Un voyage linguistique au cœur du français québécois

Publié le 26 mai 2025

Plonger dans le français québécois, c’est comme découvrir un nouveau monde linguistique, riche en surprises et en défis. Il y a trois ans, je suis venue au Québec pour poursuivre des études en lettres. Je me disais que, vu la proximité avec New York, je ne serais pas totalement dépaysée. Il semblait plus profitable d’intégrer un environnement francophone, car cela pouvait procurer un sentiment de familiarité rassurant. J’ai vite compris que ce n’était pas le cas. Dès mes premiers jours ici, je me suis rendu compte que le français québécois était un univers à part entière, avec ses sonorités, ses expressions et ses subtilités. Loin de me sentir en terrain connu, je me suis retrouvée dans une aventure linguistique inattendue, faite de dépaysement, de surprises et de défis quotidiens.

Les défis de communication

Le premier choc a été l’accent. J’avais déjà entendu parler du célèbre accent québécois avant de venir et j’avais déjà effectué quelques voyages à Montréal, mais le vivre au quotidien, c’était une autre histoire. Je me souviens encore de mes premières conversations avec les personnes que je rencontrais, où chaque échange exigeait un effort de décryptage. Certains mots, que je connaissais bien en français standard, semblaient méconnaissables dans leur bouche. Je m’accrochais à des mots-clés, essayant de deviner le sens global de leurs propos, mais les nuances m’échappaient souvent. Par exemple, quand quelqu’un me disait « t’sé, c’est pas facile pantoute », mon cerveau s’embrouillait. « T’sé »? J’avais l’impression d’entendre un bruit plutôt qu’un mot, comme un claquement de langue entre deux phrases au lieu du régulier « tu sais ». Quant à « pantoute », c’était une énigme totale. Ce mot-là m’a suivi longtemps, jusqu’à ce que je comprenne, assez récemment, qu’il signifiait « pas du tout ». Mais jusque-là, je souriais poliment, priant pour que la conversation ne s’éternise pas sur un sujet que je n’arrivais à saisir qu’à moitié.

Le poids de l’incompréhension

Lorsque je ne comprenais pas ce qui se disait, j’avais peur de le montrer, j’étais submergée par la honte. Demander à quelqu’un de répéter, c’était révéler mon ignorance, et j’avais trop peur de passer pour une personne qui n’était pas à sa place. Alors, j’acquiesçais, je souriais quand les autres riaient, espérant que mes gestes combleraient les trous de mon incompréhension. Ce sentiment de décalage me donnait l’impression d’être constamment en train de jouer un rôle, d’essayer d’être celle qui comprend et s’intègre, alors qu’au fond, je priais pour entendre l’accent du français d’Haïti, du Sénégal, de Guadeloupe, de France.

Les petites victoires de l’apprentissage

Mais au-delà des défis, des moments de découvertes et de petites victoires m’ont fait entrevoir l’aspect ludique de ce processus. J’ai assisté à des spectacles de Boucar Diouf – un autre accent –, de Rachid Badouri, etc. J’ai alors commencé à saisir des blagues que je n’aurais pas du tout comprises quelques mois plus tôt. C’était comme si j’explorais une nouvelle couleur dans un tableau familier; le signe que je progressais lentement mais sûrement.

Une connexion inattendue

Et puis, il y a eu ces moments imprévus qui m’ont fait prendre conscience du fait que l’apprentissage d’une langue, c’est aussi une exploration de soi. Je me souviens qu’en entrant dans un magasin un jour, une dame m’a saluée en me lançant un chaleureux « Il fait frette aujourd’hui, hein? ». Cela m’a prise par surprise : comment pouvait-elle savoir que j’étais d’origine haïtienne? Le mot « frette » se prononce comme un terme créole utilisé couramment en Haïti pour dire qu’il fait froid. J’ai souri à la dame, mais cela n’allait pas s’arrêter là. L’année dernière, ma fille, alors âgée de 7 ans, est rentrée à la maison et nous a raconté une anecdote. Au beau milieu de la conversation, elle a dit « drette »! Encore un mot créole courant en Haïti qui signifie « droit ». L’effet d’étonnement passé, je me suis mise à rire, trouvant ces expressions proches d’un mélange de français et de créole. Et j’ai ainsi réalisé que l’immersion linguistique, ce n’est pas seulement apprendre du vocabulaire, mais aussi découvrir une nouvelle façon de se percevoir à travers les langues qui nous entourent.

