Panorama historique de la méthode « grammaire-traduction » pour l’enseignement des langues étrangères

Publié le 13 mai 2019

La méthode grammaire-traduction est vraisemblablement celle qui a la plus longue tradition dans l’enseignement des langues étrangères (L2) en Occident; elle a aussi été connue sous le nom de méthode classique, car ses origines remontent à l’enseignement des langues classiques. Malgré un déclin subi en raison d’une forte opposition de la part d’un mouvement dit « de réforme », cette méthode est encore en vogue au 21e siècle, notamment sous la forme de manuels qui adoptent un modèle du type « version-grammaire » (par « version », on entend la traduction de la langue étrangère à celle de l’apprenant [L1]). Pensons, par exemple, à la méthode Mentor ou à la collection « Sans peine » de la maison Assimil.

Quelle a été l’évolution de la méthode grammaire-traduction, notamment sous la forme version-thème, au fil des siècles, et quels sont les principes qui la sous-tendent? (Le « thème » est la traduction vers la L2.) Voici les questions auxquelles nous voudrions donner quelques pistes de réponse dans ce billet.

La méthode grammaire-traduction au 18e siècle

Selon Claude Germain, professeur émérite à l’Université du Québec à Montréal, le point de départ de l’étude d’une L2, à partir du 18e siècle, était un texte en langue étrangère découpé en parties, traduit mot à mot dans la langue de l’apprenant (L1) et accompagné de remarques grammaticales, tout comme nous le trouvons dans les manuels d’Assimil. Cette présentation didactique du contenu (version-grammaire) dénote le remplacement de l’approche grammaticale déductive (les règles avant les exemples) par une grammaire inductive. En effet, l’apprentissage inductif nécessite que l’on étudie des cas d’application (les textes en L2) pour ensuite en dégager des règles. C’est en ce sens que l’on pourrait parler, métaphoriquement, d’enseignement implicite, car, dans la version-grammaire, on ne formule pas explicitement les règles avant de montrer des exemples à analyser. Cependant, il serait peut-être abusif de parler véritablement d’approche implicite ou intuitive, car l’intuition présuppose une connaissance obtenue sans avoir parcouru « les étapes de l’analyse, du raisonnement ou de la réflexion ».

La traduction pédagogique

Selon Jean-Pierre Cuq, la traduction pédagogique, dont les techniques classiques sont le thème et la version, peut avoir, selon le moment didactique où on l’emploie, une valeur d’apprentissage ou une valeur d’évaluation. La version (traduction de la L2 en L1) permet, avant tout, de contrôler la compréhension, alors que le thème (traduction de la L1 en L2) permet de mettre en pratique les connaissances grammaticales de l’apprenant.

Origine et évolution des manuels bilingues

La tradition qui inspire les manuels du type version-thème remonte jusqu’à Rome, où apparaissent, au 3e siècle, les Hermeneumata, manuels bilingues qui contiennent, entre autres, des dialogues simples présentés en deux colonnes, à savoir, la traduction latine et le texte grec en regard. Ce recours aux dialogues s’inspire peut-être de la tradition grecque; pensons, en effet, aux dialogues de Platon.

Au Moyen Âge, les maîtres de langue enseignent le latin en s’inspirant des Hermeneumata et créent les « colloques », c’est-à-dire, des manuels de conversation. Vers le 16e siècle, apparaissent en Angleterre les « manuels doubles » visant l’enseignement du français comme langue de prestige chez les jeunes aristocrates anglais. Un exemple de ces manuels est le « manuel de Caxton » : ouvrage contenant des dialogues et des portraits qui illustrent des situations quotidiennes. Les textes étaient présentés en français et en anglais, parfois en deux colonnes séparées, parfois de manière alternée, ligne après ligne, dans les deux langues. Blanchet ajoute que les dialogues des manuels doubles (ou livres de manière) étaient souvent rimés et commentés en latin.

