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Les anglicismes insidieux

Un article sur les anglicismes autres que lexicaux
Jean Delisle (L’Actualité terminologique, volume 31, numéro 3, 1998, page 10) Cet article est paru intégralement en nos pages en 1987. Comme il n’a rien perdu de sa pertinence (sauf pour certains usages désormais admis), nous le présentons de nouveau à nos lecteurs. Seules l’introduction et la conclusion se trouvent écourtées quelque peu, avec l’autorisation de l’auteur. Les guetteurs au créneau du patrimoine linguistique (traducteurs, terminologues, grammairiens, professeurs, linguistes et chroniqueurs de langue) ont souvent emprunté des métaphores du domaine militaire pour décrire les dangers que représente la horde des anglicismes pour la langue française parlée au Canada, langue que l’on dit menacée, en péril. Les mots anglais apparaissent comme des envahisseurs, des intrus qu’il faut pourchasser sans relâche et bouter hors des frontières. Cette xénophobie lexicale fait en sorte que bien peu de mots anglais réussissent à être naturalisés sous leur forme originale en français au Canada, alors que les francophones d’Europe, eux, pour des raisons qu’il n’y a pas lieu d’exposer ici, sont beaucoup plus accueillants envers les mots étrangers.Le pot de terre Si certains de nos langagiers jugent nécessaire de franciser des mots tels que hamburger, muffin, pizza-burger, T-shirt, root beer, bulldozer, mots dont les équivalents proposés ont fait couler beaucoup d’encre, les lexicographes du Petit Larousse n’hésitent pas quant à eux, à faire figurer dans l’édition de 1987 de leur dictionnaire les expressions « adopter un profil basNote de bas de page 1 » (to keep a low profile), « bicross » (qu’on appelle au Québec un vélo tout terrain), « fioul » (francisation phonétique et fantaisiste de fuel, connu ici sous le vocable de mazout) et rafting (descente en eaux vives). C’est assez dire à quel point les attitudes linguistiques divergent de part et d’autre de l’Atlantique. Mais voilà, le Québec et les autres régions francophones du pays se trouvent dans la situation du pot de terre par rapport au pot de fer anglo-saxon qu’ils côtoient quotidiennement. Les moyens de protection mis en œuvre sont à la mesure du danger.La majorité visible Il est relativement facile de faire la chasse aux anglicismes lexicaux, car ceux-ci peuvent être isolés assez aisément, les mots les plus « trompeurs » étant ceux qui n’ont pas la même extension sémantique dans les deux langues, tels que responsible et « responsable », control et « contrôle », et combien d’autres. En outre, une batterie imposante d’ouvrages correctifs et normatifs traitent de la vaste catégorie des anglicismes lexicaux et proposent aux usagers des équivalents français à leur substituer. Mais l’influence de l’anglais ne se manifeste pas uniquement sur le plan lexical. Dans la suite du présent article, je donne au mot anglicisme le sens élargi d’empreinte (plutôt qu’emprunt) de la langue anglaise sur la française. Je tenterai de montrer au moyen d’exemples que le français soumis à une dose massive de traduction subit de nombreuses interférences insidieuses dues au phénomène que je qualifie de mimétisme interlinguistique. La nocivité des traductions médiocres, a écrit Jean Darbelnet, n’a pas l’évidence des fautes de grammaire caractérisées; elle est plus insidieuse et par conséquent plus dangereuse. Il s’agit presque toujours d’une légère déformation qui porte atteinte au génie de la langueNote de bas de page 2. Par « génie de la langue », il faut entendre ses tendances, ses préférences pour certaines tournures ou alliances de mots, sa façon d’articuler un message, de présenter une idée, bref, tout ce qui se situe au-delà du lexique lui-même, ou plus précisément, tout ce qui conditionne les moyens d’expression et que l’usage a consacré. Il n’est aucunement dans mes intentions de faire ici le procès des traducteurs professionnels. Bien au contraire. Mais ces spécialistes du « choc des langues » ne sont pas les seuls, malheureusement, à pratiquer l’art difficile de la traduction. Pour un traducteur professionnel rompu à son métier, combien de pseudo-traducteurs tombent tête baissée dans les innombrables pièges tendus par la langue anglaise! Voyons donc des exemples de ce phénomène de contamination insidieuse.La surtraduction La surtraduction donne lieu à de nombreux équivalents appartenant à la langue de traduction, cette langue hybride, composite, qui n’est ni française ni anglaise. Des éléments du signe anglais restent présents en français, alors que normalement ils devraient disparaître. Ainsi, dans la traduction « Stationnement interdit en tout temps » (no parking at any time), « en tout temps » est inutile et constitue un exemple de surtraduction. Si l’on veut vraiment insister, on peut dire « Défense absolue de stationner » ou « Il est strictement interdit de stationner ». On pèche aussi par surtraduction quand on écrit « les termes et les conditions d’un contrat » (terms and conditions), au lieu de « stipulations », « conditions » ou « modalités »; « vols de correspondance » (connecting flights) dans les aérogares, au lieu de « correspondance »; « cirage de soulier » (shoe polish), au lieu de « cirage » tout simplement; un « chèque au montant de 10 $ » (a check in the amount of…) au lieu d’un « chèque de 10 $ ». Au bas des contrats rédigés en anglais, il est écrit : Signed, Sealed and Delivered… C’est se rendre coupable de surtraduction que de traduire chacun de ces mots, car le français se contente de dire « Fait à… ». L’anglais transparaît aussi sous le syntagme « étudiant d’université » (university student). Dans tous ces cas d’anglicismes camouflés résultant d’une surtraduction, l’anglais déteint sur le français.L’économie par évidence L’économie par évidence est un procédé qui consiste à traduire implicitement ce qui est explicite en anglais mais superflu en français en raison de la logique ou des habitudes linguistiques des locuteurs francophones. Les bons traducteurs y ont recours pour éviter la surtraduction. En voici deux courts exemples :The 68 biggest arts groups in Canada attracted a full third of our population to spend money and time on attendance.Les 68 principaux groupes artistiques au Canada ont attiré un bon tiers de la population à leurs spectacles.CIA has some three dozens American newspeople on its payroll, including five who work for general circulation news organizations.Les services de la CIA comptent une trentaine de journalistes américains, dont cinq travaillent dans des organes d’information de masse.Les passages en caractères gras sont superflus en français. Il en va de même de sit down dans des énoncés tels que to sit down and negotiate. C’est traduire servilement que de préciser que les parties « se sont assises et ont négocié ». Et pourtant, combien de journalistes pressés, alimentés de dépêches anglaises, tombent dans ce piège. En n’appliquant pas le principe de l’économie par évidence, on aboutit parfois à des impropriétés, comme c’est le cas dans l’exemple suivant :Disconnect power supply before servicing. (Séchoir à air chaud)Débrancher l’alimentation électrique avant l’entretien.Il aurait mieux valu écrire « Débrancher le séchoir (ou l’appareil) avant l’entretien », puisque le verbe « débrancher » signifie « couper le courant électrique ». N’ayant pas su résister à la tyrannie de la forme anglaise, le traducteur a commis un pléonasme.You / On Par ailleurs, les traducteurs non avertis traduisent par « vous » le pronom « you », là où s’impose en français une tournure impersonnelle. Les Américains donnent souvent à ce pronom « familier » la valeur d’un « on », valeur attestée par un grand nombre de proverbes anglais (If you wish to ride far spare your steed : Qui veut voyager loin, ménage sa monture / You could have heard a pin drop : On aurait entendu une mouche voler). Voici un exemple en contexte :As you enter the Engineering Division of Sarvodaya, you are greeted by hundreds of metal chairs in the making. As you pick your way through the stacks of chairs and bundles of metal rods, the hammering inside the workshop gets louder.En entrant dans la section d’ingénierie de Sarvodaya, on aperçoit des centaines de chaises métalliques en cours de fabrication. À mesure que l’on se fraye un chemin à travers les piles de chaises et les amoncellements de tiges de métal, le bruit des marteaux dans l’atelier s’intensifie.Sans faire aucune entorse à la syntaxe française, le mimétisme aurait eu néanmoins pour effet de donner à la version traduite un ton abusivement familier tout en laissant transparaître encore une fois l’empreinte de l’anglais sous les mots français.Les anglicismes de fréquence Le style traduction, mauvais par définition, fait un abus du verbe « devenir » (to become), comme l’a déjà remarqué le traducteur québécois Jacques PoissonNote de bas de page 3 : « en 1896, Laurier devient le premier premier ministre de langue française du Canada ». En français libre, c’est-à-dire non asservi à la démarche de l’anglais, on a moins tendance à donner dans cette stéréotypie :Porté au pouvoir en 1896, Laurier est le premier Canadien français à diriger le gouvernement fédéral.On lit dans le Grand Larousse : « (Blériot) effectua la première traversée de la Manche en aéroplane, le 25 juillet 1909. » « Le premier satellite artificiel fut lancé d’U.R.S.S., le 4 octobre 1957. » En style traduction fortement teinté d’anglais, ces deux phrases se liraient à peu près ainsi : « Le 25 juillet 1909, Blériot devint le premier homme à traverser la Manche en aéroplane. » « Le 4 octobre 1957, l’U.R.S.S. devint le premier pays du monde à lancer un satellite artificiel. » Ces subtils anglicismes de fréquence ont pour effet d’appauvrir la langue française en laissant dans l’ombre de nombreuses tournures syntaxiques et idiomatiques. Nombreux sont les anglicismes de fréquence de cette nature. « Au cours des deux dernières décennies » est une formulation beaucoup moins courante que During the last two decades que rend mieux en français « Au cours des vingt dernières années ». Every effort must be made to : sous la plume des traducteurs inexpérimentés, effort est invariablement traduit par « effort » : « Il faut déployer tous les efforts pour… » Rarement surgissent à leur esprit des formulations telles que « Il faut tout tenter pour »; « Il faut tout mettre en œuvre pour »; « Il faut s’employer activement à ». L’auxiliaire should donne aussi lieu à des anglicismes de fréquence si on le traduit systématiquement par « devoir » :Changes to the record should be reported in the first block.Inscrire les changements à apporter au dossier dans la première case. (Comparez : « les changements doivent être apportés ».)Solution de facilité et indice d’une indigence de vocabulaire, le mimétisme abusif sous toutes ses formes a un effet réducteur : il appauvrit le vocabulaire français. Ce phénomène est tout particulièrement perceptible là où une langue est massivement traduite. C’est le cas au Canada où bilinguisme est largement synonyme de « traduit de l’anglais ». La traduction par mimétisme entraîne une « usure de la langue », un affaiblissement de ses moyens d’expression et de son caractère idiomatique.Coordination, étoffement, calques La coordination peut aussi être une source d’anglicismes camouflés. On sait qu’elle n’obéit pas aux mêmes règles dans toutes les langues. Il est souvent préférable, en passant de l’anglais au français, de recourir à la subordination là où l’anglais procède à l’agencement des idées par coordination ou simple juxtaposition.The concept of tax shelters is simple: you invest and save tax.Le principe des abris fiscaux est simple : on réalise un investissement tout en réduisant ses impôts. (Comparez : « on investit et on réduit ses impôts ».)Les anglicismes par manque d’étoffement sont aussi très fréquents. I regret the difficulties you have with the Post Office. Cet énoncé rendrait un son faux en français si on le traduisait littéralement : « Je regrette les difficultés que vous avez éprouvées avec le service de la poste. » Mais dans ce genre de message, le français affectionne la tournure négative : « Je regrette que les services de la poste ne vous donnent pas entière satisfaction. » Cet exemple illustre bien l’incessant travail de réflexion auquel doit s’astreindre le traducteur animé du souci de préserver les qualités de la langue vers laquelle il traduit et de jouer efficacement son rôle de communicateur professionnel. Et que dire de tous les comparatifs elliptiques qui émaillent les textes anglais. Les traducteurs chevronnés savent qu’il ne faut pas les traduire littéralement. To work harder, c’est « redoubler d’effort », « mettre les bouchées doubles  », ce n’est pas « travailler plus fort », si l’original anglais ne précise pas l’autre membre de la comparaison. « L’organisme a accru (intensifié) sa participation à ce projet » est une formulation correcte et préférable à « L’organisme a pris une part plus active à ce projet », calquée de l’anglais. De même Greater Federal/Provincial Cooperation, c’est le « Resserrement de la coopération fédérale-provinciale ». Bien peu de faux traducteurs savent éviter ce traquenard. Les pronoms « en » et « y » étant inconnus en anglais, on commet des anglicismes syntaxiques si l’on omet de les introduire dans certaines tournures. Ainsi, dans un manuel, on écrit : « Je pense à un nombre, j’y ajoute trois » et non « j’ajoute trois » ou pire encore « je lui ajoute trois » comme le suggère I add to it. Les calques syntaxiques du style traduction sont aussi particulièrement insidieux. Les deux cas les plus répandus au Canada français et qu’on retrouve de plus en plus dans les publications françaises (revues et journaux) sont les structures du type « la troisième plus grande ville au pays » (la troisième ville au pays) et « En 1972, lorsqu’il a été élu… » (Lors de son élection en 1972…). Mais il y en a une foule d’autres : « le dernier vingt dollars » (the last twenty dollars) au lieu de « les vingt derniers dollars »; « pendant un bon dix heures » (during a good ten hours) au lieu de « pendant dix bonnes heures ». C’est aussi sous l’influence de l’anglais qu’ont été formées les raisons sociales : Picard Surgelés, Vidéo Club et Perly Auto-Lave (car wash). Bien que le français ait déjà admis « libre-service », il reste que la démarche naturelle de cette langue est de désigner d’abord, de qualifier ensuite. Contrairement à l’anglais, le déterminé se place habituellement avant le déterminant. Il serait donc plus conforme aux habitudes d’expression des locuteurs français de dire les Surgelés Picard, un Club vidéo, un Lave-auto. Subtils anglicismes encore une fois.La couleur idiomatique