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Mots de tête : « ça augure bien mal »

Un article sur le verbe augurer
Frèdelin Leroux fils (L’Actualité terminologique, volume 34, numéro 4, 2001, page 10) Un cri de révolte qui augure mal de la survie acadienne.(Jean-Éthier Blais, Le Devoir, 8.6.74.) Depuis plus de cent ans, les défenseurs de la langue s’évertuent à nous faire comprendre qu’on ne saurait prêter à augurer le sens de présager… Ou bien nous sommes particulièrement « durs de comprenure », ou bien ce sont eux qui s’obstinent à ne pas reconnaître que la tournure est entrée dans l’usage. Ça augure bien mal, comme disent les gens. C’est sans doute Raoul RinfretNote de bas de page 1 qui a été le premier à attacher le grelot, en reprenant une formule de Bescherelle : « Nous augurons, mais […] les choses présagent ». Vingt ans plus tard, avec la deuxième édition de son dictionnaireNote de bas de page 2, l’abbé Étienne Blanchard reviendra à la charge. Mais il s’écoulera cinquante ans avant qu’on ne s’avise d’y voir l’influence de l’anglais. Le mérite (si je puis dire) en revient à Gérard DagenaisNote de bas de page 3 (1967) : « Prêter à augurer cette acceptation de présager, c’est commettre un anglicisme : le verbe anglais to augur exprime également l’action des personnes qui augurent et celles des choses qui présagent. » Il sera suivi de près par Victor BarbeauNote de bas de page 4 (1970) et Gilles ColpronNote de bas de page 5. Curieusement, deux ans plus tôt, Barbeau y voyait un contresens : « Écrire qu’un événement augure bien ou mal est un contresens analogue à celui qu’on commet en disant d’un aliment qu’il goûteAller à la remarque a bon ou mauvais ». Et il terminait, un peu philosophe : « C’est le propre de l’homme de goûter comme c’est aussi le sien d’augurer »Note de bas de page 6 (on aura compris qu’ici l’homme embrasse sa semblable). À toutes fins utiles, je vous signale que ces auteurs recommandent de dire qu’une chose présage ou laisse présager, qu’elle permet d’augurer ou laisse augurer, qu’une affaire s’annonce mal, ou n’annonce rien de bon. Ou encore, sur le mode personnel, de dire on augure mieux des affaires, on n’augure rien de bon de cette affaire, etc. Si Bescherelle prend la peine de préciser que la faculté d’augurer est réservée à l’homme (et à sa fiancée, comme dirait Pierre Foglia), c’est sans doute qu’il se trouvait de ses compatriotes pour l’attribuer à des choses. Et pourtant, les ouvrages normatifs français du genre « dites/ne dites pas » ne semblent pas y voir de problème. Ils se contentent pour la plupart de rappeler au rédacteur distrait de ne pas écrire de bonne augure, le mot étant masculin. Chez nous, les « fauteurs » sont légion. Mais je ne vais pas vous inonder d’exemples québécois, car vous seriez prompts à me reprocher de faire une pétition de principe. Je me contenterai de signaler que le Dictionnaire québécois d’aujourd’huiNote de bas de page 7 enregistre la tournure « cela augure bien/mal », sans préciser qu’il s’agit d’un usage fautif ou critiqué. Cela dit, passons aux exemples que j’ai relevés chez des auteurs français, qui auraient oublié la recommandation de Bescherelle. Certes, ce sont des exemples plutôt récents, mais pour paraphraser un certain volatileAller à la remarque b qui a fait suer sang et eau à plus d’un élève, je dirais qu’aux exemples bien nés la valeur n’attend pas le nombre des années. Le plus ancien – à peine vingt ans – est d’un romancier, de tendance « régionaliste » :Tout cela n’augurait rien de bonNote de bas de page 8. Un professeur de Sciences politiques de l’Université de Bretagne occidentale, dans son Que sais-je? sur le Sénat, emploie la tournure deux fois :L’Assemblée nationale est perçue comme une chambre où passions et divisions ne peuvent rien augurer de durablement positif.Ce précédent augurait mal des rapports entre la seconde chambre et le pouvoir exécutifNote de bas de page 9. L’exemple suivant est d’un journaliste du Monde :La défaite augure mal du reste de la bataille budgétaireNote de bas de page 10. Un autre journaliste, du Nouvel Observateur cette fois :Les méthodes [de l’UCK] pendant la guerre augurent mal d’un pouvoir civil tolérantNote de bas de page 11. Mes sixième et septième exemples sont d’un romancier africain, qui a longtemps enseigné en France :Ça n’augure rien de bon, tout ça.C’est en ces termes qui n’auguraient rien de bon, ni rien de mauvais d’ailleurs, que la chose lui fut signifiéeNote de bas de page 12. Enfin, le dernier exemple est aussi d’un romancier, tiré du récit de ses nombreux voyages en ex-Yougoslavie :Leur présence en ces lieux n’augure rien de bonNote de bas de page 13. À défaut d’ancienneté, ces exemples sont assez éloquents : trois romanciers, deux journalistes, un universitaire. Mais qu’en est-il des dictionnaires? Cet usage leur est-il inconnu? Pas tout à fait, mais il faudra attendre 1993 pour en trouver des exemples, dans les dictionnaires bilingues d’abord – la troisième édition du Robert Collins (« cela augure bien/mal de la suite ») et la première du Grand Dictionnaire Larousse de l’anglais (« sa réponse augure mal/bien de notre prochaine réunion »). Dès sa parution, en 1994, le Hachette Oxford reprendra presque mot à mot la formule du premier : « cela augure bien/mal de l’avenir ». Quant au Harrap’s, il mettra un peu plus de temps à se rallier, puisque ce n’est qu’en 1996 qu’il enregistre la tournure : « une querelle le premier jour, voilà qui augure mal de leur mariage ». Mais chose curieuse, dans tous ces ouvrages, seule la partie français-anglais la donne, jamais l’autre; to augur well/bad(ou to bode well/ill) est invariablement traduit par « être de bon/mauvais augure ». C’est comme si, par un réflexe d’hypercorrection, les traducteurs de l’anglais craignaient le calque, alors que l’équipe français-anglais ne voit pas le problème. Ce n’est pas la première fois qu’on constate cette différence entre les deux parties d’un dictionnaire bilingue. Du côté des unilingues, seul le Petit Robert l’enregistre, et dès 1993 également : « ça n’augure rien de bon : c’est mauvais signe ». Mais avec la mention « fam. », quand même. Quant aux éditions 2002 du Petit Larousse et du Hachette, on n’y trouve que l’usage consacré. Quand on sait l’empressement du Larousse à accueillir les nouveautés, on s’explique mal ce silence. Pour ce qui est du Hachette, même étonnement – après tout, le tour figure dans le Hachette Oxford depuis 1994. Deux autres ouvrages témoignent de l’évolution d’augurer. Dans les première (1970) et deuxième (1982) éditions du recueil de Gilles Colpron, augurer est clairement étiqueté comme anglicisme. Mais dès la première mise à jour par Constance Forest et Jean Forest en 1994, il n’y en a plus la moindre trace. C’est une preuve par défaut, me direz-vous. D’accord. Alors jetons plutôt un coup d’œil sur les éditions successives de l’ouvrage de Joseph Hanse. Le Dictionnaire des difficultés grammaticales et lexicologiques, paru en 1949, ne traite que du genre d’augure. Dans la nouvelle édition de 1983, le verbe fait son apparition, avec cet exemple : « Augurer. Son attitude augure d’une collaboration fructueuse. Tour vieilli. » (C’est un beau cas de vieillissement accéléré. En 1949, il n’en était pas question, mais voilà qu’en 1983, le tour a vieilli!) Avec l’édition de 1994, l’exemple a disparu, et l’auteur affirme : « Augurer a aujourd’hui pour sujet un nom de personne ». Et pourtant, il termine son article en ajoutant : « Avec pour sujet un nom de chose, on dit plutôt laisser augurer ». Plutôt – c’est dire qu’on pourrait, à la rigueur, laisser tomber laisser… Enfin, un dernier ouvrage confirme cette évolution. La maison Larousse vient de faire paraître un nouveau dictionnaire des difficultésNote de bas de page 14, où figure augurer : « avec un sujet désignant une chose, augurer ou, plus courant, laisser augurer = laisser prévoir ». Et on donne deux exemples : Son attitude augure (ou laisse augurer) de bonnes relations futures; tout cela n’augure rien de bon. Je ne vois rien à ajouter. Sauf pour dire un mot de l’emploi d’augurer avec pour. Chez nous, c’est un tour fréquent : « le climat économique augure bien pour la situation financière » (Michel Vastel, Le Droit, 15.11.90). À l’exception d’un exemple tiré d’une traductionNote de bas de page 15 (« la culture de l’ethnicité et la campagne afrocentriste n’augurent rien de bon pour l’éducation américaine »), les Français ne semblent connaître que l’emploi avec de. Les exemples des quatre dictionnaires bilingues, notamment, l’indiquent assez : là où nous aurions mis pour, on trouve de. D’après Lionel MeneyNote de bas de page 16, cela s’explique par le fait que nous confondons deux constructions : « être de bon/mauvais augure pour » et « augurer bien/mal de ». Donnons-lui raison et à l’avenir évitons de faire comme Michel Vastel; suivons plutôt l’exemple de Jean-Éthier Blais et écrivons « augure mal de ». Mais, car il y a un mais… Il faut bien reconnaître que dans l’exemple « n’augurent rien de bon pour l’éducation », on ne saurait tout simplement remplacer pour par de. Il faudrait étoffer : « de l’avenir de l’éducation », par exemple. Aussi, je ne serais pas étonné que les Français en viennent un jour à faire la même faute que nous. Une fois n’est pas coutume.RemarquesRemarque a Depuis, les dictionnaires ont accueilli ce « régionalisme », mais il n’est pas limité au Québec ou à la Belgique, comme ils l’indiquent, puisqu’il se dit aussi en Savoie (Loïc Depecker, Les mots des régions de France).Retour à la remarque aRemarque b On aura reconnu Corneille, j’imagine.Retour à la remarque bRéférencesNote de bas de page 1 R. Rinfret, Dictionnaire de nos fautes contre la langue française, Cadieux & Delorme, Montréal, 1896.Retour à la référence de la note de bas de page 1Note de bas de page 2 É. Blanchard, Dictionnaire du bon langage, Montréal, 1916.Retour à la référence de la note de bas de page 2Note de bas de page 3 G. Dagenais, Dictionnaire des difficultés de la langue française au Canada, Éditions Pedagogia inc., Montréal, 1967.Retour à la référence de la note de bas de page 3Note de bas de page 4 V. Barbeau, Le français du Canada, Garneau, Québec, 1970.Retour à la référence de la note de bas de page 4Note de bas de page 5 G. Colpron, Les anglicismes au Québec, Beauchemin, Montréal, 1970.Retour à la référence de la note de bas de page 5Note de bas de page 6 V. Barbeau, Grammaire et linguistique, Cahiers de l’Académie canadienne-française, Montréal, 1968.Retour à la référence de la note de bas de page 6Note de bas de page 7 Jean-Claude Boulanger, Dictionnaire québécois d’aujourd’hui, DicoRobert, Montréal, 1993.Retour à la référence de la note de bas de page 7Note de bas de page 8 Claude Michelet, Les palombes ne passeront plus, Presses Pocket, 1982, p. 121. (Paru en 1980.)Retour à la référence de la note de bas de page 8Note de bas de page 9 Jacques Baguenard, Le Sénat, coll. Que sais-je?, P.U.F., 1990, p. 20 et 51.Retour à la référence de la note de bas de page 9Note de bas de page 10 Alain Franchon, Le Monde, cité dans Le Devoir, 2.5.93.Retour à la référence de la note de bas de page 10Note de bas de page 11 Laurent Joffrin, Yougoslavie : suicide d’une nation, Éditions des Mille et une Nuits, 1999, p. 89.Retour à la référence de la note de bas de page 11Note de bas de page 12 Mongo Beti, Trop de soleil tue l’amour, Julliard, 1999, p. 90 et 118.Retour à la référence de la note de bas de page 12Note de bas de page 13 Jean Rolin, Campagnes, Gallimard, 2000, p. 75.Retour à la référence de la note de bas de page 13Note de bas de page 14 Daniel Péchoin et Bernard Dauphin, Dictionnaire des difficultés du français, Larousse, 2001.Retour à la référence de la note de bas de page 14Note de bas de page 15 Arthur M. Schlesinger Jr., La désunion américaine, Liana Levi, Paris, 1993, p. 70. (Traduit par Françoise Burgess.)Retour à la référence de la note de bas de page 15Note de bas de page 16 L. Meney, Dictionnaire québécois français, Montréal, Guérin, 1999.Retour à la référence de la note de bas de page 16
