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Mots de tête : « livrer la marchandise »

Un article sur l’expression livrer la marchandise
Frèdelin Leroux fils (L’Actualité terminologique, volume 29, numéro 1, 1996, page 15) L’Ontario livre la marchandise.(J.-Cl. Leclerc, Le Devoir, 26.11.86) Marchandise offerte est à demi vendue, dit le proverbe. Mais pas complètement, quand même. Aussi, pour boucler le marché, il faut parfois la farder (« chercher à en faire accroire »), la débiter, ou la vanter (« faire valoir ce qu’on a, ce qu’on fait, en tirer vanité »). Certains iront jusqu’à tromper sur la marchandise (« donner autre chose que ce qu’on avait promis »). On le voit, la marchandise se prête à tous nos caprices. On peut même la livrer. Voire la délivrer. Mais au propre seulement. Et pourquoi pas au figuré? me demandez-vous. J’aimerais bien pouvoir vous répondre aussi ingénument. Cela a peut-être quelque chose à voir avec ce fichu génie de la langue. Comme vous le savez, les anglophones, eux, le peuvent. Et ils ne s’en privent pas. Chez eux, n’importe qui, ou n’importe quoi, peut deliver the goods :(…) to wait for the new economy to deliver the goods (James Bagnall, The Ottawa Citizen, 29.10.93). Si le sens courant, to do or produce the thing required, est relativement récent, to deliver the goods ne date pas d’hier. D’après Les Mots américainsNote de bas de page 1, l’expression remonterait à 1879. En politique, elle signifiait « apporter des voix sur un plateau ». Irène de BuisseretNote de bas de page 2 nous propose justement comme premier sens « tenir ses promesses (électorales ou autres) ». Elle donne deux autres traductions : « répondre aux espoirs » et « remplir son rôle convenablement ». Claude Cornillaud, rédacteur en chef de la défunte Revue du traducteur (mai 1983), traduit par « faire le travail » (ce n’est pas génial, mais ça peut servir). Quant aux dictionnaires bilingues le Harrap portatif (1991), le Robert-Collins (1993), le Larousse bilingue (1993) et le Hachette-Oxford (1994), on croirait qu’ils ont copié les uns sur les autres; ils optent tous pour « tenir parole ». Le Harrap ajoute « remplir ses engagements »; le Larousse, à deliver, « tenir bon »; le Hachette, « répondre à l’attente ». Outre l’incontournable « tenir parole », un dictionnaire de faux amisNote de bas de page 3 donne deux traductions négatives : « the government (…) haven’t delivered the goods – on attend toujours, on n’a rien vu ». C’est à retenir, au cas où. Pour ne pas être en reste, je vous propose « remplir son mandat » (Lexis), « être à la hauteur », « réaliser, remplir son contrat » (Petit Robert). « Tenir le pari » pourrait également faire l’affaire : Nonobstant une présentation bien grise (…), Eveno et Planchais ont tenu le pari (J.-P. Rioux, Le Monde, 24.11.89). C’est bien l’idée de « to carry out one’s part of the agreement » (Concise Oxford Dictionary). J’ignore depuis quand nous livrons la marchandise (une bonne dizaine d’années?), mais il ne fait aucun doute que la palme de l’emploi le plus fréquent nous est acquise. Grâce aux journalistes, notamment : deux à La Presse, six au Devoir, six au Droit. Cela commence à faire du monde à la messe. Je sais, je sais, les journalistes, ce n’est pas la plus sûre des cautions. Mais ils ont l’appui de gens sérieux. Deux universitaires, Gérard BergeronNote de bas de page 4 et Guy LaforestNote de bas de page 5, ne dédaignent pas la tournure. C’est un signe, à mon avis, que le tour est entré dans le bon usage. Le nôtre en tout cas. D’ailleurs, les dictionnaires québécois l’admettent depuis quelque temps. Le premier en date est le Dictionnaire des expressions québécoisesNote de bas de page 6 de Pierre DesRuisseaux : « agir conformément à ses promesses », « aboutir selon les prévisions ». L’année suivante paraît le Dictionnaire pratique des expressions québécoisesNote de bas de page 7 de Dugas et Soucy. On se contente de reprendre les définitions de DesRuisseaux. Mais le Dictionnaire québécois d’aujourd’huiNote de bas de page 8, ce galeux dont on continue de dire pis que pendre, donne une nouvelle acception, qui rend bien le sens que nous lui donnons souvent : « prouver ses capacités ». Pour faire bonne mesure, il ne nous reste plus qu’à trouver des exemples ailleurs que chez nous. Certes, il n’en pleut pas. Mais il y en a. Et ils ont largement l’âge de la retraite. Sauf erreur, c’est aux traducteurs du Guide de la femme intelligenteNote de bas de page 9 de Shaw que revient la palme du premier emploi. Il y a soixante-quinze ans de cela. Augustin et Henriette Hamon n’ont pas craint de traduire littéralement : « livrer la marchandise ». Vous me direz que ça n’était pas sorcier. Il suffisait de suivre l’anglais. J’en conviens. Mais quinze ans plus tard, un futur académicien fera encore mieux :Les circonstances m’ayant introduit dans le métier diplomatique, j’ai considéré que l’honnêteté m’obligeait, comme disent les Américains, à « délivrer la marchandise », à donner le principal de mes forces au patronNote de bas de page 10. Cette citation est de Paul Claudel, qui, un an plus tard, entrait à l’Académie. « On rit pus », comme disent les académiciens… Quelques années auparavant, Claudel avait employé l’expression anglaise telle quelle : « (…) suivant l’expression américaine, it does not deliver the goodsNote de bas de page 11 ». À la deuxième occasion, l’envie de traduire aura été trop forte. Mais pourquoi avoir traduit aussi servilement? Et pourquoi délivrer?! Est-ce un lapsus? J’en doute. Mais ce n’est pas ce qui m’intéresse aujourd’huiAller à la remarque a. Deux exemples, un de 1929 et un autre de 1945, bilan plutôt maigre, me direz-vous. Ça ne fait pas un printemps linguistique. C’est juste. Mais je mettrais votre main au feu que la tournure va se répandre. D’abord parce qu’elle est imagée. Ensuite parce qu’elle n’est pas contraire au « génie » de la langue. La preuve. On employait autrefois livrer avec exactement le même sens que l’expression anglaise :Ce n’est pas tout que de vendre, il faut livrer; il ne suffit pas de promettre quelque chose, il faut trouver les moyens de l’exécuterNote de bas de page 12. Qui sait? En donnant le feu vert à « livrer la marchandise », on permettra peut-être à livrer de reprendre du service. Abondance de biens ne nuit pas.RemarquesRemarque a Je ne résiste pas à la tentation de signaler que j’ai relevé exactement la même expression quarante ans après Claudel sous la plume de Claude Sarraute : « cette pauvre Américaine, obligée (…) à honorer son contrat en délivrant la marchandise, le fameux Baby M., à son acheteurNote de bas de page 13 ». (J’ai pour mon dire que nos commerçants ne seraient pas mécontents de pouvoir délivrer en toute impunité, et sans faire de peine aux défenseurs de la langue.)Retour à la remarque aRéférencesNote de bas de page 1 Jean Forgue, Les Mots américains, P.U.F., coll. Que sais-je?, 1976, p. 33.Retour à la référence de la note de bas de page 1Note de bas de page 2 Irène de Buisseret, Le Guide du traducteur, A.T.I.O., 1970, p. 198; Deux langues, six idiomes, p. 173.Retour à la référence de la note de bas de page 2Note de bas de page 3 Jacques Van Roey, Sylviane Granger et Helen Swallow, Dictionnaire des faux amis français-anglais, Duculot, 1988, p. 201.Retour à la référence de la note de bas de page 3Note de bas de page 4 Gérard Bergeron, À nous autres, Québec/Amérique, 1986, p. 94 et 116.Retour à la référence de la note de bas de page 4Note de bas de page 5 Guy Laforest, De la prudence, Boréal, 1993, p. 45.Retour à la référence de la note de bas de page 5Note de bas de page 6 Pierre DesRuisseaux, Dictionnaire des expressions québécoises, Hurtubise HMH, 1990. (L’expression ne se trouve pas dans la première édition de 1979).Retour à la référence de la note de bas de page 6Note de bas de page 7 André Dugas et Bernard Soucy, Le Dictionnaire pratique des expressions québécoises, Éditions Logiques, 1991.Retour à la référence de la note de bas de page 7Note de bas de page 8 Jean-Claude Boulanger, Dictionnaire québécois d’aujourd’hui, Dicorobert Inc., 1992.Retour à la référence de la note de bas de page 8Note de bas de page 9 George Bernard Shaw, Guide de la femme intelligente, Éditions Montaigne, Paris, 1929, p. 411. Traduit par Augustin et Henriette Hamon.Retour à la référence de la note de bas de page 9Note de bas de page 10 Paul Claudel, œuvres en prose, Gallimard, coll. de La Pléiade, 1965, p. 1357. Texte paru en 1945.Retour à la référence de la note de bas de page 10Note de bas de page 11 Id., Contacts et circonstances, Gallimard, 1947, p. 110. Texte paru en 1938.Retour à la référence de la note de bas de page 11Note de bas de page 12 René Lagane, Locutions et proverbes d’autrefois, Belin, 1983, p. 188.Retour à la référence de la note de bas de page 12Note de bas de page 13 Claude Sarraute, Le Monde, 7.4.87.Retour à la référence de la note de bas de page 13
Source : Chroniques de langue (la langue française vue par des langagiers)
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Mots de tête : « Marcher des milles ou faire des kilomètres à pied? »

Un article sur l’expression marcher des milles ou des kilomètres
Frèdelin Leroux fils (L’Actualité langagière, volume 4, numéro 2, 2007, page 26) Cinq heures plus tard, j’ai marché dix ou douze kilomètres.(Louis Gauthier, Voyage en Irlande avec un parapluie) C’est avec incrédulité – pour ne pas dire consternation – que j’appris il y a plusieurs lustres que les enfants des rangs de mon village qui devaient « marcher » deux ou trois milles pour se rendre à l’école, eh bien, c’est à pied qu’ils les faisaient… C’est Claude Duneton qui m’apprit la mauvaise nouvelle. Il rapporte que son fils, en rentrant à la maison, lui annonce : « J’ai marché quatre kilomètres ». Et Duneton d’ajouter : « Il ne connaît pourtant pas l’anglais : I walked four miles. C’est l’instinct; il ne sait pas encore, ô innocence! que le peuple auquel il appartient est censé préférer les tournures nominales, et que par décision d’en haut il doit dire : J’ai fait quatre kilomètres à piedNote de bas de page 1. » Et vous, vous le saviez? Vous devriez, car on nous met en garde contre cet usage depuis assez longtemps. Chez nous, Marie-Éva de Villers est peut-être la première à en parler : « En français, le verbe marcher est intransitif; il ne peut être suivi d’un complément de distance comme en anglais. Bianca fait 2 km pour aller à l’école (et non marche 2 km) »Note de bas de page 2. Mais elle n’a pas toujours été de cet avis, car dans la première édition de son ouvrage on trouve cet exemple : « Elle a marché deux kilomètres pour aller à l’école »Note de bas de page 3. Qu’est-ce qui a pu lui faire changer son fusil d’épaule? Sûrement pas le ColpronNote de bas de page 4, puisque ce n’est qu’en 1998 que les auteurs l’ajoutent à leur liste d’anglicismes. Et pas davantage Paul RouxNote de bas de page 5 ou Lionel MeneyNote de bas de page 6, puisque leurs ouvrages ne paraîtront qu’en 1997 et 1999. Serait-ce alors la fameuse Stylistique comparée de Vinay et Darbelnet? Au chapitre de la prédominance du substantif en français, les auteurs donnent cet exemple : « Il a fait dix kilomètres le ventre vide : He walked seven miles on an empty stomach »Note de bas de page 7. Mais je soupçonne que c’est plutôt le Hanse qui lui a mis la puce à l’oreille, car elle a repris à peu près la même formulation : « Marcher ne peut être suivi comme en anglais d’un complément de distance. On dit : Je fais trois kilomètres tous les matinsNote de bas de page 8. » Par ailleurs, elle avait sûrement lu Duneton. Si oui, il me semble qu’elle aurait pu mettre un bémol à sa condamnation. Quoi qu’il en soit, si Hanse prend la peine de faire une sorte de rappel à l’ordre, c’est sans doute qu’il y avait déjà des délinquants qui s’entêtaient à « marcher » de travers. Le plus ancien de ces empêcheurs de marcher en rond pourrait bien être Roger Vercel. Heureusement que Bertrand Tavernier a eu l’idée de porter à l’écran son roman Capitaine Conan, paru en 1934, autrement je ne l’aurais probablement jamais lu et cette phrase m’aurait échappé : « Les quatre kilomètres à marcher jusqu’au fleuve parurent interminables »Note de bas de page 9. Pourquoi Vercel n’a-t-il pas écrit simplement « les quatre kilomètres à faire jusqu’au fleuve »? Le lecteur aurait compris qu’il fallait les faire à pied. Mon deuxième exemple date à peu près de la même époque. Il est de Léon Werth : « Les deux autres doivent marcher encore trois cents kilomètres »Note de bas de page 10. Jean Giono, pour sa part, tout à son plaisir de marcher, tombe dans le pléonasme : « j’avais presque marché trente kilomètres à pied »Note de bas de page 11. (Hanse écrit que ce n’est plus considéré comme un pléonasme depuis longtemps, mais certains ouvrages le déconseillent encore.) L’infatigable voyageur qu’était Nicolas Bouvier ne se contentait pas de bouffer des kilomètres en Fiat Topolino, il marchait aussi