Le mimétisme interlinguistique pratiqué par les traducteurs incompétents peut avoir pour effet de vider les traductions françaises de leurs couleurs idiomatiques. Ces traductions asservies à l’anglais sont exsangues, cadavériques, inexpressives, sans originalité, sans vie. Un fabricant de jouets a mis sur le marché un produit qu’il a baptisé WET BANANA. Il s’agit d’une bande plastique jaune d’un mètre sur dix qu’on étend sur une surface plane gazonnée. Fixée au bout d’un tuyau d’arrosage, une banane aussi en plastique et perforée de petits trous, forme un rideau de pluie qui garde mouillée la surface de ce « tapis » sur lequel les enfants, vêtus de leur maillot, s’élancent et glissent sur le ventre ou sur le dos. En français, on a donné à ce jeu le nom de « banane mouillée ». Cette traduction n’évoque absolument rien, si ce n’est l’original anglais… Comment ne pas associer à ce jouet sur lequel on glisse l’image de la « peau de banane » dont les cinéastes tirent tant d’effets comiques? Par servilité à la désignation anglaise, le traducteur a raté ici une belle occasion de faire preuve d’imagination. Succombant au mimétisme, il a privé sa traduction d’une image qui aurait eu une résonance beaucoup plus forte que « banane mouillée », équivalence qui plaît sûrement aux tenants inconditionnels de la littéralité, mais qui brille par sa platitude et son insignifiance. Le traducteur n’est pas un singe, mais un communicateur. « Son premier devoir est de s’émanciper de la tyrannie de la formeNote de bas de page 4. » Voici un deuxième exemple. La société Kellogg a mis sur le marché une nouvelle marque de céréales baptisée JUST RIGHT. Sur la boîte, on peut lire :A unique taste sensation that’s just right. It’s just right for starting your day. C’est peu subtil, mais correct. Voyons la version française :Un goût unique qui plaît à juste titre.Rien de plus juste pour commencer la journée. Pas très heureux comme traduction. S’étant cru prisonnier de la formulation anglaise (et peut-être même des diktats des grands-prêtres du service du marketing de la société), le traducteur a « forcé » le sens de la locution « à juste titre », et plus encore celui du mot « juste » dans le deuxième énoncé. De toute évidence, il a voulu rappeler le nom de la marque, qui n’est pas francisée bien entendu. Voilà un autre triste exemple d’anglicisme par mimétisme. Jamais il ne viendrait à l’esprit d’un publicitaire d’expression française de donner à une marque de céréales le nom de « juste titre ». En outre, si le traducteur ne s’était pas senti lié par la contrainte imposée par le nom de la marque JUST RIGHT, il aurait sûrement traduit It’s just right for starting your day par « Rien de mieux pour commencer la journée du bon pied ». La formulation banale et incorrecte « Rien de plus juste pour commencer la journée » ne veut strictement rien dire. Ce n’est pas français. Le traducteur joue faux sur un instrument mal accordé. Plus exactement, il essaie de jouer de la trompette avec un archet. Calqué sur le modèle anglais, cet énoncé appartient au style traduction. « Le traducteur ne doit pas être l’esclave des parties du discoursNote de bas de page 5. » L’emploi abusif du mot « juste » dans la version française a pour effet d’envelopper la formulation dans une sorte de flou sémantique et de compromettre la clarté de l’expression. Cet emploi impropre brouille la communication. Multipliées à des milliers d’exemplaires, de telles traductions inachevées, mal digérées, finissent par avoir un effet asphyxiant sur la langue et la pensée. On sous-estime trop le tort immense que font subir à la langue les faussaires du vocabulaire. Car tant vaut la langue, tant vaut la pensée, et vice versa. S’il est vrai que les emprunts utiles et justifiés sont l’oxygène d’une langue, et la traduction d’œuvres étrangères, l’oxygène d’une culture, le mimétisme qui détourne le sens des mots et supprime le caractère idiomatique d’une langue est un virus redoutable. Les bons traducteurs, enfin, ont appris à respecter la démarche propre aux langues vers lesquelles ils traduisent. Pour y arriver, il leur faut procéder à des réagencements parfois assez radicaux afin de préserver la richesse idiomatique et la langue d’arrivée, sa façon originale de décrire la réalité. Soit l’inscription suivante figurant sur la porte d’une chambre d’hôtel :Due to the heavy demand for rooms and the high percentage of patrons who arrive before noontime, we respectfully request your cooperation in making available, as early as possible, your particular room on the day of your departure.Toute tentative de traduction littérale ou mot à mot serait fatale. Pour contourner la difficulté, il faut s’éloigner de la structure anglaise et y substituer une équivalence de message, c’est-à-dire choisir une formulation conforme aux habitudes d’expression des locuteurs francophones. On aboutit alors à la reformulation suivante :La Direction vous saurait gré de bien vouloir libérer votre chambre le plus tôt possible le jour de votre départ, car beaucoup de clients souhaitent occuper leur chambre avant midi le jour de leur arrivée.En attaquant la phrase par « La Direction vous saurait gré… », on évite de plier la langue française aux formes du moule de l’anglais et de commettre un anglicisme de démarche.Conclusion Les anglicismes de fréquence, de coordination, de démarche ou ceux qui résultent de la surtraduction, d’un calque syntaxique ou d’un manque d’étoffement sont des empreintes laissées par l’anglais sur la langue française. Ils sont doublement insidieux. D’une part, ce sont des chausse-trappes dans lesquelles tombent presque inévitablement les traducteurs amateurs qui dissocient mal les langues et, d’autre part, ils sont insidieux comme on dit d’une maladie qu’elle est insidieuse, c’est-à-dire « dont l’apparence bénigne masque au début la gravité réelle ». La catégorie d’anglicismes étudiés ci-dessus, et dont la liste est loin d’être exhaustive, a, en effet, des conséquences d’autant plus graves sur la langue d’arrivée, en l’occurrence le français, que ce sont les fondements mêmes de cette langue massivement traduite qui sont sapés, c’est-à-dire son mode d’articulation, ses propriétés expressives, ses résonances symboliques, son caractère idiomatique. La richesse d’une langue ne tient pas qu’à son vocabulaire. Bénin en apparence, le mal décrit ici peut gangrener jusqu’à la pensée elle-même. Déjà en 1916, le traducteur et auteur Louvigny de Montigny avait bien saisi l’ampleur du danger : « … la syntaxe étant la construction de la langue, un langage joignant des mots français par une syntaxe anglaise devient littéralement un travail de démolition, une œuvre de destruction et de ruineNote de bas de page 6».Aucune attention ne doit être donnée à cette affaire. (No attention to be given to that matter.)Le Québec sait faire. (Quebec knows how.)Au meilleur de mon jugement. (To the best of my judgment.)De tels anglicismes de structure sont une source d’ambiguïté et de brouillage de la communication. Ils chambardent l’édifice sémantique du français, et c’est pourquoi ils sont si pernicieux. S’il est relativement facile d’éradiquer un anglicisme lexical, il n’en va pas de même des anglicismes d’articulation. « Le violon, disait Ingres, est un instrument qui ne supporte pas la médiocrité. » La traduction non plus. « Si, au Canada, les deux langues officielles étaient le français et le chinois ou le japonais, si entre elles n’existait pas une parenté latine, que de traquenards, tendus aujourd’hui comme hier à nos traducteurs, disparaîtraient sur le coup!Note de bas de page 7 ». Mais l’histoire en a décidé autrement, et la traduction y occupe une place très importante dans toutes les sphères d’activité. Ce qui faisait dire à Pierre Daviault que « la langue, surtout la langue écrite, sera dans une large mesure, ce que sera la traductionNote de bas de page 8 ». C’est dire la lourde responsabilité qui repose sur les épaules des traducteurs.Notes et référencesNote de bas de page 1 « Adopter un profil bas : choisir un programme d’action minimal. » Cette définition ne rend pas le sens de l’expression to keep a low profile, qui signifie « rester dans l’ombre », « s’effacer », « essayer de ne pas se faire remarquer », « se faire tout petit », « tâcher de passer inaperçu », « se tenir coi », « se faire oublier ».Retour à la référence de la note de bas de page 1Note de bas de page 2 Jean Darbelnet, « La traduction, voie ouverte à l’anglicisation », dans Culture vivante, nos 7/8, 1968, p. 44.Retour à la référence de la note de bas de page 2Note de bas de page 3 Le Devoir, 2 juillet 1968, p. 4.Retour à la référence de la note de bas de page 3Note de bas de page 4 Jean Darbelnet, op. cit., p. 45.Retour à la référence de la note de bas de page 4Note de bas de page 5 Jean Darbelnet, Regards sur le français actuel, Montréal, Les éditions Beauchemin, 1964, p. 63.Retour à la référence de la note de bas de page 5Note de bas de page 6 Louvigny de Montigny, La langue française au Canada, Ottawa, 1916, p. 187.Retour à la référence de la note de bas de page 6Note de bas de page 7 Séraphin Marion, « Traducteurs et traîtres dans le Canada d’autrefois », dans Les Cahiers des dix, nº 34, 1969, p. 103.Retour à la référence de la note de bas de page 7Note de bas de page 8 « La langue française au Canada ». Commission royale d’enquête sur l’avancement des arts, lettres et sciences au Canada. Ottawa, Imprimeur du Roi, 1951, p. 38.Retour à la référence de la note de bas de page 8
Source : Chroniques de langue (la langue française vue par des langagiers)
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Mots de tête : « revers de la main »

Un article sur l’expression balayer d’un revers de main
Frèdelin Leroux fils (L’Actualité terminologique, volume 25, numéro 2, 1992, page 20) C’est méconnaître l’originalité inventive de Paul Morand que l’écarter d’un revers de la mainNote de bas de page 1.(R. Duhamel, Le Devoir, 26.5.84.) Ce n’est un secret pour personne que les dictionnaires sont incomplets. Aussi, il n’y a pas de quoi en faire un plat. Mais vous avouerez que c’est quand même agaçant de faire la tournée des grands dictionnaires (et des moins grands), à la recherche d’une expression qu’on lit ou qu’on entend à tout bout de champ, et de se retrouver Gros-Jean comme devant. Par exemple, c’est en vain que vous chercheriez revers de (la) main dans le sens où Roger Duhamel l’emploie. D’après les dictionnaires, la fonction du revers de la main est double : vous permettre d’essuyer la sueur qui vous perle au front (Lexis) et, au besoin, vous fournir le moyen de clore la bouche d’un importun (Robert). C’est un peu court, me direz-vous. Heureusement, au pays de l’école polyvalente, le revers est beaucoup plus… polyvalent. On s’en sert pour balayer, congédier, écarter, rejeter ou répudier un peu n’importe quoi : un danger, une demande, un importun, une objection, et j’en passe. En somme, tout ce qui ne fait pas notre affaire. La lecture de quelques numéros du Devoir ou de La Presse nous en fournirait une belle moisson. Et il n’y a pas que nos journalistes qui l’emploient. Des personnalités, comme on dit, Roger Duhamel, Solange Chaput-RollandNote de bas de page 2 ou René Lévesque ne dédaignent pas de s’en servir. L’autobiographie de René LévesqueNote de bas de page 3 ayant été traduite, je suis allé vérifier comment le traducteur avait rendu balayer d’un revers de main. Littéralement : to dismiss with the back of one’s hand. Aussitôt, le voyant Attention! anglicisme s’est mis à clignoter. Mais j’eus beau consulter les dictionnaires anglais, l’expression ne semble pas connue. Un collègue anglophone m’a d’ailleurs confirmé que ce n’était pas très courant, qu’il dirait plutôt to dismiss with a wave of the hand. D’autre part, comme j’avais rencontré la tournure dans un article traduit de l’anglais, je me suis reporté à l’original, pensant y retrouver… Pas du tout, voici que qu’on y lit : High court judgments can be vacated effortlessly. Pour traduire vacate ainsi, me suis-je dit, il fallait que la locution fût profondément ancrée dans le subconscient du traducteur. C’est ce qui m’a amené à écarter la possibilité d’un calque. S’agirait-il d’un québécisme, alors? Pas davantage. Plusieurs exemples le confirment. Commençons par deux citations, très près du sens propre :Ceux qui (…) étalent tout leur jeu et (…) le raflent d’un revers de mainNote de bas de page 4.Des bras de banquier, qui raflent l’or d’un revers de mainNote de bas de page 5. Enchaînons avec une traduction de l’allemand :Comme effacés d’un revers de main, les assaillants disparurent…Note de bas de page 6. Le Monde nous en fournit trois exemples :(…) les hégéliens et les spiritualistes qui éliminent Sartre d’un revers de mainNote de bas de page 7.Congédier d’un revers de main toute instance socio-économiqueNote de bas de page 8.Tout autant que l’interrogation sur le droit de conquête, qui ne peut être balayée d’un revers de main…Note de bas de page 9. Voici deux variantes, qui ont exactement le même sens :Le chef du personnel (…) fut découvert et balayé du tranchant de la mainNote de bas de page 10.Tout ça… avec le geste d’écarter quelque chose du dos de la mainNote de bas de page 11. Enfin, on trouve aussi des exemples dans des ouvrages dits sérieux :(…) les massacres des opposants sont balayés d’un revers de la main…Note de bas de page 12. Dont celui-ci, où il y a ce que j’appellerais un sens doublement figuré :(…) balayer d’un revers mental tous les ragotsNote de bas de page 13. Il ne fait aucun doute, à mon avis, que cette expression est tout à fait française. On l’emploie, au figuré, depuis une bonne vingtaine d’années. Il ne peut s’agir que d’une lacune, que les dictionnaires s’empresseront de combler. Mais il faudrait peut-être en informer les lexicographes. S’il y a un(e) volontaire qui veut bien s’en charger, je lui dédierai volontiers mon prochain billet.RéférencesNote de bas de page 1 Heureusement que L’Actualité terminologique ne publie pas toujours mes billets au fur et à mesure. Autrement, je ne pourrais pas vous faire profiter de mes trouvailles de dernière minute. D’un revers de main figure dans le Dictionnaire des locutions idiomatiques françaises(note 13), avec la définition suivante : sans y attacher d’importance, en faisant un geste de dédain.Mais le plus intéressant, c’est l’exemple :Mgr Trochu (…) ne peut être écarté d’un revers de main.Il est tiré d’une chronique du célèbre Aristide, grammarien, parue dans Le Figaro littéraire du 22 septembre 1969.Retour à la référence de la note de bas de page 1Note de bas de page 2 Solange Chaput-Rolland, Regards 87, Montréal, Cercle du Livre de France, 1968, p. 58.Retour à la référence de la note de bas de page 2Note de bas de page 3 René Lévesque, Attendez que je me rappelle, Montréal, Québec/Amérique, 1986, p. 308.Retour à la référence de la note de bas de page 3Note de bas de page 4 Georges Duhamel, Scènes de la vie future, Mercure de France, 1958, p. 136. (Paru en 1930.)Retour à la référence de la note de bas de page 4Note de bas de page 5 Alexandre Vialatte, L’éléphant est irréfutable, Presses Pocket, 1989, p. 296. (Article paru vraisemblablement en 1963.)Retour à la référence de la note de bas de page 5Note de bas de page 6 Ernst Jünger, Orages d’acier, Folio, 1974, p. 256. (Paru chez Christian Bourgeois en 1970. Traduit par Henri Plard.)Retour à la référence de la note de bas de page 6Note de bas de page 7 Pierre Lepage, Le Monde, 25.10.85.Retour à la référence de la note de bas de page 7Note de bas de page 8 Ibid., 29.11.86.Retour à la référence de la note de bas de page 8Note de bas de page 9 Philippe Boucher, Le Monde, 1.9.90.Retour à la référence de la note de bas de page 9Note de bas de page 10 Maurice Jaquier, Simple militant, Denoël/Lettres nouvelles, 1974, p. 69.Retour à la référence de la note de bas de page 10Note de bas de page 11 Robert Musil, L’Homme sans qualités, tome 2, Folio, 1974, p. 514. (Paru au Seuil en 1957. Traduit par Philippe Jacottet.)Retour à la référence de la note de bas de page 11Note de bas de page 12 Nina et Jean Kéhayan, La nuit du prolétaire rouge, Éditions Rombaldi, 1981, p. 30.Retour à la référence de la note de bas de page 12Note de bas de page 13 Bruno Lafleur, Dictionnaire des locutions idiomatiques françaises, Éditions du Renouveau pédagogique, Montréal, 1979.Retour à la référence de la note de bas de page 13