Source : Chroniques de langue (la langue française vue par des langagiers)
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Mots de tête : Un adverbe qui se fait rare

Un article sur l’adverbe possiblement
Frèdelin Leroux fils (L’Actualité terminologique, volume 35, numéro 4, 2002, page 17) [Il] le sait possiblement mieux que personne(Nathalie Petrowski, L’Actualité, oct. 1982). Les vieux auteurs semblent avoir eu un faible pour les adverbes en « –ment ». Montaigne, par exemple, prend presque plaisir à en créer : ignoramment, inadvertamment, sortablementAller à la remarque a. On peut se demander si les Québécois n’ont pas hérité de ce trait. Avec nos presquement, présumément et autres supposément, nous n’avons rien à envier à Montaigne. Mais l’adverbe dont je veux vous parler aujourd’hui n’est pas une création québécoise. Il est d’ailleurs plusieurs fois centenaire. Les dictionnaires le font remonter au 14e siècle – en 1337, plus précisément. Et pourtant, il se trouve des gens, et de plus en plus nombreux, pour recommander d’éviter possiblement. Des gens dont on ne saurait prendre l’avis à la légère. D’abord, deux professeurs de traduction. Les auteurs du Français, langue des affairesNote de bas de page 1 reconnaissent que le mot est français, mais en raison de sa grande fréquence chez nous et de l’existence d’un mot-sosie en anglais, ils croient « préférable de le remplacer par c’est possible ou peut-être ». Ensuite, une linguiste de l’Université Laval se demande s’il ne faudrait pas voir dans cet « adverbe inconnu du français moderneNote de bas de page 2 », qui est très répandu au Québec, « une influence sémantique de l’anglais possibly ». Elle devra attendre presque vingt ans pour trouver réponse à sa question. En 1994, à la faveur de l’arrivée de deux nouveaux réviseurs, possiblement fait son entrée dans la bible de nos anglicismesNote de bas de page 3. (Les curieux y trouveront sept équivalents pour l’éviter.) Et Marie-Éva de Villers, qui s’était contentée dans les deux premières éditions de son ouvrage de l’enregistrer, ajoute une précision dans celle de 1997 : « peu usité ou littéraire dans le reste de la francophonieNote de bas de page 4 ». En prime, le terme a droit à une petite fleur de lys. Quelques années plus tard, nous sommes encore mieux servis : quatre ouvrages ont possiblement dans leur collimateur. Dans son dictionnaire des canadianismes, Gaston DulongNote de bas de page 5 indique qu’il est « rare en France » (cette mention ne figure pas dans la première édition, parue chez Larousse en 1989). Guy BertrandNote de bas de page 6 affirme qu’il avait complètement disparu (sic) de la langue et qu’il a resurgi au XXe siècle sous l’influence de l’anglais possibly. Si tant de dictionnaires l’ignorent complètement, ajoute-t-il, c’est qu’il est « tout à fait inutile ». Pour Lionel MeneyNote de bas de page 7, le terme est rare en « français standard », et il évoque un emploi parallèle à possibly. Enfin, après avoir rappelé que possiblement est d’un usage rare en France, Camil ChouinardNote de bas de page 8 estime qu’il se remplace « avantageusement » par peut-être. On sent souffler comme un vent de frilosité (si je puis m’exprimer ainsi), et pas seulement sur le Québec. Sur l’Europe aussi. Dans les premières éditions du Hanse, il n’était pas question de possiblement, or dans la dernière, mise à jour avec la collaboration de Daniel BlampainNote de bas de page 9, on nous recommande de l’éviter et d’employer peut-être… sans explication. Ce qui soulève une question. Pourquoi faire une telle recommandation si le terme est aussi rare qu’on le dit? Avant le Grand Robert (1964), les dictionnaires n’avaient pas grand-chose à dire de possiblement. Le Littré, le Bescherelle, le Quillet l’enregistrent, sans plus. Mais dans les diverses éditions du Robert (dont celle de 2001), on retrouve la même mention, « rare ». Pour le Grand Larousse de la langue française (1971), il est vieux ou littéraire (avec un exemple de Marguerite Yourcenar). Le Lexis (1975) se range du côté du Robert. Le Grand Dictionnaire encyclopédique Larousse (1984) est le premier à l’étiqueter « Can. », tout en ajoutant qu’il relève de la langue littéraire. Le terme demeure « rare » pour le Trésor de la langue française (1988), mais il en donne quand même quatre exemples, dont trois d’auteurs bien connus à l’époque, Charles Du Bos (1923), Maurice Genevoix (1925), Maurice Maeterlinck (1928). En 1992, le Robert historique constate qu’il a « vieilli en français de France ». Dans le Petit Robert de 1993, c’est un régionalisme (« Québec, peu usité en France »). Le Petit Larousse de 1996 le range dans la sphère « litt. », mais l’édition de 2000 revient à la catégorie « rare ». Avec la parution du Dictionnaire universel francophoneNote de bas de page 10 en 1997, on apprend que le terme n’est pas propre au Québec, qu’il s’emploie aussi à Madagascar, à l’île Maurice et au Proche-Orient. Les silences et incohérences des dictionnaires bilingues sont encore plus étonnants. Ce n’est qu’en 1972 que le Harrap’s l’enregistre (partie français-anglais). Le Robert-Collins attendra sa 5e édition. Quant au Grand Dictionnaire Larousse bilingue et au Hachette-Oxford, même dans les dernières éditions (1999 et 2001), ils l’ignorent toujours. Et pourtant, le terme a déjà eu ses entrées dans au moins deux dictionnaires bilingues – le vieux Clifton et GrimauxNote de bas de page 11 (1883) et le PetitNote de bas de page 12 (1946) le traduisent tous deux par possibly… Mais le plus curieux, c’est que même lorsque possiblement figure dans la partie français-anglais, jamais – je dis bien jamais – on ne traduit possibly par possiblement. C’est plutôt agaçant, vous ne trouvez pas? Qu’il soit rare, littéraire, ou simplement inexistant, possiblement n’est pas au bout de ses peines – le sens que nous lui donnons ne serait pas le même que nos cousins. Geneviève Offroy, par exemple, écrit que le terme est employé chez nous « avec des sens atténués de quasi-certitude ». C’est là qu’elle voit l’influence possible de l’anglais. Ça me paraît un peu tiré par les cheveux. Dans les cinq exemples qu’elle donne (provenant de journaux québécois), on pourrait sans problème le remplacer par peut-être. Or, au moins trois dictionnaires (dont le Grand Larousse de la langue française) lui donnent ce sens. Et pour ce qui est de l’influence de l’anglais, doit-on rappeler que perhaps est un des sens de possibly? Il est par ailleurs intéressant de noter que les définitions qu’en donnent les autres dictionnaires – d’une façon/manière possible, éventuellement, vraisemblablement, il est fort possible – correspondent presque parfaitement aux équivalents proposés par le Colpron pour remplacer possiblement… Bref, nous lui donnons le même sens que les autres francophones. Aussi, je crois que si on s’en méfie, c’est qu’il ressemble trop à l’anglais et que nous l’employons trop souvent. Ce sont là ses deux défauts. Certes, on ne saurait nier qu’il est chez nous d’une fréquence incomparable par rapport aux autres pays francophones. Je n’en veux pour début de preuve que les résultats d’une recherche sur Internet. Sur 460 sites visités, neuf occurrences seulement ne sont pas québécoises ou canadiennes. Et sur ces neuf, il n’y en a que quatre de France, les autres sont de divers coins de la francophonie (Le Mauricien, Haïti Progrès, Institut polytechnique privé de Casablanca, Genève). Mais qu’il soit plus rare en France que chez nous n’empêche pas certains auteurs français de bien l’aimer. Ce délicieux écrivain qu’est Henri Calet l’emploie cinq fois dans trois de ses ouvrages (les exemples datent de 1945, 1948 et 1953). En voici un exemple, qui correspond parfaitement à l’usage que nous en faisons :Ce fut une agréable saison pour nous deux; la meilleure de toutes, possiblementNote de bas de page 13. Pourrait-on le remplacer « avantageusement » par peut-être? Si l’on récapitule, cela fait un nombre non négligeable de bons auteurs qui l’emploient : Maeterlinck, Du Bos, Genevoix, Calet, Yourcenar. Auriez-vous honte de vous retrouver en leur compagnie? Outre le fait que possiblement n’est pas un anglicisme et que le sens que nous lui donnons ne saurait constituer un crime de lèse-majesté linguistique, je vois une autre raison pour ne pas nous en priver. Vous la trouverez peut-être un peu tirée par les cheveux (Mme Offroy m’a donné le mauvais exemple), mais possiblement me semble particulièrement utile dans le contexte nord-américain. Il vous est sans doute arrivé d’éviter d’employer éventuellement par crainte que le lecteur n’y voit le sens anglais de « certitude » (« eventually, we must die »), plutôt que celui de possibilité ou d’éventualité (« éventuellement, je le ferai » – c.-à-d. si j’en ai la possibilité)Note de bas de page 14. Possiblement permet justement d’éviter ce piège. Et du même coup, de réaliser une économie, en vous évitant d’avoir à mettre entre parenthèses, après éventuellement, « au sens français du terme ». Ce n’est pas rien. Dire qu’il aurait suffi qu’on consulte un petit ouvrage, relativement vieux et poussiéreux il faut dire, pour m’épargner les (nombreuses) heures que j’ai consacrées à écrire ce billet. Je veux parler du Dictionnaire canadienNote de bas de page 15, paru en 1962, et dont nous attendons toujours impatiemment, pour ne pas dire anxieusement, cette nouvelle édition qu’on nous promet depuis une trentaine d’années. Les auteurs, qu’on ne saurait soupçonner de laxisme – Pierre Daviault, Jean-Paul Vinay, avec la collaboration de Jean Darbelnet –, traduisent possiblement par possibly, comme d’autres l’ont fait avant et depuis, mais, ô nouveauté!, possibly y est rendu par possiblement. S’agirait-il d’un moment d’égarement? Possiblement. Ou « peut-être », si vous préférez. P.-S. : Vous voulez une autre raison pour ne plus vous méfier de possiblement? Les réviseurs de la toute dernière édition du ColpronNote de bas de page 16 (1999) l’ont laissé tomber… C’est bon signe.RemarquesRemarque a C’est-à-dire « à propos », « approprié ».Retour à la remarque aRéférencesNote de bas de page 1 André Clas et Paul Horguelin, Le français, langue des affaires, Montréal, McGraw-Hill, 1969, p. 201.Retour à la référence de la note de bas de page 1Note de bas de page 2 Geneviève Offroy, « Contribution à l’état de la syntaxe québécoise », Travaux de linguistique québécoise, vol. 1, Presses de l’Université Laval, 1975.Retour à la référence de la note de bas de page 2Note de bas de page 3 Constance Forest et Louis Forest, Le Colpron, Montréal, Beauchemin, 1994.Retour à la référence de la note de bas de page 3Note de bas de page 4 Marie-Éva de Villers, Multidictionnaire de la langue française, Montréal, Québec/Amérique, 1997.Retour à la référence de la note de bas de page 4Note de bas de page 5 Gaston Dulong, Dictionnaire des canadianismes, Sillery (Québec), Septentrion, 1999.Retour à la référence de la note de bas de page 5Note de bas de page 6 Guy Bertrand, 400 capsules linguistiques, Montréal, Lanctôt éditeur, 1999.Retour à la référence de la note de bas de page 6Note de bas de page 7 Lionel Meney, Dictionnaire québécois français, Montréal, Guérin, 1999.Retour à la référence de la note de bas de page 7Note de bas de page 8 Camil Chouinard, 1300 pièges du français parlé et écrit au Québec et au Canada, Montréal, Libre Expression, 2001.Retour à la référence de la note de bas de page 8Note de bas de page 9 Joseph Hanse, Nouveau Dictionnaire des difficultés du français moderne, De Boeck-Duculot, 1994.Retour à la référence de la note de bas de page 9Note de bas de page 10 Dictionnaire universel francophone, Hachette, 1997.Retour à la référence de la note de bas de page 10Note de bas de page 11 E.-C. Clifton et A. Grimaux, A New Dictionary of the French and English Languages, Paris, Garnier, 1883.Retour à la référence de la note de bas de page 11Note de bas de page 12 Ch. Petit et W. Savage, Dictionnaire français-anglais, Hachette, 1946.Retour à la référence de la note de bas de page 12Note de bas de page 13 Henri Calet, Le tout sur le tout, Gallimard, coll. Imaginaire, 1948, p. 19.Retour à la référence de la note de bas de page 13Note de bas de page 14 Voir L’Actualité terminologique, vol. 17, nº 3, mars 1984.Retour à la référence de la note de bas de page 14Note de bas de page 15 P. Daviault, J.-P. Vinay et Henry Alexander, Dictionnaire canadien, McClelland and Stewart, 1962.Retour à la référence de la note de bas de page 15Note de bas de page 16 Constance Forest et Denise Boudreau, Le Colpron, Montréal, Beauchemin, 1999.Retour à la référence de la note de bas de page 16