beaucoup, aussi bien à 36 ans (en 1965) : « j’ai bien marché vingt kilomètres au hasard dans la ville »Note de bas de page 12, qu’à 56 (en 1985) : « J’ai marché aujourd’hui près de vingt kilomètres »Note de bas de page 13. À l’instar de Bouvier, les reporters ne dédaignent pas de « marcher » des kilomètres ; la spécialiste de la Tchétchénie, Anne NivatNote de bas de page 14 : « nous devons marcher de longs kilomètres dans la nuit noire » ; « ils ont dû marcher plusieurs kilomètres à travers des champs de mines » ; un grand reporter polonais, Ryszard Kapuściński : « À Abdallah Wallo, l’eau est proche, mais ailleurs il faut marcher des kilomètres »Note de bas de page 15 ; l’auteur d’Hôtel Palestine, journaliste en Irak : « Vous me dites que vos hommes sont capables de marcher 75 kilomètres en 17 heures »Note de bas de page 16. Rien d’étonnant non plus à ce qu’un romancier « régionaliste » l’emploie : « Tu crois qu’on a beaucoup marché? – Peut-être cinq kilomètres » ; « Plus que vingt kilomètres à marcher »Note de bas de page 17. Dans le récit d’un clochard, fait de vive voix, on rencontre les deux formules : « Si on a envie de marcher vingt kilomètres, on fait vingt kilomètres »Note de bas de page 18. On en trouve bien sûr des exemples sur Internet : « Pour parcourir le sentier impérial, il faut être prêt à marcher des kilomètres et des kilomètres » (Courrier international, 27.11.03) ; « les femmes doivent marcher des kilomètres dans les zones rurales pour prendre de l’eau » (L’Humanité). Sur le site des éditions Corti, à propos de l’auteur d’un récit intitulé Quinze cents kilomètres à pied à travers l’Amérique profonde, on dit de lui qu’il aime « marcher jusqu’à 80 kilomètres par jour ». Enfin, au moins trois dictionnaires enregistrent cet usage. Le Dictionnaire universel du français (Hachette, 1997) donne, à « kilomètre », « marcher plusieurs kilomètres sans s’arrêter ». Curieusement, c’est le même exemple qui figure dans le Dictionnaire du français plus, paru dix ans plus tôt. La clef, c’est peut-être que l’auteur du Français plus a aussi collaboré au DUF . (Chose non moins curieuse, l’expression ne figure pas dans le Dictionnaire québécois d’aujourd’hui, où on se serait attendu à la trouver.) Sauf erreur, un seul dictionnaire bilingue l’enregistre, le Hachette-Oxford (dès sa parution en 1994) : « marcher des kilomètres = to walk for miles ». Et il n’y a pas que « marcher » qui se voit servi à la sauce transitive, « rouler » aussi. Qui ne connaît la belle chanson de Richard Desjardins : « J’ai roulé quatre cents milles, sous un ciel fâché »? Mais ce n’est pas une exclusivité québécoise, puisque Léon Werth en fait autant : « J’ai de quoi rouler une cinquantaine de kilomètres »Note de bas de page 19. Dans une traduction de l’anglais, on « galope » des milles : « Ces quatre mois que j’ai passés à galoper des centaines de milles à travers les plaines brûlantes »Note de bas de page 20. Et dans une traduction de l’espagnol, on « nage » des mètres : « les 40 mètres aller retour que j’ai nagés pour récupérer la pièce abattue par Alberto »Note de bas de page 21. Et que dire de « courir »? Certes, on peut courir le (ou un) 100 mètres, mais écririez-vous « courir cent mètres »? Les Immortels, eux, n’hésitent pas, et avec « mille » en plus. Je sens que vous ne me croyez pas, alors je vous invite à ouvrir le dictionnaire de l’Académie (après l’avoir dépoussiéré) à l’entrée « mille », et vous pourrez y lire « courir dix milles ». Ce qui nous amène inévitablement à poser la question : Si on peut courir dix milles, pourquoi ne pourrait-on pas les « marcher »? Le regretté Jean-Marie Laurence s’était déjà posé la question, il y a une cinquantaine d’années. Dans un mémoire présenté à la Société royale du Canada, « Premiers principes d’une théorie de l’anglicisme », il parle assez longuement de ce problème. Écoutons-le : « Par crainte de l’anglicisme, faut-il nous priver de l’expression marcher un mille? Faut-il dire, sous peine de faute grave : faire un mille à pied? En théorie, non. Il est aussi français de dire marcher un mille pour se rendre chez sa dulcinée que dormir douze heures pour se reposer de n’avoir rien fait. On dit fort bien courir un mille. Et pourquoi pas marcher un mille? On objectera que marcher, au sens qui nous intéresse, est intransitif et refuse tout complément direct. Dans marcher un mille, le complément un mille n’est pas direct non plus, mais circonstanciel.Note de bas de page 22 » Je vous laisse trancher s’il s’agit d’un complément direct ou circonstanciel. Pour ma part, j’espère simplement que mes exemples feront que cet appel au bon sens sera entendu, et que même dans sa tombe Laurence pourra, pour aller voir sa dulcinée, marcher le mille qui l’en sépare… ou le faire à pied.RéférencesNote de bas de page 1 Parler croquant, Stock, 1973, p. 137.Retour à la référence de la note de bas de page 1Note de bas de page 2 Multidictionnaire des difficultés de la langue française, Québec /Amérique, 2e édition, 1993.Retour à la référence de la note de bas de page 2Note de bas de page 3 Multidictionnaire, 1reéd., 1988.Retour à la référence de la note de bas de page 3Note de bas de page 4 Constance Forest et Denise Boudreau, Le Colpron, Beauchemin, 1998.Retour à la référence de la note de bas de page 4Note de bas de page 5 Lexique des difficultés du français dans les médias, Éditions la Presse, 1997.Retour à la référence de la note de bas de page 5Note de bas de page 6 Dictionnaire québécois-français, Guérin, 1999.Retour à la référence de la note de bas de page 6Note de bas de page 7 Jean-Paul Vinay et Jean Darbelnet, Stylistique comparée du français et de l’anglais, Beauchemin, 1966, p. 114.Retour à la référence de la note de bas de page 7Note de bas de page 8 Joseph Hanse, Nouveau Dictionnaire des difficultés du français moderne, Duculot, 1983.Retour à la référence de la note de bas de page 8Note de bas de page 9 Capitaine Conan, Poche, 1969, p. 232 (Albin Michel, 1934).Retour à la référence de la note de bas de page 9Note de bas de page 10 33 jours, Seuil, coll. Points, 1994, p. 91 (manuscrit de 1940).Retour à la référence de la note de bas de page 10Note de bas de page 11 Les âmes fortes, Pléiade, 1980, p. 256 (Gallimard, 1950).Retour à la référence de la note de bas de page 11Note de bas de page 12 Chronique japonaise, Payot, 1989, p. 122.Retour à la référence de la note de bas de page 12Note de bas de page 13 Journal d’Aran et d’autres lieux, Payot, 1990, p. 78.Retour à la référence de la note de bas de page 13Note de bas de page 14 Chienne de guerre, Poche, 2001, p. 155 et 252.Retour à la référence de la note de bas de page 14Note de bas de page 15 Ébène, Pocket, 2002, p. 250 (traduit par Véronique Patte).Retour à la référence de la note de bas de page 15Note de bas de page 16 Charles Lambroschini, Le Figaro littéraire, 30.10.03 (compte rendu d’Hôtel Palestine de Patrick Forestier).Retour à la référence de la note de bas de page 16Note de bas de page 17 Christian Signol, Les amandiers fleurissaient rouge, Pocket, 1990, p. 194 et 259.Retour à la référence de la note de bas de page 17Note de bas de page 18 Patrick Declerck, Les naufragés, Pocket, 2003, p. 168.Retour à la référence de la note de bas de page 18Note de bas de page 19 Werth, op. cit., p. 97.Retour à la référence de la note de bas de page 19Note de bas de page 20 Vladimir Pozner, présentation de 10 jours qui ébranlèrent le monde de John Reed, Éditions sociales, 1982, p. 12.Retour à la référence de la note de bas de page 20Note de bas de page 21 Che Guevara, Voyage à motocyclette, Mille et une nuits, 1997, p. 32 (traduit par Martine Thomas).Retour à la référence de la note de bas de page 21Note de bas de page 22 Mémoires de la Société royale du Canada, tome XLIX, 3e série, première section, juin 1955, p. 19.Retour à la référence de la note de bas de page 22
Source : Chroniques de langue (la langue française vue par des langagiers)
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Mots de tête : « ajouter l’insulte à l’injure »

Un article sur l’expression ajouter l’insulte à l’injure
Frèdelin Leroux fils (L’Actualité langagière, volume 6, numéro 4, 2009, page 10) On notera, comme pour ajouter l’insulteà l’injure, l’absence des signes diacritiques.(Jean-Luc Gouin, philosophe et défenseurdu français, Le Devoir, 28.7.09) C’est en naviguant sur Internet que j’ai trouvé le sujet de ma chronique. Un internaute se posait cette question, existentielle s’il en est : « Je me demande s’il existe une expression anglaise équivalente au français ajouter l’insulte à l’injure. » Fort heureusement, un saint-bernard internaute, anglophone, ne tarda pas à se porter à son secours : « You can add insult to injury in English, too; in fact I’m surprised to see a literal equivalent in French. Can you tell us more about the nuances of the French version? » Comme vous devez vous en douter un peu, le tour français est le calque de l’autreAller à la remarque a. Mais je vois à votre mine dubitative que vous ne me croyez qu’à moitié. Plusieurs auteurs pourront vous le confirmer – Camil ChouinardNote de bas de page 1, Paul RouxNote de bas de page 2, Michel ParmentierNote de bas de page 3. Ou encore le site Web de l’Office québécois de la langue française, ou du Français au micro (Guy Bertrand). Ce ne sont pas les façons d’éviter le calque qui manquent. Rien que dans les dictionnaires, j’en ai relevé une douzaine : le Harrap’s se contente de « pour couronner le tout »; le Robert-Collins donne « ce serait vraiment dépasser la mesure » et « aller trop loin »; le Larousse bilingue propose une variante : « dépasser les bornes ». Enfin, le Hachette-Oxford se rapproche de l’anglais : après « pour comble », il étoffe : « et pour comble d’insulte ». On trouve d’autres équivalents sur le site de l’OQLF : « aggraver son cas », « retourner le fer dans la plaieAller à la remarque b », et deux qui ressemblent un peu à l’anglais : « redoubler d’insultes » et « doubler ses torts d’un affront ». On trouve aussi ces deux derniers dans l’ouvrage d’Irène de BuisseretNote de bas de page 4. Deux des auteurs mentionnés ci-dessus proposent des tournures que je n’ai pas vues ailleurs : « et comme si cela ne suffisait pas » (Chouinard), « et par-dessus le marché » (Roux). Je serais tenté d’en ajouter deux de mon cru, « la goutte qui fait déborder le vase » et « jeter de l’huile sur le feu ». Certes, elles ne sont pas passe-partout comme l’anglais, mais dans le contexte idoine… En fouillant dans le dictionnaire de l’Académie, je suis tombé par un heureux hasard sur « brochant sur le tout », que le Harrap’s traduit par « and to crown/cap it all », ce qui correspond exactement à « pour couronner le tout », sa propre traduction de « to add insult to injury ». C’est à donner le tournis… Enfin, dans son fameux The GimmickNote de bas de page 5, Adrienne propose un équivalent quelque peu inusité : « cette remarque a vraiment doublé la dose ». Devant un tel choix, on pourrait croire que les Québécois n’auraient rien de plus pressé que de se débarrasser du calque. Hélas, j’ai l’impression qu’ils continueront de « calquer » à qui mieux mieux, car ils semblent y prendre plaisir. Il faut dire que le pli est pris depuis longtemps. En 1836, le grand journaliste Étienne Parent l’emploie : « C’est sans doute pour ajouter l’insulte à l’injure que la coterie du pouvoir est sans cesse criant contre […] la puissance formidable de la branche populaireNote de bas de page 6. » Quelques années plus tard, Michel BibaudNote de bas de page 7, poète-historien, accuse un membre du Conseil législatif d’en faire autant : « le moyen de justification employé par M. Monk ajoutait l’insulte à l’injure ». Bibaud a écrit une suite à son Histoire, et cette fois l’expression se retrouve dans la bouche de deux parlementaires. D’abord, le futur président de l’Assemblée, Antoine Cuvillier : « Ne semble-t-on pas avoir rejeté tout sentiment d’humanité, pour ajouter l’insulte à l’injure? » Et ensuite le grand PapineauNote de bas de page 8 : « un petit nombre d’hommes […] dilapident des revenus pour les salarier, eux, les ennemis du pays, pour ajouter l’insulte à l’injure ». Cela se passe au cours de la session de 1830, soit à la même époque que l’article de Parent. Il y a donc 180 ans. Ou 36 lustres, si vous préférez. Et nous n’avons pas cessé de « calquer » depuis. Nos journaux nous en fournissent des exemples quotidiennement. Et ils nous servent en plus des variantes intéressantes. Jean Dion, bien sûr, ne pouvait résister à la tentation de parodier : « pour ajouter le camouflet au pied-de-nez » (Devoir, 20.2.03); Dany Laferrière est plus sérieux : « ajouter l’insulte à la gifle » (Presse, 14.10.07). Pierre Foglia ajoute « l’insulte à la défaite » (Presse, 20.7.09) et Michel Vastel, « l’injure à l’affront » (Droit, 12.10.02). On peut même « ajouter » tout court : « pourquoi ajouter à l’insulte en ramenant dans vos valises ces exilés ambitieux qui mangeaient