Respecter la non-binarité de genre en français

Publié le 19 août 2019

Si les mouvements féministes des années 1970 et 1980 ont poussé les institutions à se doter de principes de rédaction non sexistes et à promouvoir la féminisation inclusive, l’évolution de nos sociétés nous amène à reconsidérer notre rapport à la langue genrée. Nous cherchons maintenant à adopter des pratiques de rédaction et de traduction qui répondent aux besoins des personnes non binaires et leur assurent la reconnaissance qui leur est due.

Qu’entend-on par « personnes non binaires »? Dans l’article intitulé « Les personnes non binaires en français : une perspective concernée et militante » (PDF), Florence Ashley, juriste et bioéthicienne non binaire, explique que les personnes non binaires, « qui ne s’identifient ni au genre masculin ni au genre féminin, peuvent n’être d’aucun genre (agenre), être de deux genres (bigenre), d’identification de genre partielle (demigenre), ou de genre qui varie dans le temps (fluide dans le genre), pour ne nommer que quelques identités non binaires spécifiques ». Or, le français moderne ne reconnaissant que deux genres exclusifs – le masculin et le féminin –, on devine que des difficultés se posent.

Tout d’abord, mentionnons que les personnes non binaires francophones sont les mieux placées pour se prononcer sur les stratégies à employer. Dans ce dossier, c’est l’usage des communautés concernées qui fait foi. Saluons les efforts de l’Office québécois de la langue française (article Désigner les personnes non binaires) et du Bureau de la traduction (Lexique sur la diversité sexuelle et de genre), pour ne nommer que ceux-là, qui ont consulté ces communautés et ont recensé quelques pratiques militantes et issues de ces communautés.

Quiconque se penche sur les pratiques de « dégenrage » de la langue constatera un manque de consensus. Faut-il s’en étonner? Pendant longtemps, les communautés de la diversité sexuelle et de la pluralité des genres ont été réduites au silence, ce qui explique peut-être qu’elles en sont encore à l’étape de trouver des façons de parler de leurs expériences.

Quelques stratégies de neutralisation

Voici quelques stratégies auxquelles les rédactaires Note de bas de page * francophones ont recours pour tenir compte des personnes non binaires.

  • Termes épicènes :
    • Ne présentent pas d’alternance masculin/féminin et désignent tout aussi bien les femmes, les hommes et les personnes non binaires.
    • Exemples : le lectorat, le personnel, la population, les scientifiques, les élèves.
  • Formules inclusives :
    • Évitent l’emploi du masculin générique et emploient plutôt la féminisation inclusive, ce qui se traduit entre autres par des doublets.
    • Reflètent tout de même une binarité masculin-féminin.
    • Exemples : les Canadiens et les Canadiennes, les professionel·le·s.
  • Néologismes :
    • Pronoms neutres (par exemple : iel, ille, al et ol pour la 3e personne du singulier).
    • Articles neutres (par exemple : an pour un/une).
    • Modification des terminaisons (par exemple : autaire pour auteur/autrice).
    • Mots-valises (par exemple : frœur, pour frère/sœur).
    • Modification des accords (par exemple : heureuxe pour heureux/heureuse).

Notons que, dans le contexte qui nous intéresse, le genre linguistique, qui est attribué aux objets inanimés et qui relève davantage de la convention, n’est pas pertinent et n’est pas remis en question.

Comme le souligne Florence Ashley, les formules inclusives ne sont pas toujours respectueuses des personnes non binaires : bien souvent, elles visibilisent les femmes, mais elles ne reconnaissent pas l’existence des personnes non binaires. C’est le cas de l’exemple « les Canadiens et les Canadiennes ». À cet égard, les graphies tronquées (créées notamment à l’aide du point médian) sont généralement perçues comme étant plus inclusives des personnes non binaires.

Monsieur, madame ou…?

La plupart des ouvrages de référence recommandent d’abandonner les titres de civilité lorsque l’on s’adresse à une personne non binaire dans un contexte formel. À mon avis, cet exemple illustre une certaine maladresse, voire un malaise. De toute évidence, nous avons de la difficulté à adapter nos pratiques à la réalité des personnes non binaires. Si la première concession que nous acceptons de faire est de renoncer à nous adresser à elles en employant un titre de civilité, cela m’apparaît plutôt révélateur. Or, quelques solutions ont été proposées : on pourrait écrire « Mx », « mix », « mixe » ou « mondame », par exemple. La stratégie du « x », qui consiste à remplacer une terminaison genrée, est employée non seulement par les anglophones, mais aussi par les hispanophones, qui pourront se dire latinx plutôt que latino/latina.

