans la Ligue d’action civiqueNote de bas de page 11. » Et pourquoi pas un tout dernier, pour ajouter une note un peu impolitiquement correcte : « Petites filles, nous avions su – à travers les branches – que le pénis des hommes était proportionnel à leurs piedsNote de bas de page 12. » Je termine en faisant deux vœux. Pour qu’on cesse de trouver à cette expression un petit air louche, il suffirait que les prochaines éditions du petit Larousse ou Robert l’enregistrent. Pour ce qui est du Robert, un premier pas vient peut-être d’être fait. Alain Rey, dans la deuxième édition de son Dictionnaire historique de la langue française (2010), la donne, avec cette explication : « Une locution expressive, au Québec, est entendre à travers les branches, (apprendre) de manière indirecte, par la rumeur. » On dirait presque qu’il a copié Geoffrion. Ce qui ne serait pas étonnant puisqu’il donne comme date d’origine… 1927. Et mon second vœu. Après les 100 mots à sauver (2004) de Bernard Pivot et les 101 mots à conserver du français d’Amérique (2008) d’Hubert Mansion, je propose qu’on lance les 102 expressions québécoises à retenir et je recommande qu’à travers les branches y figure.RemarquesRemarque a Le féminin embrasse le masculin (pour une fois).Retour à la remarque aRemarque b La collaboration de deux Québécois – Jean-Claude Boulanger et Claude Poirier – à ces dictionnaires explique vraisemblablement la présence de la locution.Retour à la remarque bRemarque c Je ne saurais trop vous recommander la lecture de cet article. Si je l’avais découvert avant, j’aurais peut-être renoncé à écrire le mien.Retour à la remarque cRéférencesNote de bas de page 1 Institut littéraire du Québec, 1954.Retour à la référence de la note de bas de page 1Note de bas de page 2 Georges Anglade, Leurs jupons dépassent, Lodyans, 2004.Retour à la référence de la note de bas de page 2Note de bas de page 3 Jean-Michel Caroit, Le Monde, 16.2.05.Retour à la référence de la note de bas de page 3Note de bas de page 4 Dictionnaire de la langue québécoise, VLB Éditeur, 1980.Retour à la référence de la note de bas de page 4Note de bas de page 5 Dictionnaire des canadianismes, Larousse, 1989.Retour à la référence de la note de bas de page 5Note de bas de page 6 J’parle en tarmes, Sodilis, 1989.Retour à la référence de la note de bas de page 6Note de bas de page 7 Dictionnaire pratique des expressions québécoises, Éditions Logiques, 1991.Retour à la référence de la note de bas de page 7Note de bas de page 8 Multidictionnaire des difficultés de la langue française, Québec/Amérique, 1992.Retour à la référence de la note de bas de page 8Note de bas de page 9 Dictionnaire québécois-français, Guérin, 2003.Retour à la référence de la note de bas de page 9Note de bas de page 10 « Autant en emporte le vent », Québec français, nº 91, 1993.Retour à la référence de la note de bas de page 10Note de bas de page 11 Gérard Filion, Fais ce que peux, Boréal, 1989.Retour à la référence de la note de bas de page 11Note de bas de page 12 Marguerite Constantineau, Marie-Tendresse, Fides, 1998.Retour à la référence de la note de bas de page 12
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Mots de tête : Peut-on manger dans la main de quelqu’un avec une cuiller d’argent dans la bouche?