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Mots de tête : « à l’effet que »

Un article sur l’expression à l’effet que
Frèdelin Leroux fils (L’Actualité terminologique, volume 33, numéro 1, 2000, page 22) Un rédacteur politique endossera une opinion à l’effet que la grève est désuète (Pierre Elliott Trudeau, La grève de l’amiante, 1956). « À l’effet que, à l’effet deAller à la remarque a; retranchez-moi cela, retranchez-moi cela; ce sont des bâtons dans vos phrases, et comme vos phrases n’en ont pas de reste pour se tenir, il est inutile de les embarrasser davantage. » C’est Arthur BuiesNote de bas de page 1 – en 1888 – qui apostrophe ainsi journalistes et politiciens dans l’espoir de les ramener dans le droit chemin linguistique. De toutes nos « fautes », à l’effet que est peut-être celle qui réunit le plus large consensus. « à l’effet que est une expression vicieuse », écrit Raoul RinfretNote de bas de page 2 huit ans après Buies. « La locution à l’effet que […] est inintelligible », affirme Gérard DagenaisNote de bas de page 3 en 1967. « C’est un barbarisme tiré de l’anglais », précise Victor BarbeauNote de bas de page 4 en 1968. « Ce populaire à l’effet que n’est même pas français! », renchérit Irène de BuisseretNote de bas de page 5 en 1972. « Cette mauvaise locution [dépare] nos journaux parlés et télévisés », constate une fiche de Radio-Canada, qui date à peu près de la même époque. Bien d’autres condamneront ou déconseilleront cet usage. Rappelons-en quelques-uns pour mémoire : l’abbé Blanchard (1919), André Clas et Paul Horguelin (1969), Robert Dubuc (1971), Jean-Marie Laurence (1980), Jean-Marie Courbon (1984), et j’en passe. Si Buies revenait parmi nous, il se réjouirait sûrement de voir que son appel a été largement entendu, notamment des journaux et des milieux politiques, comme en témoignent les mises en garde du Guide du journaliste (1969) de la Presse canadienne et du Lexique du Journal des débats (1976) de l’Assemblée nationale. Malgré un usage assez répandu pour mériter trois condamnations à quelques années d’intervalle (1888, 1896 et 1919), la plupart des glossaires de l’époque ignorent cette locution. Seul DionneNote de bas de page 6 (1909) l’enregistre, sans commentaire. Même les dictionnaires de langue plus récents – le Bélisle de 1957, le Beauchemin de 1968 ou le Dictionnaire du français plus de 1988 – sont muets. Ce n’est qu’en 1992 qu’un dictionnaire « général » (le Dictionnaire québécois d’aujourd’hui) viendra nous rappeler qu’à l’effet que est un anglicisme (mais avec une définition qui surprend un peu : « parce que »). Cela fait ainsi plus de cent ans que les défenseurs de la langue rompent lance après lance contre ces malotrus de journalistes, écrivains et autres plumitifs ignorants qui ne savent pas que l’expression à l’effet que « n’est pas attestée en françaisNote de bas de page 7 ». Et pourtant, elle est bien française, et depuis presque trois cents ans. L’attestation la plus ancienne remonte à l’époque de la Nouvelle-France. Dans une ordonnance du 7 juin 1727, l’intendant Claude-Thomas DupuyNote de bas de page 8 recommande de construire les maisons avec des « murs de refend qui en excèdent les toits et les coupent en différentes parties, ou qui les séparent d’avec les maisons voisines, à l’effet que le feu se communique moins de l’une à l’autre ». L’anglomanie faisait-elle déjà rage à l’époque? Mon deuxième exemple est tiré d’une résolution présentée à l’Assemblée constituante par Mirabeau (Honoré Gabriel Riqueti de son petit nom) le 15 juin 1789 : « après due convocation des députés […] à l’effet qu’ils puissent y concourir pour ce qui les concerneNote de bas de page 9 ». Enfin, un troisième exemple nous est fourni par Ferdinand Brunot, dans un document datant de la Révolution française : « Lesd. Citoyens […] ont recours à votre équité et justice, à l’effet que vous les réintégriez dans leurs possessionsNote de bas de page 10 ». Ces trois citations indiquent assez bien la nature administrative, voire juridique, de la locution. Marie-Éva de Villers l’avait d’ailleurs noté dans la première édition de son ouvrage : « Cette tournure juridique n’est pas recommandée dans la langue couranteNote de bas de page 11 ». Malheureusement, dans les éditions suivantes, elle se contentera de la qualifier de calque. Et si l’on voulait une preuve supplémentaire de son origine juridique, les Difficultés du langage du droit au CanadaNote de bas de page 12 nous la fourniraient. Les auteurs lui consacrent presque deux pages et proposent quatre façons de l’éviter. Vous conviendrez avec moi qu’il est difficile de nier la « francité » de cette expression. Mais, vous ne manquerez pas de me rétorquer, c’est le sens qui fait problème. Effectivement, dans ces trois cas, à l’effet que signifie « pour, afin que, dans l’intention ». C’est-à-dire, en somme, le sens d’à l’effet de. Aussi, Brunot n’avait peut-être pas tort de soupçonner que la tournure « fautive » était dérivée de l’autre. Mais cela reste à prouver. Pour ce qui est du sens condamné – « précisant, déclarant, voulant que » –, il faut bien reconnaître que l’anglais to the effect that est passé par là. Mais à quand remonte cet usage chez nous? Vers le milieu du 19e siècle, certainement, et peut-être avant. On en trouve trois exemples dans le seul index des Débats sur la ConfédérationNote de bas de page 13 de 1865 : M. Letellier propose un amendement […] à l’effet que le débat soit ajourné. Ici encore, on n’est pas bien loin du sens d’à l’effet de, un peu à mi-chemin entre « afin que » et « portant que » : on dirait tout aussi bien « à l’effet d’ajourner le débat ». L’année de la parution du glossaire de Dionne, en 1909, paraissait la première traduction française de la bible de la procédure parlementaire britannique, le TraitéNote de bas de page 14 d’Erskine May. La traduction est due à un professeur de l’Université de Lyon, Joseph Delpech. C’est à peine si j’ai parcouru une centaine de pages de cet ouvrage, et pourtant j’y ai rencontré à l’effet que deux fois : Le roi peut faire une proclamation […] à l’effet que le Parlement se réunisse un jour déterminé. Plusieurs Actes […] contenaient des dispositions à l’effet que nul membre du Parlement ne soit emprisonné durant la session parlementaire. Comme on trouve ailleurs à l’effet de dans le même sens, on se demande pourquoi le traducteur a collé à l’anglais dans ces deux cas. Comment un professeur de droit n’a-t-il pas senti qu’il s’agissait d’une incorrection? Le souvenir de la vieille expression serait-il venu s’interposer entre « to the effect that » et l’équivalent correct? Qui sait, c’est peut-être ce même souvenir qui fait que nous l’employons aussi souvent. Une linguiste de l’Université LavalNote de bas de page 15 en a recueilli une bonne trentaine d’exemples, datant des années 70, et j’en ai relevés à peu près autant, qui datent pour la plupart des années 80 et 90. Quant à la nature juridique de cette locution, elle ne semble rebuter personne – du journaliste, romancier ou professeur de lettres, en passant par le sociologue, le politicologue et l’économiste, tout le monde l’emploie. Même un membre de l’Académie canadienne-françaiseNote de bas de page 16, dans un hommage à un de nos grands pourfendeurs d’anglicismes. Victor Barbeau a dû avoir une syncope. Enfin, si vous êtes comme moi – sous ce rapport, disons –, il y a belle lurette que vous avez appris à ne pas mettre ce « bâton dans vos phrases », pour reprendre le mot de Buies. Mais tous ceux pour qui cette expression n’est ni « vicieuse » ni « inintelligible », qui continuent de croire qu’elle est française (sans savoir que Mirabeau l’employait) et, surtout, qui la trouvent commode (une sorte de cheville mentale), ne devraient-ils pas avoir droit à une certaine indulgence de la part de ceux qui « savent »? Remarques Remarque a La locution à l’effet de n’est pas condamnée, mais on la réserve habituellement au style juridique. Elle semble d’ailleurs en voie de disparition; les dictionnaires les plus récents, les bilingues surtout, l’ignorent. Retour à la remarque a Références Note de bas de page 1 Arthur Buies, Anglicismes et canadianismes, Leméac, Montréal, 1979, p. 74. (Paru en 1888.) Retour à la référence de la note de bas de page 1 Note de bas de page 2 Raoul Rinfret, Dictionnaire de nos fautes contre la langue, Cadieux et Derome, Montréal, 1896. Retour à la référence de la note de bas de page 2 Note de bas de page 3 Gérard Dagenais, Dictionnaire des difficultés du français au Canada, Éditions Pedagogia, Montréal, 1967. Retour à la référence de la note de bas de page 3 Note de bas de page 4 Victor Barbeau, Grammaire et linguistique, Cahiers de l’Académie canadienne-française, nº 12, Montréal,1968, p. 13. Retour à la référence de la note de bas de page 4 Note de bas de page 5 Irène de Buisseret, Guide du traducteur, Ottawa, 1972, p. 82. Retour à la référence de la note de bas de page 5 Note de bas de page 6 Narcisse-Eutrope Dionne, Le Parler populaire des Canadiens français, Presses de l’Université Laval, Québec, 1974. Retour à la référence de la note de bas de page 6 Note de bas de page 7 Gilles Colpron, Dictionnaire des anglicismes, Beauchemin, Montréal, 1982. Retour à la référence de la note de bas de page 7 Note de bas de page 8 Cité par Jean-Claude Marsan, « L’héritage architectural du Régime français », Le Devoir, 23.6.92. Retour à la référence de la note de bas de page 8 Note de bas de page 9 Mirabeau, Discours, Folio, 1973, p. 49. Retour à la référence de la note de bas de page 9 Note de bas de page 10 Partage des biens communs, 10 juin 1793, in Ferdinand Brunot, Histoire de la langue française, tome X, 1re partie, Armand Colin, Paris, 1968, p. 376. Retour à la référence de la note de bas de page 10 Note de bas de page 11 Marie-Eva de Villers, Multidictionnaire des difficultés de la langue française, 1re éd., Québec/Amérique, 1988. Retour à la référence de la note de bas de page 11 Note de bas de page 12 Jean-Claude Gémar et Vo Ho-Thuy, Difficultés du langage du droit au Canada, 2e éd., Éditions Yvon Blais, Cowansville, 1997. Retour à la référence de la note de bas de page 12 Note de bas de page 13 Débats parlementaires sur la question de la Confédération, Hunter, Rose et Lemieux, Québec, 1865. Retour à la référence de la note de bas de page 13 Note de bas de page 14 Sir Thomas Erskine May, Traité des lois, privilèges, procédures et usages du parlement, tome I, V. Giard et E. Brière, Paris, 1909, p. 48 et 124. Retour à la référence de la note de bas de page 14 Note de bas de page 15 Geneviève Offroy, « Contribution à l’étude de la syntaxe québécoise d’après la langue des journaux », Travaux de linguistique québécoise, vol. 1, P.U.L., Québec, 1975, p. 271-272. Retour à la référence de la note de bas de page 15 Note de bas de page 16 Edmond Robillard, « Victor Barbeau et le français du Canada », in Victor Barbeau – Hommages, Cahiers de l’Académie canadienne-française, nº 15, Fides, Montréal, 1978, p. 134. Retour à la référence de la note de bas de page 16