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Mots de tête : « du même souffle »

Un article sur l’expression du même souffle
Frèdelin Leroux fils (L’Actualité terminologique, volume 31, numéro 2, 1998, page 9) Et on condamne Israël du même souffle, pour les bavures de sa police…(Michel Régnier, cinéaste, Le Devoir, 29.3.88.) Les anglophones ont de la veine, ils peuvent faire plein de choses que notre langue nous interdit. Ils peuvent, par exemple, « parler des deux côtés de la bouche en même temps ». Ou « à travers leur chapeau ». Et par défi, ils iront même jusqu’à le manger, leur chapeauAller à la remarque a. Tour à tour maladroits ou contorsionnistes, ils se tirent dans le pied (sans grand préjudice corporel, d’ailleurs) ou se le mettent dans la bouche à tout bout de champ. Heureusement qu’il nous arrive de leur damer le pion : ils sont bien incapables, que je sache, de gagner une course les doigts dans le nez. Ils ont également un souffle assez particulier. Non seulement ils peuvent « rire sous leur souffle », mais ils sont capables (grâce au fameux « second souffle »?) de dire deux choses, souvent opposées, « du même souffle ». C’est une technique qui ne semble pas avoir de secret pour les Québécois. J’ai relevé chez nous une bonne quarantaine d’exemples de l’expression « du même souffle ». Nous l’apprêtons littéralement à toutes les sauces. On peut annoncer, répéter ou affirmer; rejeter, dénoncer ou reprocher; regretter, adoucir ou accueillir – tout et son contraire – du même souffle. Pour certains, c’est une façon d’apprendre une nouvelle :Catherine apprend du même souffle que sa mère biologique vit toujours en Chine et qu’elle va bientôt mourirNote de bas de page 1. D’autres arrivent même à « voir » par ce moyen :Mais on voit du même souffle l’avantage qu’un pays plus dynamique peut retirer d’une monnaie communeNote de bas de page 2. Et jusqu’aux budgets qui s’animent :Du même souffle, le budget d’hier indique qu’il faudrait bien que […]Note de bas de page 3. Retour à la remarque a Si l’on se fie au Harrap’s portatif (1993) et au Larousse bilingue (1994), les Français commenceraient à s’adonner à ce rituel un peu bizarre. Vous me direz qu’il y a de l’abus. J’en conviens. Mais il ne faudrait pas pour autant jeter le bébé avec l’eau du bain. Examinons plutôt la coupable. « In the same breath » signifie « at the same time or about the same time », « almost simultaneously ». Un vieux dictionnaireNote de bas de page 4 de 1907 traduit justement par « au même instant ». Au départ, le sens est à peine figuré, comme dans l’exemple classique « they are not to be mentioned in the same breath ». À peu près tous les dictionnaires traduisent par « on ne saurait les comparer », mais on trouve dans The GimmickNote de bas de page 5 d’Adrienne une formule plus imagée. « Parler en même temps des fromages américains et français, c’est mélanger les torchons et les serviettes » est rendu ainsi : « You can’t talk about American cheeses and French cheeses in the same breath. » (Les Américains ont dû aimer!) Mais le sens qu’on rencontre le plus souvent aujourd’hui est celui que donne le Cobuild English DictionaryNote de bas de page 6 : « You can use in the same breath or in the next breath to indicate that someone says two very different or contradictory things ». C’est l’exemple qu’on trouve dans le dictionnaire de PetitNote de bas de page 7, dès 1934 : « he contradicts himself in the same breath – il se contredit d’un instant à l’autre ». Comment les dictionnaires récents rendent-ils cette expression? Le Robert Collins Senior s’en tient à peu près à ce que donne Petit : « she contradicted herself in the same breath – elle s’est contredite dans la même seconde ». Chose étonnante, le Grand Larousse bilingue se contente de l’exemple classique. Il n’y a que le Hachette-Oxford pour faire montre d’un peu d’audace : « in the same breath – dans la foulée ». Et dans la partie français-anglais : « dans la foulée, il a ajouté – in the same breath, he added. » (Il est intéressant de voir que, dans le Trésor de la langue française, « dans la foulée » a le même sens que « in the same breath » : « simultanément, en même temps ».) « Du même souffle » est de loin la tournure la plus courante chez nous. Que ce soit Lise Bissonnette ou Gilles Lesage du Devoir, Michel Vastel ou André Nadeau du Droit, Lysiane Gagnon ou Pierre Foglia de La Presse, ou Jean Paré de L’Actualité. Ou même Pierre Bourgault. Tous l’emploient. Y compris des universitaires. Mais on trouve aussi la variante « dans un même souffle » (La Presse, 4.2.95). Bien que très rarement. Par contre, « dans le même souffle » est plus fréquent. Je l’ai rencontré chez Nathalie PetrowskiNote de bas de page 8, Gil CourtemancheNote de bas de page 9 et Yves ThériaultNote de bas de page 10 (l’exemple le plus ancien que j’ai trouvé). « Dans le même souffle » est la formule que les Français semblent préférer, les journalistes notamment :Dans le même souffle, Fonda dénonce l’impérialisme culturel […]Note de bas de page 11.Les milieux officiels israéliens se sont félicités de la libération de Nelson Mandela et, dans le même souffle, ont rejeté toute comparaisonNote de bas de page 12. Et l’auteur d’un très bel ouvrage sur le Liban :Le président annonçait le retour de nos soldats à Beyrouth. [Il] précisait dans le même souffle que nous ne serions sur place que […]Note de bas de page 13. Malgré les apparences, les Français ne sont pas allergiques à « notre » tournure. Alain Finkielkraut, par exemple, emploie « du même souffle » :Deux nations, la Slovénie et la Croatie, proclament leur indépendance, et affirment du même souffle leur européanitéNote de bas de page 14. Et un chercheur du CNRS utilise une légère variante :Ils dénonçaient d’un même souffle l’« impiété » du pouvoir et l’injustice sociale dont souffrait une jeunesse interdite d’avenirNote de bas de page 15. Inutile de dire que ces variantes sont toutes inconnues des dictionnaires. Aussi, rien d’étonnant à ce que vous ayez des scrupules à les employer. Mais si les traductions que les dictionnaires nous proposent ne vous satisfont pas, voici quelques expressions qui pourraient vous être utiles :Comme si l’on considérait que la résistance […] doit, d’une même haleine, se poursuivre et s’accroîtreNote de bas de page 16.Mais l’auteur ajoute du même mouvement : « Et ils l’espèrent bienNote de bas de page 17. »Or, en défendant dans le même mouvement le voile islamique et la kippa juive […]Note de bas de page 18. J’ai trouvé un exemple de cet usage chez nous :Étonnantes invectives de la part d’un littérateur qui, dans le même mouvement où il invective Richler, déclare sans ambages qu’il ne l’a pas luNote de bas de page 19. Voici une dernière locution, qu’on ne trouve qu’au sens propre dans les dictionnaires, mais qu’on voit souvent employée dans un sens figuré et qui ferait un bon équivalent de l’expression anglaise :[…] je n’avais aucune envie de pleurer sur le sort d’un vieillard [Pétain] qui m’avait volé ma carte d’identité et qui […] décrétait dans le même temps que je n’étais bon à rien […]Note de bas de page 20. Si aucune de ces solutions ne vous agrée, vous pourrez toujours vous rabattre sur celles qu’on trouve dans la dernière édition du MultidictionnaireNote de bas de page 21. Marie-Éva de Villers est la première et – sauf erreur – la seule à signaler que « du même souffle » est un calque de l’anglais. Outre la traduction du Hachette-Oxford (« dans la foulée »), elle nous propose « d’un seul élan, sur son élan ». Toutes ces façons de dire sont certes utiles, et devraient vous dépanner à l’occasion, mais je gagerais mon exemplaire en lambeaux des Nouvelles remarques de Monsieur Lancelot que « du même souffle » (ou « dans le même souffle ») finira bien un jour par aller rejoindre dans les dictionnaires ce « second souffle » que nous avons déjà volé aux anglophones.RéférencesNote de bas de page 1 Gisèle Desroches, Le Devoir, 14.3.98.Retour à la référence de la note de bas de page 1Note de bas de page 2 Georges Mathews, L’Accord, Éditions Le Jour, Montréal, 1990, p. 69.Retour à la référence de la note de bas de page 2Note de bas de page 3 Denis Lessard, La Presse, 22.5.93.Retour à la référence de la note de bas de page 3Note de bas de page 4 Alfred Elwall, Dictionnaire anglais-français, Ch. Delagrave, Paris, 14eéd., 1907.Retour à la référence de la note de bas de page 4Note de bas de page 5 Adrienne, The Gimmick Spoken American and English, tome 2, Flammarion, 1972, p. 133-134.Retour à la référence de la note de bas de page 5Note de bas de page 6 Collins Cobuild English Dictionary, Harper Collins, Londres, 1995.Retour à la référence de la note de bas de page 6Note de bas de page 7 Ch. Petit, Dictionnaire anglais-français, Hachette, Paris, 1934.Retour à la référence de la note de bas de page 7Note de bas de page 8 Nathalie Petrowski, Le Devoir, 15.9.90, 1.2.92 et 6.6.92.Retour à la référence de la note de bas de page 8Note de bas de page 9 Gil Courtemanche, Chroniques internationales, Boréal, Montréal, 1991, p. 165. Voir aussi Le Soleil du 19.12.92.Retour à la référence de la note de bas de page 9Note de bas de page 10 Yves Thériault, « Le dernier igloo », in L’herbe de tendresse, VLB éditeur, Montréal, 1983, p. 105. (Nouvelle vraisemblablement parue au début des années 60.)Retour à la référence de la note de bas de page 10Note de bas de page 11 Pierre Dommergues, Le Monde Dimanche, 21.2.83.Retour à la référence de la note de bas de page 11Note de bas de page 12 Alain Franchon, Le Monde, 13.2.90. Voir aussi Le Monde du 17.8.89.Retour à la référence de la note de bas de page 12Note de bas de page 13 Jean-Pierre Péroncel-Hugoz, Une croix sur le Liban, Folio/Actuel, 1985, p. 29.Retour à la référence de la note de bas de page 13Note de bas de page 14 Alain Finkielkraut, Comment peut-on être Croate?, Gallimard, 1992, p. 99.Retour à la référence de la note de bas de page 14Note de bas de page 15 Gilles Kepel, Le Monde, 7.3.91.Retour à la référence de la note de bas de page 15Note de bas de page 16 Claude Hagège, Le français et les siècles, Odile Jacob, coll. Points, 1989, p. 10.Retour à la référence de la note de bas de page 16Note de bas de page 17 Jean Guéhenno, Journal des années noires, Livre de poche, 1966, p. 252. Paru en 1947.Retour à la référence de la note de bas de page 17Note de bas de page 18 Alain Finkielkraut, Le Monde, 23.2.90.Retour à la référence de la note de bas de page 18Note de bas de page 19 Nadia Khouri, Qui a peur de Mordecai Richler?, Éditions Balzac, Montréal, 1995, p. 29.Retour à la référence de la note de bas de page 19Note de bas de page 20 Bernard Frank, Le Monde, 21.8.85. Voir aussi Jean-Yves Nau, Le Monde, 5.7.89.Retour à la référence de la note de bas de page 20Note de bas de page 21 Marie-Éva de Villers, Multidictionnaire de la langue française, 3e éd., Québec Amérique, Montréal, 1997.Retour à la référence de la note de bas de page 21
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Mots de tête : « intéressé à » + infinitif

Un article sur l’expression intéressé à suivi d’un infinitif