dans la main de Saddam? » (Foglia, Presse, 15.2.03). Nos cousins aussi aiment broder sur le même thème : « La triste particularité de Garasse, c’est d’ajouter l’ignominie à la trivialitéNote de bas de page 9 »; « À cette blessure, la Grande-Bretagne ajouta l’insulteNote de bas de page 10 »; « Un départ constituerait le pire scénario et ajouterait le déshonneur aux difficultésNote de bas de page 11 »; « N’ajoutez pas le mensonge à l’iniquité!Note de bas de page 12 ». Dans un texte de Romain GaryNote de bas de page 13, paru à l’origine en anglais, on rencontre « ajoutant le préjudice à l’affront ». D’après les équivalents proposés ci-dessus, tant par les dictionnaires que par les défenseurs du français, on pourrait croire que c’est la formulation « ajouter à » qui fait problème, qu’elle serait en quelque sorte contraire au génie de la langue. Et pourtant, on vient de le voir, ce n’est pas le cas. Il aurait d’ailleurs suffi de consulter l’ouvrage d’Hector CarbonneauNote de bas de page 14 pour se rendre compte que le tour existe. Outre « ajouter l’injure au préjudice » et « l’injure à l’injustice », Carbonneau propose un équivalent que je trouve particulièrement juteux, « insulter l’âne jusqu’à la bride ». Cette fois, c’est un vieux dictionnaireNote de bas de page 15, que vous avez sûrement dans votre bibliothèque, qui lui fournit cette traduction. Sur Internet, j’ai trouvé ce tour plutôt curieux dans un vieux recueil de proverbes, mais sans explication. Je me suis rabattu sur le Larousse des proverbes, qui ne le donne malheureusement pas, mais je suis tombé sur ceci : « Rien n’est plus insultant que d’ajouter l’ironie à l’insulte. » Ce mot serait de… Napoléon. Il est tiré du Journal de son médecin à l’île Sainte-Hélène, Barry O’Meara. Il s’agit évidemment d’une traduction, mais qu’elle ait été retenue par un ouvrage de la maison Larousse, c’est pour moi la preuve que cette façon de dire n’insulte pas au génie du français (comme on disait autrefois). Enfin, j’ai été dédommagé de ma recherche infructueuse quand j’ai lu sur la Toile ce commentaire d’un habitant de l’Indre-et-Loire, un certain Roland Godeau : « C’est insulter l’âne jusqu’à la bride : J’ai souvent entendu ma mère employer cette expression dans le sens de trop, c’est trop, ou il y a de l’abus. » C’est ainsi qu’en attendant Godeau… j’ai trouvé à la fois un début d’explication de cette locution et deux autres équivalents. Trêve de plaisanterie, avant longtemps nous n’aurons plus l’exclusivité de cette expression. Comme en témoigne cet exemple, elle commence à se répandre en Europe : « En dépit de toute ma loyauté, l’insulte s’est maintenant ajoutée à l’injure et je démissionne de mon poste » (Ruud Lubbers, haut-commissaire de l’ONU aux réfugiés, Reuters, Devoir, 21.2.05). L’intervention d’un internaute anglophone étant à l’origine de cette chronique, je laisse le mot de la fin à un autre anglophone. En octobre 1746, lord Chesterfield écrit à son fils : « Une injure est plus vite oubliée qu’une insulte. » (Je comprends maintenant pourquoi le tour « ajouter l’insulte à l’injure » est beaucoup plus fréquent qu’« ajouter l’injure à l’insulte »…)RemarquesRemarque a De son côté, l’anglais ne serait qu’un calque du latin injuriæ contumeliam addere…Retour à la remarque aRemarque b Ce tour me plaît, mais les dictionnaires ne traduisent que par to twist the knife in the wound.Retour à la remarque bRéférencesNote de bas de page 1 Camil Chouinard, 1500 pièges du français parlé et écrit, La Presse, 2007.Retour à la référence de la note de bas de page 1Note de bas de page 2 Paul Roux, Lexique des difficultés du français dans les médias, La Presse, 2004.Retour à la référence de la note de bas de page 2Note de bas de page 3 Michel Parmentier, Dictionnaire des expressions et tournures calquées sur l’anglais, Presses de l’Université Laval, 2007.Retour à la référence de la note de bas de page 3Note de bas de page 4 Guide du traducteur, Ottawa, A.T.I.O., 1972, p. 328 (Deux langues, six idiomes, p. 299).Retour à la référence de la note de bas de page 4Note de bas de page 5 Adrienne, The Gimmick: Spoken American and English, Flammarion, 1971, p. 128.Retour à la référence de la note de bas de page 5Note de bas de page 6 Le Canadien, 23 septembre 1836.Retour à la référence de la note de bas de page 6Note de bas de page 7 Michel Bibaud, Histoire du Canada et des Canadiens sous la domination anglaise, Montréal, Lovell et Gibson, 1844, p. 195.Retour à la référence de la note de bas de page 7Note de bas de page 8 Histoire du Canada et des Canadiens sous la domination anglaise, Montréal, Lovell, 1878, p. 29.Retour à la référence de la note de bas de page 8Note de bas de page 9 Robert Casanova, introduction à Théophile en prison, J.-J. Pauvert, 1967, p. 38.Retour à la référence de la note de bas de page 9Note de bas de page 10 Monde diplomatique, octobre 2001 (note de la rédaction).Retour à la référence de la note de bas de page 10Note de bas de page 11 Bernard-Henri Lévy, Le lys et la cendre, Livre de poche, p. 418 (Grasset, 1996).Retour à la référence de la note de bas de page 11Note de bas de page 12 Serge Brussolo, Moisson d’hiver, Folio, p. 179 (Denoël, 1994).Retour à la référence de la note de bas de page 12Note de bas de page 13 Romain Gary, L’affaire homme, Folio, 2005, p. 74 (traduction d’un article paru dans la revue Holiday en janvier 1960).Retour à la référence de la note de bas de page 13Note de bas de page 14 Hector Carbonneau, Vocabulaire général, Bulletin de terminologie 147, Secrétariat d’État, 1972 (bulletins parus entre 1957 et 1960).Retour à la référence de la note de bas de page 14Note de bas de page 15 Alfred Elwall, Dictionnaire anglais-français, Paris, Delagrave, 1907.Retour à la référence de la note de bas de page 15
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Mots de tête : « être (ou ne pas être) sorti du bois »

Un article sur l’expression être (ou ne pas être) sorti du bois
Frèdelin Leroux fils (L’Actualité terminologique, volume 36, numéro 4, 2003, page 22) Pour sortir du bois, il faut qu’il y en ait. (Richard Desjardins) À force d’entendre les QuébécoisAller à la remarque a déclarer à tout bout de champ, et à tout propos, qu’ils ne sont pas sortis du bois, l’étranger de passage chez nous – le Français, notamment – doit se sentir conforté dans son impression que nous sommes tous des descendants des coureurs des bois. Comme cela doit faire plus d’un siècle que nous nous exprimons ainsi, ce ne sont pas les exemples qui manquent. Mais quelques-uns devraient suffire pour vous convaincre que cet usage est bien ancré dans nos habitudes linguistiques :le fondateur du Devoir : Vous ne devez pas compter sur une augmentation avant que nous soyons sortis du boisNote de bas de page 1; un écrivain : Mais il n’est pas sorti du boisNote de bas de page 2; un ancien premier ministre : Je sentais qu’à leur tour les réalisateurs n’étaient pas sortis du boisNote de bas de page 3; un journaliste : On n’est pas sortis du boisNote de bas de page 4; un cinéaste : Et si l’Art s’en mêle, alors vous n’êtes pas sorti du boisNote de bas de page 5.Originaire de France, le cinéaste Michel Régnier vit au Québec depuis une bonne trentaine d’années. Il n’est donc pas impossible que nous l’ayons eu à l’usure, qu’il ait fini par adopter nos façons de parler. Mais rien ne nous dit que ce n’est pas une image qui sommeillait dans son subconscient. L’exemple qui suit donne quelque vraisemblance à cette supposition :C’est à force de marcher tout droit qu’on finit par sortir du boisNote de bas de page 6. C’est ainsi que s’exprime nul autre que le Roi-Soleil lui-même. D’après Françoise Chandernagor, en tout cas. L’idée est claire : en persévérant, on finit par se tirer d’affaire. Ce n’est pas très éloigné du sens de notre locution. Mais pas plus que le nôtre, cet usage ne figure dans aucun dictionnaire. Depuis longtemps, les défenseurs de la langue nous répètent que « ça ne se dit pas ». Les premiers à nous le rappeler, Victor BarbeauNote de bas de page 7 et Gilles ColpronNote de bas de page 8, signalent qu’il s’agit d’un calque de l’anglais « not out of the wood(s) ». Ils nous proposent plusieurs façons de l’éviter : « être aux abois(?), acculé au pied du mur(?); ne pas être hors de danger, au bout de ses peines, de ses difficultés; ne pas être tiré d’affaire, d’embarras ». Un troisième y voit ce qu’il appelle poétiquement une « usance québécoise ». Sans la condamner, puisqu’il la juge « en accord avec le code grammatical »Note de bas de page 9, il donne comme équivalents « on n’a pas fini » et « on n’est pas sorti de l’auberge ». Après cette pléthore de formules, on peut se demander si les dictionnaires bilingues trouveront quelque chose à ajouter. Le vieux Larousse anglais-français de 1960 traduit par « hors d’affaire, tiré du pétrin » (cette dernière traduction disparaîtra des éditions subséquentes du Larousse bilingue). Le Harrap’s ajoute : « nous ne sommes pas encore quittes de toutes les difficultés, au bout ». Outre deux équivalents que nous avons déjà vus, le Robert-Collins donne une variante plus moderne : « on est au bout du tunnel maintenant ». (Sur ce modèle, Lionel MeneyNote de bas de page 10 propose « ne pas voir le bout du tunnel ». J’ajouterais mon grain de sel : « on n’est pas (encore) sorti du tunnel ».) En 2001, j’ai rencontré chez une bonne journaliste une phrase qui m’a fait me précipiter sur mes dictionnaires : « ce n’est pas ce qui va permettre au Québec de sortir de l’ornière »Note de bas de page 11. Seul le Robert-Collins n’était pas aux abonnés absents. On y lit : « il est sorti de l’ornière maintenant-he’s out of the woods now ». C’est une autre corde à votre arc. Ou une autre flèche dans votre carquois, si vous préférez. Notre locution n’a évidemment pas échappé aux auteurs de dictionnaires québécois. Le Livre des expressions québécoisesNote de bas de page 12 la définit en reprenant une solution proposée par Barbeau, et le Dictionnaire de locutions et d’expressions figurées du QuébecNote de bas de page 13 donne une explication semblable : « ne pas avoir fini avec des difficultés, des ennuis ». Le Dictionnaire du français PlusNote de bas de page 14 apporte une précision intéressante : « être dans une situation difficile, embarrassante, qui risque de s’envenimer ». Le Dictionnaire québécois d’aujourd’huiNote de bas de page 15 et le Dictionnaire des canadianismesNote de bas de page 16 l’enregistrent aussi, sans commentaire. Des signes indiquent que notre tournure serait « sortie » du purgatoire. Elle ne figure plus dans la bible de nos anglicismes (dernière mention, le Colpron de 1994). Plus récemment, un conseiller linguistique de Radio-CanadaNote de bas de page 17 recommande de réserver cette « expression colorée », « bien de chez nous », à l’usage familier. Et dans les deux dernières éditions de son MultidictionnaireNote de bas de page 18, Marie-Éva de Villers se contente de lui accoler une petite fleur de lys. Dans la quatrième et dernière, elle donne comme synonyme « on n’est pas sorti de l’auberge ». C’est presque une sorte de feu vert… Longtemps j’ai cru – et espéré – que nos cousins finiraient par adopter notre tournure. Surtout après l’exemple de Françoise Chandernagor, qui semblait ouvrir la voie. Et je ne suis pas seul à y avoir cru. Un linguiste, Louis-Paul Béguin, ayant écrit dans sa chronique du Devoir (16.04.82) : « Le français n’est pas sorti du bois », je lui avais demandé son avis sur ce calque. Il me répondit indirectement deux semaines plus tard, affirmant que l’expression était bel et bien française, en se fondant, hélas, sur l’exemple de L’Allée du Roi… Aujourd’hui, je n’y crois plus. Pour deux raisons, essentiellement. D’abord, parce qu’il existe depuis longtemps plusieurs expressions qui ont un sens différent de part et d’autre de l’Atlantique, et dont le sens québécois est toujours absent des dictionnaires. Par exemple, « être bête comme ses pieds », « faire du foin », « ne pas faire un pli », « de l’or en barre ». Je vous laisse le plaisir d’en vérifier le sens. Ce n’est pas le nôtre. Par ailleurs, ils ne sont pas rares les calques auxquels les dictionnaires français déroulent le tapis rouge : manger son chapeau, la cerise sur le gâteau, patate chaude, ce n’est pas ma tasse de thé. Alors, on se demande ce qui peut bien manquer à ne pas être sorti du bois pour qu’elle trouve grâce à leurs yeux. La réponse tient peut-être à l’apparition récente d’une tournure semblable, mais dont le sens est différent. Je l’ai lue pour la première fois dans une dépêche de l’Agence France-Presse (juin 2001) : « Pierre Hugo sort du bois alors que sera célébré en 2002 le bicentenaire de la naissance de Hugo ». Mais elle figurait déjà dans le Petit Robert, dès l’édition 2000 : « sortir du bois – se manifester ». Pour ne pas être en reste, le Petit Larousse de 2001 étoffe un peu : « sortir du bois-prendre position, dévoiler ses intentions, intervenir ». Enfin, le Lexis de 2002 nous donne un exemple : « Paul est sorti du bois-il s’est manifesté ouvertement ». (Ce tour découlerait-il du vieux proverbe « la faim fait sortir le loup du bois »?) Je suis parfois tenté d’appliquer aux Français et aux Québécois la fameuse boutade qu’on attribue tantôt à Churchill, tantôt à Bernard Shaw : « les Anglais et les Américains sont divisés par une langue commune ». Mais je suis sans doute trop pessimiste. Qui sait?, couleur locale aidant, nous aurons peut-être plus de chance avec une variante du premier ministre Jean Chrétien : « Nous ne sommes pas sortis du banc de neige »Note de bas de page 19. P.