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Les subtilités de la politesse

Un article sur la traduction de with respect
Serge Lortie (L’Actualité terminologique, volume 20, numéro 4, 1987, page 5)(1) « With respect » With respect, I am unable to agree with McIntyre J.’s decision that the Tribunal erred in law in its interpretation of […] Bhinder c. CN – Cour suprême du Canada – [1985] 2 R.C.S. 561, à la p. 567. Employée dans les décisions judiciaires par souci d’atténuer ce qu’une affirmation pourrait avoir de trop brusque, l’expression with respect et ses variantes (respectfully, with due respect, with all respect), soulèvent certaines difficultés de traduction à en juger par la pauvreté des locutions utilisées pour les rendre en français. Les décisions de la Cour suprême usent systématiquement, semble-t-il, de l’expression avec égards. Or, je ne suis pas parvenu à relever, en dehors des arrêts de cette cour, d’exemple d’utilisation de cette expression comme formule de politesse. La prudence commanderait donc d’éviter cette tournure. Il arrive aussi que la formule qui nous intéresse soit rendue par avec respect. Utilisée ainsi, sans complément d’aucune sorte, cette formule me paraît un peu étrange. Il faudrait, à mon sens, y ajouter quelque chose pour que cela ressemble davantage à du français moderne. Car ce n’est que dans les textes anciens qu’on relève pareille tournure :« Pardonnez-moi si, avec tout respect, je demeure navré de ce qui regarde le sacre » Saint-Simon. – Mémoires. On trouve également en toute déférence. Cette expression a la faveur des responsables de la version française des décisions de la Cour fédérale du Canada. Elle est en soi tout à fait correcte, même si dans bien des cas il est permis de s’interroger sur l’utilité réelle de son emploi. Selon que l’on pense qu’il faut traduire with respect en suivant scrupuleusement l’anglais, en le suivant de moins près ou en s’en éloignant radicalement, trois approches sont envisageables pour rendre en français l’expression en cause.Première solution : la littéralité Partons tout d’abord de l’hypothèse qu’il y a lieu de traduire cette expression en se conformant d’aussi près que possible à l’anglais. Les équivalents possibles de l’exemple placé en exergue du présent article seraient alors les suivants : Avec tout le respect que je dois au juge McIntyre, je ne crois pas que le tribunal ait commis d’erreur de droit en décidant que […]. Sauf le respect que je dois au juge McIntyre, je ne crois pas que le tribunal ait fait une application inexacte de la loi lorsqu’il a statué que […]. J’espère ne pas m’écarter du profond respect que je dois au juge McIntyre en affirmant que le tribunal n’a commis aucune erreur de droit en statuant que […]. En toute déférence pour l’opinion du juge McIntyre, je ne crois pas que le tribunal ait en l’occurrence violé les principes juridiques qui gouvernent le sujet lorsqu’il a décidé que […]. Avec toute la déférence qui s’impose, je ne crois pas que le tribunal se soit écarté des règles de droit applicables en la matière pour juger que […]. Le respect dû à l’opinion du juge McIntyre ne m’empêche pas de penser que c’est à bon droit que le tribunal dont la décision est frappée d’appel a statué que […]. Le juge McIntyre a décidé que le tribunal avait commis une erreur de droit. Toute révérence gardée, je ne crois pas que le tribunal ait faussement interprété la loi pour en arriver à la conclusion que […]. Ce n’est pas irrévérence de notre part envers le juge McIntyre que de penser que, contrairement à ce qu’il en a décidé, le tribunal ne s’est nullement mépris sur le sens des principes applicables en l’occurrence […].Deuxième solution : l’adaptation inspirée La deuxième possibilité consiste à s’écarter davantage de l’anglais en renonçant aux termes trop explicites du genre « respect » ou « révérence », mais en témoignant toujours d’une déférence exprimée avec insistance. L’expression dont il est ici question peut alors notamment se rendre des façons qui suivent : Oserais-je faire observer que le tribunal, contrairement à ce qu’estime le juge McIntyre, n’a commis aucune erreur de droit en statuant que […].[Variantes : « Je pourrais faire observer que »; « Je ferai observer que »; « Il convient d’observer que »] On me pardonnera de ne pas être d’accord avec le juge McIntyre lorsqu’il affirme que le tribunal a commis une erreur de droit en décidant que […].[Variante : « Que l’on me pardonne de ne pas »] Il est permis de ne pas partager l’opinion du juge McIntyre, selon lequel le tribunal aurait […]. Ce n’est faire nulle injure au juge McIntyre que de ne pas souscrire au raisonnement qui l’amène à décider que le tribunal a statué à tort que […]. Le juge McIntyre a décidé que […]. Il n’est pas désobligeant d’avoir sur le sujet une opinion différente. Le juge McIntyre a statué que […]. Cette opinion du juge, nous osons le lui dire, est contraire aux principes qui régissent la matière. Le juge McIntyre a statué que […]. Il souffrira que nous n’admettions pas cette solution. En toute confraternité, il nous semble impossible de nous ranger à la décision du juge McIntyre, selon laquelle […].Troisième solution : le laconisme Je trouve généralement très agaçantes les traductions explicites de l’expression with respect, quelles qu’elles soient. La formule with respect servant presque toujours à introduire une phrase qui énonce un désaccord avec l’opinion de la personne à l’égard de laquelle on prétend éprouver une incommensurable déférence, elle me paraît, ainsi rendue, se rapprocher davantage de la raillerie que du respect. Sans vouloir faire offense à ceux qui ont cru devoir s’aligner sur l’anglais, il ne me semble donc pas interdit d’avancer l’idée qu’il vaudrait mieux ne pas traduire l’expression en cause, ou du moins la rendre par des moyens plus subtils. Il suffit en effet, pour exprimer de façon un peu moins directe une chose qui semble devoir heurter quelqu’un, d’utiliser le conditionnel ou des tournures comme à mon sens ou il ne me paraît pas possible de, ainsi qu’en témoignent les exemples donnés plus bas. Le fait qu’une expression formée avec le terme « déférence » ait donné lieu à procès en FranceNote de bas de page 1 constitue du reste une preuve de l’ambiguïté de ce type de tournures. En effet, il a été jugé en 1977 que c’était à tort qu’un conseil de discipline avait considéré comme fautive la formule employée par un avocat à l’égard de son bâtonnier : « Avec la déférence que je dois à votre titre ». Cette expression, a-t-il été statué, ne constituait ni une impertinence inadmissible, ni une insolence vis-à-vis du bâtonnier, la déférence de cet avocat se limitant au seul titre de bâtonnier. L’avocat a donc en l’occurrence échappé de justesse à des sanctions : il eût suffi qu’il dise « avec la déférence que je vous dois » pour que la peine disciplinaire soit maintenue. D’ailleurs, dans une autre affaire présentée la même année, un avocat avait écrit à son bâtonnier pour lui présenter, « avec la déférence [qu’il devait] à son titre, les remarques suivantes… ». Ceci a été jugé représenter une faute disciplinaire, car cette phrase laisse entendre que le signataire, de par la distinction qu’il opère entre le titre et la personne qui en est revêtu, visait aussi le titulaire de la fonction, ce qui démontrait un manque de tact, de scrupules et de finesse. Ces deux décisions permettent de voir que les expressions qui nous intéressent blessent facilement les susceptibilités. C’est que la connotation irrévérencieuse des formules considérées n’échappe pas aux juristes européens. Je préconise donc fortement, chacun l’aura compris, l’abandon dans les textes juridiques des formules de politesse trop explicites. Celles-ci ne font que brouiller un message déjà suffisamment difficile à comprendre. Elles m’apparaissent, en outre, tout à fait inopportunes eu égard au niveau de langue qu’il y a lieu d’employer en l’occurrence. Dans l’exemple retenu pour les fins de cet article, la solution que je recommande donnerait ceci : Le juge McIntyre a statué que […]. Je ne saurais souscrire à cette opinion. Le juge McIntyre a statué que […]. Il ne nous paraît pas possible de partager cette manière de voir. À mon sens, et contrairement à ce qu’a décidé le juge McIntyre, le tribunal n’a nullement commis d’erreur de droit en estimant que […]. J’estime que c’est par une interprétation inexacte des règles régissant la matière que le juge McIntyre a décidé que […]. Le juge McIntyre a statué que […]. Cette opinion nous semble procéder d’une interprétation erronée des principes applicables en la matière. Le juge McIntyre a statué que […]. Je n’accepte pas cette interprétation des dispositions applicables en l’espèce. Le juge McIntyre a statué que […]. Sa décision sur ce point ne saurait recevoir notre approbation. Le juge McIntyre a statué que […]. Nous nous trouvons malheureusement dans l’obligation d’exprimer notre désaccord avec lui à cet égard. Le juge McIntyre a décidé que […]. Cette solution nous paraît devoir être écartée. Le juge McIntyre a statué que […]. Nous ne pouvons admettre cette solution. Il faut regretter la position prise par le juge McIntyre, qui a cru devoir statuer que […]. Cette économie de termes me semble davantage en accord avec la retenue dont la justice ne doit jamais se départir.RéférencesNote de bas de page 1 Hamelin (Jacques); Damien (André). – Les règles de la nouvelle profession d’avocat. – Paris : Dalloz, 1981. – 4e édition. – p. 294-295.Retour à la référence de la note de bas de page 1
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Mots de tête : « hors de question »

Un article sur l’expression hors de question
Frèdelin Leroux fils (L’Actualité terminologique, volume 18, numéro 2, 1985, page 10) Il est hors de question de laisser le ministre se draper dans l’argument de la confidentialité.(Michel Nadeau, Le Devoir, 14.1.83) Au moment d’écrire ces lignes, je me demande encore si je ne vais pas enfoncerAller à la remarque a une porte ouverte. Et faire perdre son temps au lecteur. Après tout, y a-t-il quelqu’un qui se fasse scrupule d’employer « hors de question »? Quelque fouineur peut-être, qui, en compulsant Victor BarbeauNote de bas de page 1 ou Maxime KoesslerNote de bas de page 2, aura découvert que c’est un anglicisme. Mais on peut ne pas avoir lu ces auteurs et, les circonstances aidant, arriver à la même conclusion qu’eux. Vous ne me croyez pas? Supposons que vous ayez à traduire « out of the question ». « Hors de question » vous vient tout de suite à l’esprit. Mais vous hésitez. « Ça ressemble décidément trop à l’anglais », vous dites-vous. Pour en avoir le cœur net, vous consultez le Robert-Collins, qui vous propose « Il n’en est pas question ». Vous passez au Harrap : « Jamais de la vie », « C’est impossible », « Il ne faut pas y songer ». Par acquit de conscience, et un peu pour le dépoussiérer, vous jetez un coup d’œil au Dictionnaire canadien, de Vinay, Alexander et Daviault : un seul équivalent, déjà cité. En désespoir de cause, vous vous rabattez sur les dictionnaires français, le Petit Robert, le Dictionnaire du français contemporain, le Petit Larousse (édition 1980). Rien. Pressé (par définition, tout traducteur…), vous ne cherchez pas plus loin. Et, en vrai professionnel de la traduction, vous vous faites une fiche : « Hors de question – anglicisme(?) ». Plus tard, lorsque vous aurez le loisir de feuilleter Barbeau ou Koessler, vous ferez sauter le point d’interrogation. Et le jour où vous deviendrez réviseur (rien n’est impossible), vous direz à vos traducteurs d’éviter cette tournure. Et la boucle sera bouclée. L’expression existe pourtant. Je l’ai entendue dans deux films, Sonate d’automne, de Bergman et Danton, d’Andrzej Wajda. Je l’ai rencontrée dans une revue, Livres de FranceNote de bas de page 3, et dans deux romans policiers, de Gérard de VilliersNote de bas de page 4 et J.