Frèdelin Leroux fils (L’Actualité terminologique, volume 34, numéro 2, 2001, page 22) Femmes, vieillards, enfants que le malheur accable,Tous sont intéressés à le trouver coupable. (Voltaire) Voltaire aurait dit un jour à je ne sais trop qui que même s’il désapprouvait ses idées, il défendrait jusqu’à la mort son droit de les exprimer. Toutes proportions gardées, j’ai un peu l’impression que c’est mon cas aujourd’hui. Je n’aime pas particulièrement l’expression « intéressé à + infinitif », au sens que nous lui donnons chez nous, et pourtant, je me porte à sa défense. Pour plusieurs raisons. D’abord, parce que je crains que cette tournure, telle qu’employée par Voltaire, ne soit menacée de disparition. C’est du moins l’impression que nous donnent les dictionnaires courants. Car il faut se rabattre sur les « vieux » pour la trouver –le Furetière (1690), le Bescherelle (1887), le Larousse du XXe siècle (1928) –, ou sur quelques grands dictionnaires plus récents –le Dictionnaire encyclopédique  Quillet (1953), le Trésor de la langue française (1983). Ensuite, parce que la tournure a pris un sens nouveau –sous l’influence de l’anglais, dit-on –, qui semble bien être entré dans l’usage. Pas seulement au Québec, mais en France également. La preuve, un grammairien bien connu la condamne. À l’été 99, Jacques Drillon lançait un quiz sur la langue dans le Nouvel Observateur, où il posait cette « colle » au lecteur :La bonne attachée de presse doit demander :Seriez-vous intéressé à parler de ce livre? Seriez-vous intéressé pour [sic] parler de ce livre? Voudriez-vous parler de ce livre? Je ne vous indique pas la bonne réponse… Enfin, j’ajouterais bien une dernière raison, qui n’a sans doute pas le poids des autres, mais c’est pourtant le coup de pouce qu’il me fallait. Une collègue, d’origine française, qu’on pourrait difficilement soupçonner de laxisme, l’écrit sans hésitation dans le journal du service. (Je ne vous dirai pas son nom –question de protéger mes sources et de lui éviter de se faire harceler par plus puriste qu’elle.) Mais commençons par voir ce que ce tour a de fautif. Dans les Maux des motsNote de bas de page 1, Jean Darbelnet écrit que le verbe « intéressé à + infinitif » est « souvent employé d’une façon peu idiomatique qui reproduit la construction anglaise to be interested ». Pour éviter « cet emploi fautif du verbe intéresser », au lieu d’écrire « les personnes intéressées à assurer cet enseignement », il propose « désireuses de ou désirant (ou encore disposées à) ». Un dictionnaire de Faux amisNote de bas de page 2 propose un autre équivalent :Lorsque le verbe to interest est employé dans la structure to be interested in doing sth il correspond plutôt à vouloir, aimer, p. ex., we’re interested in increasing our exports to Africa : nous voudrions accroître nos exportations vers l’Afrique. Curieusement, les auteurs ne soufflent mot de l’usage « classique ». L’ignorent-ils? Le considèrent-ils comme vieilli? Darbelnet prend au moins la peine de signaler que l’usage existe. Et même l’Académie, qui vient (enfin) de faire paraître le tome 2 de son Dictionnaire, ne juge pas utile d’indiquer que le tour aurait vieilli. Elle se contente d’en donner le sens : « avoir intérêt à, y être obligé, engagé par le motif de son intérêt » et de s’approprier l’exemple du Bescherelle : « Vous êtes intéressé à empêcher cet abus d’autorité ». Mais n’en déplaise aux dictionnaires –le Grand Robert, le Grand Larousse de la langue française, les portables, tous l’ignorent souverainement –, c’est un usage qu’on ne saurait écarter du revers de la main. Depuis Mirabeau (1789) et Étienne de  Jouy (1815), en passant par Albert de Mun (1895) et Charles-Ferdinand Ramuz  (1927), jusqu’à Jean Giono (1958) et Rachid Mimouni (1992), on n’a jamais cessé de l’employer. Je me contenterai de deux exemples :Mais personne n’y croit, sauf ceux qui sont intéressés à y croireNote de bas de page 3.[…] hors les produits primaires qu’ils ne sont plus intéressés à produireNote de bas de page 4. Cet emploi n’est pas inconnu de ce côté-ci de l’Atlantique. Je l’ai relevé chez un grand journaliste du 19e siècle :Voilà donc les peuples directement intéressés à favoriser la prospérité […]Note de bas de page 5. Chez un père de la Confédération, Hector Langevin :Le gouvernement central ne sera pas intéressé à attaquer notre religion […]Note de bas de page 6. Et chez un sénateur du tournant du siècle :[…] les autres provinces sont trop intéressées à nous garder pour nous lâcherNote de bas de page 7. Mais revenons à des exemples hexagonaux, où le sens classique commence à s’atténuer :[…] un investisseur intéressé à participer à la réduction de l’insécurité urbaineNote de bas de page 8. Cet exemple est tiré d’un document bilingue rédigé en français. La traduction anglaise est identique : « interested in participating in the reduction of urban insecurity ». Autre exemple :Qui sera intéressé à faire respecter la loi si l’acte prohibé ne nuit à personneNote de bas de page 9? On sent encore l’idée d’« avoir intérêt à », mais dans l’exemple suivant, il s’agit clairement du sens condamné par Drillon :[le jeune éditeur] m’a appelé pour me dire qu’il était très intéressé à nous publierNote de bas de page 10. Parmi plusieurs exemples québécois, l’auteur du Dictionnaire québécois français en laisse échapper un qu’il a entendu à TF1 : « Elles ne sont plus intéressées à retrouver leur familleNote de bas de page 11 ». J’ai également relevé un cas avec « de », chez un universitaire :[…] un vieil homme, qui paraît intéressé de voir un étrangerNote de bas de page 12. Chez nous, on ne compte plus les journalistes qui emploient cette tournure : qu’ils soient du Droit (Adrien Cantin), du Soleil (Michel Vastel), de la Presse (Lysiane Gagnon), ou du Devoir (Chantal Hébert, Jean Dion). Le tour n’est pas inconnu des universitaires non plus (Louis Balthazar, Victor Teboul), ni des essayistes politiques (Pierre Godin, Christian Rioux). On le rencontre même chez deux professeurs de traduction. Dans un des modèles de lettre proposés dans Le français, langue des affaires, ils écrivent :Nous avons toutefois pensé que vous seriez intéressé à comparer le prix de revientNote de bas de page 13. Se seraient-ils laissé prendre au piège? Ou voulaient-ils insister sur le fait que le client éventuel « avait intérêt » à comparer les prix? On peut en douter. Au terme de ce bref tour d’horizon, je dois dire que cette tournure ne me revient toujours pas. Cela tient sans doute au fait que j’ai été conditionné, mais c’est aussi parce qu’il est tellement facile de l’éviter. Il n’en reste pas moins qu’il y a parfois dans cet « intéressé » quelque chose qu’on perdrait à le remplacer. Prenons cet exemple de Michel Vastel : « le pays est intéressé à discuter de réforme ». On peut très bien écrire que le pays « veut » ou « souhaite » discuter de réforme, qu’il en a le goût, qu’il est disposé à le faire, mais dit-on la même chose? Je vous laisse trancher. P.-S. Je découvre à la dernière minute que l’expression figure dans le Harrap’s français-anglais (1972) : « intéressé à faire qqch. –interested in doing sth. ». Malheureusement, sans contexte, il est difficile de savoir si c’est la formule classique, ou le sens condamné.RéférencesNote de bas de page 1 Jean Darbelnet, Les maux des mots, Québec, Presses de l’Université Laval, 1982, p. 77.Retour à la référence de la note de bas de page 1Note de bas de page 2 Jacques Van Roey, Sylviane Granger et Helen Swallow, Dictionnaire des faux amis français-anglais, 2e éd., Paris, Duculot, 1991.Retour à la référence de la note de bas de page 2Note de bas de page 3 Jean Giono, Angelo, coll. Folio, 1995, p. 122. Paru chez Gallimard en 1958.Retour à la référence de la note de bas de page 3Note de bas de page 4 Rachid Mimouni, De la barbarie en général et de l’intégrisme en particulier, Presses Pocket, 1993, p. 20.Retour à la référence de la note de bas de page 4Note de bas de page 5 Étienne Parent, conférence prononcée à l’Institut canadien de Montréal, le 23 septembre 1847.Retour à la référence de la note de bas de page 5Note de bas de page 6 Hector Langevin, Débats parlementaires sur la question de la Confédération, Québec, Hunter, Rose et Lemieux, 1865, p. 375.Retour à la référence de la note de bas de page 6Note de bas de page 7 L.-O. David, Au soir de la vie, Québec, Beauchemin, 1924, p. 185-186.Retour à la référence de la note de bas de page 7Note de bas de page 8 Catherine Vourc’h et Michel Marcus, Sécurité et démocratie, Saint-Amand (France), Forum européen pour la sécurité urbaine, 1994, p. 212.Retour à la référence de la note de bas de page 8Note de bas de page 9 Collectif d’information et de recherche cannabique, Lettre ouverte aux législateurs, Paris, N.S.P., 1997, p. 47.Retour à la référence de la note de bas de page 9Note de bas de page 10 Jean-Bernard Pouy, éditeur de la série noire Le Poulpe, cité par Serge Truffaut, Le Devoir, 7.2.98.Retour à la référence de la note de bas de page 10Note de bas de page 11 Lionel Meney, Dictionnaire québécois français, Montréal, Guérin, 1999.Retour à la référence de la note de bas de page 11Note de bas de page 12 Paul Garde, Journal de voyage en Bosnie-Herzégovine, Paris, La Nuée bleue, 1995, p. 111.Retour à la référence de la note de bas de page 12Note de bas de page 13 André Clas et Paul Horguelin, Le français, langue des affaires, Montréal, McGraw-Hill, 1969, p. 272.Retour à la référence de la note de bas de page 13
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Executive summary

Un article sur la traduction de l’expression executive summary
Raymond Pepermans (L’Actualité terminologique, volume 19, numéro 5, 1986, page 7) L’expression executive summary, devenue très courante dans le vocabulaire administratif anglo-saxon depuis un certain nombre d’années, semble poser de réels problèmes aux traducteurs chargés de la rendre en français. Elle désigne, dans son acception la plus générale, un résumé, généralement destiné aux cadres d’une entreprise ou d’une administration publique, ayant pour objet de présenter de façon brève et concise les grandes parties constituantes d’un rapport. Si personne ne conteste l’emploi des termes résumé ou sommaire pour traduire summary, il n’en va pas de même pour le qualificatif executive. Cette situation n’est pas surprenante dans la mesure où l’adjectif executive est polysémique et que nous ne disposons, jusqu’à preuve du contraire, d’aucune définition de l’executive summary en anglais. La porte est donc ouverte aux conjectures. Tout traducteur expérimenté n’a habituellement aucune difficulté à rendre l’adjectif executive dans les expressions dont il fait partie; les possibilités abondent et il suffira de consulter les sources pour se faire une idée de l’extrême malléabilité de ce concept. Ce qualificatif est cependant facilement identifiable, soit par le contexte dans lequel il est inséré, soit par la définition du terme dont il forme un des éléments. Or, executive summary semble échapper aux procédés habituels de l’identification sémantique; après plusieurs années, on se demande toujours ce que, dans cette expression, executive veut dire. Situation pour le moins inhabituelle pour un terme de ce genre. Comme il est pratiquement impossible de déterminer le sens exact de cette notion, nous n’avons d’autres ressources que de soumettre à la critique les solutions déjà proposées, ce qui nous permettra, en opérant par la négative, d’exclure certaines possibilités et, d’autre part, d’étudier l’usage français en la matière. Cette méthode, qui s’apparente à la lexicographie comparée, nous aidera à établir, à défaut d’une équivalence parfaite, une correspondance notionnelle acceptable et satisfaisante en français. Demandons-nous d’abord à quelle catégorie d’objets appartient notre executive summary et ensuite, une fois ce rattachement effectué, à quelle classe, parmi ces objets, il est susceptible d’être intégré. Cette notion renvoie à un document de la classe des documents administratifs. En français, un document est généralement caractérisé par sa forme (document imprimé, non imprimé, manuscrit), par sa destination (document d’embarquement), par son origine (document ministériel, d’archives), par son contenu (document administratif, scientifique) et non par son destinataire. Une qualification de ce genre existe bien pour d’autres écrits (livre scolaire, ouvrage de vulgarisation), mais elle n’est pas courante pour les différents genres de documents. Le destinataire peut, bien entendu, être spécifié lorsque les circonstances le requièrent, par exemple, dans la phrase suivante : « Un rapport à l’usage des cadres a été envoyé par la Direction générale. » Cependant, dans le cas présent, « rapport à l’usage des cadres » ne constitue en aucun cas une unité terminologique ou lexicale, mais un regroupement fortuit de termes dans une phrase. Les constatations que nous venons de faire s’appliquent d’autant plus à un résumé, texte qui n’est pratiquement caractérisé que par son contenu (résumé des nouvelles, du cours). Hélène Du Bois Des LauriersNote de bas de page 1 dresse la liste des équivalents proposés pour le terme executive summary :résumé pour la direction ou à l’intention de la direction, termes proposés par les Services linguistiques du Canadien National. Cette proposition n’est pas acceptable parce que, comme nous venons de le voir, en caractérisant un résumé par son destinataire, elle s’inscrit en faux contre l’usage. De plus, elle traduit une forme hautement lexicalisée –executive summary –par une expression qui ne l’est pas, ce qui n’est pas recommandable du point de vue de la traduction. S’agissant du résumé, on ne spécifie jamais que le résumé d’un polycopié de cours est « à l’intention du lecteur  », pas plus qu’un escalier est fait « pour monter » ou « pour descendre » : cela va de soi. résumé ou sommaire administratif, aussi proposés par les Services linguistiques du Canadien National. À ce propos, nous sommes d’accord avec Hélène Du Bois Des Lauriers pour rejeter ce qualificatif, malgré qu’il fasse allusion au contenu ou à la provenance du texte en question. Pris littéralement, ce syntagme évoque un résumé relatif au service public ou à l’ensemble des fonctionnaires qui en sont chargés, ou bien un résumé relatif à l’action administrative. En fait, il s’agit du résumé d’un document administratif, un résumé étant toujours un abrégé de quelque chose. résumé analytique : ce terme est inacceptable en raison de la redondance qu’il exprime. Il va de soi qu’un résumé est toujours analytique. sommaire ou résumé-recommandation : cette proposition d’Hélène Du Bois Des Lauriers est intéressante parce qu’elle est plus conforme à l’usage qui tend à désigner un type de document par son contenu. Cependant, elle ne peut être retenue car ces résumés ne comportent pas toujours des recommandations. Très souvent, celles-ci sont formulées à part, dans une autre section du rapport, au début ou à la fin de ce dernier.