Fanny Vittecoq
(L’Actualité langagière, volume 8, numéro 1, 2011, page 35)
La locution perdre son latin ne date pas d’hier. Sa première empreinte dans la langue remonte à 1338, dans le poème Les vœux du héron : « Ens el mois de setembre, qu’estés va a declin / Que cil oisillon gay ont perdu lou latin » (Dans le mois de septembre que l’été va à déclin, que ces oisillons gais ont perdu leur latin). Autrement dit, les oiseaux ont perdu leur langage, ils se sont tus à l’arrivée de l’automne.
Il faut attendre le xvie siècle pour que l’expression fasse son nid, car plusieurs estiment qu’elle serait plutôt apparue en 1566. Quoi qu’il en soit, y perdre son latin signifiait alors « perdre son temps et sa peine, travailler inutilement à quelque chose », acception disparue aujourd’hui. L’expression dériverait d’être au bout de son latin, c’est-à-dire « ne plus savoir que faire ni que dire, manquer de moyens pour venir à bout de quelque chose ». Puis on l’employa dans le sens de « renoncer à comprendre ». Pas surprenant : le latin était si difficile à apprendre que seule l’élite intellectuelle le maîtrisait. Le diable y perdrait son latin, disait-on même, en parlant d’une chose très difficile à faire.
De nos jours, y perdre son latin, que certains dictionnaires jugent de niveau familier, a le sens de « ne plus rien y comprendre » :
On y perd son latin. On risque d’y perdre ses moyens. Le choix d’un (bon) conseiller financier est un exercice délicat. Déjà, distinguer ses différentes incarnations relève du casse-tête chinois. (La Presse)
La locution a également conservé le sens d’être au bout de son latin (expression maintenant vieillie), soit de « ne plus savoir que faire ni que dire » :
La liste des activités du Festival Juste pour rire dans la rue est étourdissante. On y perd son latin tellement il y a de choix. (Rue Frontenac)
Pas de chance pour en perdre son latin : les grands ouvrages restent à son sujet aussi muets que les oiseaux à l’automne. Pourtant, les exemples avec en sont beaucoup plus populaires qu’avec y :
La météo est plus instable que jamais. Même des météorologues d’Environnement Canada en perdent leur latin et se contredisent. (Journal de Montréal)
De toute évidence, l’expression perdre son latin, qu’elle soit précédée de y ou de en, ne semble pas en voie de disparition. Étrange, quand même, puisque le latin n’est plus parlé que par quelques exégètes, érudits et autres… oiseaux rares!
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