-G. ArnaudNote de bas de page 5. Je l’ai lue chez des auteurs plus sûrs, une ethnosociologue, Sabine HargousNote de bas de page 6, un démographe, Alfred SauvyNote de bas de page 7, un bon écrivain, Vladimir VolkoffNote de bas de page 8, et un grand romancier, Roger Martin du Gard :Tout ceci est hors de question, MonsieurNote de bas de page 9. (Cette citation date de 1922…) Par ailleurs, notre locution n’est pas inconnue des dictionnaires. Le Grand Larousse de la langue française l’enregistre dès 1973, et le Lexis, lors de sa parution en 1975; mais ce n’est qu’en 1981 que le Petit Larousse lui ouvrira ses colonnes. Le Trésor de la langue françaiseNote de bas de page 10 la mentionne, et Joseph Hanse la signale dans la dernière édition de son dictionnaire des difficultésNote de bas de page 11. Même les dictionnaires bilingues la connaissent. Mais il faut savoir où chercher, dans la partie que personne ne consulte (sauf les traducteurs de français en anglais). Le nouveau Harrap français-anglais (1972) la donne. On la trouve dans le Robert-Collins, à la fois à hors et à question (mais comme je l’ai dit, elle n’est pas dans l’autre partie). Elle figure dans les deux sections d’un dictionnaire fort négligé, le Larousse bilingue, paru il y a presque vingt-cinq ans déjà. Enfin, un lexicographe, Jean-Pierre Causse, loin de tenir cette tournure pour un anglicisme, voit en elle un(e) « vrai(e) ami(e) »Note de bas de page 12. On m’objectera peut-être que hors de question n’a pas tout à fait le même sens que il n’en est pas question. Ce n’est pas l’avis des auteurs du très beau Dictionnaire des expressions et locutions figuréesNote de bas de page 13, Alain Rey et Sophie Chantreau :Être hors de question – ne pas pouvoir être envisagé, être refusé sans discussion. Équivaut à : il n’en est pas question. Ceci dit, il ne nous reste plus qu’à attendre que les rédacteurs du Robert-Collins et du Harrap réparent cet oubli, et surtout que l’équipe du Robert, après avoir ajouté cette expression au « Petit », corrige une sorte d’« anomalie » qui s’est glissée dans le « Grand »Note de bas de page 14. Voici ce qu’on lit à faire question : « (Au négatif) Cela ne fait pas question (on dit aussi : cela est hors de question) ». Or, comme chacun sait, la première tournure signifie que cela est hors de doute, alors que la seconde dit tout autre chose. À moins qu’il s’agisse d’une acception qui n’aurait plus cours aujourd’hui. C’est possible. Mais je laisse à d’autres le soin, et le plaisir, de résoudre cette énigme. Pour ma part, si j’ai pu conjurer les scrupules de quelques traducteurs, voire d’un seul, j’accepte volontiers qu’on me colle l’étiquette de « défonceur de portes ouvertes ». Retour à la remarque a Spontanément, je dirais « défoncer », mais les dictionnaires ignorent cet usage. J’ai pourtant lu chez Musset (Lorenzaccio), « défonceur de portes ouvertes ». S’agirait-il d’un archaïsme?RéférencesNote de bas de page 1 Victor Barbeau, Le français du Canada, Garneau, Québec, 1970, p. 147.Retour à la référence de la note de bas de page 1Note de bas de page 2 Maxime Koessler, Les Faux Amis, Vuibert, Paris, 1975, p. 427.Retour à la référence de la note de bas de page 2Note de bas de page 3 Jean-Claude Damamme, Livres de France, avril 1980, p. 49 et 83.Retour à la référence de la note de bas de page 3Note de bas de page 4 Gérard de Villiers, Que Viva Guevara, Plon, 1970, p. 106.Retour à la référence de la note de bas de page 4Note de bas de page 5 G.-J. Arnaud, Le mauve sied au Commander, Fleuve noir, 1978, p. 201.Retour à la référence de la note de bas de page 5Note de bas de page 6 Sabine Hargous, Les Indiens du Canada, Éditions Sélect, Montréal, 1980, p. 109.Retour à la référence de la note de bas de page 6Note de bas de page 7 Alfred Sauvy, La fin des riches, Calmann-Lévy, 1975, p. 83.Retour à la référence de la note de bas de page 7Note de bas de page 8 Vladimir Volkoff, Le Retournement, Julliard, 1979, p. 58 et 85.Retour à la référence de la note de bas de page 8Note de bas de page 9 Roger Martin du Gard, Les Thibault, Gallimard, coll. La Pléiade, 1955, p. 592.Retour à la référence de la note de bas de page 9Note de bas de page 10 Paul Imbs, Trésor de la langue française, Centre national de la recherche scientifique, tome 9, 1981, p. 134.Retour à la référence de la note de bas de page 10Note de bas de page 11 Joseph Hanse, Nouveau Dictionnaire des difficultés du français moderne, Duculot, 1983, p. 474.Retour à la référence de la note de bas de page 11Note de bas de page 12 Jean-Pierre Causse, Dictionnaire des vrais amis, British Institute in Paris, Université de Londres, 1978, p. 109.Retour à la référence de la note de bas de page 12Note de bas de page 13 Alain Rey et Sophie Chantreau, Dictionnaire des expressions et locutions figurées, coll. « Usuels du Robert », 1979, p. 795.Retour à la référence de la note de bas de page 13Note de bas de page 14 Paul Robert, Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, Société du Nouveau Littré, tome 5, 1969, p. 584.Retour à la référence de la note de bas de page 14
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Mots de tête : « jeter l’enfant avec l’eau du bain »

Un article sur l’expression jeter l’enfant avec l’eau du bain
Frèdelin Leroux fils (L’Actualité terminologique, volume 15, numéro 9, 1982, page 9) Lorsque je vois se répandre cette tournure jugée douteuse par certains ou carrément condamnée par d’autres, il m’arrive de me demander ce qu’en aurait pensé Mlle de Buisseret. Aurait-elle poussé les hauts cris… ou un soupir de soulagement? Car s’il lui arrivait de condamner tel ou tel usage, la plupart du temps elle se contentait de le déconseiller. À regret parfois. C’est le cas de la formule « jeter l’enfant avec l’eau du bain ». L’ayant lue chez Hervé Bazin, Mlle de Buisseret se demande si c’est sous l’influence de l’anglais qu’il l’emploie (« to throw the baby out with the bath water »), ou s’il ne s’agirait pas plutôt d’un retour à une ancienne expression françaiseNote de bas de page 1. Si la seconde hypothèse paraît peu probable, la première reste encore à prouver. Et une troisième hypothèse – emprunt à l’allemand – n’est pas exclue. Pierre Gilbert, dans son Dictionnaire des mots nouveauxNote de bas de page 2, indique qu’il s’agit d’une traduction de l’anglais, tout en signalant l’existence d’une formule identique en allemand. André Gide l’avait d’ailleurs déjà constaté :Les Allemands usent d’une image excellente et dont je cherche vainement un équivalent en français pour exprimer ce que j’ai quelque mal à dire : « on a jeté l’enfant avec l’eau du bain ». Effet du non-discernement et aussi d’une hâte trop grandeNote de bas de page 3. Comme l’ouvrage de Gide date de 1936, on peut s’interroger sur la « nouveauté » de l’expression. Mais elle ne s’est peut-être pas vraiment répandue avant les années 60. Quoi qu’il en soit, les Anglais la connaissaient vraisemblablement avant nous. En effet, on la rencontre dès 1928, sous la plume de George Bernard Shaw. Son Intelligent Woman’s GuideNote de bas de page 4 ayant été traduit, j’étais curieux de voir comment elle avait été rendue. Le plus simplement du monde…À chaque élan aveugle d’un extrême à l’autre, nous vidons le bébé avec l’eau de la baignoireNote de bas de page 5… Deux dictionnaires enregistrent cette expression : on la trouve dans la partie anglais-français du Robert Collins, mais elle est absente de l’autre. Quant au Dictionnaire du GaiAller à la remarque a Parler, il nous propose une légère variante :Rejeter l’enfant avec l’eau du bain – Ensemble, en bloc. C’est-à-dire ne pas faire le détail dans une affaire, une discussionNote de bas de page 6. Je l’ai entendue dans la bouche d’un personnage du film de René Allio, La Vieille Dame indigne. Et enfin, je l’ai relevée dans un numéro de la revue EspritNote de bas de page 7 et à deux reprises chez Alfred SauvyNote de bas de page 8, un des rares économistes qui sachent manier la plume et les chiffres avec la même facilité. Pour ceux qui hésiteraient encore à l’employer, Mlle de Buisseret propose quatre possibilités : « pécher par excès de zèle », « être plus zélé que prudent », « prendre l’accessoire pour l’essentiel » et « jeter le poisson avec la sauce ». Le Harrap pour sa part en donne deux, qui ne sont somme toute que des variantes des deux premières. Dans la traduction de White Collar du sociologue américain C. Wright Mills, j’ai rencontré une adaptation intéressante, qui mérite d’être signalée. Voici ce qu’on lit dans le texte :(…), rather than throw out the economic baby with the psychological bathNote de bas de page 9 … Le traducteur rend l’image ainsi :(…), au lieu de noyer le poisson économique dans l’eau de la psychologieNote de bas de page 10… Forts de la caution de trois dictionnaires et d’écrivains de la trempe de Gide, Bazin et Sauvy, nous n’hésiterons plus (j’espère) à employer cette tournure. Et si le goût nous venait d’en changer, nous n’aurions que l’embarras du choix. D’ailleurs, la traduction étant affaire de contexte, il n’est pas sûr que le « calque » anglais ou allemand convienne à tout coup. Chassigneux, le traducteur des Cols blancs, nous donne l’exemple d’une adaptation aussi belle qu’intelligente; « jeter le bébé économique avec l’eau du bain psychologique » eût été une traduction assez plate à côté de la sienne. Et pourtant, un grand critique littéraire du Monde n’y répugne pas tout à fait. Dans un billet sur Bertolt Brecht, « B.B. et l’eau du bain », Bertrand Poirot-Delpech écrit :Marx réputé mort, que reste-t-il de l’art qui s’en réclamait? Le théâtre de Brecht, par exemple. Doit-on le jeter avec l’eau du bain dialectiqueNote de bas de page 11… De toute manière, le jour où l’occasion se présentera, il n’est pas interdit d’imiter Chassigneux. Livrons-nous à une séance de remue-méninges. Peut-être trouverons-nous une nouvelle façon de rendre la même idée. Après tout, abondance de biens ne nuit pas.RemarquesRemarque a Ne pas confondre avec le sens américain, qui se répand non seulement au Québec mais en France aussi.Retour à la remarque aRéférencesNote de bas de page 1 Irène DE BUISSERET, Guide du traducteur, Ottawa, A.T.I.O., 1972, p. 331-332.Retour à la référence de la note de bas de page 1Note de bas de page 2 Pierre GILBERT, Dictionnaire des mots nouveaux, Hachette/Tchou, 1971, p. 44.Retour à la référence de la note de bas de page 2Note de bas de page 3 André GIDE, Retour de l’U.R.S.S., Gallimard, coll. Idées, 1978, p. 80.Retour à la référence de la note de bas de page 3Note de bas de page 4 George Bernard SHAW, The Intelligent Woman’s Guide to Socialism, Capitalism, Sovietism and Fascism, Pelican Books, 1971, p. 334.Retour à la référence de la note de bas de page 4Note de bas de page 5 Guide de la femme intelligente, Éditions Montaigne, Paris, 1929, p. 414 (Traduction par Augustin et Henriette Hamon.)Retour à la référence de la note de bas de page 5Note de bas de page 6 Michel LIS et Michel BARBIER, Dictionnaire du Gai Parler, Éditions Mengès, 1980, p. 240.Retour à la référence de la note de bas de page 6Note de bas de page 7 Pierre GRÉMION et Jean-Pierre WORMS, « L’État et les collectivités locales », Esprit, numéro spécial sur l’administration, janvier 1970, p. 22.Retour à la référence de la note de bas de page 7Note de bas de page 8 Alfred SAUVY, Le Socialisme en liberté, Denoël/Gonthier, coll. Médiations, 1974, p. 11. (Paru en 1970.) – La Révolte des jeunes, Calmann-Lévy, 1970, p. 85.Retour à la référence de la note de bas de page 8Note de bas de page 9 C. WRIGHT MILLS, White Collar, Oxfort University Press, A Galaxy Book, New York, 1970, p. 294. (Paru en 1951.)Retour à la référence de la note de bas de page 9Note de bas de page 10 Les Cols blancs, Maspero, coll. Points, 1966, p. 334. (Traduction par André Chassigneux.)Retour à la référence de la note de bas de page 10Note de bas de page 11 Bertrand POIROT-DELPECH, Le Monde, 20.07.79, p. 13.Retour à la référence de la note de bas de page 11