À la suite de cette étude, nous pouvons constater que tout se passe comme si chaque tentative de rendre l’adjectif executive était vouée à l’échec. C’est particulièrement le cas des tentatives impliquant les solutions consacrées pour ce terme : « administratif », « des cadres », etc. Plutôt que de poursuivre l’étude des équivalents possibles de notre terme, demandons-nous à présent comment cette réalité est exprimée en français dans des documents originaux portant sur le rapport administratif. Dans leur ouvrage consacré à la rédaction technique, Gérard Laganière et ses collaborateurs désignent sous le vocable de sommaire la notion qui nous concerne :Tous les rapports ne sont pas nécessairement précédés d’un sommaire, mais il est souvent exigé par le destinataire. Le sommaire a pour objet de présenter de façon brève et concise les grandes parties constituantes du rapport et les idées principales de l’introduction, de chacun des chapitres et de la conclusion. Il doit également faire ressortir l’intérêt et, le cas échéant, la nouveauté de la recherche.Se présentant comme un condensé du rapport, il peut servir de communiqué ou de résumé succinct permettant à un lecteur de se renseigner sur l’essentiel du contenuNote de bas de page 2. Le Bureau international du travail, dans son guide à l’intention des conseils en management, opte pour le terme résumé :Beaucoup de cadres très occupés liront le résumé et cela leur donnera une vue générale de la structure du rapport, même s’ils ne lisent pas tous les chapitresNote de bas de page 3. Cette dernière solution est aussi retenue à la Chambre de commerce et d’industrie de Paris où, à côté de la mention résumé, on précise le titre et le numéro du rapport. Le terme abrégé, quant à lui, est préféré par un organisme canadien comme l’Institut de recherches politiquesNote de bas de page 4. On trouve aussi, dans un ouvrage bilingue publié par cet organisme, l’expression résumé de l’étude, traduction correcte dans certains contextes comme nous l’avons fait valoir ci-dessus. En conclusion, nous croyons pouvoir affirmer que la solution à ce problème complexe s’impose d’elle-même : on traduira executive summary par résumé, sommaire ou abrégé selon les cas et, à la rigueur, par résumé de l’étude, sommaire du rapport, etc., lorsque le terme apparaît dans le corps du texte. Par conséquent, il faut admettre que dans cette expression, le qualificatif executive ne se traduit pas. Ce n’est d’ailleurs pas un cas unique dans les annales de la traduction. Nous ne pouvons nous empêcher, pour étayer notre argumentation, de signaler qu’en anglais, on trouve aussi la forme écourtée summary pour exprimer cette notion :Summary. The next part of the business report is the summary. The summary is a brief presentation of the findings, and is placed early in the report so that a busy executive will not need to read the entire report in order to get the gist of it. The summary may be only a paragraph in length or it may be several pages, depending upon the amount of material that has been gatheredNote de bas de page 5.BibliographieNote de bas de page 1 Du Bois Des Lauriers, Hélène, Le problème que pose la traduction d’executive summary, in : C’est-À-Dire, vol. XV, nº 1, 1984, p. 5.Retour à la référence de la note de bas de page 1Note de bas de page 2 Cajolet-Laganière, Hélène, Collinge, Pierre, Laganière, Gérard, Rédaction technique, Sherbrooke, Québec, Éd. Laganière, 1981, p. 66.Retour à la référence de la note de bas de page 2Note de bas de page 3 Kubr, Milan (dir.), Le Conseil en management; guide pour la profession, Genève, Bureau international du Travail, 1981, p. 374.Retour à la référence de la note de bas de page 3Note de bas de page 4 Smart, C.F., Stanbury, W.T. (Eds.), Studies on Crisis Management, Toronto, Institute for Research on Public Policy/Institut de Recherches Politiques, Butterworth and Co., 1978, p. v et 19.Retour à la référence de la note de bas de page 4Note de bas de page 5 Reed, Jeanne, Business Writing, NY, Gregg Division Mc Graw-Hill Book Company, p. 172 (Gregg Adult Education Series).Retour à la référence de la note de bas de page 5
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Mots de tête : « tous et chacun »

Un article sur l’expression tous et chacun
Frèdelin Leroux fils (L’Actualité terminologique, volume 17, numéro 4, 1984, page 11) Mourir épuisé par la lutte, c’est graver son nom sur l’espoir de tous et chacunNote de bas de page 1. Si je vous disais que cette phrase est d’un grand écrivain, y trouveriez-vous à redire? Mais si je vous glissais dans le creux de l’oreille qu’elle est d’un romancier québécois, à peu près inconnu, je me demande si vous ne commenceriez pas à la regarder de travers. Et, avec un peu de bonne (!) volonté, vous en viendriez peut-être même à lui trouver des airs de famille avec une certaine expression anglaise… Lors de mon passage aux Débats, Mlle de Buisseret m’avait mis en garde contre « tous et chacun », qualifiant ce tour de solécisme. Mais dans son Guide du traducteur, elle le classe parmi les « calques ou fausses Françaises ». Et pourtant, d’après ses explications, il s’agirait plutôt d’un archaïsme : « tous et chacun de nos concitoyens doivent faire leur part (cette tournure, qui existait en France aux siècles précédents, est aujourd’hui désuète)Note de bas de page 2 ». Pour Geneviève Gilliot, qui trouve que « l’un des deux suffitNote de bas de page 3 », c’est un pléonasme. Mais pour nos virtuoses de la tribune, c’est une expression quasi irremplaçable. Existe-t-il un homme politique québécois capable de faire un discours sans la glisser quelque part? de préférence dans sa préroraison? Que ce soit un pléonasme, je veux bien. Mais utile. À employer à bon escient. À ne pas mettre à toutes les sauces. D’accord. Mais à ne pas écarter systématiquement non plus. Solécisme? J’en doute. Calque de l’anglais? C’est peu probable. Archaïsme? On la rencontre chez des écrivains contemporains, et pas des moindres. À commencer par Romain Rolland, prix Nobel :Je ne sais quelle pression extérieure semblait pousser chacun et tous à parlerNote de bas de page 4… Cette citation est de Tagore, vraisemblablement traduite par Rolland. Celle-ci est de Rolland lui-même :Mais le guru Gandhi n’a lancé que cet unique appel, à chacun et à tousNote de bas de page 5… Les deux suivantes sont d’André Gide :(…) ce qui m’amène à me méfier de tous et de chacunNote de bas de page 6.Et quand on a bu à la santé de tous et de chacunNote de bas de page 7… (On aura remarqué la répétition de la préposition.) L’auteur bien connu de Parlez-vous franglais? l’emploie à deux reprises dans une étude sur Confucius. Étiemble cite d’abord la Grande Étude de Tseng Tse (dans sa propre traduction?) :Depuis le Fils du Ciel et jusqu’aux petits sires, tous et chacun doivent avoirNote de bas de page 8… Un peu plus loin, il écrit, en paraphrasant Confucius :(…) que le tien et le mien soient oubliés de tous et de chacunNote de bas de page 9… Plus près de nous, un grand journaliste, François de Closets :La santé pour tous et pour chacunNote de bas de page 10. Un homme politique, feu Pierre Mendès France :(…) choix conforme aux intérêts de tous et de chacunNote de bas de page 11. Un auteur de romans policiers, A.D.G., apporte une variante un peu particulière :Si vous me racontez des blagues, ça risque d’être votre fête à tous et chacun son tourNote de bas de page 12! Le regretté Romain Gary (alias Émile Ajar) l’écrit trois fois dans le même ouvrage :(…) s’était mis à expliquer à tous et chacunNote de bas de page 13…Les deux autres sont de la même facture. La plus ancienne de ces citations, celle de Romain Rolland, date de 1924. La plus récente, de 1974. Et je viens de relever deux nouveaux exemples dans le MondeNote de bas de page 14 des 4 et 5 février 1983. C’est dire que notre tournure est encore bien vivante. Et qu’elle l’est restée depuis bientôt deux siècles. En effet, d’après Ferdinand Brunot, c’est au temps de la Révolution qu’elle aurait fait son apparition :On sait comment chaque et chacun arrivent à avoir un sens voisin de tous. Tous d’une part, chacun pour son compte, d’où l’expression tous et chacun. On la trouve dans les cahiers [de doléances du bailliage de Reims] en fonction d’adjectif numéral : « la prospérité du royaume et celle de « tous et chacun » les sujets de votre Majesté »Note de bas de page 15. La citation remonte à 1789. Enfin, il y a au moins un dictionnaire qui enregistre cette locution, le Harrap. Dans la partie français-anglais, on la trouve à chacun : « pour chacun et pour tous – for each and everyone ». Et dans la partie anglais-français, à sundry : « for all and sundry – pour chacun et pour tous ». En aussi bonne compagnie, y a-t-il lieu de se faire scrupule de l’employer? Ce serait se priver d’un effet non négligeable. Faites-en l’essai, plutôt. Retirez-vous dans votre gueuloir (comme faisait Flaubert), lisez ces phrases à haute voix, ensuite supprimez l’un ou l’autre élément, et prononcez de nouveau à haute voix. Vous ne trouvez pas qu’il manque quelque chose? C.Q.F.D.RéférencesNote de bas de page 1 Gilles Raymond, Pour sortir de nos cages, Édition : Les Gens d’En Bas, Montréal, 1979, p. 8.Retour à la référence de la note de bas de page 1Note de bas de page 2 Irène de Buisseret, Guide du traducteur, A.T.I.O., Ottawa, 1972, p. 35.Retour à la référence de la note de bas de page 2Note de bas de page 3 Geneviève Gilliot, Ce que parler veut dire, Leméac, Montréal, 1974, p. 40.Retour à la référence de la note de bas de page 3Note de bas de page 4 Romain Rolland, Mahatma Gandhi, Stock, 1924, p. 124. (Le texte de Tagore date de 1921.)Retour à la référence de la note de bas de page 4Note de bas de page 5 Ibid., p. 126.Retour à la référence de la note de bas de page 5Note de bas de page 6 André Gide, Voyage au Congo, Gallimard, coll. « Idées », 1981, p. 29. (Paru en 1927.)Retour à la référence de la note de bas de page 6Note de bas de page 7 ~, Retour de l’U.R.S.S., Gallimard, coll. « Idées », 1978, p. 56. (Paru en 1936.)Retour à la référence de la note de bas de page 7Note de bas de page 8 René Étiemble, Confucius, Gallimard, coll. « Idées », 1966, p. 156. (Paru en 1956.)Retour à la référence de la note de bas de page 8Note de bas de page 9 Ibid., p. 146.Retour à la référence de la note de bas de page 9Note de bas de page 10 François de Closets, En danger de progrès, Gallimard, coll. « Idées », 1972, p. 289.Retour à la référence de la note de bas de page 10Note de bas de page 11 Pierre Mendès France et Gabriel Ardant, Science économique et lucidité politique, Gallimard, coll. « Idées », 1973, p. 198.Retour à la référence de la note de bas de page 11Note de bas de page 12 A.D.G., Berry Story, Gallimard, « Série noire », 1973, p. 73.Retour à la référence de la note de bas de page 12Note de bas de page 13 Romain Gary (Émile Ajar), Gros-Câlin, Mercure de France (1974), coll. « Folio », 1977, p. 55. (Voir aussi p. 105 et 131.)Retour à la référence de la note de bas de page 13Note de bas de page 14 Jean Viguié, Le Monde, 4 et 5 février 1983.Retour à la référence de la note de bas de page 14Note de bas de page 15 Ferdinand Brunot, Histoire de la langue française, tome X, 1re partie, Librairie Armand Colin, 1968, p. 493-494.Retour à la référence de la note de bas de page 15
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Mots de tête : « prendre avec un grain de sel »

Un article sur l’expression prendre avec un grain de sel
Frèdelin Leroux fils (L’Actualité terminologique, volume 31, numéro 1, 1998, page 23) M. Lévesque, qui prenait les menaces avec un grain de sel… (Lise Bissonnette, Le Devoir, 14.1.83) Dans une vieille fiche qui date de 1969, le Comité de linguistique de Radio-Canada nous explique la différence entre « prendre avec un grain de sel » et « with a grain of salt ». Dans le premier cas, nous dit-il, l’expression signifie « avec humour », « sans prendre au sérieux ou à la lettre », alors que la locution anglaise signifie « avec réserve », sans nuance d’humour. Ce qui m’étonne le plus dans cette fiche, ce n’est pas la distinction un peu trop fine à mon goût que le Comité tente d’établir, c’est qu’il soit parvenu à dénicher « prendre avec un grain de sel » dans les dictionnaires. J’ai eu beau chercher, on ne trouve que « cum grano salis ». Dans le Larousse du XXe siècleNote de bas de page 1, par exemple : « cum grano salis (Avec un grain de sel), loc. lat. dans laquelle le mot sel a le sens figuré de enjouement, de badinage, et que l’on emploie pour faire entendre que ce qu’on dit ne doit pas être pris au sérieux ». Avec une citation de Renan où l’on voit bien l’idée d’humour. Dans le Dictionnaire QuilletNote de bas de page 2, qui donne sensiblement la même explication : « parler plaisamment, à la légère ». Et dans les Mots latins du françaisNote de bas de page 3 : « Locution […] qu’on emploie pour indiquer que ce qu’on dit veut faire sourire et ne doit pas être pris à la lettre. » Tout le monde s’entend à merveille sur le sens de l’expression latine, mais toujours aucun signe de son équivalent français. Dans ses LinguicidesNote de bas de page 4, Grandjouan emploie lui aussi la forme latine, mais il lui donne une extension de sens : « Il veut dire qu’elle prend ses promesses cum grano salis, qu’elle n’y croit guère, qu’elle demande à voir, enfin qu’elle est sceptique. » Sans nuance d’humour. Il est éclairant de comparer avec la définition du tour anglais :with a grain (or pinch) of salt [Latinized as cum grano salis] with allowance or reserve; skeptically (Webster’s New World Dictionary, Third Edition, 1994) Comme il s’est écoulé à peine deux ans entre la fiche de Radio-Canada (1969) et Les Linguicides (1971), on peut difficilement prétendre que le sens ait évolué. Alors comment expliquer l’emploi qu’en fait Grandjouan, lui qui est très peu porté sur l’anglicisme? Il se pourrait que la tournure latine ait toujours eu les deux sens, mais que les dictionnaires aient préféré n’en retenir qu’un seul. Au Canada, l’expression latine est rarissime. Nous employons volontiers la tournure française, le plus souvent avec le sens « anglais ». Mais dans l’exemple de Lise Bissonnette cité en exergue, si on peut présumer que M. Lévesque ne prenait pas les menaces au sérieux, je n’y vois pour ma part aucune nuance d’humour. La plupart des exemples que j’ai relevés oscillent entre les deux. Y compris les dictionnaires. Bruno Lafleur ne retient que le sens que Grandjouan donne au tour latin :Prendre (qqch.) avec un grain de sel. – Ne pas prendre trop au sérieux; rester sceptique; se méfierNote de bas de page 5. Mais le Dictionnaire pratique des expressions québécoisesNote de bas de page 6, quant à lui, ménage la chèvre et le chou :prendre qqch. avec un grain de sel : douter de la vérité de qqch., prendre qqch. avec humour Tous les autres dictionnaires québécois sont muets. Et les français aussi. Heureusement, leurs confrères bilingues ne le sont pas tout à fait. Le dictionnaire Harrap’sNote de bas de page 7, par exemple, dans son édition de 1948, ne donne pas moins de six traductions de to take a story with a grain/pinch of salt, dont prendre l’histoire avec un grain de sel. Mais cet équivalent a disparu des deux éditions abrégées parues récemment (faute d’espace, sans doute). Presque quinze ans auparavant (1934), le dictionnaire PetitNote de bas de page 8 traduit to take with a grain of salt uniquement par l’équivalent français. Ce qui est confirmé douze ans plus tard (1946) par le volume français-anglaisNote de bas de page 9 : « prendre avec un grain de sel ». Il n’est question d’humour nulle part. Par ailleurs, il faut bien dire que les Français n’abusent pas de cette tournure. Elle est très nettement moins répandue que chez nous. Néanmoins, elle se rencontre. Si, dans l’exemple suivant, on hésite entre les deux sens :[…] j’allais souvent prendre avec un grain de sel les tuyaux de nos ambassadesNote de bas de page 10. On est à peine plus fixé avec celui du chroniqueur économique du MondeNote de bas de page 11 :On a donc quelques bonnes raisons d’accueillir le thème de l’amérisclérose avec une grosse pincée de sel. Mais avec l’exemple de ClaudelNote de bas de page 12, je crois que le doute n’est plus permis : il s’agit de ne pas prendre au pied de la lettre :Il faut beaucoup de grains de sel pour avaler des affirmations de ce genre! Ce passage est tiré des « Conversations dans le Loir-et-Cher », qui datent de 1925! On le voit, notre tournure a beau être assez rare en France, elle a le nombril sec depuis pas mal de temps : Guillain en 1937, Claudel en 1925, et le grand chirurgien Ambroise Paré dans la seconde moitié du… 16e siècle! Vous ne me croyez pas? Lisez plutôt :Au reste il faut prendre ces deux aphorismes d’Hippocrate auec vn grain de sel, c’est à dire auec ceste distinction, que ce qu’il dit est vray, pourueu, comme nous auons dit cy-deuant, qu’il ne se face aucune faute, ny de la part du malade, ny de la part de ceux qui le traitent et le sollicitent. Si cela ne signifie pas « prendre avec réserve, sans nuance d’humour » (sens anglais, d’après le Comité), pour ma pénitence, je me tape toute l’œuvre de Paré. Enfin, comme l’anglais nous a beaucoup emprunté, je me demande s’il ne s’agirait pas d’un vieux sens français que – sans l’anglais – nous aurions fini par oublier… Vous êtes libre de ne pas être d’accord. De prendre cette supposition avec autant de grains de sel que vous voudrez. Et même de mettre le vôtre, de grain.RéférencesNote de bas de page 1 Larousse du XXe siècle, tome 2, Paris, Larousse, 1929.Retour à la référence de la note de bas de page 1Note de bas de page 2 Dictionnaire encyclopédique Quillet, tome 3, Paris, Librairie Aristide Quillet, 1969, p. 397.Retour à la référence de la note de bas de page 2Note de bas de page 3 Étienne Wolff, Les Mots latins du français, Paris, Éditions Belin, 1993.Retour à la référence de la note de bas de page 3Note de bas de page 4 J.O. Grandjouan, Les Linguicides, Paris, Didier, 1971, p. 67.Retour à la référence de la note de bas de page 4Note de bas de page 5 Bruno Lafleur, Dictionnaire de locutions idiomatiques françaises, Montréal, Éditions du Renouveau pédagogique, 1979.Retour à la référence de la note de bas de page 5Note de bas de page 6 A. Dugas et B. Soucy, Dictionnaire pratique des expressions québécoises, Montréal, Éditions Logiques, 1991.Retour à la référence de la note de bas de page 6Note de bas de page 7 Harrap’s Standard French and English Dictionary, Part Two, English-French, Harrap, London, 1973. (La dernière mise à jour date de 1948.)Retour à la référence de la note de bas de page 7Note de bas de page 8 Charles Petit, Dictionnaire anglais-français, Paris, Hachette, 1934.Retour à la référence de la note de bas de page 8Note de bas de page 9 Id., Dictionnaire français-anglais, Paris, Hachette, 1946.Retour à la référence de la note de bas de page 9Note de bas de page 10 Robert Guillain, Orient Extrême, Paris, Seuil, coll. Points Actuels, 1989, p. 15. Article paru dans Le Monde en 1937.Retour à la référence de la note de bas de page 10Note de bas de page 11 Paul Fabra, Le Monde, 18.11.86.Retour à la référence de la note de bas de page 11Note de bas de page 12 Paul Claudel, œuvres en prose, Paris, Gallimard, coll. La Pléiade, 1965, p. 692.Retour à la référence de la note de bas de page 12
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Mon rapport au dictionnaire (partie 2)

Un article sur le rapport des traducteurs aux dictionnaires. Deuxième de deux parties
Maurice Rouleau (L’Actualité langagière, volume 4, numéro 3, 2007, page 18) La première partie de cet article a été publiée dans le volume 4, numéro 2.C) L’information pourrait Être incomplÈte Si vous cherchez, dans le Robert-Collins (1995)Note de bas de page 1, l’équivalent français de sperm, vous y trouverez « sperme ». Rien de plus. Le Gladstone en fait d’ailleurs autantNote de bas de page 2. Pourtant l’acception du terme anglais est double : a- the male fecondating fluid : semen; b- the male gamete. Le Robert-Collins ne nous fournit qu’une partie de la réponse. Il y manque « spermatozoïde ». D’ailleurs sperm motility, c’est la « motilité des spermatozoïdes » et non la « motilité du sperme ».D) L’information pourrait diffÉrer d’une source À l’autre Le fait de trouver une information dans un dictionnaire ne signifie pas que vous trouverez la même dans un autre. Ces différences peuvent porter sur divers éléments de l’entrée, le plus apparent étant la graphie même du mot-vedette. En 1980, le Conseil international de la langue française (CILF), sous la direction de Joseph Hanse, a décidé de s’attaquer, aidé en cela par des lexicographes français travaillant pour les grands dictionnaires et encyclopédies, à la suppression des divergences orthographiques. Le Conseil a publiéNote de bas de page 3 le résultat de ses travaux, en 1988. « Ainsi disparaîtraient, écrivait-on, les fâcheuses contradictions qui troublent l’usager. » Ce vœu s’est peut-être réalisé en grande partie, mais il y a encore place à l’amélioration. Par exemple, d’après le Conseil, « cancérigène » est préférable à « cancérogène », mais les deux graphies sont acceptées. Le Petit Robert, qui en 1967 ne consignait que « cancérigène », lui adjoignait, en 1977, une remarque : « cancérogène semble être plus fréquent que cancérigène ». Formulation qui tire sur l’impressionnisme linguistique. En 1993, il prend position : Recommandation officielle : cancérogène! Le Larousse, lui, considère toujours les deux graphies sur un pied d’égalité. L’harmonisation en prend donc pour son rhume. Pour sa part, le MultiNote de bas de page 4 nous dit que « cancérigène » est la graphie la plus usitée. Quiconque est familier avec les textes médicaux écrits au Québec ne peut qu’être d’accord avec cette affirmation, quoi qu’en dise le Nouveau Petit Robert. Les différences ne concernent pas que la graphie. La marque d’usage peut être concernée. L’emploi de impact, au sens de « effet, influence » est encore, en 2007, dit d’emploi critiqué par le Nouveau Petit RobertNote de bas de page 5, mais pas par le Larousse 2000Note de bas de page 6. « Rétorquer », que j’ai utilisé plus haut, est « critiqué par les puristes », selon le Petit Robert, mais pas selon le Larousse. « Jazzman », mot apparu vers 1930, n’est plus considéré comme un anglicisme par le Larousse, mais il l’est encore par le Nouveau Petit Robert. On peut aussi trouver des différences dans la définition du mot-vedette, ce qui est encore plus troublant pour l’usager. Selon le Nouveau Petit Robert, « vin d’honneur » désigne le vin lui-même offert en l’honneur de quelqu’un. Le Larousse voit la chose différemment; c’est la petite cérémonie au cours de laquelle on boit du vin en l’honneur de quelqu’un ou pour fêter quelque chose. Autre exemple, « plateau-repas » désigne, selon le Nouveau Petit Robert, le « repas complet servi sur un plateau (avion, train, hôpital, etc.) »; selon le Larousse, ce serait soit le « plateau compartimenté où l’on peut mettre tous les éléments d’un repas servi dans un self-service, en avion, etc. », soit le « repas servi sur ce plateau ». Cette disparité n’est pas l’apanage des dictionnaires de langue générale. Les dictionnaires médicaux, par exemple, n’y échappent pas. À preuve, « adénopathie » désigne, selon le Petit ManuilaNote de bas de page 7 et le FlammarionNote de bas de page 8, « toute affection des ganglions lymphatiques, le plus souvent d’origine inflammatoire ». Selon le Garnier-DelamareNote de bas de page 9 et le QuevauvilliersNote de bas de page 10, ce terme désignerait « toute inflammation chronique des ganglions lymphatiques ». De toute évidence, les spécialistes ne s’entendent pas. Certains restreignent l’acception du terme aux inflammations. Mais qui a raison? Ce n’est pas au traducteur de trancher. Ce problème de disparité se rencontre également entre les banques de terminologie. TERMIUM®Note de bas de page 11 ne donne pas les mêmes équivalents que le Grand Dictionnaire terminologique (GDT)Note de bas de page 12 à sodium azide. Ce terme désigne un sel inorganique (NaN3) parfois utilisé comme antiseptique. Il se rencontre donc aussi bien en chimie qu’en biologie. TERMIUM® nous fournit deux équivalents : « azoture de sodium » et « azide de sodium ». Ce dernier est toutefois déconseillé en chimie; mais considéré correct en biologie! Il est plutôt étonnant qu’un terme soit tantôt correct, tantôt à éviter. Le GDT nous fournit lui aussi deux équivalents : « azoture de sodium » et « acide de sodium ». Ce dernier terme étonne. Aurait-on, par inadvertance, tapé « acide » au lieu de « azide »? Si oui, les deux termes seraient identiques à ceux proposés par TERMIUM®, mais ne porteraient aucune marque d’usage. Ils seraient donc tous deux corrects! En fait, selon le professeur H. Favre, spécialiste de la nomenclature chimique auprès de l’IUPAC (International Union of Pure and Applied Chemistry), un seul terme devrait être utiliséNote de bas de page 13. C’est « azoture de sodium ». Au Québec, la « mèche de cheveux qui pousse en sens contraire de celui des autres » est connue sous le nom de « rosette ». Ce terme n’a ce sens dans aucun dictionnaire français, pas même dans le Dictionnaire des canadianismes de DulongNote de bas de page 14, bien que TERMIUM® dise l’y avoir trouvé! En France, on appelle cette réalité un « épi », terme inconnu chez nous. Celui qui veut savoir l’équivalent anglais de « épi » pourrait consulter soit le GDT, soit TERMIUM®. S’il avait la curiosité de les consulter tous deux, il serait surpris du résultat. TERMIUM® nous propose cowlick; le GDT, ear! Si les deux termes sont bons, pourquoi TERMIUM® n’en mentionne-t-il qu’un? Mais s’il n’y en avait qu’un de bon, quelle source faudrait-il croire? Ça ne devrait pas être à l’utilisateur d’avoir à décider. Autre exemple, le terme corncob. TERMIUM® propose comme principal équivalent « épi de maïs ». Est-ce que corncob serait synonyme de corn on the cob? Le GDT, pour sa part, ne propose que « trognon de maïs », ce qui correspond parfaitement à la définition de corncob fournie par le Merriam-WebsterNote de bas de page 15. En mars 2006, le Dr Chicoine a soulevé un débat en reprochant presque aux mères d’envoyer leurs très jeunes enfants à la garderie. Dans une lettre à La Presse, une lectrice écrivait : « Mais avant que le Dr Chicoine ne grimpe dans les rideaux, précisons que Mme PaltrowNote de bas de page 16 reste à la maison pour changer les couches. » Pour qui voudrait savoir ce que peut bien signifier « grimper dans les rideaux », rien de mieux que de consulter son dictionnaire. Mais encore là, tout dépend de celui que vous avez sous la main. Abstraction faite de la distinction que fait maintenant le Nouveau Petit Robert entre « grimper aux rideaux » et « grimper dans les rideaux » – ce dernier étant considéré comme un régionalisme –, il n’en demeure pas moins que, selon le Larousse, la locution « grimper au(x) rideau(x) » signifie « manifester un sentiment violent, notamment la colère »; dans le Nouveau Petit Robert (2001), « manifester une exaltation, un plaisir extrêmes; jouir sexuellement ». Lequel croire? Je douterais fort que la lectrice ait voulu parler des ébats amoureux du Dr Chicoine et encore moins de leur point culminant…B-2 Il ne trouve pas ce qu’il cherche Nous avons tous, un jour ou l’autre, cherché en vain un mot dans notre dictionnaire. Par exemple, chercher dans son Nouveau Petit Robert « zoothérapie », « familiarisation », « banthique », « leucopénique », « démotion » ou encore « se gourmer » est une opération vouée à l’échec. Faut-il pour autant se priver d’utiliser ces mots de crainte d’être accusé de recourir à des barbarismes? Pour bien des gens, si ce n’est pas dans le dictionnaire, ce n’est pas bonNote de bas de page 17… Tel n’est pas nécessairement le cas. De deux choses l’une, ou bien le mot existe réellement, ou bien il n’existe vraiment pas.B-2-1 Le mot existe, mais… Il est vrai que le terme « banthique », couramment utilisé en biologie marine, n’est consigné dans aucun dictionnaire. Pourtant il existe, mais pas sous cette graphie. Il aurait fallu chercher « benthique ». Charles Tisseyre n’aurait trouvé « démotion » dans aucun dictionnaire français. Pourtant il existe, mais pas en français. C’est un terme anglais qu’il a cru français. Abstraction faite de ces deux cas, probablement les plus fréquents, il peut arriver qu’un mot existe même s’il ne figure pas au dictionnaire. Plusieurs raisons peuvent être avancées pour expliquer un tel état de fait.A) Un dictionnaire n’est jamais complet « Se gourmer », qu’utilisait ma mère, n’est pas consigné dans les dictionnaires courants, mais il existe. On le trouve dans le BélisleNote de bas de page 18 au sens de : être prétentieux. Ce verbe a, de toute évidence, mal vieilli; il ne reste plus dans les dictionnaires actuels que l’adjectif « gourmé ». Une langue, quelle qu’elle soit, est beaucoup trop vaste pour qu’un seul et même dictionnaire en contienne tous les mots. Pour s’en convaincre, il suffit de comparer les nombres d’entrées de quelques ouvrages. Par exemple, le Nouveau Petit Robert (2001) contiendrait 60 000 entrées; le Lexis en contenait déjà 76 000, en 1979. Personne ne s’imaginera que, durant ce court laps de temps, 16 000 mots sont disparus de la langue. Les rédacteurs de dictionnaires font un choix. Ils retiennent les mots qui, selon eux, correspondent le mieux aux besoins du public visé. C’est ainsi que le Robert Brio contiendrait 33 000 mots; le Robert Collège 40 000; le Nouveau Petit Robert 2007, 60 000. D’ailleurs ce nombre de 60 000 semble être une valeur limite; il n’a pas changé depuis près de 15 ans. Si de nouveaux mots sont entrés dans la langue, d’autres ont obligatoirement été éliminés, sans que l’on sache lesquels. Le même problème se pose avec les dictionnaires bilingues. Le traducteur qui ne comprend pas un mot dans une phrase anglaise a trop souvent tendance à consulter d’abord son dictionnaire bilingue. Il y cherche le sens que ce mot peut avoir dans le contexte. Penser y trouver ce qu’il cherche, c’est croire que son dictionnaire bilingue a réponse à tout. Un dictionnaire bilingue n’est pas plus complet qu’un dictionnaire unilingue; il l’est peut-être même moins. Vouloir traduire correctement behind the bash en se servant du Robert-Collins (1995) est impossible, car l’acception de bash, celle qui précisément conviendrait ici, n’y est pas consignée. Elle l’est, par contre, dans son édition électronique plus récente. L’équivalent fourni, « surboum », a toutefois de quoi étonner. En effet, selon le Nouveau Petit Robert ou le Larousse, « surboum » est un mot « familier et vieilli »! Le terme anglais n’a aucune de ces connotations; il désigne tout simplement a festive social gathering : PARTY. Utiliser « surboum » serait donc inapproprié, même si c’est le Robert-Collins qui le propose. Autrement dit, ce n’est pas parce que c’est dans le dictionnaire que c’est obligatoirement bon.B) Un seul dictionnaire ne suffit pas Refuser d’utiliser « leucopénique », « familiarisation » ou « zoothérapie » sous prétexte qu’ils ne figurent pas dans son Nouveau Petit Robert, c’est nier à ces mots le droit à l’existence. Et pourtant ils existent. Ils pourraient figurer dans un autre dictionnaire courant. Par exemple, « leucopénique » se trouve dans le Grand RobertNote de bas de page 19, depuis au moins 1991; « familiarisation » figure dans le Larousse mais pas dans le Nouveau Petit Robert, tout comme « zoothérapie » d’ailleurs. Dans ce dernier cas, toutefois, une surprise attend le lecteur. En effet, le Larousse lui attribue la marque d’usage « rare », ce qui s’explique quand on lit la définition donnée : « médecine vétérinaire »! Il aurait été plus pertinent de recourir à la marque d’usage « Vx », car ce mot signifiait, en 1893Note de bas de page 20, « l’art de soigner les animaux malades ». De nos jours, ce terme a une signification toute autre qui ne figure pas dans les dictionnaires usuels, même s’il est couramment utilisé, aussi bien au Québec qu’en France. Il désigne toute thérapie ayant recours à des animaux de compagnie. Cette acception, on la trouve dans le dictionnaire que contient le logiciel Antidote. S’il était nécessaire de démontrer que les dictionnaires sont lents à inclure un terme dans leur nomenclature, cet exemple devrait suffire. Il est donc nécessaire de consulter plus d’un dictionnaire.B-2-2 Le mot n’existe vraiment pas Est-il possible qu’un mot lu, donc écrit par quelqu’un, n’existe vraiment pas dans la langue? Vouloir en faire la démonstration est une mission impossible, car cela signifierait que le traducteur a examiné toutes les sources existantes. Malgré tout, il n’en demeure pas moins qu’un mot rencontré peut fort bien ne pas exister. Et cela pour diverses raisons. a) Il peut s’agir d’une erreur, d’une coquille (p. ex. banthic au lieu de benthic). On a trop souvent tendance à croire que le texte de départ ne peut pas être fautif. L’anglophone est aussi susceptible que le francophone de faire des fautes, par inadvertance ou par ignorance. b) Il peut s’agir d’une création de l’auteur. Dans un tel cas, l’auteur devrait guillemeter ce mot pour bien faire comprendre le caractère inhabituel de son utilisation. S’il ne le fait pas, il induit son lecteur en erreur; il lui fait croire que le terme est utilisé avec une acception connue. Point n’est besoin de chercher un tel terme, il n’est, à coup sûr, dans aucun dictionnaire. c) Il peut s’agir d’un nouveau terme, créé pour répondre à un besoin qui vient de se faire jour. Étant donné la lenteur des dictionnaires à reconnaître un mot comme faisant partie de la langue, il est bien normal qu’un tel mot ne s’y trouve pas. Tel est le cas, par exemple, de « sperme sexé » ou « semence unisexeNote de bas de page 21 ». Un tel terme ne pose aucun problème au spécialiste en reproduction animale, car c’est lui qui l’a créé pour répondre à son besoin terminologique particulier. Mais monsieur Tout-le-Monde y perd son latin. d) Il peut s’agir d’une formulation occasionnelle. Elle ne figure pas dans le dictionnaire, et elle n’y figurera jamais, car sa raison d’être est ponctuelle. Comment, par exemple, peut-on parler de l’« anatomie d’une maladie »? Non-sens. Pourtant, on peut voir « anatomie du diabète ». Même si les mots ne permettent pas, à eux seuls, de transmettre le sens, l’affiche qui porte ce titre, elle, est parlante; elle illustre les différents organes susceptibles d’être touchés par la maladie en question. Parler de l’anatomie du diabète, ce n’est pas une façon normale de dire la chose, mais elle remplit bien sa fonction, dans ce cas particulier et dans lui seul.Conclusion Le traducteur doit, dans l’exercice de ses fonctions et même en d’autres temps, s’interroger sur le sens réel d’un texte qu’il lit ou qu’il a pour mission de traduire. Ce sens, il le découvrira en puisant d’abord dans ses propres connaissances, qui devraient être les plus vastes possibles. Quand elles deviennent insuffisantes, il doit alors consulter des ouvrages, dictionnaires ou autres. Au cours de ses études, ce même traducteur s’est fait dire, ad nauseam, de consulter son dictionnaire. Ce conseil a une double portée. Il lui indiquait d’abord que ses propres connaissances étaient mises en cause, puis que le dictionnaire avait réponse à tout. Ce qu’on ne lui a pas dit, et qu’on aurait certainement dû lui dire, c’est que cet ouvrage a été fait par des humains et que l’erreur est humaine. La réaction immédiate du traducteur face à mes propos se devine aisément : « Si je ne peux me fier à mon dictionnaire, à qui me fier? » À son propre jugement. Réponse déroutante, s’il en est une, mais combien vraie! Il ne faut jamais se départir de son esprit critique. Il faut savoir se poser des questions aussi bien sur le sens des mots du texte de départ que sur le sens de ceux qu’on veut voir figurer dans sa traduction. Et ce sens, qui est fourni par le dictionnaire, doit, lui aussi, être scruté à la loupe. C’est la seule condition qui peut mener à une bonne traduction. Il serait peut-être opportun, la prochaine fois que vous aurez un texte à traduire, de vous interroger sur votre utilisation du dictionnaire. a) Ne devrais-je pas le consulter plus souvent? Ne pas le faire, c’est m’imaginer que mes propres connaissances sont irréprochables… b) Si j’y trouve ce que je cherche, dois-je le tenir pour certain? Répondre par l’affirmative, c’est m’imaginer que l’ouvrage est parfait. C’est aussi m’imaginer que tout dictionnaire fournit la même réponse. Répondre par la négative, c’est me condamner à devoir faire encore plus de recherches, mais ces dernières en valent peut-être le coup. c) Si je n’y trouve pas le mot que je cherche, dois-je me priver de l’utiliser? Le faire, c’est recourir à la solution facile. Ce n’est toutefois pas nécessairement la bonne solution. d) Se pourrait-il que la réponse à ma question se trouve dans un autre dictionnaire que celui que je consulte? Combien de dictionnaires trônent sur mes rayons de bibliothèque? Un seul dans chaque langue? Est-ce vraiment suffisant? Poser la question, c’est y répondre. Même si les dictionnaires, ou tout autre ouvrage de référence, ne sont pas la Bible, il ne faut pas pour autant les jeter à la poubelle. Bien au contraire. Il faut les consulter, mais pour ce qu’ils sont : des œuvres humaines, donc imparfaites. Et bien les utiliser, cela veut dire les lire avec un esprit critique.RéférencesNote de bas de page 1 Le Robert & Collins Super Senior, Paris, Dictionnaires Le Robert, 1995.Retour à la référence de la note de bas de page 1Note de bas de page 2 M. Rouleau, « Qu’attendre d’un dictionnaire bilingue? Le cas du « Gladstone », dictionnaire médical (anglais-français) », Panace@, vol. VI, nº 21-22, p. 407-428, 2005.Retour à la référence de la note de bas de page 2Note de bas de page 3 J. Hanse, Pour l’harmonisation orthographique des dictionnaires, Paris, CILF, 1988.Retour à la référence de la note de bas de page 3Note de bas de page 4 M.-É deVillers, Multidictionnaire de la langue française, Montréal, Éditions Québec/Amérique, 1997.Retour à la référence de la note de bas de page 4Note de bas de page 5 Il l’était déjà dans l’édition de 1977.Retour à la référence de la note de bas de page 5Note de bas de page 6 Le Petit Larousse de l’an 2000, grand format, Paris, Larousse/HER. 1999.Retour à la référence de la note de bas de page 6Note de bas de page 7 A. Manuila et L., P. Lewalle et M. Nicoulin, Dictionnaire médical, 8e éd., Paris, 1999.Retour à la référence de la note de bas de page 7Note de bas de page 8 S. Kernbaum, Dictionnaire de médecine Flammarion, 6e éd., Paris, Flammarion, coll. « Médecine Sciences », 1998.Retour à la référence de la note de bas de page 8Note de bas de page 9 M. Garnier, V. J. Delamare et T. Delamare, Dictionnaire des termes de médecine, 25e éd., Paris, Maloine, 1998.Retour à la référence de la note de bas de page 9Note de bas de page 10 J. Quevauvilliers et A. Fingergut, Dictionnaire médical, Paris, Masson, 1999.Retour à la référence de la note de bas de page 10Note de bas de page 11 TERMIUM® Plus, Bureau de la traduction, Travaux publics et Services gouvernementaux Canada.Retour à la référence de la note de bas de page 11Note de bas de page 12 GDT : http://www.olf.gouv.qc.ca/ressources/gdt_bdl2.html.Retour à la référence de la note de bas de page 12Note de bas de page 13 Communication personnelle de H. Favre.Retour à la référence de la note de bas de page 13Note de bas de page 14 G. Dulong, Dictionnaire des canadianismes, Septentrion 1989/Larousse Canada 1989.Retour à la référence de la note de bas de page 14Note de bas de page 15 Merriam Webster Collegiate Dictionary, 10th edition, Merriam Webster Inc., 1994.Retour à la référence de la note de bas de page 15Note de bas de page 16 Mme Paltrow avait pris, dans le même journal, le contre-pied de l’opinion du pédiatre.Retour à la référence de la note de bas de page 16Note de bas de page 17 M. Rouleau, « Ce n’est pas dans le dictionnaire, ce n’est donc pas…bon! ou La quête de la bonne préposition dans les ouvrages de référence », L’Actualité terminologique, vol. 36, nº 3, p. 14-19, 2003.Retour à la référence de la note de bas de page 17Note de bas de page 18 L.-A. Bélisle, Dictionnaire Bélisle de la langue française au Canada, Montréal, Société des Éditions Leland, 1954-1957.Retour à la référence de la note de bas de page 18Note de bas de page 19 Le grand Robert de la langue française, 9 volumes, 2e édition, Paris, Dictionnaires LE ROBERT, 1991.Retour à la référence de la note de bas de page 19Note de bas de page 20 É. Littré, Dictionnaire de médecine, de chirurgie, de pharmacie, de l’art vétérinaire et des sciences qui s’y rapportent, 17e édition, Paris, Librairie J.-B. Baillière et Fils, 1893.Retour à la référence de la note de bas de page 20Note de bas de page 21 Ces deux termes, actuellement interchangeables, servent à désigner la semence enrichie grâce à des techniques modernes, en un type de spermatozoïde (mâle ou femelle), qui sera utilisée pour obtenir, par insémination artificielle, des animaux de sexe désiré. En industrie laitière, ce sera des femelles.Retour à la référence de la note de bas de page 21
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Mots de tête : « faire (du) sens »

Un article sur l’expression faire (du) sens
Frèdelin Leroux fils (L’Actualité langagière, volume 4, numéro 1, 2007, page 20) Les mots diversement rangés font divers sens.(Pascal, Pensées, 23, 79.) Il y a une trentaine d’années, Irène de Buisseret mettait les traducteurs en garde contre leur tendance à traduire « this idea makes sense » par « cette idée a du sens »Note de bas de page 1. Elle qualifiait cette traduction de « fausse Française ». Il fallait plutôt dire « c’est une idée sensée, pleine de bon sens, raisonnable ». Et ce ne sont pas les dictionnaires de l’époque qui lui auraient donné tort, puisqu’ils ignoraient la tournure « avoir du sens ». Aujourd’hui, « avoir du sens » figure dans la plupart des dictionnaires, et depuis pas mal de temps. Le Grand dictionnaire encyclopédique Larousse (1984) la donne, et le Trésor de la langue française (1988) aussi, mais il faut chercher à « signifier ». Le Robert-Collins rend « to make sense » par « avoir du sens », et le Larousse et le Harrap’s, par « avoir un sens ». On trouve aussi, bien sûr, « ça n’a pas de sens ». Mais, sauf pour la forme négative, les exemples ne permettent pas de dire s’il s’agit du sens figuré. Quant aux ouvrages normatifs, comme les Faux AmisNote de bas de page 2, ils se méfient encore de « cela a du sens » et proposent plutôt « cela se tient ». Et pourtant, les cas d’emploi au figuré ne sont pas rares. Je me contenterai de deux exemples, du site du Sénat français : « nous savons parfois être conservateurs, quand cela a du sens » (séance du 24.01.97); « dire qu’un pays doit compter au maximum 60 000 habitants, cela a du sens dans certaines zones, mais strictement aucun dans d’autres » (séance du 23.03.99). Nous employons d’autres tournures avec « sens » qui ne seraient pas linguistiquement correctes. Il y a quelques années, la ministre québécoise de la Francophonie se faisait gourmander pour avoir osé dire que l’apologie de l’ex-maire de Montréal en faveur de l’anglais ne faisait aucun sens. Mais que lui reprochait-on, au juste? vous demandez-vous. De s’être opposée à ce qu’on déroule le tapis rouge pour l’anglais? Non. Tout simplement d’avoir employé un anglicisme. Heureusement qu’il s’est trouvé quelqu’un pour se porter à la défense de la Ministre. Claude Poirier, responsable du futur Trésor de la langue française au Québec, rappelle que si les ouvrages correctifs québécois condamnent « ne pas faire de sens » (et son pendant « faire du sens »), ils ne disent rien de « ne faire aucun sens » : « ce qui est tout de même différent »Note de bas de page 3, ajoute-t-il. J’avoue que je ne suis pas sûr de voir la nuance. La voyez-vous? Quoi qu’il en soit, dans sa défense, il se contente de deux exemples avec « aucun », dont celui-ci du linguiste André Martinet : « La notion de message intermédiaire ne faisait aucun sens ». Les exemples avec « aucun » ne manquent pas. Le linguiste Claude Hagège l’emploie : « baby-foot, inventé en France à partir de mots anglais, et ne faisant aucun sens pour un anglophone »Note de bas de page 4. Un professeur de la Sorbonne : « Les éditions de 1728 portent il en avait oublié, qui ne fait aucun sens »Note de bas de page 5. Ainsi qu’un romancier : « ce résumé ne faisait aucun sens »Note de bas de page 6. Enfin, je l’ai entendu dans le film Le profit et rien d’autre, du cinéaste haïtien Raoul Peck : « ça ne fait plus aucun sens ». Claude Hagège emploie aussi une variante : « la notion de faute d’orthographe ne faisait pas grand sens »Note de bas de page 7. À la lumière de ces exemples, on peut se demander si le simple ajout d’un qualificatif (« aucun », « grand ») suffit pour rendre correcte la tournure avec « faire » Et faute d’un qualificatif, l’usage québécois « ne pas faire de sens » serait fautif? C’est ce que semble croire Claude Poirier, puisqu’il ne tente pas de défendre cet usage. Ce qui me laisse perplexe, et vous aussi peut-être. Pour tenter d’y voir un peu plus clair, passons en revue quelques exemples où « sens » est employé presque à toutes les sauces. Comme si on se prenait pour Dieu, on n’hésite pas à créer du sens : « comme dans M. le Maudit, la traque crée du sens »Note de bas de page 8. Ou à en produire : « les quotas ne produisent de sens qu’au regard des programmes dits de stock »Note de bas de page 9. Voire à refaire du sens : « l’individu n’a plus alors qu’un recours : refaire du sens à partir de ses blessures qu’il amplifie »Note de bas de page 10. L’emballement pour « sens » est tel qu’on en arrive à oublier l’article : « les franchissements répétés des limites entre centre et périphérie d’une ville donnent sens à nos vies »Note de bas de page 11; « les personnages de Remise de peine donnent sens à cette remarque de Patoche »Note de bas de page 12; « cette musique