-S. : J’avais négligé de vérifier dans le tout dernier Robert-Collins (2002). Non seulement on y trouve « sortir du bois-to make one’s intentions clear », mais notre expression y figure aussi : « on n’est pas sorti du bois (= tiré d’affaire)-we’re not out of the woods yet ». Sans indication qu’il s’agit d’un usage québécois ou canadien. C’est pour le moins bizarre, me direz-vous. Mais vous n’allez quand même pas vous plaindre que la mariée est trop belle!RemarquesRemarque a Pour faire court, je me permets cette synecdoque.Retour à la remarque aRéférencesNote de bas de page 1 Henri Bourassa, lettre à Olivar Asselin, 10 octobre 1909. Citée par Hélène Pelletier-Baillargeon, Oliver Asselin et son temps, Montréal, Fides, 1996, p. 459.Retour à la référence de la note de bas de page 1Note de bas de page 2 Jacques Ferron, lettre au Nouveau Journal, 25.10.61. Dans Lettres aux journaux, Montréal, VLB Éditeur, 1985, p. 175.Retour à la référence de la note de bas de page 2Note de bas de page 3 René Lévesque, Attendez que je me rappelle, Montréal, Québec/Amérique, 1986, p. 204.Retour à la référence de la note de bas de page 3Note de bas de page 4 Jean Paré, L’Actualité, février 1998.Retour à la référence de la note de bas de page 4Note de bas de page 5 Michel Régnier, L’Humanité seconde, Montréal, HMH, 1985, p. 240.Retour à la référence de la note de bas de page 5Note de bas de page 6 Françoise Chandernagor, L’Allée du Roi, Éditions du Club France Loisirs, 1982, p. 500. (Paru en 1981.)Retour à la référence de la note de bas de page 6Note de bas de page 7 Victor Barbeau, Grammaire et linguistique, Montréal, cahier nº 12 de l’Académie canadienne-française, 1968. (Voir aussi Le français du Canada, Québec, Garneau, 1970.)Retour à la référence de la note de bas de page 7Note de bas de page 8 Gilles Colpron, Les anglicismes au Québec, Montréal, Beauchemin, 1970.Retour à la référence de la note de bas de page 8Note de bas de page 9 Jean-Marie Courbon, Guide du français des affaires, Montréal, Didier, 1984, p. 7 et 9.Retour à la référence de la note de bas de page 9Note de bas de page 10 Lionel Meney, Dictionnaire québécois-français, Montréal, Guérin, 1999.Retour à la référence de la note de bas de page 10Note de bas de page 11 Chantal Hébert, Le Devoir, 19.11.01.Retour à la référence de la note de bas de page 11Note de bas de page 12 Pierre DesRuisseaux, Le Livre des expressions québécoises, Montréal, HMH, 1979, p. 37.Retour à la référence de la note de bas de page 12Note de bas de page 13 André Clas et Émile Seutin, Dictionnaire de locutions et d’expressions figurées du Québec, Montréal, Université de Montréal, 1985, p. 34.Retour à la référence de la note de bas de page 13Note de bas de page 14 Claude Poirier, Dictionnaire du français Plus, Montréal, Centre éducatif et culturel, 1988.Retour à la référence de la note de bas de page 14Note de bas de page 15 Jean-Claude Boulanger, Dictionnaire québécois d’aujourd’hui, DicoRobert inc., 1993.Retour à la référence de la note de bas de page 15Note de bas de page 16 Gaston Dulong, Dictionnaire des canadianismes, Sillery (Qc), Septentrion, 1999.Retour à la référence de la note de bas de page 16Note de bas de page 17 Guy Bertrand, 400 capsules linguistiques, Montréal, Lanctôt éditeur, 1999.Retour à la référence de la note de bas de page 17Note de bas de page 18 Marie-Éva de Villers, Multidictionnaire des difficultés de la langue française, Montréal, Québec/Amérique, 4e édition, 2003.Retour à la référence de la note de bas de page 18Note de bas de page 19 Michel Vastel, Le Droit, 10.01.01.Retour à la référence de la note de bas de page 19
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Mots de tête : « être à son meilleur »

Un article sur l’expression être à son meilleur
Frèdelin Leroux fils (L’Actualité terminologique, volume 35, numéro 3, 2002, page 16) À son meilleur, un comédien russe est le meilleur du monde.(Véra Murray, Le Devoir, 13.10.92) Il y a plusieurs lustres de cela, il m’arrivait de croiser un collègue qui rentrait au bureau, deux cafés en équilibre précaire dans une main et sa mallette de l’autre. Un jour, en guise d’excuse ou d’explication, il me dit que ce n’était qu’après deux ou trois cafés qu’il était à son meilleur. Il ne pouvait pourtant pas ignorer que c’était un anglicisme, ayant, comme nous tous, longuement compulsé son DaviaultNote de bas de page 1, ou son DagenaisNote de bas de page 2 encore. Pierre Daviault ne parle pas expressément de calque. Mais s’il prend la peine – et ce, dès 1941Note de bas de page 3 – de proposer deux façons de rendre « to be at one’s best », alors que l’expression figure dans les dictionnaires, c’est peut-être qu’à son meilleur commençait à se répandre. Quoi qu’il en soit, la paternité de la première condamnation reviendrait plutôt à Gérard Dagenais, ou au Comité de linguistique de Radio-Canada, dont une première fiche date vraisemblablement de 1967. Ils seront immédiatement suivis de Victor BarbeauNote de bas de page 4 (1968), avec Gilles ColpronNote de bas de page 5 non loin derrière (1970), qui devance à peine Robert DubucNote de bas de page 6 (1971), Irène de BuisseretNote de bas de page 7 (1972) et Louis-Paul BéguinNote de bas de page 8 (1974). Le Comité reviendra à la charge en 1977, avec une nouvelle fiche et un article dans son bulletinNote de bas de page 9. Dix ans plus tard, le MultidictionnaireNote de bas de page 10 (1988) vient nous rappeler qu’il n’est pas prévu de péremption pour les fautes de langue. En 1999, dans une somme impressionnante de nos usages et « mésusages », Lionel MeneyNote de bas de page 11 propose une bonne vingtaine d’équivalents d’à son meilleur. Enfin, il y a un an à peine, un conseiller linguistiqueNote de bas de page 12 de Radio-Canada fait paraître un recueil de pièges de la langue, pour bien s’assurer que nous n’avons pas oublié. Bref, à son meilleur est condamné depuis presque 40 ans – ou huit lustres, si vous préférez. Dans le chapelet de solutions retenues par ces auteurs, c’est l’idée de forme qui revient le plus souvent : être en (pleine) forme, au plus haut de sa forme, au meilleur de sa forme. Et voici pêle-mêle diverses propositions : exceller, donner toute sa mesure, être à son avantage, se montrer sous son meilleur jour, être dans tous ses moyens, être à son sommet, être à son plus haut niveau, etc. Dagenais et Barbeau – reste de galanterie de l’époque? – n’oublient pas les femmes : être en beauté et n’avoir jamais été aussi belle. On pourrait croire que les possibilités d’équivalents ont été épuisées, mais les dictionnaires en ont trouvé d’autres. Après un chassé-croisé qui nous fait sauter de best à forme en passant par mieux pour aboutir à top, on obtient le bilan suivant : la plupart donnent au mieux de sa forme. Le Harrap’s et le Robert-Collins ajoutent être en train, de toute beauté, être dans une forme à tout casser, du meilleur (Dickens, par ex.). Dans le Grand Robert de 2001, à une entrée qui ne saurait être plus française – top –, on trouve être au top, avec comme équivalent être au meilleur de sa forme. Cette dernière tournure m’amène à ouvrir une parenthèse. D’après la seconde fiche de Radio-Canada, au meilleur de sa forme serait fautif. Et pourtant, trois dictionnaires l’enregistrent (Harrap’s, Larousse bilingue, Grand Robert). De mon côté, j’ai rencontré ce « fautif » plusieurs fois dans Le MondeNote de bas de page 13, dans une traductionNote de bas de page 14, un guide des oiseauxNote de bas de page 15, un romanNote de bas de page 16. Je vois difficilement comment le Comité de linguistique pourrait maintenir sa condamnation. La première fiche du Comité donne un exemple fautif à corriger, « ces tomates sont cueillies lorsque leur saveur est à son meilleur », et propose à la place à son mieux. La nouvelle fiche recommande plutôt « lorsqu’elles sont le plus savoureuses ». C’est qu’entre-temps on s’est rendu compte qu’à son mieux ne se dit pas (v. l’article de C’est-à-dire). C’est pourtant l’expression que proposait Louis-Paul Béguin dans son Mot du jour. Et Dagenais et Colpron recommandaient une formule assez voisine, être au mieux. Mais les dictionnaires ne connaissent ni à son mieux, ni être au mieux dans ce sens. On n’y trouve qu’au mieux de sa forme. Fermons la parenthèse et revenons à notre mouton noir (ou brebis galeuse, si vous préférez). Malgré toutes ces mises en garde et condamnations, la popularité d’à son meilleur est loin de s’essouffler. Un professeur de philosophieNote de bas de page 17, dans sa présentation d’un dossier sur le Frère Untel, l’emploie :Il n’est vraiment à son meilleur qu’en un cercle réduit d’invités. Ainsi qu’un de nos grands romanciers, Jacques FerronNote de bas de page 18 :Je m’imagine que tous exilés sur une banquise […], nous serions à notre meilleur. 1992 aura été une année presque faste, j’y ai relevé trois exemples : un défenseur des droits de l’homme, Maurice Champagne (La Presse, 22.9.92), et deux journalistes, Véra Murray (citée en exergue) et Lysiane Gagnon :[Mulroney] est à son meilleur dans un contexte d’intense partisanerieNote de bas de page 19. Vingt ans après le dossier que lui consacrait le collège de Cap-Rouge, le Frère Untel suit l’exemple de son présentateur :Les médias sont à leur meilleur et la communication, à son pireNote de bas de page 20. On ne voit pas souvent être à son pire, mais on le trouve dans un ouvrageNote de bas de page 21 paru il y a une dizaine d’années; l’étonnant, c’est qu’être à son meilleur n’y figure pas… Je ne vais pas égrener tous les exemples que j’ai relevés, mais je tiens à signaler encore quelques cas, dont celui d’un bon romancier québécois, Robert Lalonde (Le Devoir, 31.8.97), et de journalistes ou critiques littéraires sérieux : Guylaine Massoutre (9.9.00), Jean Aubry (27.10.00), Gabrielle Gourdeau (29.8.01) et Louis Cornellier (13.10.01), tous du Devoir. Lise Bissonnette, à l’époque où elle était rédactrice en chef de ce même journal, emploie une légère variante :Au moment où la « diplômation » du secondaire atteignait son meilleurNote de bas de page 22. Et depuis un certain temps déjà, il se trouve même des Français pour fréquenter cet anglo-québécisme peu fréquentable. En 1990, le directeur du Nouvel ObservateurNote de bas de page 23s’en sert sans sourcillerAller à la remarque a :Notre président était dimanche soir à son meilleur… Une journaliste du Monde n’a pas plus d’états d’âme que Jean Daniel :Des acteurs […], débutants, amateurs, professionnels, unis, à leur meilleurNote de bas de page 24. Un autre journaliste, du Point cette fois, écrit :C’est Sydney Pollack à son meilleurNote de bas de page 25. Il eût été pourtant facile d’écrire « du meilleur Sydney Pollack »… Enfin, j’ai rencontré l’expression sur deux sites Internet – du journal Dernières Nouvelles d’Alsace et de la Coupe du monde de la FIFA. Les Français finiront-ils par l’adopter? Ils l’ont fait pour une autre tournure avec meilleur qui date de 1910 et qui est encore aujourd’hui considérée comme fautive par pas mal de monde. Avoir/prendre le meilleur sur (son adversaire, par ex.), empruntée au vocabulaire sportif, est habituellement suivie de la mention « emploi critiqué », « calque » ou « anglicisme » (v. le Grand Robert de 2001). Mais le HanseNote de bas de page 26 (1983) et le Dictionnaire universel francophone, paru en 1997, se contentent d’indiquer que c’est un terme de sport. Le Rey-ChantreauNote de bas de page 27 (si je puis l’appeler ainsi) reconnaît qu’il s’agit d’un anglicisme, mais précise que cela se disait en ancien français (au XIIe siècle), dans le même sens. Comme on pouvait s’y attendre, l’expression a fini par sortir des stades, et depuis assez longtemps : le Trésor de la langue française donne un exemple de Jean Giraudoux qui date de 1943, où il est question de femmes qui ont le meilleur sur leur mari… En terminant, j’aimerais signaler un autre calque que nous aimons bien et qui est encore plus exécré par les gardiens de la langue, au meilleur de ma connaissance. Condamné depuis belle lurette – depuis 1896Note de bas de page 28  –, ce tour fut pendant longtemps une sorte de chasse gardée québécoise, mais je constate que ce n’est apparemment plus le cas, puisque le HanseNote de bas de page 29 le signale, avec la mention « traduction de l’anglais » toutefois. Et ce n’est pas tout, dans sa dernière édition, le Grand Robert donne un deuxième équivalent à être au top – être au meilleur de ses capacités. Cette tournure est condamnée chez nous depuis au moins trente ans (par Colpron, notamment). Décidément, meilleur n’a pas fini de faire des ravages… Pour le meilleur ou pour le pire? L’avenir nous le dira.RemarquesRemarque a Après pareille allitération, Racine peut aller se rhabiller.Retour à la remarque aRéférencesNote de bas de page 1 Pierre Daviault, Langage et traduction, Ottawa, Imprimeur de la Reine, 1963.Retour à la référence de la note de bas de page 1Note de bas de page 2 Gérard Dagenais, Dictionnaire des difficultés de la langue française au Canada, Québec-Montréal, Éditions Pedagogia, 1967.Retour à la référence de la note de bas de page 2Note de bas de page 3 Daviault, Notes de traduction, 3e série, Montréal, Éditions de l’A. C.