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Mots de tête : « à toutes fins pratiques »

Un article sur l’expression à toutes fins pratiques
Frèdelin Leroux fils (L’Actualité terminologique, volume 33, numéro 3, 2000, page 11) Une circulaire de Mgr Gauthier approuvait, à toutes fins pratiques,la Loi du cadenas.(Pierre Elliott Trudeau, 1956Note de bas de page 1.) Je n’aurais pas cru qu’un jour j’écrirais un article sur à toutes fins pratiques. Ce long et lourd calque de l’anglais me paraissait tout à fait inutile. Et ce n’est pas d’avoir compris que l’expression pouvait être synonyme de locutions comme en bout de course ou en bout de ligne qui m’a fait changer d’idéeNote de bas de page 2. Non, cette versatilité de ma part a une triple cause. D’abord, la rencontre d’un passage dans les Débats du Sénat où le traducteur, soucieux d’éviter cet anglicisme, est tombé dans un travers autrement plus grave :[…] a legislation that all but eliminates it – une loi qui l’élimine à toutes fins utilesNote de bas de page 3. Ensuite, la lecture des propos d’un constitutionnaliste de renom, professeur à l’École nationale d’administration publique et ancien ministre québécois de la Justice :Quand le Canada milite en faveur d’une clause de diversité culturelle, à toutes fins utiles, il emploie les mêmes mots que l’on a utilisés dans MeechNote de bas de page 4. Et enfin – la goutte qui a fait déborder le vase –, le fait de m’entendre, dans une conversation, succomber à la même manie. Je me suis dit qu’il était temps de réagir. J’ignore depuis combien de temps nous commettons cette erreur, mais j’en ai trouvé un exemple qui date de quinze ans. Un professeur de l’Université du Québec à Montréal, après avoir employé à toutes fins pratiques trois fois, trouve le moyen de donner le même sens à sa consœur :[…] la réforme au niveau provincial est à toutes fins utiles bloquéeNote de bas de page 5. Et une spécialiste des questions autochtones, professeur à l’École nationale d’administration publique, glisse sur la même pente :[…] la possession et la vente d’alcool étaient à toutes fins utiles interditesNote de bas de page 6. Outre la ressemblance entre les deux locutions – d’où la confusion facile –, y aurait-il une autre explication à cet égarement? Pour une rare fois, défenseurs de la langue et lexicographes se partagent la douteuse paternité de cette faute. Le premier coupable en date serait le Guide du journaliste de la Presse canadienne, paru en 1969 :À toutes fins pratiques : Barbarisme. Il faut dire : à toutes fins utilesNote de bas de page 7. Il sera suivi en 1976 du Lexique du Journal des Débats de l’Assemblée nationale du Québec, qui n’y voit qu’une seule et même expression :À toutes fins pratiques, utiles – cette expression ne s’emploie qu’au plurielNote de bas de page 8. La neuvième édition (1981) ne donne plus comme entrée qu’à toutes fins utiles. Mais elle confond toujours les deux, puisqu’elle ajoute : « C’est du meilleur français que l’expression à toutes fins pratiques (practically speaking). » André Clas et Émile Seutin, considèrent aussi à toutes fins pratiques comme un barbarisme et recommandent de le remplacer par à toutes fins utilesNote de bas de page 9. Un an après la parution de son dictionnaire, Léandre Bergeron rapplique avec un supplément qui ne fait qu’entretenir la confusion :À toute fin pratique; à toute fin utile – En sommeNote de bas de page 10. Même un professeur de français langue seconde tombe dans le piège; il propose à ses lecteurs, comme équivalent d’à toutes fins utiles, un curieux on (sic) all practical purposesNote de bas de page 11. Mais il ne donne pas à toutes fins pratiques. Voulait-il éviter de contribuer ainsi à répandre une expression fautive? On peut se demander s’il valait mieux fausser le sens d’à toutes fins utiles. Mais le pompon revient à la maison Robert. Dans la deuxième édition du grand dictionnaire, parue en 1988, immédiatement après l’entrée à toutes fins utiles, on peut lire : « Régional. (Canada). À toutes fins pratiques ». Sans définition, sans explication, comme si les deux expressions étaient synonymes. Rien d’étonnant à ce qu’aujourd’hui encore la confusion persiste. Et ce n’est pas l’effort louable du Dictionnaire québécois d’aujourd’hui qui permettra de rétablir les faits. L’auteur commence par écrire qu’à toutes fins utiles ou, familièrement, à toutes fins pratiques, signifient « pour servir le cas échéant », mais il ajoute – heureusement – que cette dernière a aussi le sens de « pratiquement, en fait »Note de bas de page 12. Enfin, un nouveau dictionnaire du québécois, paru en 1999, donne les deux tournures et leur attribue un sens commun, « en fait »Note de bas de page 13. Il signale toutefois qu’à toutes fins pratiques vient de for all practical purposes et, qu’en français standard, à toutes fins utiles signifie « en tout cas ». Il n’est pas le premier à faire cette mise au point. Dès 1984, Jean-Marie CourbonNote de bas de page 14 tentait de remettre les pendules à l’heure. En 1988, Marie-Éva de VillersNote de bas de page 15 faisait la même mise en garde, qu’elle reprendra dans les éditions subséquentes de son dictionnaire (1992 et 1997). Et l’année dernière encore, le conseiller linguistique de Radio-CanadaNote de bas de page 16 nous rappelait le sens « français » d’à toutes fins utiles et condamnait à toutes fins pratiques. Il est par ailleurs étonnant qu’il ait fallu attendre jusqu’en 1998, soit presque trente ans après le Guide du journaliste, pour qu’à toutes fins pratiques fasse son entrée dans la « bible » des anglicismes au Québec, Le ColpronNote de bas de page 17. Bien que je ne sois pas parvenu à trouver d’exemple d’à toutes fins pratiques qui remonte au-delà de la citation en exergue (1956), je suis persuadé que nous l’employons depuis pas mal plus longtemps qu’à toutes fins utiles dans son sens fautif. Une recherche exhaustive, dans les journaux notamment, nous rapporterait une abondante moisson. Et l’on constaterait que des gens de tous les milieux l’emploient. En voici quelques exemples, à titre d’échantillon. Un ancien recteur de l’Université de Montréal, qui n’hésite même pas à utiliser le singulier :[…] l’étude de ces questions, que la mort de Laurendeau devait rendre à toute fin pratique impossibleNote de bas de page 18. Un professeur de l’Université Laval, qui récidive à plus d’une reprise :Cela fait du Québec, à toutes fins pratiques, un État nationalNote de bas de page 19. Un journaliste d’origine française, Michel Vastel :C’est une sorte de « politique du C-20 » qui […] donne à toutes fins pratiques à l’État d’Israël […]Note de bas de page 20. Et la cerise sur le gâteau, une ancienne rédactrice en chef de L’Actualité terminologique, responsable de la première édition du Guide du rédacteur :À toutes fins pratiques, on peut le diviser en deux catégoriesNote de bas de page 21. J’ai bien peur qu’il ne soit trop tard pour enrayer le mal. À toutes fins utiles pourrait bien être à ranger parmi ces expressions auxquelles nous nous obstinons à donner un sens différent de celui des autres francophones, comme bête comme ses pieds, chercher de midi à quatorze heures, ne pas faire un pli, etc. Mais il reste peut-être un espoir de lui conserver son « vrai » sens – donner le feu vert à sa jumelle. Si l’on n’avait pas condamné à toutes fins pratiques, à toutes fins utiles n’aurait probablement jamais usurpé ce sens qui n’est manifestement pas le sien. Je ne peux qu’être d’accord avec l’exhortation de Jean-Marie Courbon : « employons à bon escient à toutes fins utiles », mais je ne puis le suivre lorsqu’il écrit « rejetons dans les ténèbres extérieures à toutes fins pratiques ». C’est là un vœu pieux qui n’a à peu près aucune chance de se réaliser. Je n’en démords pas, si l’on veut conserver à la première son sens véritable, il faudra donner droit de cité à la seconde. Entre deux maux, il faut choisir le moindre. En terminant, je vous signale qu’une collègue du Bureau, Line GingrasNote de bas de page 22, a consacré à cette question une fiche très complète en 1987.RéférencesNote de bas de page 1 Pierre Elliott Trudeau, La Grève de l’amiante, Montréal, Éditions du Jour, 1970, p. 65. (Paru en 1956.)Retour à la référence de la note de bas de page 1Note de bas de page 2 Voir L’Actualité terminologique, vol. 33, nº 2, p.13.Retour à la référence de la note de bas de page 2Note de bas de page 3 Débats du Sénat, 23 mars 2000, p. 829.Retour à la référence de la note de bas de page 3Note de bas de page 4 Gil Rémillard, Le Devoir, 24 juin 2000.Retour à la référence de la note de bas de page 4Note de bas de page 5 Dorval Brunelle, Les trois colombes, Montréal, vlb éditeur, 1985, p. 101.Retour à la référence de la note de bas de page 5Note de bas de page 6 Renée Dupuis, La Question indienne au Canada, Montréal, Boréal Express, 1991, p. 54.Retour à la référence de la note de bas de page 6Note de bas de page 7 Guide du journaliste, Montréal, La Presse canadienne, 1969, p. 8.Retour à la référence de la note de bas de page 7Note de bas de page 8 Lexique du Journal des débats, Québec, Assemblée nationale, 1976, p. 15.Retour à la référence de la note de bas de page 8Note de bas de page 9 André Clas et Émile Seutin, Recueil de difficultés du français commercial, Montréal, McGraw-Hill, 1980.Retour à la référence de la note de bas de page 9Note de bas de page 10 Léandre Bergeron, Dictionnaire de la langue québécoise, supplément, Montréal, vlb éditeur, 1981.Retour à la référence de la note de bas de page 10Note de bas de page 11 Camille H. Mailhot, 2000 expressions françaises pratiques et utiles, Hull, Éditions Asticou, 1983, p. 190.Retour à la référence de la note de bas de page 11Note de bas de page 12 Jean-Claude Boulanger, Dictionnaire québécois d’aujourd’hui, Montréal, Éditions DicoRobert, 1992.Retour à la référence de la note de bas de page 12Note de bas de page 13 Lionel Meney, Dictionnaire québécois français, Montréal, Guérin, 1999.Retour à la référence de la note de bas de page 13Note de bas de page 14 Jean-Marie Courbon, Guide du français des affaires, Montréal, Didier, 1984, pp. 105-106.Retour à la référence de la note de bas de page 14Note de bas de page 15 Marie-Éva de Villers, Multidictionnaire des difficultés de la langue française, Montréal, Québec/Amérique, 1988.Retour à la référence de la note de bas de page 15Note de bas de page 16 Guy Bertrand, 400 capsules linguistiques, Montréal, Lanctôt éditeur, 1999, pp. 14-15.Retour à la référence de la note de bas de page 16Note de bas de page 17 Constance Forest et Denise Boudreau, Le Colpron, Montréal, Beauchemin, 4eéd., 1998, p. 268.Retour à la référence de la note de bas de page 17Note de bas de page 18 Paul Lacoste, introduction au Journal tenu pendant la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme d’André Laurendeau, Montréal, vlb éditeur/le septentrion, 1990, p. 42.Retour à la référence de la note de bas de page 18Note de bas de page 19 Louis Balthazar, Bilan du nationalisme au Québec, Montréal, L’Hexagone, 1986, p. 132. Voir aussi pp. 62, 108, 135, 151 et 199.Retour à la référence de la note de bas de page 19Note de bas de page 20 Michel Vastel, LeDroit, 10 avril 2000.Retour à la référence de la note de bas de page 20Note de bas de page 21 Denise McClelland, Guide du rédacteur de l’administration fédérale, Ottawa, Secrétariat d’État, l983, p. 80.Retour à la référence de la note de bas de page 21Note de bas de page 22 Line Gingras, Fiche Repères-T/R, Division des recherches et conseils linguistiques, Bureau de la traduction, 1987.Retour à la référence de la note de bas de page 22
Source : Chroniques de langue (la langue française vue par des langagiers)
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temps (à temps plein/à plein temps/à temps complet)

Article sur les expressions à temps plein, à plein temps et à temps complet.
