Les changements climatiques, un problème singulier

Marie D’Aoûst
(L’Actualité langagière, volume 6, numéro 2, 2009, page 18)

Rassurez-vous, il ne s’agit pas d’un article vous invitant à réduire vos émissions de gaz à effet de serre ou à expier quelque péché consumériste. Non, il s’agit tout simplement de clarifier une question d’orthographe, à savoir : de quelle façon doit-on écrire l’expression changement climatique? Au singulier ou au pluriel?

Qu’il soit scientifique ou langagier, chacun reconnaîtra qu’il règne une confusion immense quant à la façon d’écrire changement climatique. Certains auteurs utilisent même les deux formes (singulier et pluriel) sans distinction. Mon but est de fournir au lecteur une façon simple (et non simpliste) de trancher, en lui présentant une analyse lexicale des éléments qui forment le syntagme.

Je souligne que j’ai volontairement évité de traiter l’aspect scientifique de la notion, dans le but de ne pas alourdir le contenu de cet article. Vous n’y trouverez pas non plus une analyse terminométrique du terme. Le lecteur avide de détails pourra consulter la bibliographie à la fin de l’article.

État de la situation

Comme je l’ai souligné précédemment, il règne une grande confusion dans tous les milieux (scientifiques, journalistiques, etc.) quant à l’orthographe et même à la notion désignée par changement climatique. Dans certains cas, il semble que les auteurs l’utilisent pour désigner exclusivement le réchauffement planétaire, sans tenir compte des autres variations du climat. Une analyse lexicale permet d’affirmer que réchauffement planétaire et changement climatique sont deux notions différentes. En effet, le réchauffement (notion qui englobe la planète) est plutôt une cause des changements climatiques, qui peuvent prendre la forme de tempêtes, de verglas, de crues soudaines et même de vagues de grand froid; les changements n’amènent pas nécessairement une surchauffe.

Une telle interprétation pourrait expliquer, dans plusieurs cas, l’utilisation du syntagme au singulier. Ainsi, l’auteur désignerait alors un seul changement, c’est-à-dire un réchauffement.

C’est ainsi qu’on retrouve ce terme dans le titre du livre de Pierre de Félice, L’effet de serre : un changement climatique annoncé, ou encore dans un document de l’ONU :

À eux seuls, le changement climatique et la variabilité du climat ne peuvent expliquer l’augmentation de l’impact lié aux catastrophesNote de bas de page 1.

Il se pourrait que le changement climatique, en favorisant un climat plus sec et en déclenchant des tempêtes violentes, contribue à modifier les schémas d’incendieNote de bas de page 2.

Voilà qui pourrait simplifier les choses. On pourrait affirmer que le terme utilisé dans ce sens s’écrit au singulier, et qu’il s’écrit au pluriel pour parler de la variation des phénomènes climatiques. Ainsi, les terminologues pourraient dormir tranquille. N’allez pas croire que ce soit aussi simple et continuez votre lecture.

L’usage n’a pas pris une telle avenue et, pour filer la métaphore, emprunte plutôt un sentier montagnard sans balises, au gré du temps qu’il fait. En effet, dans certains documents, les auteurs utilisent les deux graphies pour désigner la même notion. Par exemple, le 11 décembre dernier, le journal Le Monde écrivait dans le même articleNote de bas de page 3 :

Poznań où se déroule la 14ème conférence des Nations-Unies sur le changement climatique […]

[…] la 14ème session de la conférence des parties (COP 14) à la Convention des Nations-Unies sur les changements climatiques […] (Poznań, du 1er au 12 décembre 2008).

Une conférence unique aux dénominations multiplesNote de bas de page 4! Et sur Internet, Ressources naturelles Canada affichait :

Le rapport « Vivre avec les changements climatiques au Canada : édition 2007 » rend compte des progrès accomplis au cours des dix dernières années dans l’étude de la vulnérabilité du Canada au changement climatiqueNote de bas de page 5.

Par ailleurs, un survol des documents du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC)Note de bas de page 6 démontre que, dans la plupart des textes antérieurs à 1990, l’usage est nettement flottant quant à l’emploi du singulier ou du pluriel. Curieusement, on note une préférence marquée pour le pluriel dans les textes plus récents.