Un article sur les expressions mordre la main qui nourrit, manger dans la main de quelqu’un et être né avec une cuiller d’argent dans la bouche
Frèdelin Leroux fils (L’Actualité langagière, volume 8, numéro 3, 2011, page 6) Comme vous avez une meilleure mémoire que moi, vous vous souvenez sûrement de mon billet sur mordre la main qui nourrit. Il y a déjà une vingtaine d’annéesAller à la remarque a de cela. Je terminais en déplorant que les dictionnaires bilingues continuent d’ignorer l’expression, malgré son ancienneté (Octave Mirbeau, 1883) et la caution du Grand Robert et du LogosNote de bas de page 1. La situation n’a pas beaucoup changé depuis, mais deux bilingues rachètent un peu l’honneur de leurs confrères, le Hachette-Oxford (1994) et le Larousse bilingue (1993). Curieusement, l’expression se trouve dans la partie français-anglais seulement. De son côté, le dictionnaire de l’Académie (9e édition, 1994) semble être le seul à lui donner le sens de « faire preuve d’ingratitude ». Cela fait donc cinq dictionnaires qui la reconnaissent. Ce qui n’empêche pas les auteurs de trois ouvrages récents d’y voir un anglicisme – Lionel MeneyNote de bas de page 2, Michel ParmentierNote de bas de page 3 et Jean ForestNote de bas de page 4. Vous aurez compris qu’il n’est pas bien vu – chez nous, en tout cas – de ressembler de trop près à l’anglais. C’est un peu le sort de deux autres expressions, qui ont d’ailleurs un air de parenté avec celle-ci. Et qui, comme elle, pourraient être des jumelles de l’anglais. Dans le cas de la première, manger dans la main de quelqu’un, on pense tout de suite à to eat out of someone’s hand. On peut présumer que Michel Parmentier et Jean Forest ont eu le même réflexe, puisqu’ils la rangent parmi les tournures calquées sur l’anglais. Elle existe pourtant depuis presque deux siècles. Mais pas dans le sens où nous l’employons aujourd’hui. Pour l’Académie, par exemple, dans la 8e édition de son dictionnaire, manger dans la main de quelqu’un signifie « avoir des manières trop familières ». Dès l’édition suivante, par contre, ce sens est « vieilli », et s’y ajoute celui de servilité : « témoigner une complète soumission [à quelqu’un] ». Le Trésor de la langue française lui donne les deux sens sans préciser que le premier est vieilli. À voir l’âge de ses exemples, il aurait pu leur accoler tous deux l’étiquette de « vieux » : le premier date de 1823 (familiarité) et l’autre de 1846 (servilité). Chez nous, elle est nettement plus récente. Le plus vieil exemple que j’ai trouvé aurait peut-être 70 ans. C’est le fameux mot qu’on attribue au premier ministre du Québec : « M. Duplessis s’écria : Les évêques! Ils mangent dans ma mainNote de bas de page 5. » Si on ignorait que les Français connaissent cette expression, on croirait volontiers qu’elle est d’origine québécoise. À supposer que le mot est historique, il daterait grosso modo des années 1940. Quant aux dictionnaires que vous ouvrez tous les jours, je crois bien que seul le Petit Robert de 2011 parle de « servilité ». Et il n’est plus question de « manières familières ». Du côté des bilingues, il faudra attendre le Harrap’s de 2007 pour trouver la traduction « manger dans la main ». Pourtant, vingt ans plus tôt, on la trouvait déjà dans le Harrap’s Slang (1984). Les éditeurs auront mis tout ce temps pour décider qu’elle était entrée dans le bon usage? Les autres ouvrages traduisent to eat out of someone’s hand par « faire les quatre volontés de quelqu’un », « j’en ferai bien ce que je voudrai », ou autres variantes. La deuxième expression, être né avec une cuiller d’argent dans la bouche, a elle aussi le bonheur de ressembler comme une sœur à son homologue anglaise. La première fois que je l’ai lue, j’ai évidemment sursauté. Surtout que c’était sous la plume d’un grand journaliste : « Vous êtes né, Monsieur, avec une cuiller d’argent dans la boucheNote de bas de page 6. » Comme d’habitude, je me précipitai sur mes dictionnaires. Aucun ne la donnait et les bilingues traduisaient to be born with a silver spoon in one’s mouth par « être né coiffé ». Depuis, les choses ont heureusement changé. À peine plus de 30 ans