En tant qu’enseignante de français langue étrangère dans un contexte on ne peut plus traditionnel (salle de classe, tableau, murs blancs, pupitres disposés par rangées…), je demande parfois à mes élèves adolescents s’ils préfèrent suivre leurs cours avec un professeur virtuel ou en personne.
Sachant que mes étudiants ont grandi à l’ère du numérique, encadrés par des écrans de toutes dimensions et de toutes capacités, je m’attends à une réponse qui ressemblerait à la suivante : « Les profs virtuels, les cours en ligne, les leçons sur mon téléphone, les tests sur mon ordinateur, c’est cela l’école d’aujourd’hui et du futur, Madame, vos tableaux et vos outils de travail (je traduis : mes livres de grammaire et autres!) sont dépassés, obsolètes, archaïques! »
Toutefois, je reçois une réponse complètement différente : « Madame, oui, le virtuel et le numérique font partie de notre vie quotidienne, que ce soit dans notre vie privée ou éducative, mais nous ne renoncerions en aucun cas à des cours traditionnels tels que vous nous les donnez. »
Si j’approfondis mon sondage initial, je découvre alors que les raisons de souhaiter maintenir un enseignement de la langue de manière traditionnelle sont multiples.
Tout d’abord, le contact humain est un facteur clé de la réussite d’un apprentissage des langues : en effet, même si l’intelligence artificielle est en pleine croissance dans le domaine de l’éducation, les étudiants apprécient de pouvoir poser des questions à un être humain, en chair et en os, qui peut leur fournir une réponse personnalisée, efficace, adaptée à leurs besoins. De plus, les échanges en personne sont empreints d’émotions et de culture : le langage corporel d’un enseignant francophone sera différent selon l’endroit d’où il est originaire. Le ton des réponses, les mots utilisés, le regard auront une influence majeure sur l’apprenant. Pourquoi se souvient-on de certains profs plus que d’autres? Parce qu’ils nous ont marqués! Parfois par leurs remarques positives et encourageantes, parfois par des paroles plus sévères et autoritaires mais qui ont, toutefois, pu avoir un impact positif sur notre futur.
Après le contact humain, la raison principale invoquée par une grande quantité de mes étudiants est le cadre d’une salle de classe traditionnelle. Les étudiants, stimulés à longueur de journée (et même la nuit, si on en juge par les sondages alarmants sur le manque de sommeil!), sont heureux de pénétrer dans une pièce où les distractions sont limitées, où les sonneries et autres bruits numériques qui bercent nos oreilles en continu sont assourdis, une pièce qui invite à l’apprentissage et à la concentration. « Se concentrer », voilà un mot qui revient beaucoup dans les études sur le comportement des jeunes (et moins jeunes) apprenants. Saviez-vous que notre temps d’attention est passé de 12 secondes en 2000 à 8 secondes 20 ans plus tard? En comparaison, le temps d’attention d’un poisson rouge est de 9 secondes!!!!
Finalement, mes étudiants me disent qu’ils aiment les cours en classe parce qu’on y parle de la culture de toute la francophonie. En effet, le français parlé dans 106 pays et territoires offre une richesse infinie de nuances et régionalismes linguistiques que l’enseignant peut aborder à tout moment dans ses classes. Les cours virtuels n’offrent pas toute cette diversité et ne permettent pas aux apprenants de s’enrichir au contact de la culture de l’enseignant et de leurs camarades.
En conclusion, à une ère où le numérique semble dominer chaque aspect de notre vie, il n’en reste pas moins que les apprenants de français désirent garder leurs enseignants dans les classes, leurs livres sur leurs pupitres et leurs téléphones bien rangés dans leurs cartables pendant qu’ils se concentrent sur la grammaire, le vocabulaire et les nuances linguistiques du français.