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Mots de tête : « revers de la main »

Un article sur l’expression balayer d’un revers de main
Frèdelin Leroux fils (L’Actualité terminologique, volume 25, numéro 2, 1992, page 20) C’est méconnaître l’originalité inventive de Paul Morand que l’écarter d’un revers de la mainNote de bas de page 1.(R. Duhamel, Le Devoir, 26.5.84.) Ce n’est un secret pour personne que les dictionnaires sont incomplets. Aussi, il n’y a pas de quoi en faire un plat. Mais vous avouerez que c’est quand même agaçant de faire la tournée des grands dictionnaires (et des moins grands), à la recherche d’une expression qu’on lit ou qu’on entend à tout bout de champ, et de se retrouver Gros-Jean comme devant. Par exemple, c’est en vain que vous chercheriez revers de (la) main dans le sens où Roger Duhamel l’emploie. D’après les dictionnaires, la fonction du revers de la main est double : vous permettre d’essuyer la sueur qui vous perle au front (Lexis) et, au besoin, vous fournir le moyen de clore la bouche d’un importun (Robert). C’est un peu court, me direz-vous. Heureusement, au pays de l’école polyvalente, le revers est beaucoup plus… polyvalent. On s’en sert pour balayer, congédier, écarter, rejeter ou répudier un peu n’importe quoi : un danger, une demande, un importun, une objection, et j’en passe. En somme, tout ce qui ne fait pas notre affaire. La lecture de quelques numéros du Devoir ou de La Presse nous en fournirait une belle moisson. Et il n’y a pas que nos journalistes qui l’emploient. Des personnalités, comme on dit, Roger Duhamel, Solange Chaput-RollandNote de bas de page 2 ou René Lévesque ne dédaignent pas de s’en servir. L’autobiographie de René LévesqueNote de bas de page 3 ayant été traduite, je suis allé vérifier comment le traducteur avait rendu balayer d’un revers de main. Littéralement : to dismiss with the back of one’s hand. Aussitôt, le voyant Attention! anglicisme s’est mis à clignoter. Mais j’eus beau consulter les dictionnaires anglais, l’expression ne semble pas connue. Un collègue anglophone m’a d’ailleurs confirmé que ce n’était pas très courant, qu’il dirait plutôt to dismiss with a wave of the hand. D’autre part, comme j’avais rencontré la tournure dans un article traduit de l’anglais, je me suis reporté à l’original, pensant y retrouver… Pas du tout, voici que qu’on y lit : High court judgments can be vacated effortlessly. Pour traduire vacate ainsi, me suis-je dit, il fallait que la locution fût profondément ancrée dans le subconscient du traducteur. C’est ce qui m’a amené à écarter la possibilité d’un calque. S’agirait-il d’un québécisme, alors? Pas davantage. Plusieurs exemples le confirment. Commençons par deux citations, très près du sens propre :Ceux qui (…) étalent tout leur jeu et (…) le raflent d’un revers de mainNote de bas de page 4.Des bras de banquier, qui raflent l’or d’un revers de mainNote de bas de page 5. Enchaînons avec une traduction de l’allemand :Comme effacés d’un revers de main, les assaillants disparurent…Note de bas de page 6. Le Monde nous en fournit trois exemples :(…) les hégéliens et les spiritualistes qui éliminent Sartre d’un revers de mainNote de bas de page 7.Congédier d’un revers de main toute instance socio-économiqueNote de bas de page 8.Tout autant que l’interrogation sur le droit de conquête, qui ne peut être balayée d’un revers de main…Note de bas de page 9. Voici deux variantes, qui ont exactement le même sens :Le chef du personnel (…) fut découvert et balayé du tranchant de la mainNote de bas de page 10.Tout ça… avec le geste d’écarter quelque chose du dos de la mainNote de bas de page 11. Enfin, on trouve aussi des exemples dans des ouvrages dits sérieux :(…) les massacres des opposants sont balayés d’un revers de la main…Note de bas de page 12. Dont celui-ci, où il y a ce que j’appellerais un sens doublement figuré :(…) balayer d’un revers mental tous les ragotsNote de bas de page 13. Il ne fait aucun doute, à mon avis, que cette expression est tout à fait française. On l’emploie, au figuré, depuis une bonne vingtaine d’années. Il ne peut s’agir que d’une lacune, que les dictionnaires s’empresseront de combler. Mais il faudrait peut-être en informer les lexicographes. S’il y a un(e) volontaire qui veut bien s’en charger, je lui dédierai volontiers mon prochain billet.RéférencesNote de bas de page 1 Heureusement que L’Actualité terminologique ne publie pas toujours mes billets au fur et à mesure. Autrement, je ne pourrais pas vous faire profiter de mes trouvailles de dernière minute. D’un revers de main figure dans le Dictionnaire des locutions idiomatiques françaises(note 13), avec la définition suivante : sans y attacher d’importance, en faisant un geste de dédain.Mais le plus intéressant, c’est l’exemple :Mgr Trochu (…) ne peut être écarté d’un revers de main.Il est tiré d’une chronique du célèbre Aristide, grammarien, parue dans Le Figaro littéraire du 22 septembre 1969.Retour à la référence de la note de bas de page 1Note de bas de page 2 Solange Chaput-Rolland, Regards 87, Montréal, Cercle du Livre de France, 1968, p. 58.Retour à la référence de la note de bas de page 2Note de bas de page 3 René Lévesque, Attendez que je me rappelle, Montréal, Québec/Amérique, 1986, p. 308.Retour à la référence de la note de bas de page 3Note de bas de page 4 Georges Duhamel, Scènes de la vie future, Mercure de France, 1958, p. 136. (Paru en 1930.)Retour à la référence de la note de bas de page 4Note de bas de page 5 Alexandre Vialatte, L’éléphant est irréfutable, Presses Pocket, 1989, p. 296. (Article paru vraisemblablement en 1963.)Retour à la référence de la note de bas de page 5Note de bas de page 6 Ernst Jünger, Orages d’acier, Folio, 1974, p. 256. (Paru chez Christian Bourgeois en 1970. Traduit par Henri Plard.)Retour à la référence de la note de bas de page 6Note de bas de page 7 Pierre Lepage, Le Monde, 25.10.85.Retour à la référence de la note de bas de page 7Note de bas de page 8 Ibid., 29.11.86.Retour à la référence de la note de bas de page 8Note de bas de page 9 Philippe Boucher, Le Monde, 1.9.90.Retour à la référence de la note de bas de page 9Note de bas de page 10 Maurice Jaquier, Simple militant, Denoël/Lettres nouvelles, 1974, p. 69.Retour à la référence de la note de bas de page 10Note de bas de page 11 Robert Musil, L’Homme sans qualités, tome 2, Folio, 1974, p. 514. (Paru au Seuil en 1957. Traduit par Philippe Jacottet.)Retour à la référence de la note de bas de page 11Note de bas de page 12 Nina et Jean Kéhayan, La nuit du prolétaire rouge, Éditions Rombaldi, 1981, p. 30.Retour à la référence de la note de bas de page 12Note de bas de page 13 Bruno Lafleur, Dictionnaire des locutions idiomatiques françaises, Éditions du Renouveau pédagogique, Montréal, 1979.Retour à la référence de la note de bas de page 13
Source : Chroniques de langue (la langue française vue par des langagiers)
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Mots de tête : « du même souffle »

Un article sur l’expression du même souffle
Frèdelin Leroux fils (L’Actualité terminologique, volume 31, numéro 2, 1998, page 9) Et on condamne Israël du même souffle, pour les bavures de sa police…(Michel Régnier, cinéaste, Le Devoir, 29.3.88.) Les anglophones ont de la veine, ils peuvent faire plein de choses que notre langue nous interdit. Ils peuvent, par exemple, « parler des deux côtés de la bouche en même temps ». Ou « à travers leur chapeau ». Et par défi, ils iront même jusqu’à le manger, leur chapeauAller à la remarque a. Tour à tour maladroits ou contorsionnistes, ils se tirent dans le pied (sans grand préjudice corporel, d’ailleurs) ou se le mettent dans la bouche à tout bout de champ. Heureusement qu’il nous arrive de leur damer le pion : ils sont bien incapables, que je sache, de gagner une course les doigts dans le nez. Ils ont également un souffle assez particulier. Non seulement ils peuvent « rire sous leur souffle », mais ils sont capables (grâce au fameux « second souffle »?) de dire deux choses, souvent opposées, « du même souffle ». C’est une technique qui ne semble pas avoir de secret pour les Québécois. J’ai relevé chez nous une bonne quarantaine d’exemples de l’expression « du même souffle ». Nous l’apprêtons littéralement à toutes les sauces. On peut annoncer, répéter ou affirmer; rejeter, dénoncer ou reprocher; regretter, adoucir ou accueillir – tout et son contraire – du même souffle. Pour certains, c’est une façon d’apprendre une nouvelle :Catherine apprend du même souffle que sa mère biologique vit toujours en Chine et qu’elle va bientôt mourirNote de bas de page 1. D’autres arrivent même à « voir » par ce moyen :Mais on voit du même souffle l’avantage qu’un pays plus dynamique peut retirer d’une monnaie communeNote de bas de page 2. Et jusqu’aux budgets qui s’animent :Du même souffle, le budget d’hier indique qu’il faudrait bien que […]Note de bas de page 3. Retour à la remarque a Si l’on se fie au Harrap’s portatif (1993) et au Larousse bilingue (1994), les Français commenceraient à s’adonner à ce rituel un peu bizarre. Vous me direz qu’il y a de l’abus. J’en conviens. Mais il ne faudrait pas pour autant jeter le bébé avec l’eau du bain. Examinons plutôt la coupable. « In the same breath » signifie « at the same time or about the same time », « almost simultaneously ». Un vieux dictionnaireNote de bas de page 4 de 1907 traduit justement par « au même instant ». Au départ, le sens est à peine figuré, comme dans l’exemple classique « they are not to be mentioned in the same breath ». À peu près tous les dictionnaires traduisent par « on ne saurait les comparer », mais on trouve dans The GimmickNote de bas de page 5 d’Adrienne une formule plus imagée. « Parler en même temps des fromages américains et français, c’est mélanger les torchons et les serviettes » est rendu ainsi : « You can’t talk about American cheeses and French cheeses in the same breath. » (Les Américains ont dû aimer!) Mais le sens qu’on rencontre le plus souvent aujourd’hui est celui que donne le Cobuild English DictionaryNote de bas de page 6 : « You can use in the same breath or in the next breath to indicate that someone says two very different or contradictory things ». C’est l’exemple qu’on trouve dans le dictionnaire de PetitNote de bas de page 7, dès 1934 : « he contradicts himself in the same breath – il se contredit d’un instant à l’autre ». Comment les dictionnaires récents rendent-ils cette expression? Le Robert Collins Senior s’en tient à peu près à ce que donne Petit : « she contradicted herself in the same breath – elle s’est contredite dans la même seconde ». Chose étonnante, le Grand Larousse bilingue se contente de l’exemple classique. Il n’y a que le Hachette-Oxford pour faire montre d’un peu d’audace : « in the same breath – dans la foulée ». Et dans la partie français-anglais : « dans la foulée, il a ajouté – in the same breath, he added. » (Il est intéressant de voir que, dans le Trésor de la langue française, « dans la foulée » a le même sens que « in the same breath » : « simultanément, en même temps ».) « Du même souffle » est de loin la tournure la plus courante chez nous. Que ce soit Lise Bissonnette ou Gilles Lesage du Devoir, Michel Vastel ou André Nadeau du Droit, Lysiane Gagnon ou Pierre Foglia de La Presse, ou Jean Paré de L’Actualité. Ou même Pierre Bourgault. Tous l’emploient. Y compris des universitaires. Mais on trouve aussi la variante « dans un même souffle » (La Presse, 4.2.95). Bien que très rarement. Par contre, « dans le même souffle » est plus fréquent. Je l’ai rencontré chez Nathalie PetrowskiNote de bas de page 8, Gil CourtemancheNote de bas de page 9 et Yves ThériaultNote de bas de page 10 (l’exemple le plus ancien que j’ai trouvé). « Dans le même souffle » est la formule que les Français semblent préférer, les journalistes notamment :Dans le