Traduire dans le domaine de la sécurité, c’est dur, dur, dur!

Inès Cardinal
(L’Actualité langagière, volume 6, numéro 3, 2009, page 16)

Depuis le 11 septembre 2001, la lutte contre les dangers liés aux incidents de nature chimique, biologique, radiologique et nucléaire (CBRN) est devenue une priorité au Canada : on craint de plus en plus les actes de terrorisme. Ainsi, il est essentiel de bien protéger les intervenants d’urgence (militaires, pompiers, policiers, etc.) contre les agents chimiques, les virus et les radiations qui contamineraient l’environnement en cas d’attaque avec une arme CBRN. Le gouvernement souhaite donc rendre leur équipement plus résistant, afin de pouvoir faire face à ces nouvelles réalités. Dans ce contexte, le verbe to harden fait souvent surface et donne bien du fil à retordre aux traducteurs.

La notion

Disons d’abord que ce n’est pas une notion facile à cerner. Le terme to harden, même s’il est très répandu, n’est peut-être pas le meilleur en anglais pour désigner l’idée de rendre quelque chose plus résistant. Il existe plus d’une définition du terme to harden. Selon un dictionnaire de langue générale, la notion est assez limitée :

To protect from blast, heat, or radiation (as by a thick barrier or placement underground)Note de bas de page 1.

Un dictionnaire spécialisé nous donne une définition plus large dans le domaine militaire :

To protect and strengthen an object (e.g. air craft shelter, command post, missile silo) with reinforced concrete, steel or earth so that it resists damage resulting from a conventional or nuclear explosion. Satellites can be hardened to survive laser attacks and the effects of electromagnetic pulse (EMP) associated with nuclear detonation. With regard to the latter, most military equipment is shielded to endure EMP and continue to properly functionNote de bas de page 2.

Pour sa part, le ministère de la Défense du Royaume-Uni propose, pour le terme hardness, une définition spécialisée dans le domaine de la lutte contre les incidents CBRN :

The capability of an equipment to withstand the damaging effects of CBRN [chemical, biological, radiological and nuclear] contamination and decontamination agents and proceduresNote de bas de page 3.

Donc, dans la langue générale, l’adjectif hardened s’applique surtout à des objets qui sont physiquement durs. On dit d’un objet « qui résiste à la pression, au toucher; qui ne se laisse pas entamer ou déformer facilementNote de bas de page 4 » qu’il est dur. Cependant, un objet ne doit pas nécessairement être dur pour correspondre à la troisième définition, dont le sens est très vaste. Dans l’exemple suivant : « Primarily designed to integrate with the CR1 Frontliner CBRN garment protection system, the Hydration Vest holds a CamelBak chemically-hardened bladder which can store up to 3 litres of waterNote de bas de page 5 », le sac en question n’est pas dur. Le terme ruggedize, « to strengthen (as a machine) for better resistance to wear, stress and abuseNote de bas de page 6 », convient davantage, car il ne se limite pas à la dureté.

Un usage… répandu

En français, on emploie parfois le terme durcir, dans le domaine militaire et le domaine de la sécurité, pour désigner cette notion. Ce terme et ses dérivés (durci et durcissement) sont maintenant souvent employés dans ce sens. À titre d’exemple, on trouve abri durci, site durci et durcissement pour traduire respectivement hardened shelter, hardened site et hardeningNote de bas de page 7. Un document du Centre d’étude sur l’évaluation de la protection dans le domaine nucléaire parle de composants électroniques durcisNote de bas de page 8. Sur Internet, le terme ordinateur durci est très répandu. On trouve également durcissement électronique dans un article de Wikipédia. Selon l’auteur, le durcissement comprend les phases de conception, de réalisation ainsi que les essais qui servent à rendre un objet résistant. Cependant, durcir signifie : « rendre dur, plus durNote de bas de page 9 ». Cette définition peut s’appliquer si on parle d’un abri ou d’un blindage qui serait physiquement plus dur, mais pas dans le cas d’un ordinateur ou d’une combinaison protectrice. Le sens de durcir n’est donc pas suffisamment étendu pour bien rendre le terme to harden.

