La simplicité volontaire en traduction

Lucie Lapointe
(L’Actualité langagière, volume 5, numéro 2, 2008, page 23)

Enfermés dans notre routine, éperonnés par les normes de production, nous oublions trop souvent que notre traduction a un destinataire. Comme le dit si bien Jean Delisle : « (le) rédacteur de textes pragmatiques (…) adapte plus ou moins ce qu’il a à dire en fonction de la nature du message et de ses destinataires. Le texte pragmatique est didactique. Le traducteur doit donc, lui aussi, se soucier des destinatairesNote de bas de page 1. »

Au tout début de ma carrière au Bureau de la traduction, un de mes réviseurs m’a fait le commentaire suivant : « ta traduction est bonne, mais on ne met pas ces mots-là dans la bouche de cette personne ». Réviseure à mon tour, il m’arrive souvent de constater cette erreur. La même phrase dans une lettre et dans un argumentaire ne se traduit pas de la même manière. À l’époque des premiers ministres Chrétien et Martin (et de Trudeau avant eux), on traduisait souvent pour des demandeurs francophones, ce qui est plus rare aujourd’hui. Il faut donc avoir un autre élément bien présent en tête : l’aisance de la personne dans la langue cible. Rien ne sert de chercher de belles tournures et de beaux grands mots s’ils sonnent faux dans la bouche de la personne qui aura à les prononcer. Pour reprendre une expression à la mode, il faut à l’occasion savoir faire preuve de simplicité volontaire. Il vaut mieux parfois s’en tenir non seulement à des mots simples, mais aussi à des structures simples.

Autre élément important à ne pas oublier : qui a rédigé le texte? Est-ce un rédacteur professionnel (une espèce en voie de disparition) ou un spécialiste du domaine? Comme tout le monde rédige aujourd’hui, on est presque toujours appelé à traduire des textes mal ficelés. Certains textes sont produits par des auteurs qui trouvent difficile de résister, comme certains traducteurs, aux chants des sirènes de la paresse mentale. Et comme Internet leur rend la vie facile, le copier-coller a la cote. Le traducteur doit alors faire l’exercice de synthèse que le rédacteur a escamoté en rétablissant les liens logiques ou encore en éliminant les répétitions inutiles.

Dire qu’à l’université je trouvais prétentieux ce professeur qui nous disait améliorer parfois le texte d’un écrivain célèbre qu’il traduisait. J’ai souvent vu depuis, et vous aussi j’en suis convaincue, des traductions d’une meilleure tenue que les textes de départ!

Petit conseil en terminant : il ne faut pas hésiter à faire subir à nos textes ce que Flaubert appelait « l’épreuve du gueuloir » et à s’imaginer dans la peau du personnage. Si on bute sur un bout de phrase, il est fort probable que la personne qui aura à le prononcer, ou le lecteur qui aura à le lire, butera aussi.

À bon entendeur…

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