même souffle, Fonda dénonce l’impérialisme culturel […]Note de bas de page 11.Les milieux officiels israéliens se sont félicités de la libération de Nelson Mandela et, dans le même souffle, ont rejeté toute comparaisonNote de bas de page 12. Et l’auteur d’un très bel ouvrage sur le Liban :Le président annonçait le retour de nos soldats à Beyrouth. [Il] précisait dans le même souffle que nous ne serions sur place que […]Note de bas de page 13. Malgré les apparences, les Français ne sont pas allergiques à « notre » tournure. Alain Finkielkraut, par exemple, emploie « du même souffle » :Deux nations, la Slovénie et la Croatie, proclament leur indépendance, et affirment du même souffle leur européanitéNote de bas de page 14. Et un chercheur du CNRS utilise une légère variante :Ils dénonçaient d’un même souffle l’« impiété » du pouvoir et l’injustice sociale dont souffrait une jeunesse interdite d’avenirNote de bas de page 15. Inutile de dire que ces variantes sont toutes inconnues des dictionnaires. Aussi, rien d’étonnant à ce que vous ayez des scrupules à les employer. Mais si les traductions que les dictionnaires nous proposent ne vous satisfont pas, voici quelques expressions qui pourraient vous être utiles :Comme si l’on considérait que la résistance […] doit, d’une même haleine, se poursuivre et s’accroîtreNote de bas de page 16.Mais l’auteur ajoute du même mouvement : « Et ils l’espèrent bienNote de bas de page 17. »Or, en défendant dans le même mouvement le voile islamique et la kippa juive […]Note de bas de page 18. J’ai trouvé un exemple de cet usage chez nous :Étonnantes invectives de la part d’un littérateur qui, dans le même mouvement où il invective Richler, déclare sans ambages qu’il ne l’a pas luNote de bas de page 19. Voici une dernière locution, qu’on ne trouve qu’au sens propre dans les dictionnaires, mais qu’on voit souvent employée dans un sens figuré et qui ferait un bon équivalent de l’expression anglaise :[…] je n’avais aucune envie de pleurer sur le sort d’un vieillard [Pétain] qui m’avait volé ma carte d’identité et qui […] décrétait dans le même temps que je n’étais bon à rien […]Note de bas de page 20. Si aucune de ces solutions ne vous agrée, vous pourrez toujours vous rabattre sur celles qu’on trouve dans la dernière édition du MultidictionnaireNote de bas de page 21. Marie-Éva de Villers est la première et – sauf erreur – la seule à signaler que « du même souffle » est un calque de l’anglais. Outre la traduction du Hachette-Oxford (« dans la foulée »), elle nous propose « d’un seul élan, sur son élan ». Toutes ces façons de dire sont certes utiles, et devraient vous dépanner à l’occasion, mais je gagerais mon exemplaire en lambeaux des Nouvelles remarques de Monsieur Lancelot que « du même souffle » (ou « dans le même souffle ») finira bien un jour par aller rejoindre dans les dictionnaires ce « second souffle » que nous avons déjà volé aux anglophones.RéférencesNote de bas de page 1 Gisèle Desroches, Le Devoir, 14.3.98.Retour à la référence de la note de bas de page 1Note de bas de page 2 Georges Mathews, L’Accord, Éditions Le Jour, Montréal, 1990, p. 69.Retour à la référence de la note de bas de page 2Note de bas de page 3 Denis Lessard, La Presse, 22.5.93.Retour à la référence de la note de bas de page 3Note de bas de page 4 Alfred Elwall, Dictionnaire anglais-français, Ch. Delagrave, Paris, 14eéd., 1907.Retour à la référence de la note de bas de page 4Note de bas de page 5 Adrienne, The Gimmick Spoken American and English, tome 2, Flammarion, 1972, p. 133-134.Retour à la référence de la note de bas de page 5Note de bas de page 6 Collins Cobuild English Dictionary, Harper Collins, Londres, 1995.Retour à la référence de la note de bas de page 6Note de bas de page 7 Ch. Petit, Dictionnaire anglais-français, Hachette, Paris, 1934.Retour à la référence de la note de bas de page 7Note de bas de page 8 Nathalie Petrowski, Le Devoir, 15.9.90, 1.2.92 et 6.6.92.Retour à la référence de la note de bas de page 8Note de bas de page 9 Gil Courtemanche, Chroniques internationales, Boréal, Montréal, 1991, p. 165. Voir aussi Le Soleil du 19.12.92.Retour à la référence de la note de bas de page 9Note de bas de page 10 Yves Thériault, « Le dernier igloo », in L’herbe de tendresse, VLB éditeur, Montréal, 1983, p. 105. (Nouvelle vraisemblablement parue au début des années 60.)Retour à la référence de la note de bas de page 10Note de bas de page 11 Pierre Dommergues, Le Monde Dimanche, 21.2.83.Retour à la référence de la note de bas de page 11Note de bas de page 12 Alain Franchon, Le Monde, 13.2.90. Voir aussi Le Monde du 17.8.89.Retour à la référence de la note de bas de page 12Note de bas de page 13 Jean-Pierre Péroncel-Hugoz, Une croix sur le Liban, Folio/Actuel, 1985, p. 29.Retour à la référence de la note de bas de page 13Note de bas de page 14 Alain Finkielkraut, Comment peut-on être Croate?, Gallimard, 1992, p. 99.Retour à la référence de la note de bas de page 14Note de bas de page 15 Gilles Kepel, Le Monde, 7.3.91.Retour à la référence de la note de bas de page 15Note de bas de page 16 Claude Hagège, Le français et les siècles, Odile Jacob, coll. Points, 1989, p. 10.Retour à la référence de la note de bas de page 16Note de bas de page 17 Jean Guéhenno, Journal des années noires, Livre de poche, 1966, p. 252. Paru en 1947.Retour à la référence de la note de bas de page 17Note de bas de page 18 Alain Finkielkraut, Le Monde, 23.2.90.Retour à la référence de la note de bas de page 18Note de bas de page 19 Nadia Khouri, Qui a peur de Mordecai Richler?, Éditions Balzac, Montréal, 1995, p. 29.Retour à la référence de la note de bas de page 19Note de bas de page 20 Bernard Frank, Le Monde, 21.8.85. Voir aussi Jean-Yves Nau, Le Monde, 5.7.89.Retour à la référence de la note de bas de page 20Note de bas de page 21 Marie-Éva de Villers, Multidictionnaire de la langue française, 3e éd., Québec Amérique, Montréal, 1997.Retour à la référence de la note de bas de page 21
Source : Chroniques de langue (la langue française vue par des langagiers)
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Mots de tête : « intéressé à » + infinitif

Un article sur l’expression intéressé à suivi d’un infinitif
Frèdelin Leroux fils (L’Actualité terminologique, volume 34, numéro 2, 2001, page 22) Femmes, vieillards, enfants que le malheur accable,Tous sont intéressés à le trouver coupable. (Voltaire) Voltaire aurait dit un jour à je ne sais trop qui que même s’il désapprouvait ses idées, il défendrait jusqu’à la mort son droit de les exprimer. Toutes proportions gardées, j’ai un peu l’impression que c’est mon cas aujourd’hui. Je n’aime pas particulièrement l’expression « intéressé à + infinitif », au sens que nous lui donnons chez nous, et pourtant, je me porte à sa défense. Pour plusieurs raisons. D’abord, parce que je crains que cette tournure, telle qu’employée par Voltaire, ne soit menacée de disparition. C’est du moins l’impression que nous donnent les dictionnaires courants. Car il faut se rabattre sur les « vieux » pour la trouver –le Furetière (1690), le Bescherelle (1887), le Larousse du XXe siècle (1928) –, ou sur quelques grands dictionnaires plus récents –le Dictionnaire encyclopédique  Quillet (1953), le Trésor de la langue française (1983). Ensuite, parce que la tournure a pris un sens nouveau –sous l’influence de l’anglais, dit-on –, qui semble bien être entré dans l’usage. Pas seulement au Québec, mais en France également. La preuve, un grammairien bien connu la condamne. À l’été 99, Jacques Drillon lançait un quiz sur la langue dans le Nouvel Observateur, où il posait cette « colle » au lecteur :La bonne attachée de presse doit demander :Seriez-vous intéressé à parler de ce livre? Seriez-vous intéressé pour [sic] parler de ce livre? Voudriez-vous parler de ce livre? Je ne vous indique pas la bonne réponse… Enfin, j’ajouterais bien une dernière raison, qui n’a sans doute pas le poids des autres, mais c’est pourtant le coup de pouce qu’il me fallait. Une collègue, d’origine française, qu’on pourrait difficilement soupçonner de laxisme, l’écrit sans hésitation dans le journal du service. (Je ne vous dirai pas son nom –question de protéger mes sources et de lui éviter de se faire harceler par plus puriste qu’elle.) Mais commençons par voir ce que ce tour a de fautif. Dans les Maux des motsNote de bas de page 1, Jean Darbelnet écrit que le verbe « intéressé à + infinitif » est « souvent employé d’une façon peu idiomatique qui reproduit la construction anglaise to be interested ». Pour éviter « cet emploi fautif du verbe intéresser », au lieu d’écrire « les personnes intéressées à assurer cet enseignement », il propose « désireuses de ou désirant (ou encore disposées à) ». Un dictionnaire de Faux amisNote de bas de page 2 propose un autre équivalent :Lorsque le verbe to interest est employé dans la structure to be interested in doing sth il correspond plutôt à vouloir, aimer, p. ex., we’re interested in increasing our exports to Africa : nous voudrions accroître nos exportations vers l’Afrique. Curieusement, les auteurs ne soufflent mot de l’usage « classique ». L’ignorent-ils? Le considèrent-ils comme vieilli? Darbelnet prend au moins la peine de signaler que l’usage existe. Et même l’Académie, qui vient (enfin) de faire paraître le tome 2 de son Dictionnaire, ne juge pas utile d’indiquer que le tour aurait vieilli. Elle se contente d’en donner le sens : « avoir intérêt à, y être obligé, engagé par le motif de son intérêt » et de s’approprier l’exemple du Bescherelle : « Vous êtes intéressé à empêcher cet abus d’autorité ». Mais n’en déplaise aux dictionnaires –le Grand Robert, le Grand Larousse de la langue française, les portables, tous l’ignorent souverainement –, c’est un usage qu’on ne saurait écarter du revers de la main. Depuis Mirabeau (1789) et Étienne de  Jouy (1815), en passant par Albert de Mun (1895) et Charles-Ferdinand Ramuz  (1927), jusqu’à Jean Giono (1958) et Rachid Mimouni (1992), on n’a jamais cessé de l’employer. Je me contenterai de deux exemples :Mais personne n’y croit, sauf ceux qui sont intéressés à y croireNote de bas de page 3.[…] hors les produits primaires qu’ils ne sont plus intéressés à produireNote de bas de page 4. Cet emploi n’est pas inconnu de ce côté-ci de l’Atlantique. Je l’ai relevé chez un grand journaliste du 19e siècle :Voilà donc les peuples directement intéressés à favoriser la prospérité […]Note de bas de page 5. Chez un père de la Confédération, Hector Langevin :Le gouvernement central ne sera pas intéressé à attaquer notre religion […]Note de bas de page 6. Et chez un sénateur du tournant du siècle :[…] les autres provinces sont trop intéressées à nous garder pour nous lâcherNote de bas de page 7. Mais revenons à des exemples hexagonaux, où le sens classique commence à s’atténuer :[…] un investisseur intéressé à participer à la réduction de l’insécurité urbaineNote de bas de page 8. Cet exemple est tiré d’un document bilingue rédigé en français. La traduction anglaise est identique : « interested in participating in the reduction of urban insecurity ». Autre exemple :Qui sera intéressé à faire respecter la loi si l’acte prohibé ne nuit à personneNote de bas de page 9? On sent encore l’idée d’« avoir intérêt à », mais dans l’exemple suivant, il s’agit clairement du sens condamné par Drillon :[le jeune éditeur] m’a appelé pour me dire qu’il était très intéressé à nous publierNote de bas de page 10. Parmi plusieurs exemples québécois, l’auteur du Dictionnaire québécois français en laisse échapper un qu’il a entendu à TF1 : « Elles ne sont plus intéressées à retrouver leur familleNote de bas de page 11 ». J’ai également relevé un cas avec « de », chez un universitaire :[…] un vieil homme, qui paraît intéressé de voir un étrangerNote de bas de page 12. Chez nous, on ne compte plus les journalistes qui emploient cette tournure : qu’ils soient du Droit (Adrien Cantin), du Soleil (Michel Vastel), de la Presse (Lysiane Gagnon), ou du Devoir (Chantal Hébert, Jean Dion). Le tour n’est pas inconnu des universitaires non plus (Louis Balthazar, Victor Teboul), ni des essayistes politiques (Pierre Godin, Christian Rioux). On le rencontre même chez deux professeurs de traduction. Dans un des modèles de lettre proposés dans Le français, langue des affaires, ils écrivent :Nous avons toutefois pensé que vous seriez intéressé à comparer le prix de revientNote de bas de page 13. Se seraient-ils laissé prendre au piège? Ou voulaient-ils insister sur le fait que le client éventuel « avait intérêt » à comparer les prix? On peut en douter. Au terme de ce bref tour d’horizon, je dois dire que cette tournure ne me revient toujours pas. Cela tient sans doute au fait que j’ai été conditionné, mais c’est aussi parce qu’il est tellement facile de l’éviter. Il n’en reste pas moins qu’il y a parfois dans cet « intéressé » quelque chose qu’on perdrait à le remplacer. Prenons cet exemple de Michel Vastel : « le pays est intéressé à discuter de réforme ». On peut très bien écrire que le pays « veut » ou « souhaite » discuter de réforme, qu’il en a le goût, qu’il est disposé à le faire, mais dit-on la même chose? Je vous laisse trancher. P.