-F., 1941.Retour à la référence de la note de bas de page 3Note de bas de page 4 Victor Barbeau, Cahiers de l’Académie canadienne-française, vol. 12, Montréal, 1968.Retour à la référence de la note de bas de page 4Note de bas de page 5 Gilles Colpron, Les anglicismes au Québec, Montréal, Beauchemin, 1970.Retour à la référence de la note de bas de page 5Note de bas de page 6 Robert Dubuc, Objectif : 200, Montréal, Leméac, 1971, p. 50-51.Retour à la référence de la note de bas de page 6Note de bas de page 7 Irène de Buisseret, Guide du traducteur, Ottawa, Association des traducteurs et interprètes de l’Ontario, 1972, p. 33 (v. Deux langues, six idiomes, 1975, p. 23).Retour à la référence de la note de bas de page 7Note de bas de page 8 L.-P. Béguin, Le mot du jour, Québec, Office de la langue française, 1974, p. 8.Retour à la référence de la note de bas de page 8Note de bas de page 9 C’est-à-dire, vol. IX, nº 6, p. 7.Retour à la référence de la note de bas de page 9Note de bas de page 10 Marie-Éva de Villers, Multidictionnaire des difficultés de la langue française, Montréal, Québec/Amérique, 1988.Retour à la référence de la note de bas de page 10Note de bas de page 11 Lionel Meney, Dictionnaire québécois français, Montréal, Guérin, 1999.Retour à la référence de la note de bas de page 11Note de bas de page 12 Camil Chouinard, 1300 pièges du français parlé et écrit au Québec et au Canada, Montréal, Libre Expression, 2001.Retour à la référence de la note de bas de page 12Note de bas de page 13 Le Monde, 25.9.83, 12.12.86, 19.12.86, 19.12.87.Retour à la référence de la note de bas de page 13Note de bas de page 14 Brendan Behan, Encore un verre avant de partir, Gallimard, 1970, p. 121. (Traduit par Paul-Henri Claudel.)Retour à la référence de la note de bas de page 14Note de bas de page 15 Michel Van Havre, Observez les oiseaux, Marabout, 1980, p. 266.Retour à la référence de la note de bas de page 15Note de bas de page 16 Dan Franck et Jean Vautrin, Les Noces de Guernica, Presses Pocket, 1995, p. 512.Retour à la référence de la note de bas de page 16Note de bas de page 17 Rosaire Bergeron, préface au Dossier Untel, Montréal, Éditions du Jour, 1973, p. xxxi.Retour à la référence de la note de bas de page 17Note de bas de page 18 Jacques Ferron, Une amitié particulière, Montréal, Boréal, 1990, p. 182 (lettre du 2 mars 1982).Retour à la référence de la note de bas de page 18Note de bas de page 19 Lysiane Gagnon, La Presse, 2.11.92.Retour à la référence de la note de bas de page 19Note de bas de page 20 Jean-Paul Desbiens, Journal d’un homme farouche, Montréal, Boréal, 1993, p. 307.Retour à la référence de la note de bas de page 20Note de bas de page 21 André Dugas et Bernard Soucy, Le Dictionnaire pratique des expressions québécoises, Montréal, Éditions Logiques, 1991.Retour à la référence de la note de bas de page 21Note de bas de page 22 Lise Bissonnette, Le Devoir, 14.12.91.Retour à la référence de la note de bas de page 22Note de bas de page 23 Jean Daniel, Le Nouvel Observateur, 4-10.1.90.Retour à la référence de la note de bas de page 23Note de bas de page 24 Danièle Heymann, Le Monde, 21.5.91.Retour à la référence de la note de bas de page 24Note de bas de page 25 Marie-François Leclère, Le Point, 12.11.99.Retour à la référence de la note de bas de page 25Note de bas de page 26 Joseph Hanse, Nouveau Dictionnaire des difficultés du français moderne, Duculot, 1983.Retour à la référence de la note de bas de page 26Note de bas de page 27 Alain Rey et Sophie Chantreau, Dictionnaire des expressions et locutions figurées, Les dictionnaires Robert, coll. « Les Usuels », 1984.Retour à la référence de la note de bas de page 27Note de bas de page 28 Raoul Rinfret, Dictionnaire de nos fautes contre la langue française, Montréal, Cadieux et Derome, 1896.Retour à la référence de la note de bas de page 28Note de bas de page 29 Hanse, op. cit.Retour à la référence de la note de bas de page 29
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Mots de tête : « faire sa marque »

Un article sur l’expression faire sa marque
Frèdelin Leroux fils (L’Actualité terminologique, volume 34, numéro 3, 2001, page 12) Version légèrement remaniée de la chronique « J’ai pour mon dire » parue dans Apostrophe, vol. 2, nº 1, juillet 1993.La maison d’édition Écosociété a depuis ce temps fait sa marque.(Daniel Dompierre, Le libraire, mars 2001). Saviez-vous que le grand Littré considérait inlassable comme mal formé, et qu’il lui préférait illassable? Étonnant, n’est-ce pas? Je comprends que vous en restiez bouche bée… C’est ce que nous apprend entre autres choses le bel article de Serge Gagné sur Émile Littré paru dans L’Actualité terminologique il y a une dizaine d’années (vol. 24, nº 1, 1991). Si j’évoque cet article ce n’est pas pour montrer que les guides les plus sûrs peuvent parfois errer, mais à cause du beau calque qu’on y rencontre : « C’est par le scandale que Littré […] devait faire sa marque. » Ce tour est plus que centenaire. Sylva ClapinNote de bas de page 1 le signale dès 1894. Deux ans plus tard, Raoul RinfretNote de bas de page 2 lui colle l’étiquette « anglicisme » et propose comme équivalents « fournir une belle carrière » et « compter pour quelqu’un ». Ces expressions vous font peut-être sourire, mais n’empêche qu’il semble bien y avoir anglais sous roche, si je puis dire : « to make one’s mark-to achieve success or fame », nous dit le petit Webster. Les dictionnaires bilingues ou de faux amis apportent de l’eau au moulin de Rinfret. Outre se faire un nom, qui fait l’unanimité, on trouve se faire une réputation (Harrap), s’imposer comme (Robert-Collins), se distinguer (Koessler), faire ses preuves (Hachette-Oxford). Mais aucun signe de faire sa marque. Curieusement, les défenseurs de la langue ne se sont pas bousculés à la suite de Rinfret; de fait, ils se comptent presque sur les doigts d’une seule main. Le plus ancien est sans doute Pascal PoirierNote de bas de page 3, dont le Glossaire date de 1927. Viennent ensuite Victor BarbeauNote de bas de page 4 (1963), Gaston DulongNote de bas de page 5 (1968), une ancienne collègueNote de bas de page 6 du Bureau de la traduction (1985), Jean DarbelnetNote de bas de page 7 (1988) et Lionel MeneyNote de bas de page 8 (1999). Ils nous proposent une flopée d’équivalents : briller, percer, arriver, se faire remarquer, se faire connaître, faire sa trace. Les autres « croisés » de la guerre aux anglicismes (Gilles Colpron et Gérard Dagenais, notamment) sont muets. Vous vous imaginez bien que ce n’est pas une demi-douzaine de condamnations en plus de cent ans qui ont pu dissuader les Québécois d’employer cette tournure. À peu près personne ne s’en prive. Ni les journalistes (Gil CourtemancheNote de bas de page 9, Lysiane Gagnon de La Presse, Odile Tremblay du Devoir), ni les politicologues (Hélène Pelletier-BaillargeonNote de bas de page 10, Gérard BergeronNote de bas de page 11), ni même les linguistes (Claude PoirierNote de bas de page 12, l’auteur du Dictionnaire historique du français québécois). En outre, plusieurs glossaires ou dictionnaires québécois accueillent cette expression, sans la moindre mise en garde. À la suite de Clapin, N.-E. DionneNote de bas de page 13 (1909) la donne, ainsi que le Glossaire du parler français au Canada (1930); Louis-Alexandre BélisleNote de bas de page 14 (1957) reprend l’exemple du Glossaire, alors que Léandre BergeronNote de bas de page 15 (1980) ratisse tout ce qu’il trouve chez ses prédécesseurs. Enfin, la locution figure dans le Petit Guérin Express (1985), le Dictionnaire québécois d’aujourd’hui (1993) et le Dictionnaire des canadianismes de Gaston Dulong (1999). (Trente ans après son Dictionnaire correctif, Dulong se contente de noter que l’expression est répandue partout au Québec.) Mais, me direz-vous, cette locution est-elle connue de l’autre côté de la mare aux harengs? En clair : les Français l’emploient-ils? Hélas, il faut bien dire que non. En revanche, ils ont des formules semblables dont le sens est assez voisin. Par exemple, on peut « imprimer sa marque » sur presque n’importe quoi : une œuvre (Guide bleu – Grande-Bretagne), une organisation (Robert Solé, Le Monde), la terre (Nicole Zand, ibid.), un événement (Henri Guillemin, ibid.), voire un pays (Jean DutourdNote de bas de page 16). On peut également « apposer sa marque » sur son époque (Jacques LaurentNote de bas de page 17). Enfin, Raymond Jean, l’auteur de La lectrice, nous fournit une variante qui a un petit air de famille : « au lycée Nord de Marseille où Gabrielle avait laissé sa marque »Note de bas de page 18. Cette dernière tournure, que nous employons exactement dans le même sens, est presque aussi fréquente chez nous que faire sa marque. Je l’ai relevée chez de nombreux journalistes et universitaires. Il arrive certes que le sens des deux expressions soit à peu près le même, mais on est quand même un peu étonné de voir Léandre Bergeron définir faire sa marque par « laisser sa marque »… Mais revenons à nos m… arques. Faire sa marque est un anglicisme, cela ne fait pas de doute. Mais est-il condamnable? Ou plutôt, l’est-il toujours? Je réponds non. J’estime qu’il y a des circonstances atténuantes qui plaident en faveur de l’accusé. Premièrement, son ancienneté. Après cent ans de mise à l’index, il me semble qu’il est grand temps de lever l’interdit. Pour parler comme les juristes, il y a prescription. Deuxièmement, sa transparence. L’expression est parlante, et se comprend facilement. Et je ne vois pas en quoi la phrase de Serge Gagné (« Littré a fait sa marque ») est moins intelligible que celle de Raymond Jean (« Gabrielle a laissé sa marque »). Enfin, sa légitimité. « Un usage n’en exclut pas un autre »Note de bas de page 19, écrit Bernard Wilhelm, professeur suisse qui enseignait à l’Université de la Saskatchewan à la fin des années 60. Dans un texte sur le français international et le joual, il se dit d’avis que « l’usage français d’Europe ne devrait pas empêcher l’expression d’un usage canadien ». C’est aussi mon avis. Mais je ne vous en voudrai pas de ne pas être d’accord.RéférencesNote de bas de page 1 Dictionnaire canadien-français, Presses de l’Université Laval, 1894.Retour à la référence de la note de bas de page 1Note de bas de page 2 Dictionnaire de nos fautes contre la langue française, Cadieux et Derome, Montréal, 1896.Retour à la référence de la note de bas de page 2Note de bas de page 3 Glossaire du parler acadien, Centre d’études acadiennes, Université de Moncton, 1977 (paru en 1927).Retour à la référence de la note de bas de page 3Note de bas de page 4 Le français du Canada, Publications de l’Académie canadienne française, Montréal, 1963.Retour à la référence de la note de bas de page 4Note de bas de page 5 Dictionnaire correctif du français du Canada, Presses de l’Université Laval, 1968.Retour à la référence de la note de bas de page 5Note de bas de page 6 Huguette Guay, L’Actualité terminologique, vol. 18, nº 6, 1985.Retour à la référence de la note de bas de page 6Note de bas de page 7 Dictionnaire des particularités de l’usage, Presses de l’Université Laval, 1988.Retour à la référence de la note de bas de page 7Note de bas de page 8 Dictionnaire québécois français, Guérin, Montréal, 1999.Retour à la référence de la note de bas de page 8Note de bas de page 9 Douces colères, Éditions VLB, Montréal, 1989.Retour à la référence de la note de bas de page 9Note de bas de page 10 Le pays légitime, Leméac, Montréal, 1979.Retour à la référence de la note de bas de page 10Note de bas de page 11 À nous autres, Québec/Amérique, Montréal, 1986.Retour à la référence de la note de bas de page 11Note de bas de page 12 Québec français, nº 80, hiver 1991.Retour à la référence de la note de bas de page 12Note de bas de page 13 Le parler populaire des Canadiens français, Presses de l’Université Laval, 1909.Retour à la référence de la note de bas de page 13Note de bas de page 14 Dictionnaire général de la langue française au Canada, Beauchemin, 1957.Retour à la référence de la note de bas de page 14Note de bas de page 15 Dictionnaire de la langue québécoise, Éditions VLB, Montréal, 1980.Retour à la référence de la note de bas de page 15Note de bas de page 16 Le socialisme à tête de linotte, Flammarion, 1983.Retour à la référence de la note de bas de page 16Note de bas de page 17 Le français en cage, Livre de poche, 1990.Retour à la référence de la note de bas de page 17Note de bas de page 18 Préface aux Lettres de prison de Gabrielle Russier, Seuil, 1970.Retour à la référence de la note de bas de page 18Note de bas de page 19 Lettres du Canada, Éditions Cosmos, Montréal, 1971.Retour à la référence de la note de bas de page 19
