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Le mot effectivité ("effectiveness") s’emploie en droit international public et privé, en sociologie du droit et dans la théorie du droit. Dans son acception la plus usitée, il désigne le degré (degré d’effectivité) ou la dose de réalité sociale (le néologisme effectivisation, qui a ce sens, n’est pas encore entré dans l’usage, aussi certains juristes l’emploient-ils encadré par des guillemets) que doit effectivement renfermer une norme juridique pour être applicable.
De cette acception originelle (le terme a été créé au siècle dernier), le vocable s’est vite enrichi de sens extensifs qu’il convient de passer en revue dans des textes de lecture qui, selon l’habitude des textes que contient le présent ouvrage, mettent en relief ses diverses manifestations linguistiques et ses unités syntagmatiques.
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En droit international public, l’effectivité s’applique à de nombreuses matières, dont la nationalité des personnes physiques ou morales, l’État, l’occupation de territoires, l’exercice de la souveraineté, l’annexion et le blocus maritime. S’agissant, par exemple, du blocus régulier, on dit qu’il est soumis à une condition de validité, celle de l’effectivité. Suivant l’article 4 de la Déclaration de Paris du 16 avril 1856, lequel énonce la règle de l’effectivité du blocus, les blocus effectifs doivent être « maintenus par une force suffisante pour interdire réellement l’accès au littoral de l’ennemi. » Le procédé de l’occupation effective constitue l’une des applications les plus marquantes du principe d’effectivité. Il signifie que le titre territorial repose sur l’exercice réel des compétences étatiques par l’État revendiquant. Une des conditions d’acquisition des territoires est l’exigence d’une possession effective. Effectivité de l’occupation.
L’effectivité sera ce qui se réalise en fait pour être valable ou opposable aux tiers, ce qui prévaut dans les faits et dont l’existence indiscutable justifie la reconnaissance ou l’opposabilité. La souveraineté d’un territoire pourra être attribuée non pas au pays qui détient le titre régulier de souveraineté sur celui-ci, mais à celui qui, dénué de titre, administre effectivement le territoire.
À propos de la condition d’indépendance d’un État et de ses modalités d’acquisition, deux types de concurrence peuvent porter atteinte à ce monopole : l’État peut n’avoir sur le territoire qu’une effectivité réduite ou partielle (deux autorités rivales prétendant à la qualité de gouvernement de l’État), son concurrent et lui se la partageant en permanence; on parle en ce cas d’une effectivité partielle durablement localisée. Conserver une effectivité partagée. Il se peut aussi qu’il ait une effectivité exclusive (hypothèse du gouvernement unique) sur une partie seulement de ce territoire (l’État victime de la sécession ou de la scission n’arrive plus à conserver son autorité sur la collectivité qui aspire à se constituer en État) sans parvenir à empêcher son concurrent de maîtriser mieux que lui cette partie du territoire, même si son ordre juridique se croit encore efficace sur elle.
L’effectivité intermittente et l’effectivité localisée mettent en cause la qualité d’État, ou d’État unique, de la collectivité. Effectivité exiguë, effectivité totale. Réduire un gouvernement à une effectivité intermittente. En ce cas, le gouvernement officiel et son rival se partagent l’autorité politique dans le pays, l’un et l’autre pouvant invoquer une effectivité intermittente sur des fractions de collectivité. Il y a tout lieu de se demander alors si le gouvernement au pouvoir est vraiment effectif et non [efficace].
À propos de la formation d’un État, la notion d’effectivité entretient un rapport avec la réalité de pouvoir et la réalité de l’indépendance. Dans quelle mesure un gouvernement effectif s’est-il établi sur le territoire que revendique l’État prétendu (prétendu 1, prétendu 2) et a-t-il réussi à détacher effectivement ce territoire de toute autorité étrangère? Pareille question soulève celle des pratiques fondées sur l’effectivité d’un nouveau gouvernement. Ces pratiques sont les seules qui soient conformes à la signification juridique de la reconnaissance officielle d’un État. Par exemple, de nombreux États ont longtemps refusé de reconnaître des gouvernements par ailleurs effectifs. Nature, rôle de l’effectivité. Considérations, éléments, facteurs d’effectivité. Condition, exigence d’effectivité. Jouir de l’effectivité (pour avoir la qualité d’État). Effectivité du pouvoir de l’État. Effectivité d’un lien (par exemple entre l’État et la collectivité nationale). Effectivité minimale, satisfaisante, variable (de pouvoirs). Consistance, étendue de l’effectivité. Effectivité structurelle. Effectivité menée à terme (par exemple en justifiant l’ordre établi), effectivité en action : « Quand le rapport du fait avec le droit prend le caractère d’une tension, on est en présence d’effectivités en action. »
Autre exemple d’un domaine où apparaît manifestement l’effectivité : le nouvel État refuse d’être lié par l’ordre juridique établi par son prédécesseur ou par les engagements que ce dernier a conclus. L’effectivité se révèle dans le refus d’honorer ces engagements.