-S. Je découvre à la dernière minute que l’expression figure dans le Harrap’s français-anglais (1972) : « intéressé à faire qqch. –interested in doing sth. ». Malheureusement, sans contexte, il est difficile de savoir si c’est la formule classique, ou le sens condamné.RéférencesNote de bas de page 1 Jean Darbelnet, Les maux des mots, Québec, Presses de l’Université Laval, 1982, p. 77.Retour à la référence de la note de bas de page 1Note de bas de page 2 Jacques Van Roey, Sylviane Granger et Helen Swallow, Dictionnaire des faux amis français-anglais, 2e éd., Paris, Duculot, 1991.Retour à la référence de la note de bas de page 2Note de bas de page 3 Jean Giono, Angelo, coll. Folio, 1995, p. 122. Paru chez Gallimard en 1958.Retour à la référence de la note de bas de page 3Note de bas de page 4 Rachid Mimouni, De la barbarie en général et de l’intégrisme en particulier, Presses Pocket, 1993, p. 20.Retour à la référence de la note de bas de page 4Note de bas de page 5 Étienne Parent, conférence prononcée à l’Institut canadien de Montréal, le 23 septembre 1847.Retour à la référence de la note de bas de page 5Note de bas de page 6 Hector Langevin, Débats parlementaires sur la question de la Confédération, Québec, Hunter, Rose et Lemieux, 1865, p. 375.Retour à la référence de la note de bas de page 6Note de bas de page 7 L.-O. David, Au soir de la vie, Québec, Beauchemin, 1924, p. 185-186.Retour à la référence de la note de bas de page 7Note de bas de page 8 Catherine Vourc’h et Michel Marcus, Sécurité et démocratie, Saint-Amand (France), Forum européen pour la sécurité urbaine, 1994, p. 212.Retour à la référence de la note de bas de page 8Note de bas de page 9 Collectif d’information et de recherche cannabique, Lettre ouverte aux législateurs, Paris, N.S.P., 1997, p. 47.Retour à la référence de la note de bas de page 9Note de bas de page 10 Jean-Bernard Pouy, éditeur de la série noire Le Poulpe, cité par Serge Truffaut, Le Devoir, 7.2.98.Retour à la référence de la note de bas de page 10Note de bas de page 11 Lionel Meney, Dictionnaire québécois français, Montréal, Guérin, 1999.Retour à la référence de la note de bas de page 11Note de bas de page 12 Paul Garde, Journal de voyage en Bosnie-Herzégovine, Paris, La Nuée bleue, 1995, p. 111.Retour à la référence de la note de bas de page 12Note de bas de page 13 André Clas et Paul Horguelin, Le français, langue des affaires, Montréal, McGraw-Hill, 1969, p. 272.Retour à la référence de la note de bas de page 13
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Mots de tête : « tous et chacun »

Un article sur l’expression tous et chacun
Frèdelin Leroux fils (L’Actualité terminologique, volume 17, numéro 4, 1984, page 11) Mourir épuisé par la lutte, c’est graver son nom sur l’espoir de tous et chacunNote de bas de page 1. Si je vous disais que cette phrase est d’un grand écrivain, y trouveriez-vous à redire? Mais si je vous glissais dans le creux de l’oreille qu’elle est d’un romancier québécois, à peu près inconnu, je me demande si vous ne commenceriez pas à la regarder de travers. Et, avec un peu de bonne (!) volonté, vous en viendriez peut-être même à lui trouver des airs de famille avec une certaine expression anglaise… Lors de mon passage aux Débats, Mlle de Buisseret m’avait mis en garde contre « tous et chacun », qualifiant ce tour de solécisme. Mais dans son Guide du traducteur, elle le classe parmi les « calques ou fausses Françaises ». Et pourtant, d’après ses explications, il s’agirait plutôt d’un archaïsme : « tous et chacun de nos concitoyens doivent faire leur part (cette tournure, qui existait en France aux siècles précédents, est aujourd’hui désuète)Note de bas de page 2 ». Pour Geneviève Gilliot, qui trouve que « l’un des deux suffitNote de bas de page 3 », c’est un pléonasme. Mais pour nos virtuoses de la tribune, c’est une expression quasi irremplaçable. Existe-t-il un homme politique québécois capable de faire un discours sans la glisser quelque part? de préférence dans sa préroraison? Que ce soit un pléonasme, je veux bien. Mais utile. À employer à bon escient. À ne pas mettre à toutes les sauces. D’accord. Mais à ne pas écarter systématiquement non plus. Solécisme? J’en doute. Calque de l’anglais? C’est peu probable. Archaïsme? On la rencontre chez des écrivains contemporains, et pas des moindres. À commencer par Romain Rolland, prix Nobel :Je ne sais quelle pression extérieure semblait pousser chacun et tous à parlerNote de bas de page 4… Cette citation est de Tagore, vraisemblablement traduite par Rolland. Celle-ci est de Rolland lui-même :Mais le guru Gandhi n’a lancé que cet unique appel, à chacun et à tousNote de bas de page 5… Les deux suivantes sont d’André Gide :(…) ce qui m’amène à me méfier de tous et de chacunNote de bas de page 6.Et quand on a bu à la santé de tous et de chacunNote de bas de page 7… (On aura remarqué la répétition de la préposition.) L’auteur bien connu de Parlez-vous franglais? l’emploie à deux reprises dans une étude sur Confucius. Étiemble cite d’abord la Grande Étude de Tseng Tse (dans sa propre traduction?) :Depuis le Fils du Ciel et jusqu’aux petits sires, tous et chacun doivent avoirNote de bas de page 8… Un peu plus loin, il écrit, en paraphrasant Confucius :(…) que le tien et le mien soient oubliés de tous et de chacunNote de bas de page 9… Plus près de nous, un grand journaliste, François de Closets :La santé pour tous et pour chacunNote de bas de page 10. Un homme politique, feu Pierre Mendès France :(…) choix conforme aux intérêts de tous et de chacunNote de bas de page 11. Un auteur de romans policiers, A.D.G., apporte une variante un peu particulière :Si vous me racontez des blagues, ça risque d’être votre fête à tous et chacun son tourNote de bas de page 12! Le regretté Romain Gary (alias Émile Ajar) l’écrit trois fois dans le même ouvrage :(…) s’était mis à expliquer à tous et chacunNote de bas de page 13…Les deux autres sont de la même facture. La plus ancienne de ces citations, celle de Romain Rolland, date de 1924. La plus récente, de 1974. Et je viens de relever deux nouveaux exemples dans le MondeNote de bas de page 14 des 4 et 5 février 1983. C’est dire que notre tournure est encore bien vivante. Et qu’elle l’est restée depuis bientôt deux siècles. En effet, d’après Ferdinand Brunot, c’est au temps de la Révolution qu’elle aurait fait son apparition :On sait comment chaque et chacun arrivent à avoir un sens voisin de tous. Tous d’une part, chacun pour son compte, d’où l’expression tous et chacun. On la trouve dans les cahiers [de doléances du bailliage de Reims] en fonction d’adjectif numéral : « la prospérité du royaume et celle de « tous et chacun » les sujets de votre Majesté »Note de bas de page 15. La citation remonte à 1789. Enfin, il y a au moins un dictionnaire qui enregistre cette locution, le Harrap. Dans la partie français-anglais, on la trouve à chacun : « pour chacun et pour tous – for each and everyone ». Et dans la partie anglais-français, à sundry : « for all and sundry – pour chacun et pour tous ». En aussi bonne compagnie, y a-t-il lieu de se faire scrupule de l’employer? Ce serait se priver d’un effet non négligeable. Faites-en l’essai, plutôt. Retirez-vous dans votre gueuloir (comme faisait Flaubert), lisez ces phrases à haute voix, ensuite supprimez l’un ou l’autre élément, et prononcez de nouveau à haute voix. Vous ne trouvez pas qu’il manque quelque chose? C.Q.F.D.RéférencesNote de bas de page 1 Gilles Raymond, Pour sortir de nos cages, Édition : Les Gens d’En Bas, Montréal, 1979, p. 8.Retour à la référence de la note de bas de page 1Note de bas de page 2 Irène de Buisseret, Guide du traducteur, A.T.I.O., Ottawa, 1972, p. 35.Retour à la référence de la note de bas de page 2Note de bas de page 3 Geneviève Gilliot, Ce que parler veut dire, Leméac, Montréal, 1974, p. 40.Retour à la référence de la note de bas de page 3Note de bas de page 4 Romain Rolland, Mahatma Gandhi, Stock, 1924, p. 124. (Le texte de Tagore date de 1921.)Retour à la référence de la note de bas de page 4Note de bas de page 5 Ibid., p. 126.Retour à la référence de la note de bas de page 5Note de bas de page 6 André Gide, Voyage au Congo, Gallimard, coll. « Idées », 1981, p. 29. (Paru en 1927.)Retour à la référence de la note de bas de page 6Note de bas de page 7 ~, Retour de l’U.R.S.S., Gallimard, coll. « Idées », 1978, p. 56. (Paru en 1936.)Retour à la référence de la note de bas de page 7Note de bas de page 8 René Étiemble, Confucius, Gallimard, coll. « Idées », 1966, p. 156. (Paru en 1956.)Retour à la référence de la note de bas de page 8Note de bas de page 9 Ibid., p. 146.Retour à la référence de la note de bas de page 9Note de bas de page 10 François de Closets, En danger de progrès, Gallimard, coll. « Idées », 1972, p. 289.Retour à la référence de la note de bas de page 10Note de bas de page 11 Pierre Mendès France et Gabriel Ardant, Science économique et lucidité politique, Gallimard, coll. « Idées », 1973, p. 198.Retour à la référence de la note de bas de page 11Note de bas de page 12 A.D.G., Berry Story, Gallimard, « Série noire », 1973, p. 73.Retour à la référence de la note de bas de page 12Note de bas de page 13 Romain Gary (Émile Ajar), Gros-Câlin, Mercure de France (1974), coll. « Folio », 1977, p. 55. (Voir aussi p. 105 et 131.)Retour à la référence de la note de bas de page 13Note de bas de page 14 Jean Viguié, Le Monde, 4 et 5 février 1983.Retour à la référence de la note de bas de page 14Note de bas de page 15 Ferdinand Brunot, Histoire de la langue française, tome X, 1re partie, Librairie Armand Colin, 1968, p. 493-494.Retour à la référence de la note de bas de page 15
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Mots de tête : « prendre avec un grain de sel »

Un article sur l’expression prendre avec un grain de sel