Poursuivons cette démonstration d’ambiguïté. Une recherche à l’aide de la base de données « EurekaNote de bas de page 7 » montre une différence marquée entre les francophones d’Europe et ceux du Canada. Ainsi, on peut voir au Tableau 1 les résultats de la recherche sur la graphie de changement climatique. De ce côté-ci de l’Atlantique, le pluriel est largement privilégié, tandis qu’en Europe, on préfère clairement le singulier. Fait amusant, en décembre 2008, on pouvait lire dans certains quotidiens montréalais que le nouveau président des États-Unis « promet de s’attaquer aux changements climatiques », tandis que Le Monde et Le Nouvel Observateur disaient qu’il « s’attaquera au changement climatique ».

Tableau 1 : Utilisation des syntagmes dans les médias francophones
syntagme base EUNote de bas de page 8 base CANote de bas de page 9
changement climatique 91 12
changements climatiques 27 101

Nota : Les recherches ont été effectuées dans « Eureka », le 16 décembre 2008, sur les 30 jours précédents.

En toute simplicité

Je vous ai promis une solution simple? Je soumets donc à votre bon jugement ce qui suit. Examinons d’abord deux définitions générales du terme climat. Dans l’édition 2007 du Petit RobertNote de bas de page 10, on écrit qu’il s’agit de « l’ensemble des circonstances atmosphériques et météorologiques propres à une région du globe ». De son côté, le LarousseNote de bas de page 11 reprend sensiblement la même idée, mais précise la nature des phénomènes atmosphériques : « ensemble des phénomènes météorologiques (température, humidité, ensoleillement, pression, vent, précipitation) qui caractérisent l’état moyen de l’atmosphère en un lieu donné ».

À partir d’ici, nous pouvons comprendre que, lorsqu’il est question d’un pays ou d’une grande région (un continent), il est possible de parler du climat ou des climats selon que la notion est prise dans sa totalité ou non. On pourra donc écrire le climat du Canada pour parler de celui de tout le pays ou encore écrire les climats du Canada (climat des Prairies, des Rocheuses, etc.). Par extension, on écrira dans le même sens les changements climatiques pour décrire les changements relatifs à chacun des climats du pays, et le changement climatique pour décrire celui du Canada tout entier.

Ici la Terre

Toutefois, et c’est là que réside le principal problème, qu’en est-il lorsqu’on parle des changements du climat de la planète entière?

En toute logique, il faudra écrire le syntagme au pluriel, soit changements climatiques, car, comme le définissent les ouvrages cités précédemment, le terme climat (et par extension l’adjectif climatique) se rapporte à une région du globe, à un lieu donné.

En somme, il est possible d’affirmer que pour décrire le changement des climats, c’est-à-dire ceux qui touchent l’ensemble de la planète, il vaut mieux utiliser l’expression au pluriel, soit changements climatiques. D’un autre côté, on devrait utiliser le singulier pour décrire le changement du climat propre à une région, à un lieu donné. On pourra aussi traiter des changements climatiques du Canada si, par ce syntagme, on désigne des changements qui touchent, en même temps, plusieurs climats régionaux du pays (climat des Rocheuses, des Prairies, etc.).

En terminant, permettez-moi de vous signaler que dans un lexique les entrées sont lemmatisées, c’est-à-dire ramenées à leur forme canonique; ne vous étonnez donc pas d’y trouver le terme au singulierNote de bas de page 12.

Pour en savoir plus

  • Centre national de la recherche scientifique, France : Centre national de la recherche scientifique.
  • Dictionnaire encyclopédique de l’écologie et des sciences de l’environnement, François Ramade, 1993, Édiscience international, 822 pages.
  • Écologie, Robert E. Ricklefs, De Boeck Université, 2005, 821 pages.
  • Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat.
  • La grande inconnue, Claude Villeneuve, Revue des sciences de l’eau, vol. 21,  2, 2008, pages 129-133.
  • Ressources naturelles Canada : www.rncan.gc.ca/.
  • Vocabulaire du réchauffement climatique, Volume I : Les agents à effet de serre, Bulletin de terminologie 214, Denis Rivard, Bureau de la traduction, 1992.

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