En ayant recours au français neutre sur le plan du genre, on témoigne d’une volonté de s’adresser à l’ensemble de la société dans toute sa diversité; on fait une place, à même la langue, aux personnes qui ne se reconnaissent pas dans la binarité masculin-féminin.

À l’heure où les spécialistes de la langue cherchent à défendre la valeur de leur travail, des questions comme celles du genre neutre en français nous donnent l’occasion de faire valoir nos compétences. Rédiger de façon à inclure les personnes non binaires représente un défi linguistique contemporain; en se proposant de le relever, on fait appel à sa créativité. C’est un exercice qui demande de l’empathie et du respect : il faut faire des recherches et se tourner vers les autaires issus des communautés concernées.

Plusieurs autaires et linguistes non binaires œuvrent à faire avancer les discussions en vue d’en arriver à un consensus. Je vous invite à suivre la progression de ces échanges.

Quelques suggestions pour poursuivre votre lecture :

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Laurent Aussant

Laurent Aussant

Laurent Aussant, traducteur agréé de l’OTTIAQ, traduit de l’anglais vers le français au Bureau de la traduction. Il se spécialise dans la traduction de textes portant sur la sexualité, le VIH et la diversité de genre. Il s’intéresse à la traduction située et menée en collaboration avec les personnes marginalisées en raison de leur genre ou de leur sexualité. Il a entre autres collaboré à des campagnes sur la santé sexuelle et à des projets de recherche pancanadiens sur le VIH.
 

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Commentaires

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Soumis par Sara Tasset le 20 août 2019 à 13 h 19

Merci pour cet article! Excellent état des lieux sur une question en pleine évolution.

Soumis par Robert Boucher le 20 août 2019 à 20 h 04

Je trouve très intéressants tous ces articles que vous soumettez. Mais quand et comment, ces nouveaux mots — ou suffixes ou préfixes et autres signes orthographiques — seront-ils officialisés et utilisés dans le langage et les écrits? Et puis... comment la société québécoise sera-t-elle prête à s'en servir?
Il y a des nouveaux mots, de nouvelles orthographes ou de nouveaux sigles qui prendront beaucoup d'années à être employés, voire même dans la langue française internationale.
En principe, je suis d'accord avec ces nouveautés, mais je ne saurais les utiliser intelligemment si je ne connais pas la personne à qui je m'adresse.
Et puis... les journaux, les différents postes de télévision, comment réagissent-ils et quand vont-ils s'y conformer?
Bien des questions avant que ce nouveau mode d'écriture soit adopté et utilisé correctement sans gêner ou offusquer les personnes des deux genres « dits » officiels?
J'ai imprimé toute votre documentation pour l'étudier plus profondément... en attendant un heureux dénouement de ce nouveau vocabulaire...
Merci.

Soumis par Mr Jocelyn Leclerc le 21 août 2019 à 21 h 07

Il me semble que de regarder ce que font les langues latines avec 3 genres, donc la reconnaissance du neutre, c'est une avenue bien meilleure et qui reconnait les racines latines de notre belle langue. Ceci dit... On dit la table et ça ne veut pas dire qu'elle est féminine. Elle n'a pas de sexe. Il semble que le problème en français ne concerne que les mammifères. L'adoption du genre neutre, si elle n'affecte que cette catégorie, aurait un impact relativement limité.

Soumis par Steve le 24 février 2020 à 21 h 27

Avoir une langue neutre est la moindre des choses. En français le masculin n'est PAS neutre et si c'était le cas, on ne se questionnerait pas à ce sujet.
Afin que les personnes non-binaires et les femmes soient incluses, il faut que des modifications majeures soient apportées. Qu'une femme dise "on est content de..." lorsqu'elle parle d'elle et d'une autre personne de genre masculin n'a rien d'inclusif. Les différentes chaînes de télévision ainsi que les réalisations effectuées en français doivent également contribuer à ce que tout le monde soit inclus. Certaines professions, telles que sergent ou agent ne sont pas toujours féminisées à la télévision donc la professionnelle se présente en se nommant sergent ou agent... La féminisation des professions n'est pas respectée encore de nos jours. De plus, lorsqu'on parle des Canadiens ou des Québécois, bien souvent, les femmes sont incluses peu importe le nombre d'hommes, de femmes ou de non-binaires Donc, on constate très rapidement que le français n'a pas de genre neutre actuellement. Plusieurs modifications s'imposent à la langue française...

