Plonger dans le français québécois, c’est comme découvrir un nouveau monde linguistique, riche en surprises et en défis. Il y a trois ans, je suis venue au Québec pour poursuivre des études en lettres. Je me disais que, vu la proximité avec New York, je ne serais pas totalement dépaysée. Il semblait plus profitable d’intégrer un environnement francophone, car cela pouvait procurer un sentiment de familiarité rassurant. J’ai vite compris que ce n’était pas le cas. Dès mes premiers jours ici, je me suis rendu compte que le français québécois était un univers à part entière, avec ses sonorités, ses expressions et ses subtilités. Loin de me sentir en terrain connu, je me suis retrouvée dans une aventure linguistique inattendue, faite de dépaysement, de surprises et de défis quotidiens.
Les défis de communication
Le premier choc a été l’accent. J’avais déjà entendu parler du célèbre accent québécois avant de venir et j’avais déjà effectué quelques voyages à Montréal, mais le vivre au quotidien, c’était une autre histoire. Je me souviens encore de mes premières conversations avec les personnes que je rencontrais, où chaque échange exigeait un effort de décryptage. Certains mots, que je connaissais bien en français standard, semblaient méconnaissables dans leur bouche. Je m’accrochais à des mots-clés, essayant de deviner le sens global de leurs propos, mais les nuances m’échappaient souvent. Par exemple, quand quelqu’un me disait « t’sé, c’est pas facile pantoute », mon cerveau s’embrouillait. « T’sé »? J’avais l’impression d’entendre un bruit plutôt qu’un mot, comme un claquement de langue entre deux phrases au lieu du régulier « tu sais ». Quant à « pantoute », c’était une énigme totale. Ce mot-là m’a suivi longtemps, jusqu’à ce que je comprenne, assez récemment, qu’il signifiait « pas du tout ». Mais jusque-là, je souriais poliment, priant pour que la conversation ne s’éternise pas sur un sujet que je n’arrivais à saisir qu’à moitié.
Le poids de l’incompréhension
Lorsque je ne comprenais pas ce qui se disait, j’avais peur de le montrer, j’étais submergée par la honte. Demander à quelqu’un de répéter, c’était révéler mon ignorance, et j’avais trop peur de passer pour une personne qui n’était pas à sa place. Alors, j’acquiesçais, je souriais quand les autres riaient, espérant que mes gestes combleraient les trous de mon incompréhension. Ce sentiment de décalage me donnait l’impression d’être constamment en train de jouer un rôle, d’essayer d’être celle qui comprend et s’intègre, alors qu’au fond, je priais pour entendre l’accent du français d’Haïti, du Sénégal, de Guadeloupe, de France.
Les petites victoires de l’apprentissage
Mais au-delà des défis, des moments de découvertes et de petites victoires m’ont fait entrevoir l’aspect ludique de ce processus. J’ai assisté à des spectacles de Boucar Diouf – un autre accent –, de Rachid Badouri, etc. J’ai alors commencé à saisir des blagues que je n’aurais pas du tout comprises quelques mois plus tôt. C’était comme si j’explorais une nouvelle couleur dans un tableau familier; le signe que je progressais lentement mais sûrement.
Une connexion inattendue
Et puis, il y a eu ces moments imprévus qui m’ont fait prendre conscience du fait que l’apprentissage d’une langue, c’est aussi une exploration de soi. Je me souviens qu’en entrant dans un magasin un jour, une dame m’a saluée en me lançant un chaleureux « Il fait frette aujourd’hui, hein? ». Cela m’a prise par surprise : comment pouvait-elle savoir que j’étais d’origine haïtienne? Le mot « frette » se prononce comme un terme créole utilisé couramment en Haïti pour dire qu’il fait froid. J’ai souri à la dame, mais cela n’allait pas s’arrêter là. L’année dernière, ma fille, alors âgée de 7 ans, est rentrée à la maison et nous a raconté une anecdote. Au beau milieu de la conversation, elle a dit « drette »! Encore un mot créole courant en Haïti qui signifie « droit ». L’effet d’étonnement passé, je me suis mise à rire, trouvant ces expressions proches d’un mélange de français et de créole. Et j’ai ainsi réalisé que l’immersion linguistique, ce n’est pas seulement apprendre du vocabulaire, mais aussi découvrir une nouvelle façon de se percevoir à travers les langues qui nous entourent.
L’évolution vers une perception plus positive de la langue et de la culture québécoises
Avec le temps, j’ai compris que le français québécois n’était pas un obstacle à surmonter, mais une richesse à découvrir, un paysage complexe où les mots et les tournures ont leur relief et leur saveur. J’ai accepté que cette découverte nécessite de la patience, et j’ai appris qu’un simple sourire pouvait encourager l’autre à s’ouvrir à nous. Je me laisse désormais guider par la curiosité plutôt que par la crainte de mal faire. Même si l’on n’arrive pas à employer certaines expressions typiquement québécoises, il convient de rappeler que le français et l’anglais, introduits au Canada, ont façonné en partie l’identité de ce pays. Toutes les autres langues, venues avec les vagues d’immigration, participent au renforcement de son paysage linguistique.
Un voyage sans fin
Aujourd’hui encore, il m’arrive d’être déstabilisée par une expression inconnue ou un accent particulièrement fort. Pourtant, au lieu de me sentir perdue comme avant, j’essaie de voir en ces moments une invitation à continuer ce voyage, à découvrir un peu plus de ce territoire linguistique qui, en somme, n’a jamais cessé de m’étonner. Parce que l’apprentissage d’une langue, surtout lorsqu’on s’immerge dans une culture étrangère, ce n’est jamais un point final, mais plutôt une exploration continue. Et ce voyage, bien que parfois déroutant, s’avère très enrichissant. En fin de compte, chaque mot appris et chaque expression comprise sont des pas vers une meilleure perception et appréciation de la culture québécoise.