Frèdelin Leroux fils (L’Actualité terminologique, volume 31, numéro 1, 1998, page 23) M. Lévesque, qui prenait les menaces avec un grain de sel… (Lise Bissonnette, Le Devoir, 14.1.83) Dans une vieille fiche qui date de 1969, le Comité de linguistique de Radio-Canada nous explique la différence entre « prendre avec un grain de sel » et « with a grain of salt ». Dans le premier cas, nous dit-il, l’expression signifie « avec humour », « sans prendre au sérieux ou à la lettre », alors que la locution anglaise signifie « avec réserve », sans nuance d’humour. Ce qui m’étonne le plus dans cette fiche, ce n’est pas la distinction un peu trop fine à mon goût que le Comité tente d’établir, c’est qu’il soit parvenu à dénicher « prendre avec un grain de sel » dans les dictionnaires. J’ai eu beau chercher, on ne trouve que « cum grano salis ». Dans le Larousse du XXe siècleNote de bas de page 1, par exemple : « cum grano salis (Avec un grain de sel), loc. lat. dans laquelle le mot sel a le sens figuré de enjouement, de badinage, et que l’on emploie pour faire entendre que ce qu’on dit ne doit pas être pris au sérieux ». Avec une citation de Renan où l’on voit bien l’idée d’humour. Dans le Dictionnaire QuilletNote de bas de page 2, qui donne sensiblement la même explication : « parler plaisamment, à la légère ». Et dans les Mots latins du françaisNote de bas de page 3 : « Locution […] qu’on emploie pour indiquer que ce qu’on dit veut faire sourire et ne doit pas être pris à la lettre. » Tout le monde s’entend à merveille sur le sens de l’expression latine, mais toujours aucun signe de son équivalent français. Dans ses LinguicidesNote de bas de page 4, Grandjouan emploie lui aussi la forme latine, mais il lui donne une extension de sens : « Il veut dire qu’elle prend ses promesses cum grano salis, qu’elle n’y croit guère, qu’elle demande à voir, enfin qu’elle est sceptique. » Sans nuance d’humour. Il est éclairant de comparer avec la définition du tour anglais :with a grain (or pinch) of salt [Latinized as cum grano salis] with allowance or reserve; skeptically (Webster’s New World Dictionary, Third Edition, 1994) Comme il s’est écoulé à peine deux ans entre la fiche de Radio-Canada (1969) et Les Linguicides (1971), on peut difficilement prétendre que le sens ait évolué. Alors comment expliquer l’emploi qu’en fait Grandjouan, lui qui est très peu porté sur l’anglicisme? Il se pourrait que la tournure latine ait toujours eu les deux sens, mais que les dictionnaires aient préféré n’en retenir qu’un seul. Au Canada, l’expression latine est rarissime. Nous employons volontiers la tournure française, le plus souvent avec le sens « anglais ». Mais dans l’exemple de Lise Bissonnette cité en exergue, si on peut présumer que M. Lévesque ne prenait pas les menaces au sérieux, je n’y vois pour ma part aucune nuance d’humour. La plupart des exemples que j’ai relevés oscillent entre les deux. Y compris les dictionnaires. Bruno Lafleur ne retient que le sens que Grandjouan donne au tour latin :Prendre (qqch.) avec un grain de sel. – Ne pas prendre trop au sérieux; rester sceptique; se méfierNote de bas de page 5. Mais le Dictionnaire pratique des expressions québécoisesNote de bas de page 6, quant à lui, ménage la chèvre et le chou :prendre qqch. avec un grain de sel : douter de la vérité de qqch., prendre qqch. avec humour Tous les autres dictionnaires québécois sont muets. Et les français aussi. Heureusement, leurs confrères bilingues ne le sont pas tout à fait. Le dictionnaire Harrap’sNote de bas de page 7, par exemple, dans son édition de 1948, ne donne pas moins de six traductions de to take a story with a grain/pinch of salt, dont prendre l’histoire avec un grain de sel. Mais cet équivalent a disparu des deux éditions abrégées parues récemment (faute d’espace, sans doute). Presque quinze ans auparavant (1934), le dictionnaire PetitNote de bas de page 8 traduit to take with a grain of salt uniquement par l’équivalent français. Ce qui est confirmé douze ans plus tard (1946) par le volume français-anglaisNote de bas de page 9 : « prendre avec un grain de sel ». Il n’est question d’humour nulle part. Par ailleurs, il faut bien dire que les Français n’abusent pas de cette tournure. Elle est très nettement moins répandue que chez nous. Néanmoins, elle se rencontre. Si, dans l’exemple suivant, on hésite entre les deux sens :[…] j’allais souvent prendre avec un grain de sel les tuyaux de nos ambassadesNote de bas de page 10. On est à peine plus fixé avec celui du chroniqueur économique du MondeNote de bas de page 11 :On a donc quelques bonnes raisons d’accueillir le thème de l’amérisclérose avec une grosse pincée de sel. Mais avec l’exemple de ClaudelNote de bas de page 12, je crois que le doute n’est plus permis : il s’agit de ne pas prendre au pied de la lettre :Il faut beaucoup de grains de sel pour avaler des affirmations de ce genre! Ce passage est tiré des « Conversations dans le Loir-et-Cher », qui datent de 1925! On le voit, notre tournure a beau être assez rare en France, elle a le nombril sec depuis pas mal de temps : Guillain en 1937, Claudel en 1925, et le grand chirurgien Ambroise Paré dans la seconde moitié du… 16e siècle! Vous ne me croyez pas? Lisez plutôt :Au reste il faut prendre ces deux aphorismes d’Hippocrate auec vn grain de sel, c’est à dire auec ceste distinction, que ce qu’il dit est vray, pourueu, comme nous auons dit cy-deuant, qu’il ne se face aucune faute, ny de la part du malade, ny de la part de ceux qui le traitent et le sollicitent. Si cela ne signifie pas « prendre avec réserve, sans nuance d’humour » (sens anglais, d’après le Comité), pour ma pénitence, je me tape toute l’œuvre de Paré. Enfin, comme l’anglais nous a beaucoup emprunté, je me demande s’il ne s’agirait pas d’un vieux sens français que – sans l’anglais – nous aurions fini par oublier… Vous êtes libre de ne pas être d’accord. De prendre cette supposition avec autant de grains de sel que vous voudrez. Et même de mettre le vôtre, de grain.RéférencesNote de bas de page 1 Larousse du XXe siècle, tome 2, Paris, Larousse, 1929.Retour à la référence de la note de bas de page 1Note de bas de page 2 Dictionnaire encyclopédique Quillet, tome 3, Paris, Librairie Aristide Quillet, 1969, p. 397.Retour à la référence de la note de bas de page 2Note de bas de page 3 Étienne Wolff, Les Mots latins du français, Paris, Éditions Belin, 1993.Retour à la référence de la note de bas de page 3Note de bas de page 4 J.O. Grandjouan, Les Linguicides, Paris, Didier, 1971, p. 67.Retour à la référence de la note de bas de page 4Note de bas de page 5 Bruno Lafleur, Dictionnaire de locutions idiomatiques françaises, Montréal, Éditions du Renouveau pédagogique, 1979.Retour à la référence de la note de bas de page 5Note de bas de page 6 A. Dugas et B. Soucy, Dictionnaire pratique des expressions québécoises, Montréal, Éditions Logiques, 1991.Retour à la référence de la note de bas de page 6Note de bas de page 7 Harrap’s Standard French and English Dictionary, Part Two, English-French, Harrap, London, 1973. (La dernière mise à jour date de 1948.)Retour à la référence de la note de bas de page 7Note de bas de page 8 Charles Petit, Dictionnaire anglais-français, Paris, Hachette, 1934.Retour à la référence de la note de bas de page 8Note de bas de page 9 Id., Dictionnaire français-anglais, Paris, Hachette, 1946.Retour à la référence de la note de bas de page 9Note de bas de page 10 Robert Guillain, Orient Extrême, Paris, Seuil, coll. Points Actuels, 1989, p. 15. Article paru dans Le Monde en 1937.Retour à la référence de la note de bas de page 10Note de bas de page 11 Paul Fabra, Le Monde, 18.11.86.Retour à la référence de la note de bas de page 11Note de bas de page 12 Paul Claudel, œuvres en prose, Paris, Gallimard, coll. La Pléiade, 1965, p. 692.Retour à la référence de la note de bas de page 12
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Mots de tête : « faire (du) sens »

Un article sur l’expression faire (du) sens
Frèdelin Leroux fils (L’Actualité langagière, volume 4, numéro 1, 2007, page 20) Les mots diversement rangés font divers sens.(Pascal, Pensées, 23, 79.) Il y a une trentaine d’années, Irène de Buisseret mettait les traducteurs en garde contre leur tendance à traduire « this idea makes sense » par « cette idée a du sens »Note de bas de page 1. Elle qualifiait cette traduction de « fausse Française ». Il fallait plutôt dire « c’est une idée sensée, pleine de bon sens, raisonnable ». Et ce ne sont pas les dictionnaires de l’époque qui lui auraient donné tort, puisqu’ils ignoraient la tournure « avoir du sens ». Aujourd’hui, « avoir du sens » figure dans la plupart des dictionnaires, et depuis pas mal de temps. Le Grand dictionnaire encyclopédique Larousse (1984) la donne, et le Trésor de la langue française (1988) aussi, mais il faut chercher à « signifier ». Le Robert-Collins rend « to make sense » par « avoir du sens », et le Larousse et le Harrap’s, par « avoir un sens ». On trouve aussi, bien sûr, « ça n’a pas de sens ». Mais, sauf pour la forme négative, les exemples ne permettent pas de dire s’il s’agit du sens figuré. Quant aux ouvrages normatifs, comme les Faux AmisNote de bas de page 2, ils se méfient encore de « cela a du sens » et proposent plutôt « cela se tient ». Et pourtant, les cas d’emploi au figuré ne sont pas rares. Je me contenterai de deux exemples, du site du Sénat français : « nous savons parfois être conservateurs, quand cela a du sens » (séance du 24.01.97); « dire qu’un pays doit compter au maximum 60 000 habitants, cela a du sens dans certaines zones, mais strictement aucun dans d’autres » (séance du 23.03.99). Nous employons d’autres tournures avec « sens » qui ne seraient pas linguistiquement correctes. Il y a quelques années, la ministre québécoise de la Francophonie se faisait gourmander pour avoir osé dire que l’apologie de l’ex-maire de Montréal en faveur de l’anglais ne faisait aucun sens. Mais que lui reprochait-on, au juste? vous demandez-vous. De s’être opposée à ce qu’on déroule le tapis rouge pour l’anglais? Non. Tout simplement d’avoir employé un anglicisme. Heureusement qu’il s’est trouvé quelqu’un pour se porter à la défense de la Ministre. Claude Poirier, responsable du futur Trésor de la langue française au Québec, rappelle que si les ouvrages correctifs québécois condamnent « ne pas faire de sens » (et son pendant « faire du sens »), ils ne disent rien de « ne faire aucun sens » : « ce qui est tout de même différent »Note de bas de page 3, ajoute-t-il. J’avoue que je ne suis pas sûr de voir la nuance. La voyez-vous? Quoi qu’il en soit, dans sa défense, il se contente de deux exemples avec « aucun », dont celui-ci du linguiste André Martinet : « La notion de message intermédiaire ne faisait aucun sens ». Les exemples avec « aucun » ne manquent pas. Le linguiste Claude Hagège l’emploie : « baby-foot, inventé en France à partir de mots anglais, et ne faisant aucun sens pour un anglophone »Note de bas de page 4. Un professeur de la Sorbonne : « Les éditions de 1728 portent il en avait oublié, qui ne fait aucun sens »Note de bas de page 5. Ainsi qu’un romancier : « ce résumé ne faisait aucun sens »Note de bas de page 6. Enfin, je l’ai entendu dans le film Le profit et rien d’autre, du cinéaste haïtien Raoul Peck : « ça ne fait plus aucun sens ». Claude Hagège emploie aussi une variante : « la notion de faute d’orthographe ne faisait pas grand sens »Note de bas de page 7. À la lumière de ces exemples, on peut se demander si le simple ajout d’un qualificatif (« aucun », « grand ») suffit pour rendre correcte la tournure avec « faire » Et faute d’un qualificatif, l’usage québécois « ne pas faire de sens » serait fautif? C’est ce que semble croire Claude Poirier, puisqu’il ne tente pas de défendre cet usage. Ce qui me laisse perplexe, et vous aussi peut-être. Pour tenter d’y voir un peu plus clair, passons en revue quelques exemples où « sens » est employé presque à toutes les sauces. Comme si on se prenait pour Dieu, on n’hésite pas à créer du sens : « comme dans M. le Maudit, la traque crée du sens »Note de bas de page 8. Ou à en produire : « les quotas ne produisent de sens qu’au regard des programmes dits de stock »Note de bas de page 9. Voire à refaire du sens : « l’individu n’a plus alors qu’un recours : refaire du sens à partir de ses blessures qu’il amplifie »Note de bas de page 10. L’emballement pour « sens » est tel qu’on en arrive à oublier l’article : « les franchissements répétés des limites entre centre et périphérie d’une ville donnent sens à nos vies »Note de