(L’Actualité terminologique, volume 2, numéro 3, 1969, page 1)
Voilà un mot qui a eu des fortunes diverses. Du mot ancien chalonge ou chalenge, connu du valeureux Roland et de ses pairs, bien peu subsiste aujourd’hui, sinon un sens repris à l’anglais et désignant une épreuve sportive dans laquelle le gagnant devient possesseur d’un prix jusqu’à ce qu’un nouveau concurrent l’en dépossède. Que nous sommes loin du panache des joutes et des tournois! Pourtant, si le mot est disparu de la langue française, la réalité qu’il exprimait à ses origines demeure vivante. Défi, contestation, provocation, affrontement sont des notions bien de notre temps. Journaux et revues abondent en exemples : « Enfin, les hommes eux-mêmes doivent, à tous les niveaux, relever le défi que leur lance un monde où le mouvement et le changement deviennent la règle »; « Nous ne retrouverons notre liberté d’action que quand nous aurons répondu à notre propre défi intérieur »; « La vérité économique … prêtait à contestation parmi les réactionnaires, parmi ceux qu’elle allait léser »; « L’Europe est devenue le champ clos où s’affrontent producteurs américains d’une part, producteurs scandinaves d’autre part. »
Si le mot challenge s’est sclérosé en français, il a continué et continue d’évoluer dans l’idiome anglais, dans l’anglo-américain plus particulièrement. Chacun n’ayant pas, comme Don Quichotte, l’humeur à pourfendre les moulins à vent ou, comme les Trublions, à « envoyer cartel à un roy, reine ou empereur d’un grand pays », ce mot s’est assagi, s’orientant vers des entreprises moins périlleuses. Challenge est devenu synonyme de pari, gageure, chance. « Il savait … que le pari français de l’informatique serait difficile à tenir »; « Tous … semblent animés par une même foi dans une œuvre qui se présente comme un pari »; « Quelle gageure elles se sont engagées à soutenir »; « Le progrès scientifique : chance ou menace pour la civilisation de demain. » À l’esprit guerrier succède l’esprit de compétition : « Plus modestement, nous essayons de prouver … que l’esprit de compétition se trouve aussi de ce côté de l’Atlantique. » Pour d’autres, c’est le refus de la rencontre, la non-compétition : « Nous sommes dans un cul-de-sac où règne tacitement une morale de non-compétition, où un patronat sclérosé, ou endormi par les raisons politiques, refuse la bagarre. » Aux déploiements et aux clameurs des tournois succèdent les plaisirs moins risqués et plus durables de la responsabilité à assumer, du problème à résoudre, de la difficulté à surmonter, de la tâche à accomplir, à exécuter, de l’œuvre à réaliser, de la mission à remplir. Le mot challenge évoque encore les impératifs, les demandes, les exigences d’une tâche, d’une entreprise, le cap à passer, les dépassements auxquels le quotidien même oblige : « Le problème-clé c’était d’harmoniser dans une entreprise en flèche les progrès du social et les impératifs économiques »; « Le gouvernement a passé le cap des élections »; « Mais toute grande entreprise repose sur une idée-force, sur un mythe qui exalte les esprits et conduit les hommes à se dépasser. »
Le verbe to challenge se rend de multiples façons. Dans l’exemple précédent, exalter les esprits, c’est to challenge the mind. On dirait tout aussi bien solliciter les esprits, mettre l’imagination en éveil, la tenir en haleine, provoquer la réflexion, exciter, faire naître la curiosité, éprouver l’ingéniosité. To challenge to action, c’est appeler, inviter, convier à l’action : « Cet avenir s’ouvre largement devant tous les hommes de bonne volonté et les convie à l’action. » De même, to challenge discussion se rend par appeler, inviter la discussion, le débat.
La flexibilité sémantique de l’adjectif verbal challenging est telle qu’il est facile d’aligner les épithètes qui peuvent rendre l’un ou l’autre de ses sens. Songeons d’abord à exigeant, hardi, audacieux, ambitieux, impératif ou impérieux, provocant ou provocateur, difficile : « Tels sont les motifs intéressés – légitimement intéressés – qui poussent à faire l’Europe de l’espace et à lui donner des objectifs ambitieux »; « Les objectifs exigeants de l’avenir ne pourront être réalisés que si les hommes se voient confier l’entière responsabilité de leurs actions et sont encouragés à réussir. » Pour ceux que l’obstacle ne rebute pas, le mot challenging suggère des adjectifs tels que enthousiasmant, enlevant, inspirant, attrayant, captivant, prenant, exaltant, passionnant, engageant ou entraînant. Il peut aussi signifier questionneur ou promoteur de médiation, de réflexion. Enfin, il évoque parfois des réalités toutes différentes – charmes attachants, sourires aguichants, œillades assassines – mais qui oserait relever le gant!
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