après son apparition, au moins quatre ouvrages l’admettent : le dictionnaire de l’Académie, le Nouveau Littré (2007), le Petit Robert et le Robert-Collins (dans les deux parties). Contrairement aux deux autres, il ne se trouve personne, chez nous, pour condamner cette expression. Étonnant, vous ne trouvez pas? En quoi serait-elle moins suspecte que mordre la main qui nourrit, par exemple? Qui a dû attendre presque un siècle que le Logos et le Grand Robert la reconnaissent… Ou manger dans la main? Dont l’attente a été encore plus longue : plus de 150 ans avant que les dictionnaires lui donnent le sens de servilité… Les défenseurs de la langue seraient moins réticents à accepter une expression nouvelle qu’à donner un autre sens à une expression existante? C’est l’impression qu’ils nous donnent. Mais de l’autre côté de l’Atlantique, la situation est différente. Dès 1990, Claude DunetonNote de bas de page 7 signale que c’est « une traduction littérale de l’anglais ». Vingt ans plus tard, Alain Rey, dans la nouvelle édition du Dictionnaire historique de la langue française (2010), le confirme. Et enfin, deux ans plus tôt, Charles Bernet et Pierre RézeauNote de bas de page 8 parlaient d’un calque « dont les médias sont particulièrement friands ». Mais le plus intéressant, c’est l’exemple qu’ils donnent. Il date de 1922Note de bas de page 9, soit 50 ans avant celui de Viansson-Ponté! C’est dire que l’expression sera bientôt centenaire. Par ailleurs, je vous signale que la cuiller peut aussi être « d’or », comme l’indique l’Académie, ou « dorée » (Libération). Rey, quant à lui, parle d’une (petite) cuiller d’argent. Si la plupart des ouvrages traduisent par « être né coiffé », le Hachette-Oxford (1994) donne « naître dans la soie ». C’est le seul, semble-t-il, mais on en trouve plusieurs milliers d’exemples sur Internet. Il est bon que vous le sachiez au cas où le calque vous mettrait mal à l’aise… Nous l’avons vu, pour chacune de ces expressions, la ressemblance avec l’anglais est telle qu’on pense naturellement au calque. Ce n’est pourtant pas le cas de manger dans la main, qui est vraisemblablement plus vieille que son pendant anglais (qui daterait du début du 20e siècleAller à la remarque b). Quant à mordre la main qui nourrit, cinq dictionnaires l’admettent sans y voir l’ombre d’un calque, bien que l’anglais lui soit antérieur de quelque 170 ans. Mais pour ce qui est de la dernière (« cuiller d’argent »), la locution anglaise remonte au 18e siècle, soit deux cents ans avant l’exemple de Rachilde ci-dessus, de sorte que je serais tenté de me ranger à l’avis de Duneton, Rey et Bernet-Rézeau. Ce qui n’empêche pas de se demander si elle répond à un besoin. Comme le faisait André Gide à propos d’un anglicisme célèbre, « réaliser » : « Il me paraît […] vain de chercher à déposséder réaliser de la signification du realize anglais : nous en avons besoinNote de bas de page 10. » Et pourtant, ce ne sont pas les équivalents qui manquaient : se rendre compte, comprendre, savoir, prendre conscience, etc. Aurions-nous moins besoin aujourd’hui de notre « cuiller » que Gide de « réaliser » à l’époque? Alors que la tournure né coiffé est vieillie (Petit Larousse), naître dans la soie est à peu près inconnue des dictionnaires. On peut bien sûr se rabattre sur une explication : être né dans une famille aisée, une famille riche, appartenir à une famille opulente, une famille cossue, et ainsi de suite, mais on perd la force et la couleur de l’image. Reste qu’il y a quelque chose qui me chicote. Je trouve l’expression terriblement longue… Et pourtant, la formule anglaise n’est pas plus courte.RemarquesRemarque a Voir L’Actualité terminologique de juillet 1989 (vol. 22, nº 4), consultable dans les Chroniques de langue.Retour à la remarque aRemarque b The American Heritage Dictionary of Idioms en ligne.Retour à la remarque bRéférencesNote de bas de page 1 Jean Girodet, Logos : Grand dictionnaire de la langue française, Bordas, 1976.Retour à la référence de la note de bas de page 1Note de bas de page 2 Dictionnaire québécois-français, Guérin, 2003.Retour à la référence de la note de bas de page 2Note de bas