entiercé, ée / entiercement / entiercer

  1. Le mot tiers est la base, la racine, le radical du mot entiercement, de ses dérivés et de toutes ses graphies anciennes : entercement, enterchement, entierchement. Il se rapporte, dans l’ancien droit français, à la procédure de saisie-revendication, c’est-à-dire à l’acte judiciaire grâce auquel la personne qui trouve en la possession d’une autre une chose mobilière lui appartenant peut saisir-arrêter cette chose pour la mettre en la possession d’un tiers.

    Entiercer (ou entercier, entercher, antercer, antercier, entiercher, entracier) désigne le fait de placer en main tierce, à mettre entre les mains d’un tiers, à séquestrer, à saisir, en parlant d’un objet mobilier au sujet duquel une revendication est exercée.

  2. Avec l’évolution du droit, l’entiercement quitte la matière spécifique de la saisie-revendication; le mot ne s’applique plus, dans l’usage particulier au droit des biens, qu’à l’opération relative au bien grevé d’un nantissement ou encore au gage avec dépossession par l’intermédiaire d’un tiers convenu.

    La chose mobilière du gage affecté à la garantie d’une dette ou, plus fréquemment, de plusieurs dettes différentes est remise à titre conservatoire en mains tierces, plus précisément entre les mains neutres d’un intermédiaire, appelé tiers convenu, plutôt qu’entre celles du ou des créanciers gagistes. Le tiers ainsi choisi par les parties à la convention d’entiercement conserve l’objet entiercé, la chose entiercée pour le compte du créancier ou de tous les créanciers jusqu’à la réalisation d’une condition stipulée dans la convention à laquelle l’autorité de justice doit, au besoin, confirmer tous les effets par ordonnance d’entiercement. « L’entiercement, c’est-à-dire la détention d’un bien par un tiers pour le bénéfice du créancier gagiste, fait partie intégrante du concept traditionnel de gage. »

    Le mot entiercement s’emploie encore au Québec en ce sens, même si cette appellation est vieillie en France. Le tiers peut être choisi par les parties, cas de l’entiercement conventionnel, ou il peut être désigné par le tribunal, cas de l’entiercement judiciaire.

    Utilisation de l’entiercement, utiliser l’entiercement, y recourir. Modalité de l’entiercement. « La modalité de l’entiercement est prévue par le Code civil et par le Code du commerce. » Avantages de l’entiercement. « L’entiercement offre, en plus des avantages matériels évidents, l’avantage juridique de permettre de constituer plusieurs gages sur le même bien, le rang des titulaires étant déterminé par la date de naissance de leurs droits respectifs. » « L’entiercement présente des avantages pour les deux parties. Il évite au créancier de recevoir des choses encombrantes. Il permet au débiteur de ne pas épuiser tout le crédit qu’il peut tirer de sa chose  (…). Le tiers convenu détient la chose pour le compte des deux parties : à l’égard du constituant, il est détenteur relativement au droit de propriété; à l’égard du gagiste, il est détenteur relativement au droit réel de gage. » Faculté d’entiercement. « La pratique commerciale utilise très largement la faculté d’entiercement. »

  3. Au Canada, les normalisateurs de la common law en français n’ont pas voulu emprunter ce terme, plus propre à la conception du droit civil, pour en faire l’équivalent de l’"escrow" du système de droit anglais. Toutefois, l’usage paraît vouloir conserver le mot entiercement, mais dans le seul cas où le dépôt (dépôt 1, dépôt  2) se fait en mains tierces et sous condition.

    Ainsi, le mot entiercement entre en concurrence avec l’expression délivrance sous condition, laquelle permet d’élaborer, pour l’ensemble du groupe terminologique formé à partir du mot "escrow", une terminologie distincte. La documentation atteste qu’entiercement survit dans le vocabulaire des créances et des successions pour désigner l’opération par laquelle les parties à une convention, dénommée convention d’entiercement ("escrow agreement"), confient à un tiers, étranger à la convention et nommément désigné par elles dans l’acte conventionnel, la garde d’un bien mobilier, l’objet entiercé, la chose entiercée. La remise sera faite lorsqu’une condition sera réalisée, lorsqu’un événement se sera produit ou lorsqu’un délai sera passé : la remise faite au tiers est donc temporaire. Tiers dépositaire d’un entiercement.

    S’il n’y a pas remise à un tiers, mais remise uniquement assujettie à une condition, il n’y a pas entiercement.

    Il se peut que le tribunal soit appelé à prononcer l’entiercement. En ce cas, il rend une ordonnance d’entiercement provoquée par une demande ou une requête en entiercement formant le recours en entiercement. Par cette ordonnance, le tribunal effectue l’entiercement ("to put in escrow") en confiant à un tiers la garde de la chose entiercée : acte formaliste, acte de concession, documents saisis par le créancier dont la nature doit, en certains cas, demeurer secrète sous peine de causer un préjudice au débiteur saisi, argent, titres, valeurs mobilières. Accorder, maintenir, octroyer, refuser l’entiercement.

    S’agissant d’un acte juridique, l’acte entiercé ou acte délivré sous condition ne pourra prendre effet ou produire tous ses effets que lorsque la condition stipulée sera réalisée, que le délai de conservation aura expiré ou que se sera produit l’événement objet d’une stipulation expresse. On dit aussi, en ce cas, que l’acte formaliste est bloqué 1, ses effets étant interrompus jusqu’à la fin de l’entiercement.

    Pour qu’il y ait entiercement, la remise entre les mains du tiers gardien, appelé, rappelons-le, tiers convenu ("escrow" au sens métonymique, "escrowee", "escrow holder" ou, le plus souvent, "escrow agent"), doit être physique.