Un terme qui colle à la réalité

Au contraire, les dérivés du verbe renforcer (rendre plus fort, plus résistantNote de bas de page 10) présentent l’avantage d’englober tous les aspects de la notion. Le terme peut s’appliquer à un blindage, à un char de combat, à un ordinateur ou à un équipement électronique. Par ailleurs, renforcé désigne autant la protection installée par-dessus un objet déjà existant que la protection intégrée au moment de la fabrication. Par exemple, on peut renforcer du plastique en y ajoutant de la fibre de verre ou de la fibre de carbone. La protection peut prendre la forme de plaques, d’enduits, de matériaux spéciaux ou autres. Voici des exemples du terme renforcé employé dans le sens de hardened :

  • ordinateur renforcé (Recherche et développement pour la défense Canada)
  • textile renforcé (dans le cas des gants de pompier)
  • vêtements de protection renforcés (pour se protéger pendant l’utilisation d’outils électriques)
  • céramiques en vrac renforcées de carbure de silicium (Guide des contrôles à l’exportation du Canada)
  • capteur renforcé (instrument de mesure employé dans un conteneur maritime).

Certains de ces termes sont tirés de traductions. Les versions originales parlent de ruggedized, rugged et reinforced. De plus, dans le Journal officiel de l’Union européenne, on trouve le terme ruggedized equipment rendu par équipement renforcéNote de bas de page 11. Dans le domaine de la protection contre les impulsions électromagnétiques, on rencontre le terme hardened equipment, lui aussi traduit par équipement renforcé.

Le terme renforcé permet d’éviter une forme redondante résultant de l’utilisation du verbe protéger. Ainsi, hardened protection equipment se traduit par équipement de protection renforcé plutôt que par équipement de protection protégé.

Autres solutions examinées

Le terme revêtement risque de ne pas inclure tous les aspects que recouvre la notion to harden. Un revêtement est « ce qui revêt (un matériau, une substance) pour protéger, consolider, isolerNote de bas de page 12 ». Un revêtement ne peut pas être à l’intérieur de l’objet ou en faire partie.

Le terme blindage s’applique en général aux constructions militaires ou à la protection contre les radiations et certains effets électromagnétiques nuisibles dans le domaine des sciences.

Quant au terme cuirasse, il fait surtout référence au revêtement d’un navire de guerre ou d’un char de combat, ou à la partie d’une armure qui recouvre le buste. Dans le domaine de la zoologie, cuirasse signifie « revêtement protecteurNote de bas de page 13 ». On parle de la cuirasse d’une tortue, d’un crustacé ou d’un insecte.

On utilise le terme habillage renforcé pour décrire l’intérieur d’une ambulance ou la coque d’un appareil électronique. L’habillage est une « couverture en bois, en métal, en plastique, qui protège ou embellit un appareil, un tuyau, un mur… (L’habillage peut jouer un rôle de protection contre l’incendie, voire de protection thermique ou phonique)Note de bas de page 14 ». Par contre, les tournures comme équipement de protection habillé ou ordinateur habillé rendent mal le sens de l’anglais. Dire d’une combinaison de protection qu’elle est habillée risque de créer de la confusion, car habillé signifie aussi « qui a revêtu une tenue élégante, un habit de cérémonieNote de bas de page 15 ».

Le mot juste

En conclusion, les termes comme durcir, blindage et revêtement sont trop restrictifs. Les termes cuirasse ou habillage risquent, en plus, de créer un effet étrange en français, car ils sont surtout employés dans d’autres domaines. Donc, le verbe renforcer et ses dérivés (renforcé, renforcement) sont mieux adaptés pour rendre les notions associées aux termes to harden et hardening. Les traducteurs auront maintenant une solution pour traduire ce terme récurrent dans le domaine de la sécurité.

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