de page 3 Dictionnaire des expressions et tournures calquées sur l’anglais, Presses de l’Université Laval, 2007.Retour à la référence de la note de bas de page 3Note de bas de page 4 Grand glossaire des anglicismes du Québec, Triptyque, 2008.Retour à la référence de la note de bas de page 4Note de bas de page 5 Michel Bernard, Le Québec change de visage, Plon, 1964.Retour à la référence de la note de bas de page 5Note de bas de page 6 Pierre Viansson-Ponté, Lettre ouverte aux hommes politiques, Albin Michel, 1976.Retour à la référence de la note de bas de page 6Note de bas de page 7 Le bouquet des expressions imagées, Seuil, 1990.Retour à la référence de la note de bas de page 7Note de bas de page 8 On va le dire comme ça, Livre de poche, 2010 (Balland, 2008).Retour à la référence de la note de bas de page 8Note de bas de page 9 Rachilde, L’hôtel du grand veneur.Retour à la référence de la note de bas de page 9Note de bas de page 10 Incidences, Gallimard, 1924.Retour à la référence de la note de bas de page 10
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Mots de tête : « incidemment »

Un article sur l’expression incidemment
Frèdelin Leroux fils (L’Actualité langagière, volume 2, numéro 2, 2005, page 13) Incidemment, il en coûte cinq livres sterling au malin qui s’avise de tuer un de ces volatiles.(H. Gagnon, Blanc et noir, 1944Note de bas de page 1) Les faux amis n’ont pas la cote. Pas plus aujourd’hui qu’il y a cent ans. Ils ont un air de faux jeton qui nous les fait fuir comme la peste. Ou les pourchasser sans répit. Mais parvient-on jamais à les exterminer? Malgré les efforts répétés des gardiens de la langue, « réaliser », attesté dès 1895, figure dans les dictionnaires depuis pas mal de temps. Plus récemment, « élaboré » s’est vu reconnaître le sens de « raffiné, recherché » (Dictionnaire de l’Académie). Et combien d’autres sont parvenus à s’acclimater, à devenir de vrais amis en quelque sorte? On pense par exemple à « approche », « attraction »,  « confort », « environnement », « ignorer »… Il y a un faux ami qui connaît chez nous une grande popularité, incidemment, employé dans le sens de « soit dit en passant », « au fait », etc. Cela s’explique sans doute par la présence de « incidentally », mais aussi, je soupçonne, par notre goût pour les adverbes un peu longs, qui font sérieux. Ceux en « –ment » surtout. N’avons-nous pas inventé « presquement », « présumément », et peut-être même « supposément »? Et que dire de l’omniprésence de « possiblement »? Il s’en faut à peine d’un petit lustre pour que cet usage parallèle d’incidemment ne soit centenaire. Jules FournierNote de bas de page 2 l’emploie dans ses Souvenirs de prison, parus en 1910 :Incidemment, Le Nationaliste avait été amené à dire son avis sur… L’employons-nous régulièrement depuis? On peut le présumer, même s’il y a des trous béants entre mes exemples : 1910, 1944, 1992… Autrement, les défenseurs de la langue ne lui feraient pas la vie dure depuis quarante ans. En effet, dès 1967, on assiste à une offensive presque en règle contre cet usage. C’est d’abord l’ouvrage pionnier de Gérard DagenaisNote de bas de page 3, qui sera suivi en 1969 d’un obscur Guide du journaliste de la Presse canadienne et d’un ouvrage plus sérieux sur le français des affairesNote de bas de page 4. En 1970, c’est la parution du fameux répertoire d’anglicismesNote de bas de page 5, qui deviendra le Colpron à la troisième édition; la condamnation y est maintenue jusqu’aujourd’hui. L’année suivante, c’est au tour de Robert DubucNote de bas de page 6 de tenter de régler son sort à cet intrus. Marie-Éva de VillersNote de bas de page 7 prend la relève en 1988; elle aussi maintient sa sentence jusqu’à la dernière édition (2003). Même le mouton noirNote de bas de page 8 des dictionnaires québécois prend la peine de préciser que cet usage est condamné. Quelques années plus tard, deux auteurs rappellent que c’est un calque de l’anglaisNote de bas de page 9. Enfin, pour clore cette litanie, mentionnons un ouvrage peu connu d’un professeur de françaisNote de bas de page 10 et le lexique du chroniqueur linguistique de La PresseNote de bas de