  4. Dans le droit du transport foncier, l’entiercement s’entend également, par métonymie, du contrat de dépôt lui-même (convention, mais aussi contrat d’entiercement) régi par le principe (on trouve aussi, par confusion, doctrine) de la délivrance sous condition ou de l’entiercement ("doctrine of escrow"), cette délivrance consitutant un cas de délivrance par entiercement que gouverne le régime de l’entiercement. Sous condition(s) d’entiercement ("under escrow"). « L’avocat n’a pas à verser les fonds en fiducie dans un compte en fiducie quand il les reçoit sous conditions d’entiercement. » Tenir en entiercement. « L’avocat tenait l’acte de transfert et les fonds en entiercement. » L’entiercement se fait, s’opère auprès du tiers convenu.
  5. Le droit des sociétés et le droit des valeurs mobilières connaissent aussi l’opération de l’entiercement. Au Canada, les actionnaires peuvent établir entre eux, par convention et sans le concours de la société, des restrictions sur le transfert de leurs actions. Par exemple, ils peuvent s’engager à ne pas vendre leurs actions avant de les avoir offertes aux autres signataires d’une convention d’entiercement ("pooling agreement").

    Dans ce genre d’entiercement, les actions sont transférées à une personne morale, qui délivre aux actionnaires des certificats d’entiercement ("pooling certificates") représentant leur nombre d’actions. Ces certificats sont échangés pour les actions à la fin de la convention. Les actions entiercées, encore appelées actions bloquées et actions incessibles, selon le contexte, sont effectivement incessibles, mais les certificats le sont, par endossement.

    La Bourse applique à une inscription initiale, à une nouvelle inscription ou à certaines autres opérations un régime d’entiercement. Entiercement d’actions, de titres. Conditions, modalités d’entiercement. « Les modalités d’entiercement seront applicables aux premiers appels publics à l’épargne. » Conditions d’entiercement de titres, de valeurs, de titres excédentaires. Périodes d’entiercement ou de détention.

    L’entiercement de titres vise un double objectif : d’abord, veiller à ce que les dirigeants et les principaux intéressés conservent une participation dans un émetteur pendant un délai d’entiercement suffisant après un premier appel public à l’épargne, ensuite, décourager l’émission de titres lorsque la valeur des titres émis ne correspond pas raisonnablement à la valeur du bien (élément d’actif, entreprise, titre de créance, de service) en règlement ou en contrepartie duquel ils sont émis. Titres entiercés. Les titres qui ne sont plus entiercés sont dits libérés.

  6. Dans le droit de la propriété intellectuelle, plus précisément dans les rameaux que constituent le droit du numérique et des nouvelles technologies, le droit du cyberespace et du commerce électronique, ainsi qu’en matière de droit d’auteur, de protection des droits dans des logiciels, des bases de données ou des marques, et dans le champ de la responsabilité des contenus illicites, de la vie privée, de la diffamation (diffamation 1, diffamation 2) et des noms de domaine, la convention ou le contrat d’entiercement demeure l’outil principal de protection des dépositaires par l’entiercement. Entiercement de codes sources de logiciels. « La présente convention d’entiercement a pour objet de préciser les conditions de dépôt du logiciel dans sa version source et les conditions d’accès au programme, ainsi que les conditions dans lesquelles la défaillance est matérialisée. »

    Ici encore, il ne peut y avoir entiercement, on ne peut opérer (un) entiercement, un entiercement ne peut être créé ou effectué que si des conditions sont posées ou que si un intermédiaire s’occupe du dépôt. La chose entiercée déposée en mains tierces ("in escrow") doit être délivrée ou remise à titre conservatoire, en mains propres, et la délivrance doit s’opérer sous condition. Entiercement de documents, documents entiercés. « Une fois entiercés, les documents ne pourront être falsifiés ni modifiés de quelque façon par les intimés puisqu’ils sont remis en mains tierces. » Le rôle du tiers convenu est principalement de s’assurer que les parties s’acquittent de leurs obligations dans le cadre de la convention qu’elles ont passée.

  7. On fera attention de ne pas confondre l’entiercement avec d’autres formes de dépôt, tels le séquestre, qui est le dépôt entre les mains d’un tiers d’une chose litigieuse ou donnée en garantie, en attendant le règlement de la contestation, et la fiducie de common law, qui est le dépôt entre les mains d’un fiduciaire de biens, réels ou personnels, qu’il s’oblige à détenir et à administrer à titre de propriétaire au profit d’un ou de plusieurs bénéficiaires ou en vue d’assurer la réalisation d’une fin particulière.

    Le tiers convenu détenteur du dépôt prend parfois le nom d’entiercé dans une certaine doctrine et dans des textes. Puisque cet emploi substantivé est rare et qu’il n’est pas sanctionné par un usage général ou répandu, on fera bien d’être prudent et de continuer de parler du tiers convenu. « L’avocat pourra faire office d’entiercé » (= de tiers convenu).

    Au Canada toujours, le verbe entiercer marque l’action qui consiste à délivrer un bien, une chose, un objet à un tiers sous condition et sous forme de dépôt. Comme les autres dérivés, il ne s’emploie que dans le cas où la délivrance se fait à un tiers, la chose étant déposée entre des mains neutres. Dans tous les cas où il y a absence de tiers convenu, on préférera dire délivrer sous condition ("to escrow", "to deliver in escrow"), expression ayant d’ailleurs fait l’objet d’une normalisation. « L’acte de transfert sera délivré à l’entiercé, soit l’avocat de la demanderesse » (= au tiers convenu).

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