bas de page 11; « les personnages de Remise de peine donnent sens à cette remarque de Patoche »Note de bas de page 12; « cette musique prendra sens, elle deviendra lentement paroles »Note de bas de page 13. Et avec le tour faire sens, l’article semblerait presque de trop : « l’intonation est quelque chose qui fait sens »Note de bas de page 14; « les bruits, les phénomènes les plus grotesques faisaient sens »Note de bas de page 15; « l’apparence des êtres et des choses, seule susceptible de faire sens »Note de bas de page 16; « nous l’avons appelé culturel pour que cela fasse immédiatement sens pour le plus grand nombre »Note de bas de page 17; « puisque rien ne fait sens a priori… »Note de bas de page 18. Devant un tel engouement, il est curieux que si peu de dictionnaires enregistrent cette locution. Le Petit Robert, depuis 1993, la définit ainsi : « avoir un sens, être intelligible ». Et le Robert-Collins Super Senior de 2000 la traduit par « to make sense ». Le Grand Robert quant à lui continue de l’ignorer… Sauf exception, faire sens est rare au Québec. Nous préférons « faire du sens ». Tournure qui, vous le savez déjà, est condamnée, par le ColpronNote de bas de page 19, Marie-Éva de VillersNote de bas de page 20, Guy BertrandNote de bas de page 21 et Paul RouxNote de bas de page 22. Alors qu’on pourrait croire que c’est un usage populaire, l’auteur du Québécois instantané y voit un « anglicisme d’universitaire »Note de bas de page 23! À mon sens, c’est bien davantage « faire sens » qui serait un tic d’universitaire. On trouve d’autres condamnations ou mises en garde sur Internet. Mais plusieurs milliers d’exemples aussi, dont une bonne proportion sur des sites autres que québécois ou canadiens. D’un quotidien suisse : « cette résistance qui fait du sens » ; d’un blogueur français : « c’est malheureux, mais ça fait du sens » ; du Centre de media indépendant de Marseille : « ça fait du sens docteur » ; etc. Les occurrences de la forme négative sont nettement moins nombreuses, mais il y en a, dont celle-ci : « Certaines dispositions ont été supprimées, alors qu’elles ne font pas de sens », tirée d’un projet de loi du gouvernement du Luxembourg. On le voit, la tournure « québécoise » se répand. On peut se demander pourquoi, d’ailleurs, puisqu’il est quand même plus simple de dire que telle chose a du sens (ou n’a pas de sens). Il faut croire que « faire » ajoute un petit quelque chose de sérieux, de réfléchi, peut-être. Bien sûr, on peut y voir l’influence de l’anglais. À ce moment-là, pourquoi cette influence n’est-elle jamais évoquée dans le cas de « faire sens »? C’est pourtant encore plus près de « to make sense »… Parlant de « faire sens », en combinant divers temps du verbe, on obtient presque un quart de million d’occurrences sur Internet, alors que les mêmes combinaisons avec « du » n’en récoltent que 30 000 (condamnations et mises en garde comprises). Certes, je n’aime pas le tour québécois, mais si on m’obligeait à choisir entre les deux (j’allais dire entre ces deux maux), je crois que j’opterais pour le tour québécois. Le côté jargonneux de l’autre me déplaît. Aussi, je préfère le laisser aux philosophes et aux linguistes, aux universitaires, quoi. D’ailleurs, je ne me souviens pas avoir vu de cas où « faire sens » était employé au figuré. C’est probablement par les sens propre et figuré que les deux usages continueront de se démarquer.RéférencesNote de bas de page 1 Guide du traducteur, Ottawa, ATIO, 1971, p. 35 (Deux langues, six idiomes, p. 24).Retour à la référence de la note de bas de page 1Note de bas de page 2 Jacques Van Roey et coll., Dictionnaire des faux amis français-anglais, 2eéd., Duculot, 1991.Retour à la référence de la note de bas de page 2Note de bas de page 3 Le Devoir, 21.02.03.Retour à la référence de la note de bas de page 3Note de bas de page 4 Le français et les siècles, Seuil, coll. Points, 1989, p. 127 (v. aussi p. 76).Retour à la référence de la note de bas de page 4Note de bas de page 5 Frédéric Deloffre, in Marivaux, Journaux et œuvres diverses, Garnier, 1969, p. 575.Retour à la référence de la note de bas de page 5Note de bas de page 6 Pascal Lainé, Monsieur, vous oubliez votre cadavre, Éditions Ramsay, 1986, p. 145 (exemple qui m’a été signalé par un collègue, Philippe Blain).Retour à la référence de la note de bas de page 6Note de bas de page 7 op. cit., p. 274.Retour à la référence de la note de bas de page 7Note de bas de page 8 Edwy Plenel, Le Figaro littéraire, 12.12.02.Retour à la référence de la note de bas de page 8Note de bas de page 9 Serge Regourd, L’Exception culturelle, Que sais-je?, 2002, p. 45.Retour à la référence de la note de bas de page 9Note de bas de page 10 Pascal Bruckner, La Tentation de l’innocence, Poche, 1996, p. 139.Retour à la référence de la note de bas de page 10Note de bas de page 11 Jean Viard, Penser les vacances, Actes Sud, 1984, p. 10.Retour à la référence de la note de bas de page 11Note de bas de page 12 Bertrand Poirot-Delpech, Le Monde, 15.01.88.Retour à la référence de la note de bas de page 12Note de bas de page 13 Claude Duneton, La mort du français, Plon, 1999, p. 17.Retour à la référence de la note de bas de page 13Note de bas de page 14 Claude Hagège, « La traduction, le linguiste et la rencontre des cultures », Diogène, janv.-mars, 1987, p. 25.Retour à la référence de la note de bas de page 14Note de bas de page 15 Émile Ollivier, Mère-Solitude, Albin Michel, 1983, p. 174.Retour à la référence de la note de bas de page 15Note de bas de page 16 Marc Augé, Un ethnologue dans le métro, Hachette, 1986, p. 110.Retour à la référence de la note de bas de page 16Note de bas de page 17 Alain Rey, Le Figaro littéraire, 13.10.05.Retour à la référence de la note de bas de page 17Note de bas de page 18 Pascal Bruckner, op. cit., p. 163.Retour à la référence de la note de bas de page 18Note de bas de page 19 Constance Forest et Louis Forest, Le Colpron, Beauchemin, 1994.Retour à la référence de la note de bas de page 19Note de bas de page 20 Multidictionnaire des difficultés de la langue française, Québec/Amérique, 2e éd., 1992.Retour à la référence de la note de bas de page 20Note de bas de page 21 400 capsules linguistiques, Lanctôt, 1999.Retour à la référence de la note de bas de page 21Note de bas de page 22 Lexique des difficultés du français dans les médias, Éditions La Presse, 2004.Retour à la référence de la note de bas de page 22Note de bas de page 23 Benoît Melançon, Dictionnaire québécois instantané, Fides, 2004, p. 203.Retour à la référence de la note de bas de page 23
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Mots de tête : « impliqué »

Un article sur l’expression impliqué
Frèdelin Leroux fils (L’Actualité terminologique, volume 18, numéro 5, 1985, page 9) Car l’on s’attend du pape qu’il s’implique dans le monde.(Jean Basile, La Presse, 10.5.84) Hier encore, implications au sens de « répercussions », « effets », « conséquences », dégageait une odeur de soufreAller à la remarque a. Aujourd’hui, la plupart des dictionnaires se montrent indulgents pour cet hérétique (Curieusement, pas le Robert. Est-ce un oubli? Le Robert-Collins l’accepte pourtant.). Cet emploi remonterait au milieu des années soixante. Dans son Dictionnaire des mots nouveaux, Pierre Gilbert en donne trois exemples, dont un qui date de 1966. D’ailleurs, dès sa parution en 1967, le Dictionnaire du français contemporain enregistrait cet usage. Le débat autour de ce problème de langage commence à peine à s’apaiser, et voici qu’impliquer prétend de nouveau étendre son champ sémantique. Comme pour compliquer la vie aux lexicographes. Sur le modèle des conjugaisons fantaisistes qui faisaient nos délices à l’écoleAller à la remarque b, j’en ai forgé une pour tenter de cerner l’extension de sens de notre verbe ambitieux :Je collabore, tu participes, il s’implique.J’ai relevé plusieurs exemples de cette acception :Lévi-Strauss ne s’implique jamais plus dans le contemporain (…) que lorsqu’il feint d’en prendre congéNote de bas de page 1.(Les régimes politiques) cherchent à vous impliquer émotionnellementNote de bas de page 2…(Lorsqu’il) possède déjà un « vécu historique et sociologique » du sujet traité, qu’il s’y impliqueNote de bas de page 3… Et le substantif emboîte le pas :(…) l’implication est forte dans l’isoloirNote de bas de page 4… Ce rejeton, si je puis dire, a déjà ses entrées dans au moins une maison (Larousse, s’entend). Dans le tome 5 du Grand Dictionnaire encyclopédique Larousse (1983), on lit ceci :S’impliquer dans qqch. (abstrait), mettre beaucoup de soi-même dans l’activité que l’on fait, les relations qu’on a avec les autres, etc.; investir : s’impliquer dans son travail. Et dans le Petit Larousse de 1984 :(Fam.) S’impliquer dans qqch., s’y donner à fond. Si ce nouvel emploi a des chances de rencontrer la faveur des amateurs de bon langage, il me paraîtrait hasardeux de miser sur celles de son frère de lait, vraisemblablement d’extraction anglaise. Au sens de « concerné », « intéressé », impliqué est condamné depuis assez longtemps, et à peu près par les mêmes qui interdisaient à implication de sortir de son lit juridique, ou mathématique. Mais malgré tous les interdits, il a le vent dans les voiles. J’ai essayé de ranger les exemples qui suivent par ordre d’éloignement de la signification première du mot, « engagé dans une affaire fâcheuse ».Les fondeurs de fer parisiens –industrie impliquée dans le conflit –sont en grèveNote de bas de page 5…Au Tchad, le pouvoir s’est trouvé de plus en plus étroitement impliqué dans un affrontement avec la LibyeNote de bas de page 6…Monsieur K. resta sa vie durant impliqué dans les luttesNote de bas de page 7.(Être engagé dans un affrontement avec un pays, c’est certes une situation fâcheuse; mais participer à des luttes, ça l’est beaucoup moins.)(…) incidences commerciales liées au passage de certains chanteurs à la radio (…), des pressions exercées, des groupes ou des individus impliquésNote de bas de page 8…(…) que la France ne soit pas impliquée dans les négociations sur le désarmementNote de bas de page 9…(Ici, toute idée de « faute » est disparue.)Parmi les bailleurs de fonds (…) figurent à la fois des « mécènes » (…) et des « commerçants » directement impliquésNote de bas de page 10…(…) pour mieux comprendre les mutations technologiques (…) dans lesquelles le lecteur est directement impliquéNote de bas de page 11.(C’est le sens de « concerné », « intéressé ».)Knight-Ridder vient de porter à soixante-dix le nombre de quotidiens impliqués dans son projet ViewtronNote de bas de page 12.