page 11, tous deux parus en 2000, et suivis l’année suivante des « pièges » d’un conseiller linguistique de Radio-CanadaNote de bas de page 12. Avec cette bonne douzaine de condamnations, est-il utile de donner plein d’exemples pour montrer que nous l’employons? La preuve en est déjà faite. Mais je tiens néanmoins à mentionner le cas d’un journaliste d’origine française, qui semble s’être pris d’une véritable affection pour incidemment. Je l’ai rencontré une vingtaine de fois sous sa plume, la première remontant à 1992 : « Une question dont, incidemment, les libéraux de Jean Chrétien ont fait leur cheval de bataille » (Le Droit, 19.02.92). Et un ancien compatriote à lui, journaliste comme lui, l’emploie aussi – Pierre Foglia (La Presse, 10.03.05). J’ajouterais deux exemples d’un écrivain de chez nous, d’origine irlandaise cette fois : « Incidemment, le 10 août de l’année suivante… »Note de bas de page 13; « les querelles du jour, qui sont incidemment les mêmes que celles d’hier »Note de bas de page 14. Mais vous devez commencer à vous demander si ce faux jeton n’aurait pas également réussi à tromper la vigilance des usagers hexagonaux. Eh bien, oui. Et pas n’importe lesquels. Je dirais même que mes exemples français – sauf le respect que je dois aux usagers canadiens – sont plus prestigieux que les autres. Le plus ancien est de cet attachant auteur, et fin styliste, qu’est Henri Calet :Incidemment, Pauline m’a raconté les aventures de ce petit garçon d’ascenseurNote de bas de page 15. Après lui, un journaliste dans son très beau récit sur la captivité de Napoléon à Sainte-Hélène : « Incidemment, le guide a précisé que c’étaient des copies »Note de bas de page 16. Un romancier-historien d’origine arabe : « Il aurait précisé qu’il venait, incidemment, d’une famille de tradition musulmane »Note de bas de page 17. Et j’ai gardé les morceaux de choix pour la fin. L’auteur du Parler croquant, Claude Duneton, semble ignorer qu’il s’agit d’un faux ami, puisqu’il l’emploie trois fois. D’abord, dans son ouvrage annonçant rien de moins que la mort du français : « Incidemment, ce lien de la communale explique partiellement certaines toquades de Céline »Note de bas de page 18. Ensuite, dans sa chronique du Figaro littéraire : « Incidemment, alors que la brouette à une seule roue fonctionne depuis… (07.03.02); « Ce carpite, incidemment, venait lui-même de l’italien carpita » (09.12.04). Cela commence à ressembler à un aréopage : Calet, Kauffmann, Malouf, Duneton. Il n’y manque qu’un académicien. Eh bien, je vous l’offre. Et pas n’importe lequel! Le secrétaire perpétuel de l’Académie en personne :Ce qui témoigne, incidemment, que la Compagnie dans son avis collectif peut toujours l’emporter sur celui du plus prestigieux de ses membresNote de bas de page 19. Si le secrétaire perpétuel lui-même tombe dans le panneau, n’est-ce pas la preuve que ce sens est entré dans l’usage, et le bon? Car il faudrait être de mauvaise foi pour soupçonner Maurice Druon de laxisme. Dans ses billets, par exemple, il s’en prend encore à des termes comme « s’avérer », « expertise », « finaliser », etc. Son livre mérite néanmoins d’être lu. Il y a des rappels très utiles et intéressants. En outre, et je dois dire que ça m’a fait particulièrement chaud au cœur, il emploie une expression que j’ai défendue ici même il y a une vingtaine d’années (voir L’Actualité terminologique, octobre 1982; ou Mots de tête, Éditions David, p. 30) : « les organismes destinés, en principe et selon des vœux pieux, à protéger notre langue ». Il est par ailleurs étonnant qu’à peu près personne n’ait songé à mettre nos cousins français en garde contre cet usage. Même le classique des dictionnaires de faux amis, le Kœssler/Derocquigny, n’en parle pas. Ce n’est qu’en 1988 que les Français apprendront, presque incidemment, qu’il faut s’en méfier, grâce à un nouveau Dictionnaire des faux amisNote de bas de page 20. Pourtant, l’exemple de Calet datait déjà de plus de trente ans. J’ai même cru un moment que les Français avaient commencé avant nous à employer incidemment dans ce sens. Mais je n’en suis plus sûr. À vous de juger : « Jaurès venant de