- L’effectivité a pour antonyme l’ineffectivité. « L’ineffectivité de l’État ne fait pas toujours obstacle à sa survie légale, alors même que l’annexion de son territoire aurait été reconnue. » « Paraissant se désintéresser du sort de la société belge, l’attitude du Canada a confirmé l’impression d’ineffectivité de la nationalité canadienne attribuée par la loi de cet État. »
- On ne peut employer indifféremment les termes d’effectivité et de positivité (lequel s’entend de l’observation effective ou générale des règles du droit positif), d’effectivité et d’efficacité (ce dernier terme s’entendant de l’adéquation des moyens mis en œuvre à l’objectif recherché). Par exemple, de nombreux traités d’organisation internationale dotés d’une efficacité certaine et pourvus d’adhésions nombreuses restent démunis d’effectivité. « On tiendra pour efficaces les dispositions d’un acte international quand, considérées en elles-mêmes, elles apparaissent adéquates aux fins proposées. Elles seront par la suite tenues pour plus ou moins effectives selon qu’elles se sont révélées capables ou non de déterminer chez les intéressés les comportements recherchés. » Ainsi, on dira d’une disposition conventionnelle qu’elle est efficace quand ses termes, pris dans leur sens ordinaire, traduisent de façon adéquate l’intention des parties, et inefficace quand les termes ne permettent pas de dégager cette intention avec certitude, l’accent étant ici placé sur l’adéquation rédactionnelle du texte. Une telle disposition accède à l’effectivité quand il apparaît que sa pleine réalisation impose la recherche des fins supérieures, des potentialités que les parties, sans les avoir énoncées, doivent nécessairement avoir envisagées.
- Dans une autre acception, le mot effectivité s’emploie pour désigner l’aptitude d’un acte juridique irrégulier dans sa formation (défaut d’enregistrement, omission des signatures, absence de consentement) à produire, malgré cette irrégularité, certains effets de droit. Serait effectif en ce sens l’acte qui, en dépit de sa nullité primitive, serait néanmoins propre à manifester provisoirement des effets en se consolidant dans la pratique.
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Dans son acception générale, l’effectivité s’entend de l’aptitude d’un acte juridique à produire des effets de droit (par exemple, la force exécutoire de l’acte notarié), l’aptitude d’une règle de droit à pouvoir être appliquée ou exécutée, et à pouvoir être respectée dans les faits. Le critère principal de validité d’un acte ou d’une règle juridique est son application effective, concrète, dans les faits, autrement dit son effectivité. Effectivité des décisions de justice en droit international privé. Effectivité des décisions de justice étrangères. Faciliter ou limiter l’effectivité des jugements étrangers.
En droit public interne canadien, l’effectivité des décisions judiciaires ne soulève aucun débat. L’autorité publique respecte les décision judiciaires, surtout celles que rend la Cour suprême, et ne se demande pas si un arrêt rendu est susceptible d’exécution. Si la Cour a parlé, nul ne se redressera, sinon pour former un renvoi sur des questions constitutionnelles. « On se rallie volontiers, au Canada, à l’opinion donnant effet erga omnes à un jugement d’inconstitutionnalité d’une loi, surtout s’il émane du plus haut tribunal du pays. »
- Il convient de distinguer l’effectivité de l’efficacité et de l’efficience. Le caractère effectif (l’effectivité) d’une loi est son aptitude à être appliquée réellement, la nature des effets qu’elle produit. On parlera ainsi de l’effectivité des normes qu’elle édicte, de l’effectivité de ses sanctions. Son caractère efficace (l’efficacité) se mesure à l’aulne de ses bienfaits, de son aptitude réelle à réaliser ses objets, de ses conséquences et de ses effets recherchés sur la société et sur les règles de droit. On parlera en ce cas de l’efficacité constitutive, déclarative, prohibitive, dissuasive, incitative de la loi, de son efficacité de fait. Son efficience (notion essentiellement économique) est marquée par les coûts de son élaboration, de sa diffusion, de la mise en œuvre et de la mise à exécution de ses dispositions et de son règlement d’application. Se reporter au point 9).
- Ce dont l’effectivité est certaine dans un futur déterminé sera exprimé au moyen de la locution prépositive et adverbiale à terme : le contrat, le marché, l’obligation à terme, l’achat à terme est doté d’une effectivité certaine.