(On pense tout de suite à « visé ».) Voici trois exemples qui rappellent l’emploi de s’impliquer :Ceux qui sont déjà impliqués dans la vie associativeNote de bas de page 13…Le groupe (…), peu impliqué dans les institutionsNote de bas de page 14…Seize Français, impliqués à divers titres dans l’innovationNote de bas de page 15…(C’est l’idée de « participation ».)Les articles qui suivent (ont pour but) de faire en sorte que chaque citoyen impliqué dans un service public ou privéNote de bas de page 16…(Il s’agit des fonctionnaires, agents, employés d’un service…) Enfin, le Harrap va même jusqu’à parler de « véhicule impliqué dans un accident ». Certains doivent se retourner dans leur tombe. Au terme de cette énumération, un peu sèche je m’en excuse, il ne serait peut-être pas inutile de faire le point. Implications, au sens de conséquences, est désormais admis. Quant à s’impliquer, il a de très bonnes chances de faire son petit bonhomme de chemin. Personnellement, je ne répugnerais pas à l’employer. Je le trouve utile. Il occupe un créneau, pour parler comme les économistes. Mais pour ce qui est de notre anglicisme (« impliqué » au sens de « concerné », « intéressé »), jusqu’à ce que les dictionnaires français lui ménagent une petite place, j’ai bien peur qu’il ne demeure sur la liste noire des intrus. Il faut reconnaître qu’il n’est pas indispensable. On gagnera souvent en précision –voire en élégance –à lui préférer un synonyme. Et on évitera d’agacer, ou d’ennuyer, le lecteur délicat.RemarquesRemarque a Voir Victor Barbeau, Gilles Colpron, Gérard Dagenais, Maxime Koessler, les fiches de Radio-Canada.Retour à la remarque aRemarque b Pour l’amusement du lecteur, on me permettra de donner celle de pleuvoir : je pleux, tu pleux, il pleut, nous mouillons, vous mouillez, ils dégouttent.Retour à la remarque bRéférencesNote de bas de page 1 Jean-Paul Enthoven, Le Nouvel Observateur, 17.6.83.Retour à la référence de la note de bas de page 1Note de bas de page 2 Jean Baudrillard, Le Monde, 21.9.83.Retour à la référence de la note de bas de page 2Note de bas de page 3 Jean-Pierre Corbeau, Le village à l’heure de la télé, Stock, 1978, p. 83.Retour à la référence de la note de bas de page 3Note de bas de page 4 Bernard Krief, Le Monde, 19.4.83.Retour à la référence de la note de bas de page 4Note de bas de page 5 Paule Lejeune, Louise Michel, l’indomptable, Éditions des femmes, Paris, 1978, p. 125.Retour à la référence de la note de bas de page 5Note de bas de page 6 Bernard Brigoulex, Le Monde, 1.1.84.Retour à la référence de la note de bas de page 6Note de bas de page 7 Bertolt Brecht, Histoires d’almanach, L’Arche, 1983, p. 129. (Traduit de l’allemand par Ruth Ballangé et Maurice Regnaut.)Retour à la référence de la note de bas de page 7Note de bas de page 8 Louis Leprince-Ringuet, Le Grand Merdier, Flammarion, 1978, p. 75.Retour à la référence de la note de bas de page 8Note de bas de page 9 Dominique Moïsi, Le Monde, 6.4.83.Retour à la référence de la note de bas de page 9Note de bas de page 10 Thomas Ferenczi, sélection hebdomadaire du Monde, 1.8.79.Retour à la référence de la note de bas de page 10Note de bas de page 11 Publicité parue dans Le Monde, 16.10.84.Retour à la référence de la note de bas de page 11Note de bas de page 12 Eddy Cherki, Le Monde, 6.11.83.Retour à la référence de la note de bas de page 12Note de bas de page 13 Léa Marcou, Le Monde, 13.3.83.Retour à la référence de la note de bas de page 13Note de bas de page 14 Jean-Pierre Corbeau, op. cit., p. 45.Retour à la référence de la note de bas de page 14Note de bas de page 15 Annie Battle, Le Monde, 20.11.83.Retour à la référence de la note de bas de page 15Note de bas de page 16 Casamayor, Esprit, janvier 1970. p. 7.Retour à la référence de la note de bas de page 16
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Mots de tête : « aux petites heures »

Un article sur l’expression aux petites heures du matin
Frèdelin Leroux fils (L’Actualité terminologique, volume 14, numéro 8, 1981, page 14) « J’ai bien réfléchi depuis huit jours, aux petites heures du matin surtout (…)Note de bas de page 1. » À mon avis, c’est ainsi que s’exprime spontanément, tout Québécois ou Canadien français « normal », si j’ose dire. Mais c’est en vain que vous chercherez l’expression « aux petites heures du matin » dans les dictionnaires. D’après ColpronNote de bas de page 2, c’est un anglicisme. Les dictionnaires bilingues – par leur silence – semblent lui donner raison. « In the small hours of the morning » est presque invariablement rendu par « au petit matin/jour ». Le Harrap propose plusieurs traductions, toutes intéressantes et utiles, mais de notre tournure pas le moindre signe. Pas même « aux petites heures ». Doit-on se résigner à l’idée que nos meilleurs auteurs québécois font tous cette « faute »? Y compris Louise Maheux-Forcier, un de nos très bons stylistes? (Je ne vous demande pas de me croire sur parole. Lisez plutôt ses délectables petites nouvelles, d’où est tirée la citation en exergue. Vous m’en donnerez des nouvelles … comme dirait mon ami journaliste.) L’expression « petites heures » figure évidemment dans les dictionnaires, mais avec un sens très restreint. Ce qui confirme ce que vous saviez déjà, que les dictionnaires sont toujours en retard sur l’usage. Car les exemples de son emploi par des auteurs français, tant d’ici que de France, ne manquent pas. De ce côté-ci de l’eau, la mère de la Sagouine :« Et le 10 août au matin, aux petites heures (…)Note de bas de page 3. » Et de l’autre côté, le père Maigret :« Et si le type se met à jouer à la belote jusqu’aux petites heuresNote de bas de page 4? » Cette phrase de Simenon date de 1938… On en trouve un second exemple dans Maigret et l’indicateurNote de bas de page 5. Autre exemple, cette fois de Boileau-Narcejac :« Aux petites heures, les Kellerman passent à l’attaqueNote de bas de page 6. » Dernier exemple, d’un roman de Graham Greene (il s’agit bien sûr d’une traduction) :« Il faut le garder pour les petites heuresNote de bas de page 7. » On rencontre également diverses variantes de cette tournure, étoffées pour ainsi dire. Commençons par une traduction :« Elles faisaient halte devant les maisons des nègres, y pénétraient aux petites heures de la nuit (….)Note de bas de page 8 ». Usage qu’on retrouve au Québec, sous la plume de Jacques Godbout :« (…) une boîte à images qui parle de sept heures du matin aux petites heures de la nuit (…)Note de bas de page 9. » Autre variante, française celle-là :« S’adressant au pays, mardi 19 février, aux petites heures de la matinée (…)Note de bas de page 10. » On trouve même dans le Grand Robert « aux petites heures du jour », mais sans explication, avec renvoi à aubeNote de bas de page 11. Avec toutes ces variantes, on ne voit vraiment pas ce qui interdirait d’employer « aux petites heures du matin ». Un traducteur français – audacieux ou servile? – a osé franchir ce pas :« (…) à la lumière de l’unique ampoule qu’ils allumaient aux petites heures du matin (…)Note de bas de page 12 .» Et enfin, un auteur français de l’Hexagone, le père du Petit Simonin, nous fournit la preuve que ce n’est rien moins qu’un anglicisme.« Primo, la circulation se trouvait être beaucoup plus intense qu’aux petites heures du matin (…)Note de bas de page 13. » Au terme de ce petit zigzag autour d’une tournure, qu’on me permette d’enfoncer une porte ouverte : contrairement à ce qu’on nous répète trop souvent, ce n’est pas parce qu’un terme ne figure pas dans les dictionnaires et qu’il existe un terme semblable en anglais, qu’il s’agit nécessairement d’un anglicisme. Qui sait? c’est peut-être tout simplement un usage – parfaitement français – qui a du mal à faire son entrée au dictionnaire.RéférencesNote de bas de page 1 MAHEUX-FORCIER, Louise. En toutes lettres, Montréal, Le Cercle du livre de France, 1980, p. 108.Retour à la référence de la note de bas de page 1Note de bas de page 2 COLPRON, Gilles. Les Anglicismes au Québec, Montréal, Beauchemin, 1970, p. 198.Retour à la référence de la note de bas de page 2Note de bas de page 3 MAILLET, Antonine. L’Acadie pour quasiment rien, Montréal, Leméac, 1973, p. 44.Retour à la référence de la note de bas de page 3Note de bas de page 4 SIMENON, Georges. L’homme tout nu, Les Dossiers de l’Agence O., œuvres complètes, vol. VIII, Éditions Rencontre, 1967, p. 115.Retour à la référence de la note de bas de page 4Note de bas de page 5 Idem., Maigret et l’indicateur, Paris, Presses de la Cité, 1975, p. 97.Retour à la référence de la note de bas de page 5Note de bas de page 6 BOILEAU-NARCEJAC. Le Roman policier, coll. Que sais-je? 1975, p. 97.Retour à la référence de la note de bas de page 6Note de bas de page 7 GREENE, Graham. Un Américain bien tranquille, Paris, Laffont, 1956, p. 155. (Traduction de The Quiet American par Marcelle Sibon.)Retour à la référence de la note de bas de page 7Note de bas de page 8 HODGSON, Godfrey. « Carpetbaggers » et Ku-Klux-Klan, Paris, Julliard, coll. Archives, 1966, p. 213. (Extrait du rapport du sénateur Sherman de l’Ohio au président Grant, 6 décembre 1876.)Retour à la référence de la note de bas de page 8Note de bas de page 9 GODBOUT, Jacques. « Avec Los Angeles dans tous nos salons » in L’Actualité, Montréal, septembre 1980, p. 76.Retour à la référence de la note de bas de page 9Note de bas de page 10 DHOMBRES, Dominique. « Indispensable malgré lui » in Le Monde, sélection hebdomadaire, Paris, 20.02.80, p. 2.Retour à la référence de la note de bas de page 10Note de bas de page 11 Le Grand Robert, vol. 3, 1969, p. 479.Retour à la référence de la note de bas de page 11Note de bas de page 12 BEHAN, Brendan. Un peuple partisan, Paris, Gallimard, 1960, p. 266. (Traduction de Borstal Boy par Roger Giroux.)Retour à la référence de la note de bas de page 12Note de bas de page 13 SIMONIN, Albert. Confessions d’un enfant de La Chapelle, tome 1, Le Faubourg, Paris, Gallimard, 1977, p. 217.Retour à la référence de la note de bas de page 13
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Prendre pour acquis

Un article sur l’expression prendre pour acquis
Jacques Desrosiers (L’Actualité terminologique, volume 31, numéro 1, 1998, page 13) Les disputes linguistiques portent en général sur des expressions dont l’emploi est très répandu mais que les dictionnaires refusent d’accueillir. Leurs partisans les défendent au nom de l’Usage, leurs détracteurs les rejettent au nom de la Norme. Ces disputes ressemblent à des querelles des anciens et des modernes, où les seconds accusent les premiers d’être ennemis de l’usage, lesquels ennemis se défendent en invoquant le « bon » usage. L’usage, dans ces chicanes, est comme les fleurs et le printemps : tout le monde est pour. Ce n’est pas tout à fait le cas d’un autre genre de querelles qui, pour être plus rares, ne manquent pas moins de piquant : elles portent sur des tournures qui non seulement sont fréquentes dans l’usage, mais en plus figurent en toutes lettres dans de respectables ouvrages, – et sur lesquelles on continue à s’acharner, en excommuniant à la fois usage et dictionnaires. Pensons à s’avérer faux dont il a été question dans L’Actualité terminologiqueNote de bas de page 1 et que certains considèrent encore comme une contradiction, alors qu’il est reçu par le Grand Larousse de la langue française, rien de moins, depuis un quart de siècle. Plusieurs sources soutiennent qu’avoir le meilleur sur quelqu’un est un calque inacceptable de to get the better of someone, mais l’expression figure dans le Trésor de la langue française (TLF), le Grand dictionnaire encyclopédique Larousse (GDEL) et le Hanse, qui tous ignorent royalement l’objection que sa syntaxe serait fautive. La responsabilité de ne pourrait être suivi d’un infinitif, prétend-on : nous aurions le droit de dire la responsabilité de la gestion, mais non la responsabilité de gérer. Or le Grand Robert renferme plusieurs citations d’écrivains célèbres, comme Colette ou Jean d’Ormesson, qui commettent volontiers cette soi-disant fauteNote de bas de page 2. Paul Léautaud va jusqu’à écrire : On n’est pas plus responsable d’être intelligent que d’être bête (à l’entrée fier). Calques de l’anglais? On ne peut s’empêcher de penser à ce que disait le préfacier du Thomas à propos des néologismes, à savoir que ceux « adoptés par quelques bons écrivains […] ont de fortes chances de survivre à toutes les censures »Note de bas de page 3. Entre peut-être aussi dans la même catégorie l’un des « anglicismes » les plus répandus chez nous : prendre pour acquis. Tout le monde connaît par cœur l’article de catéchisme : ne dites pas prendre pour acquis, dites tenir pour acquis!  