rappeler l’affaire Dreyfus, "incidemment, il annonce que dans la discussion du rapport sur l’élection de M. Syveton, il se propose de révéler à la tribune des faits nouveaux". » Le commentaire est de Robert Burac, présentateur des œuvres en prose complètes de Péguy (tome I, La Pléiade, p. 1769), et la citation entre guillemets anglais, qui est du journal La Petite République, date du 4 février 1903. Comme la citation est tronquée, il n’est pas facile de trancher, mais il semble bien qu’incidemment se rattache au verbe : il annonce incidemment, c’est-à-dire « en passant ». Il me reste quand même un doute, et si une âme charitable parvenait à retrouver la citation au complet, je lui offrirais volontiers un Mots de tête reconnaissant. P.-S. : Dans son Histoire de la langue française, Ferdinand Brunot signale une variante qui aurait existé au 18e siècle, « incidentellement ». (Soit dit entre parenthèses (incidemment?), elle ne semble pas avoir fait de vieux os.)RéférencesNote de bas de page 1 Hélène J. Gagnon, Blanc et noir, Montréal, Éditions de l’arbre, 1944, p. 112.Retour à la référence de la note de bas de page 1Note de bas de page 2 Jules Fournier, Souvenirs de prison, Montréal, Comeau & Nadeau, 2000, p. 53.Retour à la référence de la note de bas de page 2Note de bas de page 3 Gérard Dagenais, Dictionnaire des difficultés de la langue française au Canada, Montréal, Éditions Pedagogia, 1967.Retour à la référence de la note de bas de page 3Note de bas de page 4 André Clas et Paul Horguelin, Le français, langue des affaires, Montréal, McGraw-Hill, 1969, p. 212.Retour à la référence de la note de bas de page 4Note de bas de page 5 Gilles Colpron, Les anglicismes au Québec, Montréal, Beauchemin, 1970.Retour à la référence de la note de bas de page 5Note de bas de page 6 Objectif : 200, Montréal, Leméac, 1971.Retour à la référence de la note de bas de page 6Note de bas de page 7 Multidictionnaire des difficultés de la langue française, Montréal, Québec/Amérique, 1988.Retour à la référence de la note de bas de page 7Note de bas de page 8 Jean-Claude Boulanger, Dictionnaire québécois d’aujourd’hui, Dicorobert, 1992.Retour à la référence de la note de bas de page 8Note de bas de page 9 Guy Bertrand, 400 capsules linguistiques, Montréal, Lanctôt Éditeur, 1999; Lionel Meney, Dictionnaire québécois-français, Guérin, 1999.Retour à la référence de la note de bas de page 9Note de bas de page 10 Yvon Delisle, Mieux dire, mieux écrire, Sainte-Foy (Québec), Éditions Septembre, 2000.Retour à la référence de la note de bas de page 10Note de bas de page 11 Paul Roux, Lexique des difficultés du français dans les médias, Les Éditions La Presse, 3e édition, 2004, p. 153.Retour à la référence de la note de bas de page 11Note de bas de page 12 Camil Chouinard, 1300 pièges du français parlé et écrit au Québec et au Canada, Montréal, Libre Expression, 2001.Retour à la référence de la note de bas de page 12Note de bas de page 13 Jean O’Neil, Le fleuve, Libre Expression, 1995, p. 168.Retour à la référence de la note de bas de page 13Note de bas de page 14 Montérégiennes, Libre Expression, 1999, p. 186.Retour à la référence de la note de bas de page 14Note de bas de page 15 Le croquant indiscret, Grasset, coll. Cahiers rouges, 1955, p. 74.Retour à la référence de la note de bas de page 15Note de bas de page 16 Jean-Paul Kauffmann, La chambre noire de Longwood, Folio, p. 154; Table ronde, 1997.Retour à la référence de la note de bas de page 16Note de bas de page 17 Amin Malouf, Les identités meurtrières, Livre de poche, p. 18; Grasset, 1998.Retour à la référence de la note de bas de page 17Note de bas de page 18 La mort du français, Plon, 1999, p. 84.Retour à la référence de la note de bas de page 18Note de bas de page 19 Maurice Druon, Le « Bon Français » de Maurice Druon, Éditions du Rocher, 1999, p. 143. Billet paru dans le Figaro (18.10.97).Retour à la référence de la note de bas de page 19Note de bas de page 20 Jacques Van Roey, Sylviane Granger et Helen Swallow, Dictionnaire des faux amis, Duculot, 1988.Retour à la référence de la note de bas de page 20
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