Soumis par Isabelle le 25 février 2020 à 16 h 57

Il est plus que temps que les droits de l'homme fassent maintenant place aux droits HUMAINS! Il y a vraiment d'importants changements sociaux, en profondeur, à apporter à la société actuelle pour améliorer l'inclusivité, l'équité et la justice pour TOUTES les personnes, peu importe leur genre et ce, de façon réelle et concrète!
Avoir une langue française neutre aurait l'avantage d'inclure TOUTES les personnes, peu importe leur genre (non binaire, féminin, etc.)! Présentement, il n'y a que le masculin qui est représenté car non, en français, il n'existe pas de genre générique ou neutre. Il n'y a que des genres binaires, et le masculin n'est pas plus neutre ou générique que les autres genres.

Soumis par Diane DeLongchamp le 2 juin 2020 à 9 h 54

Merci de nous informer de ces changements importants dans l'application des genres ou non dans cette nouvelle réalité des langues. Je suis en fait la mère d'une personne qui se considère non binaire et je tente de m'adapter à ces nouvelles formes de nomenclature. Je crois que la clé du succès sera dans la formation de nos enfants et petits-enfants. J'espère que les éducateurs s'acquitteront de cette tâche dans toutes nos écoles, incluant les écoles dites privées. Il sera très important que tous reçoivent la même formation à ce sujet, mais je comprends que le chemin sera long et plein de défis langagiers... et de polémiques! Nous sommes très ancré.e.s dans nos habitudes. Malgré le fait que j'ai fait le choix d'accepter cette nouvelle réalité langagiè.r.e, il n'est pas surprenant que mon cerveau ne s'adapte pas aussi facilement! Comme vous avez probablement constaté, je ne suis pas constante dans l'application de mes genres et j'ai hâte de lire vos articles. J'ai beaucoup à apprendre!

Soumis par Katie Warlund le 23 juillet 2021 à 11 h 18

Thank you so much for this information. It's great to have it written down to support what we hear and use. I'm thrilled that the Government has this primer on its website. I wish that these inclusive changes to Quebec French would be taught in primary school--or at the very least, used by teachers and displayed on classroom walls. The work of linguistic transitioning must be done by cis-gendered québécoix in support of LGBTQ2+ quebecoix

Soumis par Jamiey-Dale Kelly le 11 octobre 2021 à 8 h 45

Très important comme information à diffuser sans modération, surtout parmi les employeurs et le service public.

Soumis par Johanne Boisvert le 12 octobre 2021 à 22 h 52

Le "masculin" n'est pas neutre, et c'est uniquement parce qu'existe le "féminin" (comme beauté et laideur existe l'un à cause de l'autre)
Option 1: Laissons tomber totalement le féminin et le masculin. Utilisons ce qui est actuellement considéré comme le "masculin" , enlevons-lui ce qualificatif de "masculin" et utilisons-le pour tout le monde. Plutôt que de créer des mots nouveaux ou plusieurs façons d'écrire le même mot. C'est juste une question d'état d'esprit que de dire que la forme dite masculine inclut le féminin et de s'en offusquer- tout mot dit "neutre" va inclure tous les genres et on ne s'en offusquera pas
Option 2: J'aurais pu écrire l'option 1 autrement: laissons tomber le masculin et le féminin. Utilisons ce qui est considéré comme "féminin", enlevons-lui ce qualificatif et utilisons-le pour tout le monde. Mais je préfère la première formulation parce que ce sera plus simple, et que la forme grammaticale du féminin est plus complexe et qu'il faudrait se référer à la forme masculine pour l'accord dans certains cas, sans compter les noms sans féminin.
Finalement, pour désigner les personnes, plutôt que d'utiliser le ou la pour distinguer le genre, on pourrait utiliser lo. Par exemple, lo médecin, lo prêtre (ou lo prêtresse selon l'option 2), ou bien lo auteur (ou lo autrice option 2) lo fermier (lo fermière).
À noter que j'ai toujours été irritée par cette affirmation que le masculin inclut le féminin parce qu'elle est arrogante et polarisante - ne pourrions-nous pas enlever cette polarisation en déclarant qu'il n'existe plus ni masculin, ni féminin, ni accord de genre?