Les tournures à temps plein, à plein temps et à temps complet sont attestées comme équivalents de full(-)time : Je travaille à temps plein. J’étudie à plein temps. Je travaille à temps complet.
Source : Clés de la rédaction (difficultés et règles de la langue française)
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Mots de tête : Un événement qui tourne à la manifestation

Un article sur le mot événement
Frèdelin Leroux fils (L’Actualité terminologique, volume 37, numéro 1, 2004, page 8) Pierre Drouin, qui organise des événements partout dans le monde…(Pierre Foglia, La Presse, 06.07.03) « L’événement se produit; la manifestation se tient. » C’est par cette formule lapidaire qu’un collaborateur anonymeAller à la remarque a expliquait aux lecteurs de L’Actualité terminologiqueNote de bas de page 1 (il y a presque 35 ans de cela) qu’il ne fallait pas traduire event par événement. Autrement dit, qu’événement n’était pas synonyme de manifestation. Ce bref article (quelque 600 mots), dont la limpidité et la rigueur emportent l’adhésion, aurait dû vacciner ses lecteurs contre toute velléité de péché linguistique. Alors, comment expliquer la logorrhée d’événements qu’on nous sert aujourd’hui? Ou bien les lecteurs n’étaient pas très nombreux, ou bien le pouvoir d’attraction de manifestation ne fonctionnait pas à plein – du fait peut-être de son identification à sa sœur syndicale pas toujours la bienvenue. Ou bien le pouvoir de séduction d’event aura été trop fort. Pour ma part, ce n’est qu’une fois arrivé au service de traduction des Musées que j’ai pris conscience de l’acuité du problème. Les clients nous envoyaient régulièrement à traduire leur Calendar of Events. Et presque à chaque fois, il fallait leur faire comprendre qu’en français programme suffisait. Ou calendrier des activités, à la rigueur. Mais jamais calendrier des événements! (Qui a encore la vie dure, hélas!) Malgré cette prise de conscience tardive, j’avais quand même commencé à m’intéresser au problème puisque j’ai une vieille fiche du début des années 70 où on trouve ce sigle amusant : R.I.D.E.A.U. (avec les points de rigueur pour l’époque) – Réseau indépendant des diffuseurs d’événements artistiques unis du Québec. Ouf! Diffuseurs d’événements? Sur le modèle de diffuseur de parfum, peut-être? Je plaisante, évidemment, et je dois admettre qu’à l’époque je me suis bien moqué de ce sigle. Mais aujourd’hui que ce RIDEAU s’est tiré, on se rend compte qu’il a fait des petits : le REMI et la SEMIQ. C’est-à-dire le Regroupement des événements majeurs internationaux et la Société des événements majeurs du Québec… Depuis une bonne douzaine d’années, c’est à une véritable déferlante que nous assistons. On s’invite à des événements spéciaux (Le Devoir, 30.10.91), on coordonne un événement (05.11.92), on l’inaugure (11.02.92), ou bien on le prend d’assaut (18.01.93). On peut prêter son nom à un événement, même s’il s’agit d’un simple brunch-bénéfice (La Presse, 16.03.93), ou encore en être l’organisateur (Le Moniteur acadien, 22.07.92). Et dans le cadre d’un autre événement, un congrès, par exemple, on ira jusqu’à « organiser plus de 20 heures d’événements » (Le Droit, 3.05.93). Ces événements peuvent être officiels (Le Devoir, 12.04.03) ou publics (07.05.03). Avec un peu de veine, vous pourriez rencontrer un politicien « dans un événement à saveur politique » (14.10.03). Dans trois articles différents, le terme revient quatre (11.10.03), six (23.08.02) et – dans un texte d’à peine 600 mots – huit fois (02.08.01). Et pour coiffer le tout, quoi de mieux qu’un méga-événement (25.02.02)? On a parfois l’impression que le mot ne veut plus rien dire, comme ici : « une quantité ahurissante de congrès, de colloques et d’événements internationaux » (L’Actualité, 15.11.92); « projections, événements spéciaux, spectacles parfois, voire lancements de films » (Le Devoir, 16.02.02). Toutes ces activités étant elles-mêmes des « événements », on nage en pleine tautologie. Devant pareil raz-de-marée, on se serait attendu à ce que tous les défenseurs de la langue montent au créneau. Mais seulement deux auteurs en parlent. Dès 1970, Gilles ColpronNote de bas de page 2 condamne cet emprunt, mais curieusement propose de traduire les events d’un festival par « épreuves » (dans les dernières éditions, les « épreuves » deviendront des « activités »). Il faudra ensuite attendre presque 30 ans pour qu’un autre auteurNote de bas de page 3 relève des exemples de cet usage. Vous vous doutez bien que ce n’est pas un phénomène qui est limité à notre coin de la planète. Il est presque aussi fréquent en France, et peut-être plus ancien même. Dans une lettre du 28 août 1970, le sous-préfet de Rambouillet s’excuse de ne pouvoir assister à la 31e foire de la Saint-Mathieu, qu’il qualifie d’abord de brillante manifestation, pour ensuite la baptiser d’« événement commercial »Note de bas de page 4. (Il s’agit d’une lettre authentique.) Un journaliste du Monde (24.07.85), dans un article sur le sport et l’argent, l’emploie trois fois : athlète qui participe à un événement, « sponsoring » d’un événement, retombées d’événements importants. Une publicité parue dans ce journal nous apprend que les turfistes avertis ne se déplacent « que pour les grands événements » (04.04.88). Quant au grand public, s’il se déplace hors de la capitale, ce n’est que pour les « événements exceptionnels » (25.07.90). Le même journaliste nous fait part des préoccupations du maire, « désireux de ne pas limiter l’occupation du grand stade à une quinzaine d’événements sportifs par an ». Un futur académicienNote de bas de page 5 rapporte les propos d’un « géopoliticien autoproclamé », dont le cabinet s’occupera de la « création d’événements sponsorisables ». Un entrefilet du Monde annonce un « dernier événement chorégraphique à Avignon » (01.08.91). Un texte anonyme du Figaro (12.07.01) semble regretter qu’on ait confié au régime politique chinois « l’organisation d’un événement médiatique mondial » : il s’agit des Jeux olympiques de 2008. Pour une journaliste du Monde, les Journées Georges Brassens sont des « événements festivaliers » (01.11.91), tandis qu’à propos de la Folle Journée Bach, un grammairien s’interroge :Doit-on, pour attirer le public, en passer par une telle accumulation d’événementsNote de bas de page 6? Après le brunch-bénéfice chez nous, en France ce sont les free-parties (sans guillemet dans le texte) qui s’arrogent le titre d’événements – mais le président de Médecins du monde nous rassure : « ces événements ne sont pas autorisés »Note de bas de page 7. Dans le même numéro du journal, c’est au tour du directeur de cabinet du préfet de l’Ardèche de parler des « raves », à peu près dans le même sens :La préfecture s’attend à voir débarquer des hordes de jeunes en treillis, pour un événement qui ne rentre dans le cadre d’aucune loiNote de bas de page 8. Un autre journaliste du Monde parle des Grammy Latinos comme de l’événement le plus important de la musique latino-américaineNote de bas de page 9. Le groupe français Double Zéro se plaint qu’en raison de la grève des intermittents, les « programmateurs annulent les événements »Note de bas de page 10. Et enfin, dans un entrefilet, on apprend que l’association Touraine Culture et Communication organise un « événement », la Forêt des livres, où le mot revient trois fois, et sans qu’il soit jamais question de « manifestation » (Figaro littéraire, 28.08.03). Sur le site Internet, on rencontre les deux termes. Je m’étonnais tout à l’heure du silence relatif des défenseurs de la langue chez nous, mais devant cette pléthore d’exemples hexagonaux, je devrais plutôt m’étonner du silence des dictionnaires français. Comment expliquer qu’aucun n’a relevé cet usage? À défaut de véritables occurrences, il nous faudra donc nous contenter d’emplois incidents, où l’on voit que les deux termes ne sont pas sans affinités. Le Grand Larousse de la langue française (1970) définit l’expression événement parisien comme une manifestation. Inversement, le Petit Larousse et le Petit Robert donnent de manifestation à peu près la même définition : « événement organisé dans un but commercial, culturel, etc. ». Et pour le Grand dictionnaire encyclopédique Larousse, c’est un « événement attirant un public relativement large ». À la recherche d’équivalents du terme anglais dans le Robert-Collins (1998), à « rencontre » je tombe sur ceci : « (= événement culturel) rencontre musicale – music festival ». (Cette mention ne figure pas dans l’édition précédente.) Pourquoi pas « manifestation culturelle »? C’est peut-être que dans l’esprit du rédacteur les deux termes sont devenus quasi interchangeables. Verrons-nous les prochaines éditions des dictionnaires constater cette évolution? (J’ouvre une parenthèse. À l’époque où l’auteur du billet anonyme affirmait qu’il fallait traduire « event » par « manifestation », aucun dictionnaire ne donnait ce sens au terme français. Même dans le Grand Larousse de la langue française, ou le Grand Robert (y compris l’édition de 2001), ou le Lexis (1975), outre le sens évident d’« action de manifester », on ne trouve que celui de « démonstration collective, publique et organisée d’une opinion ou d’une volonté ». Aujourd’hui, donnerait-il le feu vert à événement?) Mais ce n’est pas parce que tout ce monde prend un événement pour une manifestation que vous êtes obligé de faire de même. Il y a moyen de s’en passer. Outre manifestation, activité ou rencontre, event peut aussi se rendre par rendez-vous. Comme le montre l’exemple suivant, tiré du rapport d’un forum européen, rédigé d’abord en français : « La préparation des grands rendez-vous (telle la préparation du 9ème Congrès des Nations Unies). » Et la traduction : « To help prepare major events (e.g. preparations for the 9th United Nations Conference)Note de bas de page 11. » Par simple réflexe, je suis allé vérifier dans les dictionnaires. Le Robert-Collins confirme cet usage : « rendez-vous sportif – sporting event ». À vingt ans d’intervalle, deux journaux me fournissent un dernier équivalent. Le Monde (24.03.83) écrit que le programme d’un salon comporte trois animations : deux tables rondes et la présentation d’une enquête. Et cet exemple du Figaro littéraire (16.10.03), qui est presque une explication :Avec ses animations (lectures publiques, colloques, cafés littéraires, projections de films, concours), Lire en fête célèbre tous les livres. Ce sont bien nos « événements spéciaux ». Enfin, si vous aviez à traduire Calendar of Upcoming Events, le contexte s’y prêtant, la suggestion de Bruno Couture pourrait vous être utile : « Dates à retenir » (Informatio, avril 1983, p. 8). À tout événement (comme disait mon père), si jamais vous êtes à court d’idées, événement pourra peut-être vous dépanner…RemarquesRemarque a Il s’agit vraisemblablement d’Albert Beaudet. On reconnaît sa marque à son style laconique.Retour à la remarque aRéférencesNote de bas de page 1 « EVENT : événement ou manifestation? », L’Actualité terminologique, vol. 2, nº 7, août-sept. 1969.Retour à la référence de la note de bas de page 1Note de bas de page 2 G. Colpron, Les anglicismes au Québec, Montréal, Beauchemin, 1970.Retour à la référence de la note de bas de page 2Note de bas de page 3 Lionel Meney, Dictionnaire québécois-français, Montréal, Guérin, 1999.Retour à la référence de la note de bas de page 3Note de bas de page 4 Jacques Gandouin, Correspondance et rédaction administratives, Armand Colin, 3eéd., 1970, p. 287.Retour à la référence de la note de bas de page 4Note de bas de page 5 Bertrand Poirot-Delpech, Le Monde, 23.01.91.Retour à la référence de la note de bas de page 5Note de bas de page 6 Jacques Drillon, Le Nouvel Observateur, 10-16.02.00.Retour à la référence de la note de bas de page 6Note de bas de page 7 Françoise Lemoine, Le Figaro, 12.07.01.Retour à la référence de la note de bas de page 7Note de bas de page 8 Ibid.Retour à la référence de la note de bas de page 8Note de bas de page 9 Repris dans Le Devoir, 16.07.03.Retour à la référence de la note de bas de page 9Note de bas de page 10 Interviouvé par Stéphane Baillargeon, Le Devoir, 16.07.03.Retour à la référence de la note de bas de page 10Note de bas de page 11 Michel Marcus et Catherine Vourc’h, Sécurité et Démocratie, Forum européen pour la sécurité urbaine, Saint-Amand-Montrond (Cher), 1993. Traduit par Barry Tulett.Retour à la référence de la note de bas de page 11