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Il faut bien distinguer les adjectifs effectif, efficace et efficient. Pour être effective, la signification à personne doit se faire en main propre; pour être efficace, une réparation judiciaire doit s’opérer dans les faits, un moyen de défense doit convaincre le tribunal et une enquête doit révéler l’existence des faits recherchés. Pour être efficiente, l’administration de la justice doit éviter le double emploi et la bureaucratie. En conséquence, l’effectivité d’une ordonnance judiciaire sera son aptitude à être exécutée après son prononcé, l’efficacité d’un moyen de preuve sera sa force probante et l’efficience d’une exploitation sera conditionnée par la maximisation du rapport entre les résultats obtenus (les extrants) et les moyens mis en œuvre pour obtenir ces résultats (les intrants).
Dans la perspective de la sociologie du droit, on entend par effectivité du droit la mesure des écarts entre le droit et son application. Droit effectif. Cette notion tend à se confondre avec celle de l’efficacité du droit (droit efficace), qui permet d’évaluer les résultats et les effets sociaux du droit, et celle de l’efficience du droit (droit efficient) qui consiste à vérifier que les objectifs assignés à la règle de droit ont été atteints au meilleur coût.
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Est effectif ce qui devient réalité. « La disparition de cette infraction ayant été décidée par le législateur est devenue effective l’an dernier. » « Le gouverneur en conseil peut-il, par règlement, rendre effectives les stipulations des traités signés par le Canada? »
Est effectif aussi ce qui existe réellement, ce qui est tangible, ce dont la réalité est incontestable. Préjudice matériel effectif. Acte de confiance effectif, la contrepartie effective tenant lieu de contrepartie fictive dans le droit des contrats en régime de common law. Dans le droit des biens en régime de common law également, on oppose la délivrance effective à la délivrance fictive. Nationalité effective. « La nationalité n’est internationalement opposable aux autres États que si elle est effective. » « Il doit exister un lien substantiel entre l’État et le navire; l’État doit notamment assurer l’exercice effectif de sa compétence et de son contrôle sur les navires battant son pavillon. »
« Il y a prescription dans le cas où il y a exercice effectif, continu et sans lacunes de la souveraineté territoriale. » « Les apports en nature sont réalisés par le transfert des droits correspondants et par la mise à disposition effective des biens. » En ce sens, on parle du caractère effectif (de l’usage du sol, de l’occupation d’un bien-fonds) par opposition à l’abandon de cet usage ou de cette occupation. Remboursement effectif des sommes dues.
Est effectif, enfin, ce qui se traduit par un effet réel, ce qui produit l’effet recherché. « Est garanti le droit à la réparation de toute lésion effective des droits. » « Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la convention ont été violés a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale. » Consentement effectif (dans le droit des délits en régime de common law).
Attention : une loi n’est pas [effective] à partir d’une certaine date, mais elle entre en vigueur, elle a ou elle prend effet à compter d’une date fixée expressément par le législateur.
- Le mot effectif s’emploie comme substantif. Il s’entend du nombre de personnes qui forment un groupe, surtout dans le monde du travail (l’effectif d’une entreprise), ou une collectivité. Il a comme complément le groupe lui-même (l’effectif de la main-d’œuvre) ou les personnes qui le composent (l’effectif des employés permanents). Des auteurs affirment qu’on ne peut employer ce mot au pluriel. Pourtant, on dit correctement, et le bon usage l’atteste, appuyé en cela par tous les dictionnaires : « Il y aurait lieu d’augmenter les effectifs des auxiliaires de la justice vu le grand nombre des demandes et l’encombrement des tribunaux. » Effectifs de juges. Alléger, augmenter, étoffer, grossir, gonfler, rajeunir, réduire, renforcer, resserrer les effectifs.
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Le champ sémantique de l’adjectif efficient est plus restreint que celui de son homonyme anglais "efficient", lequel, en plus de renvoyer, comme son sosie français, à ce qui est opérant, performant, productif, rationalisé et rationnel, se rend notamment, selon les contextes, par des adjectifs tels que avantageux, bon, capable, commode, compétent, discipliné, efficace, énergique, excellent, facile, fécond, fructueux, habile, judicieux, satisfaisant, utile, vaillant et valeureux.
Il en est de même pour l’adjectif effectif, l’homonyme anglais "effective" ayant une aire sémantique beaucoup plus large. On évitera les anglicismes sémantiques auxquels donne lieu l’emploi de l’adjectif effectif en choisissant, selon les contextes, l’un des adjectifs suivants : actif, agissant, appliqué, bon, concret, convaincant, décisif, efficace, frappant, judicieux, réel, saisissant, tangible, utile, véritable.
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