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Mots de tête : « dans le même bateau »

Un article sur l’expression dans le même bateau
Frèdelin Leroux fils (L’Actualité terminologique, volume 19, numéro 6, 1986, page 10) Tous dans le même bateau.(Hélène J. Gagnon, Blanc et Noir, Éditions de l’Arbre, Montréal, 1944.) Je serais curieux de savoir depuis combien de temps les Québécois emploient cette expression – un demi-siècle? un siècle? Peut-être même depuis l’arrivée des Anglais au Canada? Car, vraisemblablement, ils l’auraient empruntée à leurs compatriotes anglophones. C’est ce que nous disent Gilles ColpronNote de bas de page 1 et André ClasNote de bas de page 2. Effectivement, les dictionnaires de langue française ignorent cette tournure. Quant aux dictionnaires bilingues, depuis les plus anciens (Clifton et GrimauxNote de bas de page 3, Jules GuiraudNote de bas de page 4) jusqu’aux plus récents, ils rendent tous in the same boat par logé à la même enseigne. Certes, on rencontre aussi dans le même cas, dans la même galère (Robert-CollinsAller à la remarque a), du même convoi (Larousse), mais de l’usage québécois, aucun signe. (Soit dit entre parenthèses, les formules avec « galère » et « convoi » sont inconnues des dictionnaires de français.) Je n’ai rien contre la vieille locution – « loger à la même enseigne » est deux fois centenaire –, mais il faut bien dire qu’elle appartient à la fois à un registre et à un niveau de langue qui ne sont pas ceux du quotidien du traducteur : correspondance, notes de service, procès-verbaux. Dans un discours, à la rigueur, ça peut aller, mais encore là, tout dépend de l’auditoire. S’il s’agit d’un texte informatif, « dans le même cas » me paraît tout indiqué (on perd l’image du bateau mais on ne peut pas tout avoir). Mais que diable peut-on faire de cette galère? Outre que le mot fait vieillot, littéraire, l’idée de vie très dure qu’il évoque est rarement sous-entendue dans l’anglais. Scrupule excessif, sans doute, mais la traductrice d’une nouvelle de Chester Himes n’hésite pas à l’employer :Je crois qu’on est tous dans la même galèreNote de bas de page 5… Passe donc pour « galère », mais que penser de « convoi »? Comme je l’ai dit, l’expression « du même convoi » ne figure dans aucun dictionnaire de français. Mais les ouvrages bilingues la connaissent. Outre le Larousse, le Harrap’s Slang DictionaryNote de bas de page 6 la donne. Chose assez amusante, dans le premier, on trouve l’expression à boat mais pas à convoi; dans le second, c’est le contraire. J’en arrive enfin à l’objet de mon billet, la locution avec « bateau ». Dès 1971, Albert Beaudet (Dictionnaire des nouveautés linguistiquesNote de bas de page 7) traduit to be in the same boat par être sur le même bateau. C’est lui qui souligne, sans doute pour attirer l’attention du lecteur sur la bonne préposition à employer. Paul Guth, grand défenseur de la langue et de la culture françaises, emploie lui aussi cette tournure :(…) ils rament sur le même bateau.Note de bas de page 8 ainsi qu’André Fontaine, directeur du Monde :(…) nous vivons tous sur le même bateauNote de bas de page 9… … et le Harrap’s Slang Dictionary (à boat, mais pas à bateau). Et si, par esprit de contradiction, on mettait dans à la place de sur, se brouillerait-on – pour une simple préposition – avec les autres francophones de la planète? Pas d’après Bruno Lafleur, qui enregistre « dans le même bateau » dans son Dictionnaire des locutions idiomatiques françaisesNote de bas de page 10. Mais, assez curieusement, il cite un exemple de l’Express qui ne nous avance guère :(…) son Premier ministre et son ministre des Finances sont sur le même bateau. C’est moi qui souligne. Cette incohérence s’explique-t-elle par le fait que pour l’auteur les deux formes sont interchangeables? Possiblement, comme disent les gens. Quoi qu’il en soit, M. Lafleur a raison, « dans le même bateau » se dit. Et depuis assez longtemps. Ma première source, un roman policier, date de 1953 :Nous sommes tous dans le même bateauNote de bas de page 11. Ma deuxième source est un collaborateur de la revue Traduire. « We are all in the same boat » et son équivalent français « se correspondent parfaitement », nous dit Jean MaillotNote de bas de page 12. Hélas, comme il néglige de donner cet équivalent, comment savoir s’il aurait mis sur ou dans? ou les deux?Ma dernière est un lexicographe. Jean Pierre Causse, auteur du Dictionnaire des vrais amisNote de bas de page 13, donne seulement « dans le même bateau ».Enfin, j’ai entendu l’expression dans le film Furyo, version française de Merry Christmas, Mr. Lawrence, et dans un dessin animé, le Conte de Noël de Dickens (adapté, je crois, du japonais). J’en étais là dans la rédaction de ce billet lorsqu’est sortie la dernière édition du grand Robert. Comme s’il avait voulu ménager la chèvre et le chou, plaire à la fois aux Québécois et aux Français, il donne les deux :Par métaphore. Être embarqué sur, dans le même bateau. Malheureusement, il n’y a ni exemple ni explication. Mais qu’importe après tout, puisque l’expression est officiellement attestée par un grand dictionnaire de la langue. Que vous faut-il de plus pour oser l’employer? La bénédiction du Bureau des traductions?RemarquesRemarque a Se trouve à boat, mais pas à galère.Retour à la remarque aRéférencesNote de bas de page 1 Gilles Colpron, Les Anglicismes au Québec, Beauchemin, Montréal, 1970.Retour à la référence de la note de bas de page 1Note de bas de page 2 André Clas et Émile Seutin, Dictionnaire de locutions et d’expressions figurées du Québec, Université de Montréal, 1985.Retour à la référence de la note de bas de page 2Note de bas de page 3 E. Clifton et A. Grimaux, Nouveau dictionnaire anglais-français, Garnier, Paris, 1914.Retour à la référence de la note de bas de page 3Note de bas de page 4 Jules Guiraud, Dictionnaire anglais-français, Paul Belin, Paris, 1926.Retour à la référence de la note de bas de page 4Note de bas de page 5 Chester Himes, Le Manteau de rêve, Éditions Lieu commun, Paris, 1982, p. 18. (Traduit par Hélène Devaux-Minié.)Retour à la référence de la note de bas de page 5Note de bas de page 6 Harrap’s Slang Dictionary, Londres, 1984.Retour à la référence de la note de bas de page 6Note de bas de page 7 Albert Beaudet, Dictionnaire des nouveautés linguistiques, Fides, Montréal, 1971.Retour à la référence de la note de bas de page 7Note de bas de page 8 Paul Guth, Lettre ouverte aux futurs illettrés, Albin Michel, 1980, p. 18.Retour à la référence de la note de bas de page 8Note de bas de page 9 André Fontaine, Le Monde, 22.3.85.Retour à la référence de la note de bas de page 9Note de bas de page 10 Bruno Lafleur, Dictionnaire des locutions idiomatiques françaises, Éditions du Renouveau pédagogique, Montréal, 1979.Retour à la référence de la note de bas de page 10Note de bas de page 11 Jean Amila, Motus, Gallimard, coll. Carré noir, 1953, p. 164.Retour à la référence de la note de bas de page 11Note de bas de page 12 Jean Maillot, « Expressions idiomatiques en anglais et en français », Traduire, avril 1984, p. 8.Retour à la référence de la note de bas de page 12Note de bas de page 13 Jean-Pierre Causse, Dictionnaire des vrais amis, British Institute in Paris, Université de Londres, 1978.Retour à la référence de la note de bas de page 13
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Mots de tête : Endosser, un verbe qui se porte bien

Un article sur le verbe endosser
Frèdelin Leroux fils (L’Actualité langagière, volume 4, numéro 4, 2007, page 21) Dans toutes ces citations, je ne prétends pas endosser les passages que j’emprunte(auteur anonyme). Dans son Guide du traducteur, Irène de Buisseret consacre près de dix pages à ce qu’elle appelle le « néo-français ». Formé d’emprunts ou d’anglicismes, ce lexique se compose aussi, écrit-elle, de « termes qui ont acquis un sens tout nouveau en passant du concret à l’abstrait »Note de bas de page 1. Et elle donne comme exemple « le président endosse cette politique ». Elle n’en dit rien de plus, et ne le retient même pas dans le « mini-glossaire d’anglicismes solidement ancrés dans le néo-français » qu’elle présente ensuite. Mais le plus étonnant, c’est qu’elle ne mentionne pas que ce représentant du « néo-français » nous était déjà connu. Évidemment, nous l’appelions autrement. Une fiche (nº 173) du Comité de linguistique de Radio-Canada – qui doit dater du milieu des années 60 – indique que c’est sous l’influence de l’anglais que nous donnons à « endosser » le sens d’approuver ou d’appuyer. Si André Clas et Paul HorguelinNote de bas de page 2 prennent la peine de l’inclure dans leur courte liste de moins de 250 anglicismes, c’est que le calque devait être courant. Ce que viendra confirmer l’année suivante le répertoire d’anglicismes de Gilles ColpronNote de bas de page 3. La même année, Victor BarbeauNote de bas de page 4 le relève aussi. Par la suite, plusieurs défenseurs reprendront cette mise en garde : Jean DarbelnetNote de bas de page 5, Madeleine SauvéNote de bas de page 6, Marie-Éva de VillersNote de bas de page 7. Et plus récemment, Lionel MeneyNote de bas de page 8, Jacques LaurinNote de bas de page 9 et Paul RouxNote de bas de page 10. Depuis la parution de cette fiche, on aurait pu croire que la position de Radio-Canada avait changé, puisque des deux linguistes de la maison, l’un (Guy Bertrand) n’en parle pas et l’autre (Camil Chouinard) ne le condamne pas : « endosser un geste, un projet – l’approuver, l’appuyer; la directrice a endossé sans hésiter la proposition de Julie »Note de bas de page 11. Aussi est-il étonnant de constater, dans une nouvelle version de son recueil, que Camil Chouinard a changé son fusil d’épaule : « Il faut éviter d’employer ENDOSSER au sens d’approuver un projet, une décision, une candidature. On dira donc : APPROUVER ou APPUYER un programme, des projets, une candidature »Note de bas de page 12. Une brève explication de cette palinodie aurait été la bienvenue. Mes deux premiers exemples réunissent, sans les réconcilier, deux vieux adversaires politiques. Le premier est de Pierre Trudeau, avant son entrée en politique : « Un rédacteur politique endossera une opinion à l’effet que la grève est désuète »Note de bas de page 13. Le second est de René Lévesque, avant son entrée à l’Assemblée nationale : « En laissant paraître [le Manuel du 1er mai], le CEQ paraît ainsi l’endosser » (Le Jour, 24.04.75). Sans le savoir, un bon historien fait lui aussi dans le néo-français : « les tenants de l’américanité endossent cette critique » (Yvan Lamonde, Le Devoir, 11.09.98). De même qu’un journaliste néo-québécois de longue date : « les commentateurs du National Post l’ont déjà endossé » [le discours de Stephen Harper] (Michel Vastel, Le Droit, 22.01.02). Enfin, un journaliste de La Presse l’emploie dans sa Lettre ouverte aux antiaméricains (Richard Hétu, 8.11.03), ainsi que deux éditorialistes du même journal, Mario Roy (28.01.04) et André Pratte (18.09.04, 5.08.06). De l’autre côté de l’Atlantique, les mises en garde sont plutôt rares. Sauf erreur, Maxim KoesslerNote de bas de page 14 est le seul à indiquer, dans la deuxième édition de son ouvrage, qu’il s’agit d’un faux ami. Et tout comme chez nous, c’est surtout dans la presse qu’on le rencontre. Dans le Monde diplomatique : « il continue de s’interroger sur les raisons qui ont conduit le président américain à endosser une proposition israélienne » (Paul-Marie de La Gorce, septembre 2001), et dans le Monde : « Pareille audace sera-t-elle soutenue politiquement? Jacques Chirac l’endosse-t-il? » (Philippe Bernard, 12.12.03). Cette extension de sens en fait pourtant tiquer certains : « émettre des instructions pour que le Conseil de sécurité « endosse » le pouvoir exercé à Bagdad » (Le Monde, 12.05.03); « le Conseil était prié d’« endosser » le projet » (Corine Lesnes, Le Monde, 23.05.05). Mais c’est le fait d’une minorité. Enfin, je l’ai rencontré dans l’ouvrage d’un journaliste sur Patrice Lumumba : « Kasavubu a présidé le Conseil des ministres et donc endossé les décisions »Note de bas de page 15. Sur Internet, bien sûr, les exemples abondent. Un communiqué de la République française : « la possibilité pour les pays en développement de souscrire à des objectifs volontaires, avant d’endosser une proposition concrète » (26.04.07). Le Temps de Genève : « [on] aura vu pour la première fois un parti gouvernemental endosser une proposition [qui] aurait valu à la Suisse une mise au ban des nations » (Éric Hoesli, 25.09.00). Un site belge : « en Belgique, l’exécutif actuel ne peut plus endosser de décision à haute portée politique » (Prisma international, 28.08.07). Le site de Jeune Afrique : « c’est le réformateur Khatami qui a personnellement endossé la décision de la reprise des activités d’enrichissement de l’uranium » (07.05.06). On rencontre aussi, fréquemment, endosser un rôle, une mission, des fonctions, ce qui correspond à l’un des sens d’« endosser » que le Trésor de la langue française présente ainsi : « [Le sujet joue un rôle actif] Prendre sur soi. Synonyme assumer, se charger de ». Et il donne comme exemple la citation « anonyme » en épigraphe. Vous étiez-vous demandé si c’était un calque ou du néo-français? Eh bien non, la citation vient des Causeries du lundi de Sainte-Beuve, qui datent des années 1850. Personnellement, j’y verrais plutôt le sens de « faire sien ». Même si « faire sien » est un des équivalents proposés par Koessler et MeertensNote de bas de page 16 (qui en donne une trentaine) pour éviter « endosser »… Il y a au moins trois dictionnaires, oubliés ou méconnus, qui donnent à « endosser » le sens de son pendant anglais. Si on dépoussière ce bon vieux Clifton-GrimauxNote de bas de page 17, on y lit ceci : « endosser les idées d’un autre – to endorse another’s ideas ». Est-ce les faire siennes ou les approuver? Charles PetitNote de bas de page 18 est plus explicite : « endosser (fig.) — to back, to support, to confirm ». Ici, le doute n’est plus permis. Et un dictionnaire québécois tout récent enregistre « endosser » comme si ce sens allait de soi : « des sénateurs ont endossé ses paroles – the senators have condoned his words »Note de bas de page 19 (« condone » fait sourciller, mais là n’est pas la question). Et avec les 1300 pièges de Camil Chouinard, avant sa conversion, cela ferait quatre sources. Je ne crois pas que je pourrais jamais aller jusqu’à « endosser un candidat », par exemple. Mais Charles Péguy m’a presque fait changer d’idée. Il emploie aussi bien le verbe que le substantif : « Les politiciens veulent que nous endossions leurs politiques »Note de bas de page 20; « Par Jaurès, c’était le gouvernement même qui endossait Hervé » ; « ceux qui ont fait et endossé Hervé, fait et endossé le hervétisme » ; « Par son endossement du combisme… » ; « Par endossement de Hervé, nous avons vu Jaurès. Par endossement de Jaurès… » Ouf ! Je m’arrête là. On peut reprocher à Péguy de se répéter (c’est dans sa manière), mais peut-on l’accuser d’avoir été influencé à ce point par l’anglais? Et finalement, si on acceptait qu’« endosser » ait pris un nouveau sens? qu’il soit passé du concret à l’abstrait, comme le dit Irène de Buisseret. N’est-ce pas normal qu’il évolue? Si ça n’avait pas été le cas, vous n’oseriez peut-être même pas endosser votre veste aujourd’hui. Au 17e siècle, nous apprend Ferdinand BrunotNote de bas de page 21, « endosser un vêtement » était considéré comme burlesque… En outre, admettre cet usage serait une façon de nous venger des Anglais… pour nous avoir emprunté « endosser » au Moyen Âge. Ce qui vous vaut des maux de tête aujourd’hui.RéférencesNote de bas de page 1  Guide du traducteur, Ottawa, ATIO, 1972, p. 418 (Deux langues, six idiomes, p. 402).Retour à la référence de la note de bas de page 1Note de bas de page 2 Le français, langue des affaires, McGraw-Hill, 1969, p. 210.Retour à la référence de la note de bas de page 2Note de bas de page 3 Les anglicismes au Québec, Beauchemin, 1970.Retour à la référence de la note de bas de page 3Note de bas de page 4 Le français du Canada, Garneau, 1970.Retour à la référence de la note de bas de page 4Note de bas de page 5 Les maux des mots, Université Laval, 1982 (ou le Dictionnaire des particularités de l’usage, Presses de l’Université du Québec, 1986).Retour à la référence de la note de bas de page 5Note de bas de page 6 Observations grammaticales, Université Laval, octobre 1983.Retour à la référence de la note de bas de page 6Note de bas de page 7 Multidictionnaire des difficultés de la langue française, Québec/Amérique, 1988.Retour à la référence de la note de bas de page 7Note de bas de page 8 Dictionnaire québécois-français, Guérin, 1999.Retour à la référence de la note de bas de page 8Note de bas de page 9 Le bon mot, Éditions de l’Homme, 2001 (ou Nos anglicismes, 2006).Retour à la référence de la note de bas de page 9Note de bas de page 10  Lexique des difficultés du français dans les médias, Éditions La Presse, 2004.Retour à la référence de la note de bas de page 10Note de bas de page 11 Camil Chouinard, 1300 pièges du français écrit et parlé au Québec et au Canada, Éd. La Presse, 2001.Retour à la référence de la note de bas de page 11Note de bas de page 12 Ibid., 1500 pièges du français écrit et parlé…, Éd. La Presse, 2007.Retour à la référence de la note de bas de page 12Note de bas de page 13 La Grève de l’amiante, Éditions du jour, 1956, p. 396.Retour à la référence de la note de bas de page 13Note de bas de page 14 Les faux amis, 2e édition, Vuibert, 1975.Retour à la référence de la note de bas de page 14Note de bas de page 15 Yves Benot, La mort de Lumumba, Éditions Chaka, 1989, p. 153.Retour à la référence de la note de bas de page 15Note de bas de page 16 René Meertens, Guide anglais français de la traduction, Chiron éditeur, 2002.Retour à la référence de la note de bas de page 16Note de bas de page 17 E. Clifton et A. Grimaux, A New Dictionary of the French and English Languages (français-anglais), Garnier, 1881.Retour à la référence de la note de bas de page 17Note de bas de page 18 Charles Petit, Dictionnaire français-anglais, Hachette, 1946.Retour à la référence de la note de bas de page 18Note de bas de page 19 Marcel Séguin et Alice Amyot, Dictionnaire français-anglais, Guérin, 2005.Retour à la référence de la note de bas de page 19Note de bas de page 20 Charles Péguy, Notre jeunesse, Gallimard, Folio, 1993, p. 129, 237, 250 et 262. Texte paru en 1910.Retour à la référence de la note de bas de page 20Note de bas de page 21 Ferdinand Brunot, Histoire de la langue française, tome IV, 1re partie, Librairie Armand Colin, 1966, p. 335.Retour à la référence de la note de bas de page 21
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Mots de tête : « plus souvent qu’autrement »

Un article sur l’expression plus souvent qu’autrement
Frèdelin Leroux fils (L’Actualité terminologique, volume 30, numéro 4, 1997, page 13) À la mémoire d’un ami et ancien collègue, Jean-François Saint-GelaisNote de bas de page 1[Serge Gainsbourg] nous enseigne plus souvent qu’autrement l’art de tirer une bonne cigarette.(André Joanisse, Le Droit, 29.6.91.) Le militant qui sommeille en vous verra peut-être dans ce « plus sou-vent / qu’au-tre-ment » une sorte de slogan, comme l’irrévérencieux « é-lec-tions / piège à cons ». Mais le poète, lui, qui ne fait que somnoler, y verrait plutôt un petit chef-d’œuvre de prosodie : césure au beau mitan du vers, deux hémistiches de trois pieds, et la rime à la clef. Un vrai joyau, quoi. Hélas! ce joyau ne serait qu’un vulgaire calque de l’anglais more often than not. Cette dure sentence a été rendue par les services linguistiques du Bureau de la traduction en 1982. Heureusement, comme elle n’était pas exécutoire, on pouvait faire semblant de l’ignorer. Surtout qu’aucun des défenseurs habituels de la langue ne relevait cet anglicisme. Mais l’agaçant, c’est que les dictionnaires continuaient d’ignorer notre tournure, et que les bilingues s’obstinaient à traduire par « la plupart du temps », « le plus souvent ». Quoi qu’il en soit, depuis la parution du nouveau ColpronNote de bas de page 2, il n’est plus permis de plaider l’ignorance. (Bien qu’on s’explique mal le silence des trois premières éditions.) Dès 1975, une linguiste de l’Université Laval, Geneviève OffroyNote de bas de page 3, s’était interrogée sur l’origine de cette expression, mais en vain. Elle devait se contenter d’en donner quatre exemples, tous tirés de la presse québécoise. Pour conclure qu’il s’agissait d’une « locution adverbiale inconnue aussi bien du français général que des dialectes ». Et qui ne figure pas dans les glossaires québécois. Ce qui ne laisse pas d’étonner, quand on en connaît la fréquence chez nous. Mais malgré mes recherches – je traque l’expression depuis plusieurs années –, je n’ai guère réussi à faire mieux. Un jour, pourtant, j’ai bien cru que ça y était. Je tenais une source datant du 17e siècle! Une lettre du père Lejeune dans les Relations des Jésuites : « Luy discourant donc en mon barragouin, et plus souvent par gestes et par signes qu’autrement ». Mais j’avais lu trop vite… Je me demande néanmoins si ça ne serait pas là l’origine de notre expression. En modifiant légèrement la phrase du père Lejeune, on obtient ceci : « Luy discourant plus souvent qu’autrement par signes et par gestes ». Se pourrait-il que cette inversion digne de M. Jourdain ait donné naissance à notre tournure? Ce n’est pas invraisemblable. Sans compter l’influence éventuelle d’un emploi d’autrement dont on trouve plusieurs exemples chez Jacques Cartier : J’estime mieux qu’autrement, que les gens seraient faciles à convertir à notre sainte foiNote de bas de page 4. Malheureusement, il ne s’agit pas du texte original (qui aurait été perdu), mais d’une traduction québécoise… de l’anglais. Par curiosité, j’ai consulté deux éditions françaises : aucune trace d’autrement. Mais dans l’édition anglaise, à chacun des trois exemples que j’ai relevés chez Cartier, on rencontre otherwise : I judge more than otherwise that these people would be easy to convert to our holy faith. On trouve d’ailleurs chez Jean O’Neil, qui a beaucoup fréquenté Cartier, une tournure identique : […] il enregistre ceci ou cela, avec un clic, qui, mieux qu’autrement, se perd quelque part dans le vide et le ventNote de bas de page 5. Mais je m’éloigne de mon sujet. À défaut de sources françaises, il faudra bien que nous nous contentions des écrivains d’ici. Ils ne sont quand même pas négligeables. Gilles Archambault, Victor-Lévy Beaulieu, Pierre BourgaultNote de bas de page 6, Dorval BrunelleNote de bas de page 7, Gil CourtemancheNote de bas de page 8, Jean-Paul DesbiensNote de bas de page 9, Gilles Marcotte, Jean O’NeilNote de bas de page 10 et Pierre PerraultNote de bas de page 11, c’est une brochette dont il n’y a pas à rougir. Il y en a même qui trouvent le moyen d’en abuser. Dans un pamphlet d’à peine 160 pagesNote de bas de page 12, on rencontre l’expression pas moins de six fois. Et il s’en est fallu de peu que nos cousins acadiens nous fassent la barbe. Dans une lettre ouverte au peuple acadien, Jean-Marie NadeauNote de bas de page 13 l’emploie cinq fois. Quant aux journalistes, même les bons, il va sans dire qu’ils ne s’en privent pas : Ariane Émond, Lysiane Gagnon, Léon Gwod, Francine Pelletier, Luc Perrault, Nathalie Petrowski, tous l’écrivent sans hésiter. Même Claude Ryan, lorsqu’il était rédacteur en chef du Devoir. Revenons brièvement à Geneviève Offroy. Elle ne semble pas avoir soupçonné un seul instant que cette locution pouvait venir de l’anglais. Étonnant, vous ne trouvez pas? Elle n’est pas traductrice, me direz-vous. Sans doute. Mais si l’on demandait à une demi-douzaine de personnes qui ignorent notre expression de traduire littéralement more often than not, je serais curieux de voir ce qu’on obtiendrait. Plus souvent que non? plus souvent que pas? Combien aboutiraient à autrement? Si j’étais joueur, je gagerais qu’il n’y en aurait pas un. Mais cela ne nous avance guère, m’objecterez-vous. J’en conviens. Et je dois dire que je ne saurais quoi ajouter pour vous convaincre dans un sens ou dans l’autre. Je suis bien obligé de m’en remettre à mon sentiment. C’est une tournure que j’aime. Elle est parlante, et bien balancée (ce qui n’est pas un défaut). Elle ajoute une corde à notre arc linguistique. Et la plupart des Québécois l’emploient. Que peut-on demander de plus? Une chose. Comme il n’est pas encore interdit de rêver, je souhaiterais que les Français l’adoptent – pour l’honneur, tout simplement. Ils l’ont bien fait pour l’horrible en charge de (un anglicisme authentique, celui-là).RéférencesNote de bas de page 1 Jean-François Saint-Gelais a été traducteur au Bureau de la traduction de 1973 à 1989.Retour à la référence de la note de bas de page 1Note de bas de page 2 Constance et Louis Forest, Le Colpron, Montréal, Beauchemin, 1994.Retour à la référence de la note de bas de page 2Note de bas de page 3 « Contribution à la syntaxe québécoise », Travaux de linguistique québécoise, Québec, Presses de l’Université Laval, 1975, p. 285-286.Retour à la référence de la note de bas de page 3Note de bas de page 4 Voyages en Nouvelle-France, Montréal, Hurtubise, coll. « Cahiers du Québec », 1977, p. 45, 49 et 57.Retour à la référence de la note de bas de page 4Note de bas de page 5 L’Île aux Grues, Montréal, Libre Expression, 1991, p. 83.Retour à la référence de la note de bas de page 5Note de bas de page 6 Oui à l’indépendance, Montréal, Quinze, 1977, p. 179.Retour à la référence de la note de bas de page 6Note de bas de page 7 Les trois colombes, Montréal, VLB, 1985, p. 68 et 141.Retour à la référence de la note de bas de page 7Note de bas de page 8 Douces colères, Montréal, VLB, 1989, p. 37, 38, 42 et 54.Retour à la référence de la note de bas de page 8Note de bas de page 9 Journal d’un homme farouche, Montréal, Boréal, 1993, p. 86.Retour à la référence de la note de bas de page 9Note de bas de page 10 Promenades et tombeaux, Montréal, Libre Expression, 1989, p. 203.Retour à la référence de la note de bas de page 10Note de bas de page 11 Préface au Contentieux de l’Acadie de Jacques Ferron, Montréal, VLB Éditeur, 1991, p. 8.Retour à la référence de la note de bas de page 11Note de bas de page 12 Richard Langlois, Pour en finir avec l’économisme, Montréal, Boréal, 1995, p. 13, 16, 18, 34, 91 et 153.Retour à la référence de la note de bas de page 12Note de bas de page 13 Que le tintamarre commence! Moncton, Éditions d’Acadie, 1992, p. 32, 41, 73, 103 et 135.Retour à la référence de la note de bas de page 13