Source : Chroniques de langue (la langue française vue par des langagiers)
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Mots de tête : Un mot qui sème la division

Un article sur l’expression divisif
Frèdelin Leroux fils (L’Actualité langagière, volume 5, numéro 2, 2008, page 16) La démocratie occupe l’État législateur par son gouvernement divisé et diviseur (Charles Maurras). Il est assez étonnant qu’aucun dictionnaire, aussi bien de faux amis ou d’anglicismes que de québécismes, ne condamne ou ne relève l’emploi que nous faisons de « divisif », depuis quand même assez longtemps. Il faut aller sur le site de Radio-Canada, ou de l’Office québécois de la langue française, pour apprendre qu’il s’agit d’un calque de l’anglais « divisive ». Ce que vous aviez déjà deviné, en voyant que les dictionnaires se contentent à peu près tous d’une explication du genre « qui crée des divisions ». Outre plusieurs traductions-locutions semblables, René MeertensNote de bas de page 1 propose aussi des équivalents comme conflictuel, controversé, délicat, épineux. On se demande s’il n’a pas été tenté d’ajouter sensible… Quoi qu’il en soit, ces termes n’évoquent pas spontanément l’idée de l’anglais, et fait assez cocasse, aucun dictionnaire n’a cru bon de les traduire par « divisive ». (Une omission n’est pas un jugement sans appel, bien sûr.) Pour sa part Luc LabelleNote de bas de page 2 propose une traduction que je n’ai pas vue ailleurs, « qui crée des clivages ». Et deux équivalents plutôt rares, « fractionniste » et « fractionnel ». Ce dernier a beau être rare, on le trouve dans la Banque de terminologie du gouvernement canadien (TERMIUM®), dont la fiche date de 1993. Et coïncidence intéressante, la même année, le Larousse bilingue traduisait « fractionnel » par « divisive »; et à peu près à la même époque, le Robert-Collins en fera autant. C’est aussi ce que propose la Banque de dépannage linguistique de l’OQLF pour éviter « divisif ». Quant à Guy Bertrand de Radio-Canada, dans son « Français au micro », il ajoute « fractionniste ». Voilà autant de traductions intéressantes à ajouter à votre panoplie. (L’OQLF propose également explosif, qui me paraît entrer dans la même catégorie que conflictuel et compagnie.) Nous employons « divisif » depuis au moins quarante ans. André LaurendeauNote de bas de page 3 le note dans son Journal, en date du 31 mars 1965, en prenant soin de le guillemeter : « Mais la langue n’est-elle pas, de soi, "divisive"? » C’était à l’époque de l’enquête de la Commission sur le bilinguisme et le biculturalisme, et on peut présumer que Laurendeau a dû souvent entendre « divisive » dans la bouche des témoins qui défilent devant la Commission, la langue étant, peut-être encore plus que la culture, une question particulièrement diviseuse. Après la culture et la langue, voilà que le multiculturalisme sème à son tour la division : « ce qu’il y a de généreux et d’ouvert dans la politique canadienne du multiculturalisme est vite enveloppé et subjugué par ce qui s’y trouve d’illusoire et de divisifNote de bas de page 4 ». Autre exemple guillemeté, où les vues « divisives » de l’un peuvent servir les visées des autres : « Et même si les séparatistes espèrent que les vues "divisives" de M. ManningNote de bas de page 5 … » On le voit, la politique est un terrain fertile pour l’emploi de ce terme. Et a fortiori le débat public : « le débat est devenu plus divisif » (Michel Venne, Le Devoir, 9.9.98); « savoir à quel point le débat est divisif » (Michel David, Le Devoir, 6.2.03). Et après le débat, vient naturellement le vote : « embarrasser le gouvernement en provoquant un vote divisif des libéraux sur la question » (Chantal Hébert, Le Devoir, 30.8.04). Autre sujet diviseur, l’enseignement de l’histoire : « les versions subséquentes des programmes d’histoire nationale sont devenues beaucoup moins axées sur les aspects conflictuelsAller à la remarque a et divisifs » (Jean-François Cardin, Le Devoir, 29.4.06). Et pour faire bonne mesure, je termine avec un exemple très récent, et que la journaliste sent encore le besoin de guillemeter, quarante ans après Laurendeau : « ce parti propose les deux démarches les plus "divisives" et les plus explosives qui soient » (Lysiane Gagnon, La Presse, 29.3.07). Signe que le terme n’est pas encore entré dans l’usage. Le bon, en tout cas. Si vous n’avez pas sauté la phrase de Maurras en exergue, et que vous avez lu les deux derniers paragraphes attentivement, vous devez commencer à vous demander comment il se fait qu’aucun dictionnaire n’ait encore pensé à traduire « divisive » par « diviseur »? Avant de tenter de répondre à cette question, jetons un rapide coup d’oeil sur l’emploi, chez nous et en France, de ce mot négligé et méconnu. Chez nous, c’est encore Laurendeau qui ouvre le bal : « Question irritante et diviseuse » (Le Devoir, 30.8.52). Ainsi, Laurendeau aurait employé « diviseur » treize ans avant que le ver anglais ne s’introduise dans la pomme de discorde de la Commission… Je n’ai pas beaucoup d’exemples, mais assez pour montrer que nous n’employons pas exclusivement « divisif » : « il ne peut y avoir de pire moment pour relancer un débat aussi diviseur » (Pierre O’Neill, Le Devoir, 1.3.96); « les mouvements de femmes, qu’il juge bourgeois et diviseurs du mouvement » (Suzanne Giguère, Le Devoir, 4.4.04); « on est peu enclin à faire une campagne sur l’Afghanistan, un sujet hautement diviseur » (Vincent Marissal, La Presse, 7.2.08). Les Français l’emploient depuis pas mal plus longtemps que nous. La phrase de Maurras, que vous venez de relire et qui m’est fournie par le Grand Larousse de la langue française, est tirée d’un essai de 1910. À défaut de fréquence, le mot peut au moins se targuer d’une certaine ancienneté. Mon second exemple date d’un quart de siècle plus tard : « Les idées des partis, les idées diviseuses ont, en République, des agents passionnés… » C’est le Grand Robert qui le donne, tiré d’un autre ouvrage de Maurras, Mes idées politiques, paru en 1937. Depuis Maurras, on ne peut pas dire que les Français se soient bousculés au portillon pour l’employer, mais on le rencontre. Dans un Que sais-je? sur le vocabulaire politiqueNote de bas de page 6, où l’auteur s’en tient au substantif : « candidat qui, prenant des voix au candidat officiel, risque de faire chuter celui-ci ». De fait, plusieurs dictionnaires réservent ce terme aux personnes : « personne qui est une source de désunion » (GDEL, PLI). Le Petit Robert l’applique également à une chose, mais toujours comme substantif : « personne, force qui sème la division, la désunion ». On peut présumer que c’est un oubli, car d’autres indiquent qu’il s’emploie adjectivement : le GLLF et le Grand Robert, comme on vient de le voir, ainsi que le Dictionnaire de l’Académie, qui parle d’emploi en apposition : « jouer un rôle diviseur ». Trois derniers exemples de cet emploi comme adjectif : « À l’heure du sans-frontiérisme, l’État juif et l’identité juive apparaissent comme les très inquiétants vestiges du racisme diviseur » (Alain Finkielkraut, Le Monde, 11.11.07). Dans une traduction de l’espagnol, deux emplois semblables : « encore loin de s’être affranchi de son anarchie et de son tribalisme diviseurs »; « l’esprit raciste, radicalement diviseur et provocateur du professeur HuntingtonNote de bas de page 7 ». Ce n’est pas l’abondance, me direz-vous, mais c’est peut-être assez pour amener les lexicographes à se poser à leur tour la question que je posais tout à l’heure : pourquoi n’a-t-on pas encore songé à traduire « divisive » par « diviseur »? Les définitions sont à tout prendre identiques : « divisive » — « tending or serving to divide, disunite » (Gage Canadian Dictionary), et « diviseur » — « qui provoque des divisions, des dissensions » (Académie). On dirait que l’un a copié l’autre… Même sur Internet, on peine à trouver des exemples. Pour éliminer ceux des domaines techniques, notamment des mathématiques, j’ai interrogé à partir de couples, comme débat diviseur, idée diviseuse, thème diviseur, etc. Résultat, une petite centaine d’occurrences. Alors qu’avec « divisif », elles sont incomparablement plus nombreuses. Si les défenseurs de la langue, les pourchasseurs d’anglicismes surtout, ne veulent pas que « divisif » s’installe chez nous à demeure, ils auraient intérêt à user de leur pouvoir de persuasion auprès de leurs amis qui ont leurs entrées dans les maisons de dictionnaires, les bilingues entre autres. S’ils ont réussi à faire entrer « se peinturer dans le coin » dans le dernier Harrap’s, ils ne devraient pas avoir trop de mal à faire accepter le tandem « diviseur/divisive ». D’ailleurs, soit dit entre nous et votre conscience, entre « fractionnel » et « diviseur », votre cœur balance-t-il vraiment? Pas le mien. Retour à la remarque a Il est intéressant de noter l’emploi de cet équivalent de « divisive » et d’un autre, « explosif », deux lignes plus bas.RéférencesNote de bas de page 1 Meertens, Guide anglais français de la traduction, Chiron, 2002.Retour à la référence de la note de bas de page 1Note de bas de page 2 Labelle, Les mots pour le traduire, 3e éd., 2007.Retour à la référence de la note de bas de page 2Note de bas de page 3 Laurendeau, Journal tenu pendant la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme, VLB-Septentrion, 1990, p. 319.Retour à la référence de la note de bas de page 3Note de bas de page 4 Claude Corbeau, Lettre fraternelle, raisonnée et urgente à mes concitoyens immigrants, Lanctôt, Montréal, 1996, p. 102.Retour à la référence de la note de bas de page 4Note de bas de page 5 Le Devoir, 7.6.97. Passage du journal The Gazette cité par Gilles Lesage et sans doute traduit par lui.Retour à la référence de la note de bas de page 5Note de bas de page 6 Jean-Marie Denquin, Vocabulaire politique, P.U.F., coll. « Que sais-je? », 1997, p. 64.Retour à la référence de la note de bas de page 6Note de bas de page 7 Carlos Fuentes, Contre Bush, Gallimard, 2004, p. 84. Traduit par Svetlana Doubin.Retour à la référence de la note de bas de page 7
Source : Chroniques de langue (la langue française vue par des langagiers)
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