Aux 16e et 17e siècles, certains auteurs, dont Giles du Guez ou John Locke, critiquent fortement l’apprentissage d’une langue étrangère par l’étude de règles de grammaire et recommandent un enseignement (plutôt déductif) par la lecture de traductions interlinéaires de dialogues ou de textes adaptés au niveau des apprenants. L’ordre de présentation des langues varie d’un auteur à l’autre : tantôt les lignes écrites en L2 précèdent celles en L1, tantôt l’ordre est l’inverse. Cette technique de traduction interlinéaire se poursuit jusqu’au 20e siècle. Un exemple bien connu de cette technique se retrouve justement dans les manuels Mentor, où la traduction interlinéaire (d’abord en L2 puis en L1) est accompagnée d’une prononciation restituée et de notes en bas de page.

L’histoire de l’évolution des méthodologies d’enseignement et d’apprentissage de langues étrangères est passionnante et permet d’éclairer le fonctionnement des manuels et des méthodes que nous utilisons quotidiennement. La méthode grammaire-traduction est-elle souvent présente dans vos pratiques d’enseignement ou d’apprentissage? Quelles en ont été vos expériences? Vos commentaires seront très appréciés.

Sources

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Alejandro Hernández Jaramillo

Originaire du Mexique, Alejandro Hernández Jaramillo est détenteur d’une licence en sciences du langage (Université de Toulouse II) et d’une licence en didactique du français langue étrangère (Université nationale autonome du Mexique). Il a aussi été boursier du ministère des Relations internationales et de la Francophonie du Québec pour participer au 35e Stage en didactique du français, culture et société québécoises, à l’Université de Montréal. Il enseigne le français et l’allemand, parle l’anglais et le portugais, et a des connaissances en arabe. Il voudrait apprendre autant de langues que possible, car il est fasciné par le fait que ce qui n’est peut-être que du bruit pour certains est, en réalité, un système de communication pour ceux qui le parlent et le connaissent.

 

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Commentaires

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Soumis par Montserrat Wario le 13 mai 2019 à 14 h 48

Dans mes cours de FLE, je préfère donner la priorité à la L2, mais je passe par la traduction pour expliquer certaines expressions familières. Lorsque les élèves ne comprennent pas un mot dans un texte, je les guide pour qu'ils trouvent l'usage et la signification à partir de l'information qui entoure ce mot. Il faut aussi observer les habitudes des élèves; je vois qu'ils font peu d'efforts pour éviter la traduction en L1. Ils utilisent souvent le traducteur en ligne.

Soumis par Frédérique Descomps le 29 juin 2019 à 13 h 41

Bonjour,
Oui, je suis tout à fait d'accord avec vous sur l'utilisation du thème ponctuellement pour vérifier les connaissances grammaticales, donc évaluer, et avant l'apprentissage (en partant de sa langue maternelle).

Soumis par Jean-Pierre le 8 juillet 2019 à 9 h 06

Ce que l’auteur appelle grammaire-traduction est parmi toutes les méthodes probablement la moins mauvaise. En tout cas, je persiste à penser que la méthode Assimil est probablement ce que l’on a fait de mieux jusqu’ici. C’est surtout vrai pour l’enseignement de l’anglais, avec de nombreuses rééditions et mises à jour qui tiennent compte des avancées de la pédagogie, des progrès de la linguistique et des connaissances disponibles aujourd’hui sur la langue parlée authentique.
Pour les francophones qui étudient l’anglais, un des barrages importants est la prononciation. Une langue est avant tout un élément parlé et sonore.
On ne devrait pas se lancer dans une étude systématique de la grammaire-traduction sans avoir d’abord beaucoup écouté, entendu la langue cible pour familiariser ses oreilles à un environnement nouveau : rythmes, courbes mélodiques des phrases exprimant le sens convoyé pour ne pas rester sourd à l’anglais. Ces éléments essentiels sont bien plus importants que la perfection des th et du r anglais. La grammaire s’appuie aussi sur des courbes mélodiques.
Je pense donc qu’il faudrait idéalement accepter de donner une bonne place à une écoute passive et à des jeux sur la langue (nursery rhymes).
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