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Mots de tête : « supposément »

Un article sur l’expression
Frèdelin Leroux fils (L’Actualité langagière, volume 1, numéro 1, 2004, page 11) C’est le genre de divertissements qui supposément vous instruisent.(Daniel Latouche, Le Devoir, 12.09.92) Qui n’a pas gardé de ses années d’école quelques réflexes lancinants, comme celui d’éviter la répétition? Ou encore les adverbes en « –ment », qu’il fallait éviter parce qu’ils étaient lourds, voire inutiles. Est-ce cette méfiance qui vaut à « supposément » d’être mis au ban? C’est un peu l’impression que nous donne Geneviève Gilliot. Après avoir condamné « supposément », sans états d’âme : « Encore une fabrication "maison" et totalement inutile alors qu’il existe prétendument, vraisemblablement qui, plus souvent, feraient l’affaire »Note de bas de page 1, elle ajoute : « On devrait d’ailleurs éviter l’emploi excessif des adverbes qui alourdissent la phrase ». Irène de Buisseret en a elle aussi contre ces adverbes, surtout ceux qu’elle qualifie de « barbares » : « On peut ramasser à la pelle, dans la copie des traducteurs, des monstres sauvages comme : ardument, densément, supposément, présumément, et plusieurs autres comme ça, de physionomie hirsute et faroucheNote de bas de page 2. » (Densément est entré au dictionnaire depuis.) Ou serait-ce parce qu’il s’agit d’une fabrication maison? Une linguiste de l’Université Laval est tentée par l’hypothèse d’une « création québécoise sous l’influence analogique de censément », du fait qu’en « français québécois supposé est constamment employé pour censé »Note de bas de page 3. (Les trois exemples qu’elle donne, tirés des journaux, datent de 1972.) Après Gilliot et Offroy, Louis Fournier note que l’adverbe n’est consigné nulle part : « supposément n’existe pas en français »Note de bas de page 4, sauf qu’il le range parmi les anglicismes. Pour sa part, le Dictionnaire québécois d’aujourd’hui l’enregistre avec, en guise de définition, deux équivalents, censément et présumément. Sans indication d’usage. On le lui a tellement reproché, d’ailleurs, que dès la deuxième édition (1993), il ajoute une mise en garde : « Cet emploi est critiqué »Note de bas de page 5 (mais il maintient comme synonyme présumément, pourtant tout aussi critiqué). La même année, Marie-Éva de Villers fait paraître la deuxième édition de son Multidictionnaire, où elle constate à son tour : « Cet adverbe n’est pas consigné dans les dictionnaires. On emploiera plutôt hypothétiquement, prétendument, soi-disant. » (Dans la première édition (1988), où supposément n’a pas droit à une entrée, elle écrivait à propos de présumément : « Cette forme n’est pas attestée, on emploiera plutôt supposément. ») Quelques années plus tard, un autre lexicographe en donne plusieurs exemples, tirés de la presse francophone du Canada. Sans aller jusqu’à dire qu’il s’agit d’un anglicisme, il ajoute, comme en post-scriptum : « mot absent des dictionnaires; l’anglais dit "supposedly" »Note de bas de page 6. Enfin, pour le dernier auteurNote de bas de page 7 qui le recense, il semble ne faire aucun doute que c’est un anglicisme. Mais en est-ce vraiment un? Si oui, on s’attendrait à le voir figurer dans l’ouvrage de référence en la matière, Le Colpron. Et pourtant, malgré les trois éditions depuis la parution des Anglicismes au Québec en 1970, « supposément » n’y a toujours pas sa place. On peut se demander où Fournier et Delisle sont allés chercher qu’il s’agit d’un anglicisme. Fournier n’a pu lire Meney; Delisle, peut-être. Non, je les soupçonne plutôt d’avoir eu entre les mains un vieux numéro de C’est-à-dire (janvier-février 1971), le bulletin du Comité de linguistique de Radio-Canada. On peut y lire ce nota bene : « Supposément (supposedly), théoriquement possible en français, est inusité. » Est-ce que la seule ressemblance avec « supposedly » justifie qu’on le condamne? Ce n’est pas mon avis, mais anglicisme, québécisme ou barbarisme, cela ne change pas grand-chose à l’affaire. Contentons-nous plutôt d’examiner quelques cas de cet usage chez nous, et ailleurs. Nous l’employons depuis au moins quarante ans, comme en témoigne cet exemple de 1961 :Dans cette capitale d’un pays supposément bilingue, on ne voyait nulle part le moindre mot de françaisNote de bas de page 8. Ancien traducteur, l’auteur a déjà été président de la Corporation des traducteurs professionnels du Québec. Un second exemple, de deux historiens Note de bas de page 9:Dans ce Bas-Canada du début du XIXe siècle, supposément bouché, cadenassé contre le reste du monde… Et d’une très bonne journalisteNote de bas de page 10, qui était en France à l’époque des événements de 68 :Le sérieux que manifestaient des jeunes encore supposément à l’abri de la vie. Enfin, deux derniers exemples, d’une politicologue et d’un ancien felquiste :Le Trust Royal assemblait neuf camions de la Brink’s pour évacuer supposément des capitaux vers TorontoNote de bas de page 11.Supposément bien connu, le mouvement de la jeunesse occidentale des années soixante doit être pris en compteNote de bas de page 12. Les exemples qui me restent – une grosse vingtaine – proviennent presque tous de trois quotidiens, Le Droit, Le Devoir et La Presse. Je me contenterai de celui-ci : « L’énumération des pouvoirs indique en soi les limites du nouveau fédéralisme supposément subsidiaire » (Lise Bissonnette, Le Devoir, 21.10.92).  Par ailleurs, j’en ai relevé une occurrence dans un journal acadien, L’Acadie Nouvelle (30.07.93), sous la plume d’un chroniqueur qui écrit en chiac (le parler populaire acadien). Depuis, sa chronique paraît dans un hebdomadaire, où il récidive :J’en train d’subir tcheques [quelques] « side effects » qué supposément normalNote de bas de page 13. Enfin, il se trouve aussi des gens qui sont venus s’établir chez nous pour l’employer (auraient-ils subi notre influence?). Notamment deux journalistes d’origine française, Michel Vastel (Le Droit, 16.01.95, 21.08.02) et Pierre Foglia : « Tu ne peux pas en même temps être citoyen de plein droit et clamer ton droit à l’irresponsabilité quand tu fais la pute, parce que t’es supposément un enfant » (La Presse, 27.03.04). Et je l’ai entendu dans la bouche d’un bédéiste, Paul Roux, qui est aussi Français d’origine si je ne m’abuse, lors des Rendez-vous de la Francophonie en mars 2003. Un autre bédéiste l’emploie, et comme il est Algérien d’origine et établi en France, je vois mal comment nous aurions pu l’influencer :[…] le seul tableau qui reste supposément de Joseph ConstantNote de bas de page 14. J’ai trouvé un seul autre exemple « français » dans mes lectures, plus précisément deux occurrences, chez un psychanalyste, qui raconte son expérience de sans-abri :Les hôtels […], on y coïte énormément. Pour vrai ou supposément. Ce supposément suffit amplement à nourrir toutes les imaginationsNote de bas de page 15. C’est maigre comme moisson, mais c’était avant d’aller voir sur Internet. Une simple interrogation donne près de dix mille occurrences. Certes, il y a beaucoup de répétitions, et la plupart sont des sites canadiens, mais on y trouve bien d’autres sites, français, bruxellois, haïtiens, mauriciens, mauritaniens; un site corse aussi, dont l’exemple, juteux, mérite d’être cité : « Ça nous rappelle l’histoire de la Caisse d’épargne et des noisettes qui se sont supposément envolées du temps où Lagourgue supposément mis en examen en était l’écureuil en chef ». Journaux et revues sont également mis à contribution : Le Nouvel Observateur, Dernières Nouvelles d’Alsace, Journal de l’île de la Réunion, Haïti Progrès, Le Monde, Les Temps modernes; de même qu’un journal en ligne, le Courrier des Balkans. Et je termine avec une décision du Conseil constitutionnel (29.12.98) : « L’on peut se demander en quoi l’interconnexion de fichiers sociaux et fiscaux est pertinente, eu égard au strict but supposément poursuivi ». Dans la dernière édition de son ouvrage (2004), Mme de Villers reconnaît que c’est un adverbe « bien formé » et note qu’on en relève « des occurrences de plus en plus nombreuses […] dans la presse française »; elle en donne deux exemples, du Monde et de Libération. Devant une telle abondance, il faut se rendre à l’évidence : il ne saurait s’agir d’une création québécoise. Elle serait plutôt « franco-américaine », par contre, si l’on en juge par l’exemple du Trésor de la langue française : « Paul B. passait quelquefois une heure et demie à interroger les jeunes dactylos […], supposément pour se documenter ». Ce passage, tiré du Journal de Julien Green, date de 1945! J’avoue que je ne détesterais pas trouver un exemple québécois qui lui soit antérieur… Mais il est peu probable que notre usage soit plus ancien. Autrement, Victor BarbeauNote de bas de page 16 n’aurait pas manqué d’en parler.RéférencesNote de bas de page 1 G. Gilliot, Ce que parler veut dire, Montréal, Leméac, 1974, p. 116.Retour à la référence de la note de bas de page 1Note de bas de page 2 I. de Buisseret, Guide du traducteur, Ottawa, Association des traducteurs et interprètes de l’Ontario, 1972, p. 47-48. (Deux langues, six idiomes, 1975, p. 35.)Retour à la référence de la note de bas de page 2Note de bas de page 3 Geneviève Offroy, « Contribution à la syntaxe québécoise », Travaux de linguistique québécoise, Québec, Presses de l’Université Laval, 1975, p. 291.Retour à la référence de la note de bas de page 3Note de bas de page 4 L. Fournier, Sur le bout de la langue – Anglicismes 1, Boisbriand (Qc), Éditions Rabelais, 1991, p. 86.Retour à la référence de la note de bas de page 4Note de bas de page 5 Jean-Claude Boulanger, Dictionnaire québécois d’aujourd’hui, Paris, Dicorobert, 1993.Retour à la référence de la note de bas de page 5Note de bas de page 6 Lionel Meney, Dictionnaire québécois-français, Montréal, Guérin, 1999.Retour à la référence de la note de bas de page 6Note de bas de page 7 Yvon Delisle, Mieux dire, mieux écrire, Sainte-Foy (Qc), Éditions Septembre, 2000, p. 60.Retour à la référence de la note de bas de page 7Note de bas de page 8 André d’Allemagne, Une idée qui sommeillait, Montréal, Comeau et Nadeau, 2000, p. 72. Texte prononcé le 26 juin 1961.Retour à la référence de la note de bas de page 8Note de bas de page 9 John Hare et Jean-Pierre Wallot, Les imprimés dans le Bas-Canada, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 1967, p. 3.Retour à la référence de la note de bas de page 9Note de bas de page 10 Paquerette Villeneuve, Une Canadienne dans les rues de Paris pendant la révolution étudiante, Montréal, Éditions du Jour, 1968, p. 122.Retour à la référence de la note de bas de page 10Note de bas de page 11 Josée Legault, L’invention d’une minorité, Montréal, Boréal, 1991, p. 34.Retour à la référence de la note de bas de page 11Note de bas de page 12 Charles Gagnon, Le référendum, un syndrome québécois, Montréal, La pleine lune, 1995, p. 48.Retour à la référence de la note de bas de page 12Note de bas de page 13 Delphine B.B. Bosse, Le Moniteur acadien, septembre 2003.Retour à la référence de la note de bas de page 13Note de bas de page 14 Jacques Ferrandez, entretien avec Danielle Laurin, Le Devoir, 17.09.95.Retour à la référence de la note de bas de page 14Note de bas de page 15 Patrick Declerck, Les Naufragés, Paris, Plon, Terre Humaine Poche, 2003, p. 149.Retour à la référence de la note de bas de page 15Note de bas de page 16 V. Barbeau, Le français du Canada, Québec, Garneau, 1970.Retour à la référence de la note de bas de page 16
Source : Chroniques de langue (la langue française vue par des langagiers)
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