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Appréhender de est suivi de l’infinitif lorsque le sujet d’appréhender et celui du verbe complément désignent la même personne : « J’appréhende d’échouer dans mon appel ». Dans le cas contraire, la construction est appréhender que suivi du subjonctif : « J’appréhende qu’il ne réussisse dans son appel. »
Ce dernier exemple montre qu’appréhender que (tout comme les verbes exprimant une notion de crainte : craindre, redouter, trembler, avoir peur) se construit avec le subjonctif et est accompagné le plus souvent du ne explétif, sans valeur négative. Il convient toutefois de remarquer que, si on souhaite que la chose se fasse ou si on craint qu’un événement ne se produise pas, le verbe au subjonctif exige obligatoirement la négation ne…pas : « J’appréhende que la décision ne lui soit pas favorable » (= je souhaite qu’il ait gain de cause, je crains qu’il n’ait pas gain de cause). Dans le cas contraire, on emploie le ne explétif : « J’appréhende que la décision ne soit favorable au défendeur » (= je souhaite qu’il échoue, je crains qu’il ait gain de cause).
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Suivi d’un complément de personne, appréhender est souvent employé en matière pénale comme synonyme d’arrêter (voir le cas de la personne appréhendée sans mandat au paragraphe 25(4) du Code criminel). La loi canadienne dit arrêter. Toutefois, appréhender met l’accent sur le fait de se saisir d’une personne, que celle-ci ait ou non commis une infraction, alors qu’arrêter insiste sur le fait de mettre une personne en état d’arrestation parce qu’elle a commis une infraction.
On relève l’emploi d’appréhender dans les lois concernant la protection de l’enfance ou de personnes souffrant d’une maladie mentale. Les agents de la paix se voient conférer le pouvoir de les appréhender dans le cas où la protection de ces personnes le justifie, sans qu’elles aient nécessairement commis une infraction.
- Dans le droit des biens, appréhender, suivi d’un complément d’objet, signifie se saisir de qqch., même légalement ou illégalement : « Le chasseur dont la meute a mis une pièce de gibier sur ses fins peut appréhender cette dernière sur le terrain d’autrui aussi bien que sur son propre fonds. » « Cette prérogative confère à son bénéficiaire le droit d’appréhender les biens successoraux. » « La société demanderesse a présenté une requête au tribunal afin d’être autorisée à appréhender le véhicule gagé pour procéder à sa vente. » « L’intention frauduleuse existe dès lors que le prévenu a appréhendé la chose avec l’intention de se l’approprier, sachant qu’elle appartient à autrui. »
- Appréhender s’emploie aussi en droit pénal et dans le droit de la responsabilité civile au sens de craindre, redouter qqch. Le paragraphe 34(2) et l’article 35 du Code criminel permettent à une personne attaquée de causer la mort de son agresseur dans certaines circonstances, notamment lorsqu’elle « a des motifs raisonnables d’appréhender que la mort ou des lésions corporelles graves ne résultent de la violence avec laquelle l’attaque a en premier lieu été faite ».
- On trouve également appréhender dans des textes juridiques au sens didactique de saisir qqch. par l’esprit, par la pensée : « Dans la mesure où la notion de faute ne peut être appréhendée de la même manière en droit pénal et en droit civil (…) » « Le psychiatre cherche à appréhender la personnalité du coupable. »
- On dit appréhender un échec et non [anticiper un échec], puisque le verbe anticiper n’a pas le sens de prévoir, préjuger, espérer, appréhender, s’attendre à, de son homonyme anglais.
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Au participe passé employé adjectivement, appréhendé qualifie des substantifs qui expriment un événement désagréable, un danger, une contestation, des conséquences malencontreuses.
Il s’emploie au sens de pressenti par opposition à réel : (le risque appréhendé dans le droit des délits civils, la guerre, l’invasion ou l’insurrection, réelle ou appréhendée, dans l’ancienne Loi sur les mesures de guerre, le différend ou le conflit appréhendé, dans la Loi sur les relations industrielles (Nouveau-Brunswick), et la destruction, la défaillance ou l’effondrement réels ou appréhendés de tout ouvrage, dans la Loi sur l’énergie électrique (Nouveau-Brunswick). Dans le contexte d’une émeute, le Code criminel prévoit que les conséquences graves appréhendées justifient l’emploi de la force.
Appréhendé ne peut céder la place à présumé comme équivalent d’"apprehended"; ainsi, dans la Loi sur le transport de marchandises par eau du Canada : « en cas de perte ou de dommages certains ou présumés » ("actual or apprehended"), il eût fallu dire certains ou appréhendés (ou pressentis). Il n’y a pas lieu de créer une présomption là où le législateur ne souhaite aucunement en créer. La faute est double : il s’agit d’un contresens et d’une inéquivalence traductionnelle ou rédactionnelle.
- Les sens du substantif appréhension correspondent généralement à ceux du verbe appréhender. Les dictionnaires signalent, toutefois, qu’appréhension ne s’emploie plus aujourd’hui au sens d’arrestation, alors qu’"apprehension" en anglais a conservé ce sens. Les juristes ne suivront pas nécessairement cette évolution de l’usage courant en raison de la distinction possible entre appréhender et arrêter mentionnée ci-dessus, comme l’illustre l’intertitre précédant l’article 94 de la Loi sur la protection de l’enfance de l’Ontario : « Appréhension d’adolescents qui s’absentent d’un lieu de garde sans permission ».
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Les exemples qui suivent illustrent d’autres sens correspondant à ceux du verbe appréhender :
- Appréhender au sens propre : appréhension matérielle (fait de se saisir, de s’emparer de qqch.). « L’acquisition du gibier par le premier occupant n’implique pas nécessairement une appréhension manuelle. » « Le fait de tuer une pièce de gibier en transfère immédiatement la propriété au chasseur, indépendamment de toute appréhension. » « Le chasseur peut revendiquer la propriété d’un gibier trouvé mort sur le terrain d’autrui s’il peut rapporter la preuve que l’animal a été blessé gravement par lui-même et qu’il s’agissait d’une blessure telle que l’animal ne pouvait échapper à son appréhension. » « Le vol suppose comme premier élément essentiel l’appréhension de la chose. »
- Appréhender au sens figuré : appréhension intellectuelle (ou perception). Ainsi, dans le droit des délits civils, s’il est question de légitime défense, un élément nécessaire des voies de fait est l’appréhension suffisante ou raisonnable de voies de fait, du contact imminent (le sens ici étant la perception, l’"anticipation" en anglais, et non l’anxiété ou la peur). « Le sentiment de peur n’est pas nécessaire à l’existence de voies de fait; l’appréhension d’un contact désagréable est suffisante. » « Cependant, il est possible de susciter uniquement par des paroles l’appréhension d’un danger imminent et cela peut donner ouverture à des poursuites. »
- Appréhender au sens de craindre; dans ce cas, le mot crainte sera parfois utilisé comme équivalent de l’homonyme anglais "apprehension" dans certaines expressions juridiques. Ainsi, la Cour suprême du Canada s’est récemment prononcée sur le critère de la crainte raisonnable de partialité ("test of reasonable apprehension of bias") et sur le critère de la crainte raisonnable de préjugé ("test of reasonable apprehension of prejudgment").
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