L’évolution vers une perception plus positive de la langue et de la culture québécoises

Avec le temps, j’ai compris que le français québécois n’était pas un obstacle à surmonter, mais une richesse à découvrir, un paysage complexe où les mots et les tournures ont leur relief et leur saveur. J’ai accepté que cette découverte nécessite de la patience, et j’ai appris qu’un simple sourire pouvait encourager l’autre à s’ouvrir à nous. Je me laisse désormais guider par la curiosité plutôt que par la crainte de mal faire. Même si l’on n’arrive pas à employer certaines expressions typiquement québécoises, il convient de rappeler que le français et l’anglais, introduits au Canada, ont façonné en partie l’identité de ce pays. Toutes les autres langues, venues avec les vagues d’immigration, participent au renforcement de son paysage linguistique.

Un voyage sans fin

Aujourd’hui encore, il m’arrive d’être déstabilisée par une expression inconnue ou un accent particulièrement fort. Pourtant, au lieu de me sentir perdue comme avant, j’essaie de voir en ces moments une invitation à continuer ce voyage, à découvrir un peu plus de ce territoire linguistique qui, en somme, n’a jamais cessé de m’étonner. Parce que l’apprentissage d’une langue, surtout lorsqu’on s’immerge dans une culture étrangère, ce n’est jamais un point final, mais plutôt une exploration continue. Et ce voyage, bien que parfois déroutant, s’avère très enrichissant. En fin de compte, chaque mot appris et chaque expression comprise sont des pas vers une meilleure perception et appréciation de la culture québécoise.

Avertissement

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En savoir plus sur Jeanie Bogart

Jeanie Bogart

Née en Haïti, Jeanie Bogart y a étudié le journalisme et travaillé comme reporter, présentatrice et rédactrice de nouvelles avant de mener une carrière d’interprète et d’écrivain aux États-Unis. Installée au Canada depuis 2020, elle poursuit ses études supérieures en lettres à l’Université du Québec à Trois-Rivières. Chroniqueuse au Cochaux Show, Jeanie fait partie de l’administration de la revue L’Alinéa, produite par l’Association des auteures et auteurs de l’Estrie.

 

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Commentaires

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Soumis par Diane DeLongchamp le 26 mai 2025 à 19 h 07

Il n'y a pas que la langue française québécoise. Vous découvrerez ces genres d'expression dans tout le reste du Canada. C'est la langue canadienne-française et non la langue québécoise.

Soumis par Jeanie Bogart le 29 mai 2025 à 19 h 46

Vous avez tout à fait raison de souligner la richesse du français parlé ailleurs au Canada. Dans ce texte, je me suis concentrée sur mon expérience personnelle au Québec, mais je reconnais volontiers que les expressions régionales, les accents et les réalités culturelles varient énormément à travers les différentes communautés francophones du pays. Ce voyage au cœur du français québécois n’est qu’un chapitre d’une découverte plus vaste du français canadien.

Soumis par Helene Bedard le 27 mai 2025 à 8 h 39

Etonnée moi aussi que les mots ''frette'' et ''drette'' soient aussi en créole! Il y a toujours moyen de se retrouver quelque part. J'ai voyagé en France plusieurs fois et plusieurs lieux aux connotations de langage différents (comme au Qu`bec) et parfois les gens nous pensaient italiens à cause de la vitesse de notre débit de langage.
Il faut juste s'ouvrir à l'autre pour arriver à se comprendre.
Merci Jeanie.

Soumis par Jeanie Bogart le 29 mai 2025 à 19 h 53

C’est vrai que c’est étonnant et touchant de voir ces ponts inattendus entre les langues — comme si certaines sonorités voyageaient avec nous sans qu’on le sache. J’aime beaucoup ce que vous dites : “il faut juste s’ouvrir à l’autre pour arriver à se comprendre”. C’est exactement ce que ce voyage linguistique m’enseigne chaque jour.
Merci, Hélène, d’avoir partagé votre expérience.

Soumis par Michèle Cossette le 18 août 2025 à 16 h 57

Votre commentaire me rappelle qu'un jour, sur le quai d'une gare de Provence, un homme d'un certain âge m'a demandé de quelle partie de la France je venais. À ses yeux, même s'il ne reconnaissait pas mon accent, j'étais Française puisque je parlais français et que mon accent n'était ni anglais, ni allemand, ni suisse, ni belge... J'ai adoré sa question!

Soumis par Anne-Marie Labelle le 9 juin 2025 à 18 h 15

Oui, très beau texte et très bien lu le samedi soir, 7 juin dernier, lors du Festival AVEC, dans le magnifique parc d'Howard ! Merci Jeanie de nous apporter un regard franc et précis sur nos mots particuliers, nos expressions parfois savoureuses ! On comprend mieux le questionnement des arrivants et de nos cousins les Français !

Soumis par Jeanie Bogart le 11 juin 2025 à 14 h 14

Merci Anne-Marie ! Ça me fait vraiment plaisir de savoir que le texte t’a touchée. C’est un vrai bonheur de partager ces découvertes linguistiques, et encore plus de les savoir accueillies avec autant d’enthousiasme. Au plaisir de te recroiser dans une prochaine aventure littéraire !
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