Et ce : est-ce bien cela?

Jean-Claude Gémar
(L’Actualité langagière, volume 7, numéro 4, 2010, page 26)

On fait parfois suivre et ce de la virgule, ainsi que le recommandent, entre autres, l’Office québécois de la langue françaiseAller à la remarque a et certains auteursAller à la remarque b.

Or, dans la plupart des cas, et ce n’introduit pas une rupture dans l’énoncé appelant une pause, mais marque au contraire une continuité dans le discours, relie ce qui précède et ce qui suit, et ce(la) dans un même souffle. Lorsque l’expression remplit cette fonction, elle n’est pas suivie automatiquement d’une virgule, ce que confirment à la fois des ouvrages de grammaire, de linguistique ou de rédaction d’auteurs réputés, et l’usage suivi par de grands écrivains.

Attestée depuis le XIIIe siècle, cette expression « s’emploie comme complément dans certains tours anciens et littéraires : ce faisant, ce disant, pour ce faire, et ce (rappelant ce qui vient d’être dit)Note de bas de page 1 ». Elle a été supplantée dans l’usage écrit par le tour plus familier et cela et désigne ce dont il est question, renvoyant ainsi à ce qui précède ou à la situationNote de bas de page 2.

Ce est soit un adjectif, soit un pronom démonstratif, mais c’est dans cette dernière fonction qu’il est le plus souvent employé dans l’usage contemporain. Il appartient à la langue littéraire ou soignéeNote de bas de page 3 et a été remplacé dans la plupart de ses emplois par cela, ça et parfois par ceciNote de bas de page 4.

Le grand grammairien Grevisse, dans la 11e édition de son Bon usageNote de bas de page 5, reprend un exemple du dictionnaire de l’Académie française :

Je lui ai dit de faire telle et telle chose, et ce pour le persuader de

Par cet exemple, on voit que et ce à la fois résume ce qui précède et introduit ce qui va suivre, mais d’un même souffle, sans marquer une pause qui serait incongrue devant la préposition pour lorsqu’elle traduit une intention, exprime un but, comme ici : persuader.

André Goosse, continuateur de l’œuvre de Grevisse, cite l’article 60 de la Constitution belgeNote de bas de page 6 :

Il pourra être relevé de cette déchéance par le Roi ou par ceux qui, à son défaut, exercent ses pouvoirs dans les cas prévus par la Constitution, et ce moyennant l’assentiment des deux Chambres.

Jean Girodet, auteur du Dictionnaire du bon françaisNote de bas de page 7, place l’expression et ce avec sur ce (suivie parfois de la virgule parce qu’elle conclut; on marque alors la pause), ce néanmoins et ce nonobstant, qui sont parfois, mais non absolument, suivies de la virgule. Les exemples qu’il propose montrent et ce non suivie d’une virgule :

Il fut l’objet d’un blâme général, et ce pour avoir manqué à la coutume [= et cela].

Vous me retrouverez, dit-il, et sur ce il claqua la porte [= sur ces mots, en achevant de prononcer ces mots].

Chez Hanse, autre linguiste-grammairien réputé, on trouve, là encore, cet exemple sans virgule :

On dit : Il a déclaré, et cela [ou et ce] devant témoinsNote de bas de page 8.

Chez Gaston Mauger, on trouve cet exemple « où ce est représentant » :

Il refuse de m’aider, et ce [= et cela] après m’avoir fait les plus belles promessesNote de bas de page 9.

Un dernier exemple, emprunté à Patrick Charaudeau, linguiste spécialisé en analyse du discours, montre un emploi de ce qui « pourra produire un effet communicatif de plus ou moins grande affectation » :

Il m’a annoncé ma nomination, et ce sans la moindre félicitationNote de bas de page 10.

Dans la presse contemporaine et sous les meilleures plumes, l’expression et ce n’est généralement pas suivie non plus d’une virgule. Parmi de nombreux exemples, en voici un relevé chez Luc Ferry, ancien ministre de l’Éducation nationale de France, philosophe, auteur et journaliste :

Dans cette perspective, l’épouvantail de la décroissance n’est pas la solution, et ce pour une raison que personne […] ne peut sérieusement contester […]Note de bas de page 11

Cela dit, la virgule s’impose toutefois lorsqu’une incise vient rompre la continuité du discours, comme dans cet exemple de Goosse, qui cite une phrase de Bazin relevée dans son roman Vipère au poing :

Il nous fallait utiliser les water-closets de la tourelle de droite, contigus à la chambre des maîtres. Et ce, en pleine nuit, à la lueur d’une lampe PigeonNote de bas de page 12.

Avec et cela, expression jumelle de et ce, mais plus familière, les exemples abondent. Goosse, par exemple, cite le Voyage au bout de la nuit de Céline :

Nous reprîmes, sur son ordre, cette fameuse lecture et cela dans des conditions morales tout à fait inquiétantesNote de bas de page 13.

Ce dernier exemple nous montre comment un grand écrivain exprime, dans le discours, la continuité d’une pensée à l’œuvre sans rompre le lien logique qui unit les parties de la phrase entre elles.

Aussi serait-il prudent de vérifier des dires affirmant de façon parfois péremptoire – et, hélas, porteuse de sanctions dans des examens portant sur la ponctuation française – que telle serait la « règle », alors même qu’elle est fondée sur des prémisses pour le moins suspectes. Ce qui irait à contre-courant d’une tendance qui fait la part de moins en moins belle à la virgule dans l’usage contemporain – qu’on le déplore ou qu’on s’en félicite.

Or, comme le pensait Léon-Paul Fargue, « [l]’art est une question de virgules »!

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