Soumis par Thomas LAFEUILLE le 21 novembre 2021 à 8 h 19

Bonjour M. AUSSANT,
Je voudrais infirmer l'affirmation suivante : "les personnes non-binaires francophones sont les mieux placées pour se prononcer sur les stratégies à employer", comme si cette question ne pouvait pas intéresser d'autres profils.
A dire vrai, je n'ai qu'un avis mitigé sur la théorie du genre qui proclame une distinction nette entre sexe (biologie) et genre (construction sociale), pour la trouver simplificatrice.
Je ne conteste pas l'existence au sein du corps social d'une pression de catégorisation par stéréotypes sociaux genrés, je conteste leur pertinence tout court. Être homme ou femme socialement, j'ai décidé de m'en abstraire totalement et de m'en contrefoutre. Pour moi, ça ne veut rien dire ; je suis "Moi", point barre.
Suis-je alors non-binaire ? Suivant l'appréciation signifiante du mot, cela se pourrait, ou non.
Certans militanz du genre se plaisent à me catégoriser parmi les cis-genres, ce que je réfute naturellement, refusant de m'assigner une identité de genre.
Pourtant, je n'ai aucune difficulté à employer le genre grammatical masculin pour moi-même, pour la simple raison que mon type sexuel est sans ambiguïté celui du mâle.
Bref, toutes ces catégorisations ne sont pas si simples, et sont abusivement utilisées par touz pour leur agenda militant.
Suis-je toutefois disqualifié pour me prononcer sur lesdites stratégies à employer ?
Je ne crois pas, dans le sens que l'absence de genre neutre en langue française pose problème, de n'importe quel point de vue d'où l'on se place. Pour moi, c'est un sujet d'intérêt général de la langue française qui intéresse tous ses locutaires.
J'ai écrit un texte pour une amie enceinte au décès de sa mère, que j'appréciais beaucoup. J'ai choisi comme narrateur son foetus, et je me suis trouvé bien embêté, nulx ne connaissant à ce stade le sexe de l'enfant.
J'avais donc bien besoin d'un neutre, pourtant inexistant en langue française. J'ai donc opté pour le système "Al" proposé et expérimenté par Alpheratz qui était parfaitement pertinent en l'espèce, et cela sans dénaturer la structure du français standard contemporain (et donc lisible et acceptable pour quasi n'importe quelx locutaire).

Soumis par Jean-Pierre Nessuno le 31 décembre 2021 à 8 h 41

Bonjour,
Y a-t-il un terme non genré pour "tous-toutes" ?
Merci.

Soumis par Alex le 2 janvier 2022 à 10 h 00

"L’écriture non binaire sert à genrer exclusivement les personnes non binaires. Dire que l’écriture inclusive est non binaire ou vice versa, c’est invisibiliser la langue des personnes non binaires et leur refuser une visibilité spécifique qui leur est propre." Entant qu'agenre, je voudrais simplement dire que le mieux est de carrément inventer de nouveaux termes, c'est peut-être même la seule solution.(Désole pour les fautes et merci pour cet articles qui vas m'aider a expliqués a mes camarades).

Soumis par Millet pascal le 2 janvier 2022 à 11 h 08

Bonjour, je suis moderateur sur un forum d'usagers de psychotropes (psychoactif.org). J'ai vu une discussion souhaitant "Bonnes Année à tou.tes.s". J'ai proposé (et ça a été fait) de remplacer par "Bonne Année à tou.tes.s.." les deux points finaux marquant un ajout au binaire donc une non binarité. Je n'ai vu votre site qu'après. Je propose donc les .. pour elargir l'ecriture mais si une autre proposition est acquise ou proposée, je suis preneur. Amicalement

Soumis par Doryane Lapointe-Dufour le 17 janvier 2022 à 13 h 04

Personnellement, j'utilise "toustes", qui peut être utilisé à l'oral et à l'écrit.

Soumis par Mario Larouche le 6 septembre 2022 à 9 h 20

Je dois dire que tous ces termes deviennent bien complexes ?!?! Enfin, peut-être qu'un jour je finirai par m'adapter !
Merci beaucoup pour les informations !

Soumis par Jaspreet Singh le 4 février 2024 à 12 h 31

Je trouve l'article bénéfique pour faire face à la discrimination linguistique.
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