Prendre pour acquis est marqué d’infamie par à peu près tous les ouvrages normatifs publiés au Canada depuis les années 60, du premier Dagenais à la toute dernière édition du Multidictionnaire, en passant par Objectif : 200, le Dictionnaire de Darbelnet, le Colpron, tous les recueils d’anglicismes et manuels du bon parler sur le marché, les fiches Repères-T/R du Bureau de la traduction, les fiches de Radio-Canada, les logiciels de correction dernier cri et une foule d’autres documents qu’il serait fastidieux d’énumérer tellement la liste en serait longue, sans parler des sites Web consacrés aux anglicismes, des meilleurs comme celui de l’OLF, à d’autres moins connusNote de bas de page 4, où la probabilité que prendre pour acquis y figure, vissé sur le banc des accusés, est de cent pour cent. Prendre pour acquis, dit l’auteur du Dictionnaire des canadianismes, Gaston Dulong, est « à proscrire ». Un peu plus, et on croirait que son emploi est nocif pour l’environnement. Ses chances de survie semblent minces. Seule sa popularité, son emploi vivant dans le français de tous les jours peut expliquer qu’on continue à le condamner avec tant de vigueur. Peut-être craint-on qu’en le laissant entrer dans la langue, on ouvre la porte toute grande aux pires abus; ce serait le loup dans la bergerie. Mais faut-il vraiment garder le cadenas dans la porte? On peut émettre des doutes. Primo, prendre pour acquis n’est pas une spécialité locale. Il figure dans le TLF depuis dix ans, sagement intercalé entre prendre ses désirs pour des réalités et prendre qqch. pour argent comptant, avec une citation de Maurice Merleau-Ponty remontant à 1945Note de bas de page 5. On dira que le TLF est un dictionnaire descriptif et non normatif, les auteurs prennent pourtant bien soin de souligner dans la préface que « toute collaboration élaborée [telle qu’un dictionnaire] vise à l’adhésion du destinataire » et que « les exemples, en même temps qu’ils sont des preuves, sont aussi des modèles d’énoncés analogues »Note de bas de page 6. La grammairienne Madeleine Sauvé l’avait aussi relevé il y a une vingtaine d’années (sans l’entériner) sous la plume d’Alain Rey, responsable de la rédaction des dictionnaires RobertNote de bas de page 7. Il figure dans le Robert québécois d’aujourd’hui, qui le traite comme un parfait synonyme de tenir pour acquis, mais ce dictionnaire-là, bien sûr, on le consulte en cachette… Certains reprocheront à Merleau-Ponty d’avoir commis une faute, à Alain Rey d’avoir eu un moment d’inattention, au TLF son manque de prudence, au Robert québécois son laxisme douteux… Mais quand on voit une expression circuler à gauche et à droite pendant un demi-siècle, on peut se demander s’il est encore possible de la faire disparaître, surtout si elle en vient à faire partie du bagage linguistique d’auteurs dont le français est soigné, comme le philosophe québécois Michel Morin qui écrit : l’individu… […] a pris pour acquis que son avènement à l’Humanité passait par ce que la Culture lui proposaitNote de bas de page 8, ou l’essayiste français Gerald Messadié qui s’en approche en écrivant : Et l’on a vu se constituer ainsi un « athénocentrisme » qu’on prenait pour un fait acquisNote de bas de page 9. Secundo, si l’on peut concéder que prendre pour acquis est plus particulièrement fréquent dans le contexte général de la traduction, où il faut souvent rendre to take for granted, on peut en dire autant de tenir pour acquis. Ce n’est pas un tour si courant en français. Sa syntaxe est bien sûr irréprochable. Mais il faut se forcer un peu pour l’employer; il a quelque chose d’endimanché qui se porte mal le reste de la semaine. Il est d’ailleurs cocasse de constater que ceux qui accusent prendre pour acquis d’anglicisme nous enjoignent d’employer à sa place « l’expression » tenir pour acquis. Car, en dehors des ouvrages normatifs, cette prétendue « expression » n’apparaît que dans le GDEL et le Lexis. Comment une « expression » française peut-elle être parfaitement ignorée par le Petit Robert, le Grand Robert, le Petit Larousse, le Grand Larousse, le Trésor de la langue française, le Logos-Bordas, le Dictionnaire du français plus, bref par la majorité des dictionnaires français? Alors qu’on croit avoir découvert qu’à l’anglais to take for granted correspond en français, par une coïncidence dans l’évolution de la langue, une expression toute faite et comme tombée du ciel, on finit par se demander si elle n’a pas été promue artificiellement au rang d’expression figée pour contrer l’autre. Tout se passe comme si on avait édicté un commandement : to take for granted tu traduiras toujours par tenir pour acquis! La correspondance entre les deux est si forte que chaque fois qu’on voit l’un dans l’anglais, on peut être sûr que la traduction nous servira l’autre; et, inversement, quand tenir pour acquis apparaît dans un texte français, on peut souvent gager qu’on est en train de lire une traduction et non un original. C’est du moins ce que j’ai constaté dans le compte rendu des Débats de la Chambre des communes. Lorsqu’on y lit, le 8 octobre 1997, dans une intervention du ministre Pierre Pettigrew : Je prends pour acquis que les députés connaissent bien leur comté, il suffit de remonter un peu pour voir que nous sommes dans un passage coiffé de la mention [Français]. Quand, le même jour, on y lit que Le Canada peut tenir pour acquis qu’en toute circonstance un véritable gouvernement dirigera le pays, on découvre vite qu’il s’agit d’une [Traduction]. J’ai été frappé de le relever sous la plume du journaliste Gilles Lesage, qui écrivait dans sa revue de la presse anglophone dans Le Devoir du 22 octobre 1996 : tenant pour acquis qu’une autre majorité libérale était déjà dans le sac; mais j’ai aussitôt constaté qu’il traduisait dans ce passage un article du Toronto Star. Pourtant, dans leur partie anglais-français, les dictionnaires bilingues, eux, ne traduisent pas to take for granted par tenir pour acquis. Ils proposent des tournures traditionnelles comme « considérer que qqch. va de soi, tenir pour certain ou établi, être convaincu » (Grand dictionnaire français-anglais/anglais-français de Larousse), « considérer comme allant de soi ou admis, tenir pour certain » (Robert & Collins Super Senior), « considérer qqch. comme admis ou comme convenu » (Harrap’s Shorter), « considérer qqch. comme allant de soi » (Hachette-Oxford), « considérer comme admis » (Password). Les bilingues recourent aux ressources générales du français. Il est étonnant que, dans leur partie français-anglais, le Harrap’s, le Robert & Collins et le Hachette-Oxford redécouvrent par magie tenir pour acquis, qu’ils rendent alors par to take for granted. De fait, l’usage de nombreux locuteurs est hésitant : on connaît tenir pour acquis, mais on ne peut s’empêcher d’employer prendre pour. Dans un discours prononcé à Laval en octobre 1996, le PDG de la Banque de développement du Canada affirme que l’avenir ne peut plus être pris pour acquis, puis, quelques minutes plus tard, comme pour se reprendre, il parle d’une vue à court terme, où l’avenir est tenu pour acquisNote de bas de page 10. Même indécision dans ce texte de l’Ordre des comptables agréés du Québec : nous tenons pour acquis que […] ce pourcentage et si on prend pour acquis que la TVQ sera harmonisée avec la TPSNote de bas de page 11… On a beau déraciner prendre pour acquis, il repousse toujours. En dernier recours, les durs de durs parmi les puristes invoqueront des arguments sémantiques et syntaxiques contre prendre pour acquis. Ils soutiendront que tenir pour et prendre pour n’ont pas le même sens : les deux veulent dire « considérer comme », mais prendre pour connote souvent une idée de méprise, comme le souligne le Dictionnaire historique de la langue française (établi par Alain Rey!). Prendre quelqu’un ou quelque chose pour, c’est « regarder à tort comme étant», dit encore le Grand Larousse. En somme, prendre pour acquis ne devrait pas tant son allure suspecte au fait qu’il soit un calque de l’anglais – après tout, tenir pour acquis n’est pas beaucoup plus éloigné du mot à mot, il ressemble à son correspondant anglais comme deux gouttes d’eau, – qu’au fait que prendre une chose ou une personne pour implique qu’on se trompe, qu’on est victime d’une confusion. Pensons à des tournures comme pour qui se prennent-ils?, je l’avais prise pour une autre, ils prennent des vessies pour des lanternes. Autrement dit, prendre pour est péjoratif. C’est justement parce qu’ils lui avaient donné un sens positif inattendu que les soixante-huitards avaient obtenu un si bon effet de style en écrivant sur les murs de Paris : Prenez vos désirs pour des réalités! Il importe de retenir que l’idée de méprise n’est pas obligatoire : le Robert historique dit bien qu’elle est « souvent » présente. Dans cet exemple du TLF, prendre pour a plus le sens neutre d’« interpréter » ou de « considérer comme » que celui de « se tromper » : Il la prie de sécher ses larmes, qui pourraient être prises pour un augure sinistre par ses guerriers. Il faut rappeler que prendre pour a longtemps été construit dans la langue classique sans l’idée de méprise, avec exactement le même sens qu’aujourd’hui tenir pour, comme dans prendre pour bon ou encore dans ces exemples, de Montaigne (XVIe s.) et de Rousseau (XVIIIe) respectivement, que donne le Grand Robert : nous prendrions pour certain l’opposé de ce que dirait le menteur et je le prenais tout de bon pour raisonnable. Calques de l’anglais? Du côté de la syntaxe, on opposera que prendre pour acquis est mal construit, étant donné qu’au contraire de tenir pour, prendre pour peut se faire suivre d’un substantif ou d’un pronom, mais non d’un adjectif comme acquis. Mais cette objection est superficielle : les emplois de la langue classique que l’on vient de citer montrent que prendre pour s’est longtemps fait accompagner d’adjectifs. Si prendre pour acquis et tenir pour acquis continuent à se regarder en chiens de faïence, leur face à face risque de durer longtemps. Personne n’a l’autorité pour décider seul; c’est l’usage qui tranchera, et ce qu’en feront les grands dictionnaires : ou bien ils accueilleront prendre pour acquis, ou bien ils l’écarteront pour de bon au profit de tenir pour acquis. Peut-être les deux tournures disparaîtront-elles pour laisser la place à des formulations traditionnelles comme considérer comme acquis. J’ai quand même l’impression que prendre pour acquis s’imposera avec le temps, si ce n’est déjà fait. L’acharnement linguistique à maintenir tenir pour acquis en vie ne devrait pas susciter trop d’espoir. Il faudrait le faire avaler de force aux bilingues, avertir les Merleau-Ponty et autres Alain Rey que prendre pour acquis n’est pas français, écrire aux auteurs des grands dictionnaires comme le Grand Robert, le Trésor de la langue française, le Grand Larousse et quelques autres, sans oublier l’Académie française, pour leur signaler qu’ils ont négligé d’inscrire dans leurs pages cette juteuse expression qu’est tenir pour acquis. En somme, il faudrait presque avoir une dent contre l’usage. Références Note de bas de page 1 L’Actualité terminologique, vol. 30, nº 2, 1997. Retour à la référence de la note de bas de page 1 Note de bas de page 2 Une responsabilité écrasante pèse sur vous tous, – celle de protéger, de prolonger, d’embellir ma scintillante, ma précieuse petite vie d’elfe (Colette, citée au mot écrasant dans le Grand Robert). Bon nombre d’historiens […] ont la responsabilité assez lourde d’avoir contribué à cette contagion (d’Ormesson à enticher). Pauline prenait la responsabilité de modifier les chiffres (Jacques Chardonne, à faux). Retour à la référence de la note de bas de page 2 Note de bas de page 3 Cité par Jacqueline Bossé-Andrieu, « Entre la norme et l’usage (suite et fin) », L’Actualité terminologique, vol. 30, nº 3, p. 21. Retour à la référence de la note de bas de page 3 Note de bas de page 4 Voir entre autres VOCOR (www.ntic.qc.ca/cscantons/vocor/Vocor_page_1.html), Sans faute! De Planète Québec (planete.qc.ca/chroniques-de-langue/sdl/sdl6.htm) ou les téléinformations linguistiques des HEC (www.hec.ca/servco/telep.htm). Retour à la référence de la note de bas de page 4 Note de bas de page 5 « Il y a une conception objective du mouvement qui le définit par des relations intramondaines, en prenant pour acquise l’expérience du monde. » Retour à la référence de la note de bas de page 5 Note de bas de page 6 TLF, vol. 1, p. XVI. Retour à la référence de la note de bas de page 6 Note de bas de page 7 Le célèbre lexicographe écrivait, parlant de Furetière : « sans mépriser les indications qu’il y trouve, le biographe ne doit rien prendre pour acquis de ce texte ». Cité par Madeleine Sauvé, Observations grammaticales et terminologiques, fiche nº 108, octobre 1978, p. 4. Retour à la référence de la note de bas de page 7 Note de bas de page 8 Mort et résurrection de la loi morale, Montréal, Hurtubise HMH, 1997, p. 28. Retour à la référence de la note de bas de page 8 Note de bas de page 9 Histoire générale de Dieu, Paris, Robert Laffont, 1997, p. 279. Retour à la référence de la note de bas de page 9 Note de bas de page 10 www.bdc.ca/site/francais/right/gallery/down.html. Retour à la référence de la note de bas de page 10 Note de bas de page 11 www.ocaq.qc.ca/francais/biblio/comifisc/Que01_97.htm. Retour à la référence de la note de bas de page 11