prendra sens, elle deviendra lentement paroles »Note de bas de page 13. Et avec le tour faire sens, l’article semblerait presque de trop : « l’intonation est quelque chose qui fait sens »Note de bas de page 14; « les bruits, les phénomènes les plus grotesques faisaient sens »Note de bas de page 15; « l’apparence des êtres et des choses, seule susceptible de faire sens »Note de bas de page 16; « nous l’avons appelé culturel pour que cela fasse immédiatement sens pour le plus grand nombre »Note de bas de page 17; « puisque rien ne fait sens a priori… »Note de bas de page 18. Devant un tel engouement, il est curieux que si peu de dictionnaires enregistrent cette locution. Le Petit Robert, depuis 1993, la définit ainsi : « avoir un sens, être intelligible ». Et le Robert-Collins Super Senior de 2000 la traduit par « to make sense ». Le Grand Robert quant à lui continue de l’ignorer… Sauf exception, faire sens est rare au Québec. Nous préférons « faire du sens ». Tournure qui, vous le savez déjà, est condamnée, par le ColpronNote de bas de page 19, Marie-Éva de VillersNote de bas de page 20, Guy BertrandNote de bas de page 21 et Paul RouxNote de bas de page 22. Alors qu’on pourrait croire que c’est un usage populaire, l’auteur du Québécois instantané y voit un « anglicisme d’universitaire »Note de bas de page 23! À mon sens, c’est bien davantage « faire sens » qui serait un tic d’universitaire. On trouve d’autres condamnations ou mises en garde sur Internet. Mais plusieurs milliers d’exemples aussi, dont une bonne proportion sur des sites autres que québécois ou canadiens. D’un quotidien suisse : « cette résistance qui fait du sens » ; d’un blogueur français : « c’est malheureux, mais ça fait du sens » ; du Centre de media indépendant de Marseille : « ça fait du sens docteur » ; etc. Les occurrences de la forme négative sont nettement moins nombreuses, mais il y en a, dont celle-ci : « Certaines dispositions ont été supprimées, alors qu’elles ne font pas de sens », tirée d’un projet de loi du gouvernement du Luxembourg. On le voit, la tournure « québécoise » se répand. On peut se demander pourquoi, d’ailleurs, puisqu’il est quand même plus simple de dire que telle chose a du sens (ou n’a pas de sens). Il faut croire que « faire » ajoute un petit quelque chose de sérieux, de réfléchi, peut-être. Bien sûr, on peut y voir l’influence de l’anglais. À ce moment-là, pourquoi cette influence n’est-elle jamais évoquée dans le cas de « faire sens »? C’est pourtant encore plus près de « to make sense »… Parlant de « faire sens », en combinant divers temps du verbe, on obtient presque un quart de million d’occurrences sur Internet, alors que les mêmes combinaisons avec « du » n’en récoltent que 30 000 (condamnations et mises en garde comprises). Certes, je n’aime pas le tour québécois, mais si on m’obligeait à choisir entre les deux (j’allais dire entre ces deux maux), je crois que j’opterais pour le tour québécois. Le côté jargonneux de l’autre me déplaît. Aussi, je préfère le laisser aux philosophes et aux linguistes, aux universitaires, quoi. D’ailleurs, je ne me souviens pas avoir vu de cas où « faire sens » était employé au figuré. C’est probablement par les sens propre et figuré que les deux usages continueront de se démarquer.RéférencesNote de bas de page 1 Guide du traducteur, Ottawa, ATIO, 1971, p. 35 (Deux langues, six idiomes, p. 24).Retour à la référence de la note de bas de page 1Note de bas de page 2 Jacques Van Roey et coll., Dictionnaire des faux amis français-anglais, 2eéd., Duculot, 1991.Retour à la référence de la note de bas de page 2Note de bas de page 3 Le Devoir, 21.02.03.Retour à la référence de la note de bas de page 3Note de bas de page 4 Le français et les siècles, Seuil, coll. Points, 1989, p. 127 (v. aussi p. 76).Retour à la référence de la note de bas de page 4Note de bas de page 5 Frédéric Deloffre, in Marivaux, Journaux et œuvres diverses, Garnier, 1969, p. 575.Retour à la référence de la note de bas de page 5Note de bas de page 6 Pascal Lainé, Monsieur, vous oubliez votre cadavre, Éditions Ramsay, 1986, p. 145 (exemple qui m’a été signalé par un collègue, Philippe Blain).Retour à la référence de la note de bas de page 6Note de bas de page 7 op. cit., p. 274.Retour à la référence de la note de bas de page 7Note de bas de page 8 Edwy Plenel, Le Figaro littéraire, 12.12.02.Retour à la référence de la note de bas de page 8Note de bas de page 9 Serge Regourd, L’Exception culturelle, Que sais-je?, 2002, p. 45.Retour à la référence de la note de bas de page 9Note de bas de page 10 Pascal Bruckner, La Tentation de l’innocence, Poche, 1996, p. 139.Retour à la référence de la note de bas de page 10Note de bas de page 11 Jean Viard, Penser les vacances, Actes Sud, 1984, p. 10.Retour à la référence de la note de bas de page 11Note de bas de page 12 Bertrand Poirot-Delpech, Le Monde, 15.01.88.Retour à la référence de la note de bas de page 12Note de bas de page 13 Claude Duneton, La mort du français, Plon, 1999, p. 17.Retour à la référence de la note de bas de page 13Note de bas de page 14 Claude Hagège, « La traduction, le linguiste et la rencontre des cultures », Diogène, janv.-mars, 1987, p. 25.Retour à la référence de la note de bas de page 14Note de bas de page 15 Émile Ollivier, Mère-Solitude, Albin Michel, 1983, p. 174.Retour à la référence de la note de bas de page 15Note de bas de page 16 Marc Augé, Un ethnologue dans le métro, Hachette, 1986, p. 110.Retour à la référence de la note de bas de page 16Note de bas de page 17 Alain Rey, Le Figaro littéraire, 13.10.05.Retour à la référence de la note de bas de page 17Note de bas de page 18 Pascal Bruckner, op. cit., p. 163.Retour à la référence de la note de bas de page 18Note de bas de page 19 Constance Forest et Louis Forest, Le Colpron, Beauchemin, 1994.Retour à la référence de la note de bas de page 19Note de bas de page 20 Multidictionnaire des difficultés de la langue française, Québec/Amérique, 2e éd., 1992.Retour à la référence de la note de bas de page 20Note de bas de page 21 400 capsules linguistiques, Lanctôt, 1999.Retour à la référence de la note de bas de page 21Note de bas de page 22 Lexique des difficultés du français dans les médias, Éditions La Presse, 2004.Retour à la référence de la note de bas de page 22Note de bas de page 23 Benoît Melançon, Dictionnaire québécois instantané, Fides, 2004, p. 203.Retour à la référence de la note de bas de page 23
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Taxinomie ou taxonomie? Quand l’usage s’emmêle

Un article sur les termes taxinomie et taxonomie
Marie D’Aoûst (L’Actualité langagière, volume 2, numéro 4, 2005, page 12) L’étude théorique des bases, des lois, des règles et des principes d’une classification s’appelle taxinomie. Ou serait-ce plutôt taxonomie? Les deux termes s’équivalent-ils? La question se pose… TraversNote de bas de page 1, Fischer et ReyNote de bas de page 2, ainsi que la plupart des spécialistes de la langue française qui se sont penchés sur le sujet, recommandent d’écrire taxinomie. Toutefois, bon nombre d’ouvrages généraux modernesNote de bas de page 3 ont de leur côté adopté une certaine neutralité, considérant les deux termes comme des variantes orthographiques. Qu’en est-il vraiment?Taxonomie : un anglicisme? Selon plusieurs auteurs, taxonomie est un anglicisme. C’est l’avis du Robert électronique, pour qui ce mot vient de l’anglais taxonomy. On peut donc se surprendre de lire dans le Merriam-Webster que le terme taxonomy, créé en 1828, provient du français taxonomie (créé en 1813). L’Office québécois de la langue française relève également cette curiosité dans Le grand dictionnaire terminologiqueNote de bas de page 4 sous la fiche taxonomie :Certains en déconseillent même l’emploi parce qu’ils le considèrent comme un calque de l’anglais taxonomy. Or, la plupart des dictionnaires anglais indiquent que taxonomy vient du français taxonomie. Toujours du côté de l’anglais, le Oxford English DictionaryNote de bas de page 5 reprend l’étymologie du Webster et attribue l’origine du mot taxonomy à la langue française, plus précisément à de Candolle (1813)Note de bas de page 6. On nous renvoie toutefois aussi à taxinomy, qu’on définit de cette façon : «  A more etymological form of Taxonomy ». Le Online Etymology DictionaryNote de bas de page 7, en plus de faire la même remarque sur l’origine française du terme, prend soin de préciser l’erreur étymologique liée aux racines grecques (taxo- plutôt que taxi-).taxonomy1828, from Fr. taxonomie (1813), introduced by Linnæus and coined irregularly from Gk. taxis "arrangement" (see taxidermy) + -nomia "method," from -nomos "managing," from nemein "manage" (see numismatics). Est-ce à dire qu’en anglais aussi on privilégierait taxinomy? L’usage semble prouver le contraire. Mais peut-on s’y fier? J’y reviendrai plus loin. Enfin, le Trésor de la langue française considère également taxonomie comme un anglicisme, mais souligne son usage répandu en biologie.L’Académie des Sciences déconseille l’anglicisme taxonomie, qui est cependant la forme la plus fréq. utilisée par les biologistes. En ling., seule la forme taxinomie est employée.Taxinomie et taxonomie : de simples variantes? Jusqu’ici il s’avère difficile de qualifier taxonomie d’anglicisme, vu les contradictions ou interprétations différentes constatées dans les sources consultées. D’autant plus que certaines sources francophones sont muettes à ce sujet. Ainsi le Grand dictionnaire encyclopédique Larousse se contente-t-il, sous la vedette taxinomie, de la remarque suivante : « On dit aussi taxonomie ». Et à la rubrique taxonomie, on trouve un renvoi à taxinomie. Une seule entrée à taxinomie dans le Robert Brio, où taxonomie est simplement présenté comme une variante orthographique : « TAXINOMIE ou TAXONOMIE ». Quant au Dictionnaire encyclopédique QuilletNote de bas de page 8, il relève l’erreur étymologique contenue dans taxonomie (quant à la racine), mais ne considère pas le terme comme un anglicisme. Il signale également l’usage répandu de taxonomie et fait une mise en garde : « Ce terme est traditionnel mais de formation irrégulière et l’on devrait écrire taxinomie ». Enfin, certains ouvrages sont catégoriques à un point tel que le terme taxonomie n’apparaît pas dans leur plus récente édition. C’est le cas entre autres du MultidictionnaireNote de bas de page 9.Taxonomie : une anomalie lexicale? Les spécialistes de la langue sont unanimes, taxonomie est incorrect sur le plan étymologique, et la plupart s’entendent sur le fait qu’on ne saurait justifier l’emploi de taxonomie (1813) en se basant sur le mot taxon, puisque ce dernier a été créé après, soit en 1864. Or, l’Office québécois de la langue française (Le grand dictionnaire terminologique) soutient que :En effet ce mot a été créé par un botaniste suisse, A. P. de Candolle, en 1813 (dans le Traité élémentaire de la botanique), à partir de taxon, et par la suite, on a tenté d’en rectifier la forme en le remplaçant par le mot taxinomie. Fait intéressant, TraversNote de bas de page 10 affirme que taxonomie n’a pas sa raison d’être même si on utilise taxonomia en espagnol, tassonomia en italien, Taxonomie en allemand et taksonomiya en russe, invoquant entre autres la recommandation du terme taxinomie par l’Académie des Sciences (source anonyme, 1957). Voilà qui ouvre la porte à bien des discussions.Taxinomie ou taxonomie? Qu’en est-il de l’usage? Une recherche sommaire dans Google permet de constater que taxonomie, avec ses 224 000 occurrences, est d’un usage beaucoup plus fréquent que taxinomie, qui en compte 41 100. Cette recherche démontre clairement une préférence marquée pour taxonomie. Une simple question d’euphonie, de tradition, d’ignorance? Comment savoir? Une chose est certaine cependant : le terme taxonomie et la notion qu’il désigne dans le domaine scientifique semblent être compris autant par les initiés que les non-initiés. En est-il de même pour taxinomie? Peut-on croire qu’à force d’enseignement il soit possible de renverser la vapeur et de faire dérailler la locomotive de l’usage? Le terme taxinomie détrônera-t-il un jour son rival taxonomie? Difficile à croire. Car comme l’écrit TraversNote de bas de page 11 :Dans le langage scientifique même, il n’est pas rare que l’usage l’emporte sur la logique, parfois aussi sur une certaine tradition. Sans perdre de vue, comme le concluent si bien Fischer et ReyNote de bas de page 12, que :[…] ce n’est pas le purisme, mais simplement la rigueur qui conseille de parler de taxinomie. Mais il ne nous appartient évidemment pas de décider de la forme qui sera retenue. Cela est du ressort des spécialistes de la science des classifications. Alors pour l’instant, on peut conclure que l’usage, à l’encontre de la rigueur, consacre actuellement taxonomie, et que plusieurs ouvrages du XXe siècle constatent l’équivalence des termes taxinomie et taxonomie.RéférencesNote de bas de page 1 Marc Travers, La banque de mots, 1981, nº 21, p. 3 à 18, « Sur quelques questions de terminologie scientifique ».Retour à la référence de la note de bas de page 1Note de bas de page 2 J.L. Fischer et R. Rey, Documents pour l’histoire du vocabulaire scientifique, 1983, nº 5, p. 97 à 113, « De l’origine et de l’usage des termes taxinomie – taxonomie ».Retour à la référence de la note de bas de page 2Note de bas de page 3 Par exemple, Le Grand Larousse de la langue française, 1978, t. 7, contient un article taxinomie et signale que l’on trouve aussi taxonomie, sans porter de jugement.Retour à la référence de la note de bas de page 3Note de bas de page 4 www.granddictionnaire.comRetour à la référence de la note de bas de page 4Note de bas de page 5 J.A. Simpson and E.S.C. Weiner, The Oxford English Dictionary, 1989, vol. XVII, p. 682.Retour à la référence de la note de bas de page 5Note de bas de page 6 A. P. de Candolle, Traité élémentaire de la botanique, 1813.Retour à la référence de la note de bas de page 6Note de bas de page 7 www.etymonline.comRetour à la référence de la note de bas de page 7Note de bas de page 8 Dictionnaire encyclopédique Quillet, (1977), p. 6711.Retour à la référence de la note de bas de page 8Note de bas de page 9 Dans sa 4e édition (2003), l’édition la plus récente lors de la rédaction de ce texte.Retour à la référence de la note de bas de page 9Note de bas de page 10 Marc Travers, op. cit., p. 9.Retour à la référence de la note de bas de page 10Note de bas de page 11 ibidem, p. 4.Retour à la référence de la note de bas de page 11Note de bas de page 12 J.L. Fischer et R. Rey, op. cit., p. 113.Retour à la référence de la note de bas de page 12
Source : Chroniques de langue (la langue française vue par des langagiers)
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