Source : Chroniques de langue (la langue française vue par des langagiers)
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Mots de tête : « être familier avec »

Un article sur l’expression être familier avec
Frèdelin Leroux fils (L’Actualité langagière, volume 4, numéro 3, 2007, page 22) Les bacheliers ne sont pas familiers avec l’école.(Gérard Filion, Fais ce que peux, Boréal, 1989) C’est une sorte de malédiction pour une locution de ressembler d’un peu trop près à son pendant anglais; elle risque tôt ou tard de se voir stigmatiser comme calque. C’est le cas d’« être familier avec ». Il est vrai que si on connaît un peu l’anglais, ce tour fait automatiquement penser à to be familiar with. Et pourtant, c’est un usage qui est vraisemblablement tout à fait français. En tout cas, il est pas mal plus vieux que vous et moi. Littré, Clifton et GrimauxNote de bas de page 1, Hatzfeld et DarmesteterNote de bas de page 2 ainsi que le Grand Robert enregistrent tous cet usage, et donnent aussi le même exemple : « il est familier avec les auteurs grecs ». C’est une citation de Diderot, que je ne suis pas parvenu à dater précisément, mais on peut présumer qu’il s’agit d’un article de L’Encyclopédie, parue entre 1751 et 1765. La tournure aurait donc quelque 250 ans… Comment expliquer alors qu’il se trouve chez nous des auteurs pour la condamner? Gilles ColpronNote de bas de page 3, par exemple, relève ce « calque » dès la première édition de son répertoire en 1970. À peu près à la même époque, le Comité de linguistique de Radio-Canada fera paraître une fiche, qui reprend l’exemple de Diderot et apporte cette précision : « être familier avec se dit des personnes, non des choses ». Cette nuance n’est malheureusement pas retenue par ceux qui condamnent l’expression. Dans la troisième édition de son dictionnaire, Marie-Éva de VillersNote de bas de page 4 se contente de signaler qu’« être familier avec un logiciel » est fautif. BertrandNote de bas de page 5, MeneyNote de bas de page 6 et ChouinardNote de bas de page 7donnent tous des exemples qui vont dans le même sens. Bref, aucun ne mentionne qu’on peut être familier avec un auteur, au sens de bien connaître son œuvre. Est-ce un oubli de leur part? Ou craignaient-ils de légitimer l’emploi douteux en admettant l’autre? Il faut dire que les dictionnaires qu’on consulte quotidiennement (petits Robert et Larousse, les bilingues) ne sont pas d’une grande utilité, puisqu’ils ignorent « être familier avec », aussi bien dans le cas des personnes que des choses. Reste que c’est le métier d’un chroniqueur linguistique de bien éplucher les dictionnaires. Comment ont-ils fait leur compte pour passer à côté d’« être familier avec quelque chose », alors que la locution se trouve dans plusieurs ouvrages? Le premier à admettre cet usage est probablement le Harrap’s anglais-français, dans l’édition de 1967 : « to be familiar with sth. = être familier avec qch.; bien connaître qch. ». La partie français-anglais par contre l’ignore. Mais elle se rattrapera avec l’édition de 1972 : « être familier avec les problèmes d’après-guerre = to be conversant with post-war problems » (inutile de chercher à conversant). Chose curieuse, à partir de cette date, l’expression disparaît pour de bon, des deux parties. (Les rédacteurs auraient-ils découvert la fiche de Radio-Canada?) Deuxième ouvrage à enregistrer cette tournure, le Grand Larousse de la langue française (1973) donne un exemple d’un bon auteur : « Ces textes m’ont rendu familier avec le style de la profession ». Cette citation de Jules Romains, qui vient peut-être des Hommes de bonne volonté, daterait des années 30-40. Vient ensuite le Grand Robert, presque par accident, si je puis dire. Dans l’édition de 1974, on ne mentionne pas expressément « être familier avec », mais parmi des exemples classiques du genre « ces notions lui sont familières », il y a celui-ci : « de vastes combinaisons maritimes avec lesquelles Napoléon n’était pas familier »Note de bas de page 8. De son côté, le Grand dictionnaire encyclopédique Larousse (1983) indique qu’on peut dire aussi bien « familier avec » ou « familier de » quelque chose. Idem pour Joseph HanseNote de bas de page 9, qui ne signale même pas que le tour serait critiqué : « Ces procédés ne lui sont pas familiers. Il n’est pas familier avec ces procédés. » Enfin, la dernière édition du Grand Robert (2001) confirme que les deux tours s’emploient : « Mod. (construit avec de ou avec). Qui a l’habitude (de qch.) ». Comme on pouvait s’y attendre, c’est le Trésor de la langue française qui nous fournit le plus grand nombre d’exemples, une bonne vingtaine. On y trouve notamment Auguste Comte : « chacun sera devenu familier avec le chant » (Catéchisme positiviste, 1852); Jules Verne : « familier avec le bruit d’une porte » (Les cinq cents millions de la Bégum, 1879); un théoricien politique, Georges Sorel : « familier avec des règles de droit » (Réflexions sur la violence, 1908); Proust, dont l’exemple se rapproche de celui de Diderot : « familière avec les travaux de Darwin » (Guermantes, 1921); Georges Simenon : « être familier avec la maison » (Les vacances de Maigret, 1948). Je n’ai pas réussi à trouver par moi-même un aussi grand nombre d’exemples prestigieux, mais il y en a au moins trois qui méritent d’être signalés. Mon plus ancien est de Tocqueville : « les gens qui étaient depuis longtemps familiers avec ses rêveries »Note de bas de page 10. Un siècle plus tard, un futur académicien l’emploie : « le public n’est pas familier avec la dialectique »Note de bas de page 11 (c’est presque une lapalissade). Et une traduction du japonais : « le plus âgé de nos journalistes qui était familier avec la configuration du pays »Note de bas de page 12. Après le Harrap’s, le Larousse de la langue française, le GDEL, le Grand Robert et le Hanse, la belle brochette d’exemples du Trésor, et les miens, je comprends mal comment on pourrait persister à y voir une faute. On peut ne pas aimer ce tour et tout faire pour l’éviter (ce qui n’est pas très sorcier d’ailleurs, car ce ne sont pas les équivalents qui manquent : être familier de, chose qui vous est familière, être familiarisé avec, bien connaître, y être habitué, s’y connaître, une chose qui n’a pas de secret pour vous). On peut même le décrier sur son blogue, mais a-t-on le droit d’écrire dans un ouvrage sérieux, qui constitue une sorte de référence, que c’est un calque, c’est-à-dire une faute à éviter? Pareille affirmation revient à dire que tous ceux que j’ai cités ne connaissent pas leur langue. Seuls les linguistes et grammairiens pourraient prétendre à cet honneur? Mais alors, que penser de Joseph Hanse? Serait-il un électron libre qui s’est laissé séduire un peu vite par un usage qui n’est pas encore le « bon »? Au bout du compte, ce problème me fait un peu penser à « être d’accord avec quelque chose ». On a déjà condamné cet usage. La Commission du langage de l’ORTF, par exemple, vers le milieu des années 60, signalait qu’il ne fallait pas dire « être d’accord avec une décision », mais « être d’accord avec une personne sur une décision ». Et pourtant, un quart de siècle plus tôt, le fameux Lancelot n’hésitait pas à écrire : « Je suis désolé de ne pouvoir me dire d’accord avec le Dictionnaire de l’Académie »Note de bas de page 13. Être d’accord avec un ouvrage, est-ce très différent d’être d’accord avec une décision? Un collègue, Jacques DesrosiersNote de bas de page 14, a consacré un article à ce problème il y a quelques années. À part deux dictionnaires bilingues, cet usage était inconnu des lexicographes. J’en ai trouvé deux exemples qui semblent avoir échappé à l’œil de lynx de l’auteur. Un exemple indirect dans le Trésor, à « ficher » : « Je vous/t’en ficherai(!). [S’emploie, accompagné de la reprise des paroles de l’interlocuteur, pour montrer qu’on n’est pas d’accord avec ses propos] » et celui-ci, d’un ouvrage peu connu : « I agree entirely with your plans = Je suis entièrement d’accord avec vos projets »Note de bas de page 15. Autrement dit, la situation est demeurée inchangée. Mais on dirait que plus personne ne condamne cet usage. Pour revenir à notre locution, elle a beau être condamnée, une demi-douzaine de dictionnaires l’admettent, et de nombreux auteurs l’emploient. Alors, je ne vois pas ce qui pourrait vous faire hésiter à affirmer, sans honte, que vous n’êtes pas familier avec le fonctionnement de votre magnétoscope. C’est aussi mon cas.RéférencesNote de bas de page 1 E. Clifton et A. Grimaux, A New Dictionary of the French and English Languages (français-anglais), Garnier, 1881.Retour à la référence de la note de bas de page 1Note de bas de page 2 Adolphe Hatzfeld et Arsène Darmesteter, Dictionnaire général de la langue française, t. 1, Delagrave, 1964.Retour à la référence de la note de bas de page 2Note de bas de page 3 Répertoire des anglicismes au Québec, Beauchemin, 1970.Retour à la référence de la note de bas de page 3Note de bas de page 4 Multidictionnaire des difficultés de la langue française, Québec /Amérique, 1993.Retour à la référence de la note de bas de page 4Note de bas de page 5 Guy Bertrand, 400 capsules linguistiques, Lanctôt, 1999.Retour à la référence de la note de bas de page 5Note de bas de page 6 Lionel Meney, Dictionnaire québécois-français, Guérin, 1999.Retour à la référence de la note de bas de page 6Note de bas de page 7 Camil Chouinard, 1300 pièges du français parlé et écrit au Québec, Libre expression, 2001.Retour à la référence de la note de bas de page 7Note de bas de page 8 Louis Madelin, Histoire du consulat et de l’empire, Jules Tallandier, 1972.Retour à la référence de la note de bas de page 8Note de bas de page 9 Nouveau dictionnaire des difficultés du français moderne, Duculot, 1983.Retour à la référence de la note de bas de page 9Note de bas de page 10 Alexis de Tocqueville, Souvenirs, Folio, 1978, p. 304 (écrit en 1850-1851).Retour à la référence de la note de bas de page 10Note de bas de page 11 Thierry Maulnier, La face de méduse du communisme, Gallimard, 1951, p. 193.Retour à la référence de la note de bas de page 11Note de bas de page 12 Yasushi Inoué, Confucius, Stock, 1992, p. 81 (traduit par Daniel Struve).Retour à la référence de la note de bas de page 12Note de bas de page 13 Abel Hermant, Chroniques du Lancelot du « Temps », Larousse, 1936 (article du 14 mars 1934).Retour à la référence de la note de bas de page 13Note de bas de page 14 Jacques Desrosiers, « Si vous êtes d’accord… », L’Actualité terminologique, vol. 35, nº 3, 2002.Retour à la référence de la note de bas de page 14Note de bas de page 15 François Denoeu, 2001 idiotismes français et anglais, Barron’s Educational Series, 1982.Retour à la référence de la note de bas de page 15
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